Peux-tu te présenter ?
Ben Le Jeune, auteur, compositeur et interprète. Je suis un artiste autoproduit et je suis arrivé en France en 2021. Auparavant, je faisais partie d’un groupe à Manchester : The Creature Comfort. C’est un groupe culte qui a eu une certaine notoriété dans la scène underground dans les années 80/90. J’ai décidé de me lancer en solo depuis que je suis en France.
De quelle nationalité es-tu ?
Comme je suis marié en France avec une Française, à présent je suis français. A l’origine, je suis anglais puisque ma mère était anglaise alors que mon père était à la fois anglais et belge. Je suis donc trois quart anglais et un quart belge.
Comment la musique est-elle entrée dans ta vie ?
Par mon père, qui passait beaucoup de vinyles de blues et de jazz. Dès mon enfance, j’ai donc été baigné pour ces musiques.
Tu as grandi en Angleterre ?
Non, je suis né en Afrique dans l’actuelle RDC. Puis, mes parents sont allés s’installer à Bruxelles. J’ai donc fait mon école élémentaire en Belgique.
Il y avait un lien avec « les disques du crépuscule » et « Factory Records » entre Manchester et Bruxelles ?
J’en ai entendu parler et je reste dans cette tradition (rires). Les Belges ont un côté plus fou que nous. Il suffit de voir un groupe comme TC Matic avec Arno ou tous les mouvements culturels qui sont nés en Belgique. Je suis assez fier que ce petit pays soit aussi créatif et d’avoir une partie belge en moi (rires).
Quand arrives-tu à Manchester ?
J’ai d’abord été en pensionnat en Angleterre puis, à Londres pendant un an avant d’arriver à Manchester, en 1985, pour étudier à la faculté.
A cette époque, Manchester était très important musicalement !
Oui, c’est pour ça que je suis allé à Manchester. Je voulais créer un groupe. J’en avais créé un à la fac mais je voulais aller à Manchester parce que je pensais que j’allais trouver des musiciens. A l’époque, j’écoutais beaucoup les Smiths. C’était très important pour moi : ils m’ont ouvert l’esprit à faire de la musique d’une manière différente mais également à écrire des paroles différentes. A la même époque, j’ai aussi découvert Joy Division et les Buzzococks.
Tu montes quand les Creature Comfort ?
J’ai mis un an pour créer le groupe en 1986-1987. J’ai trouvé des musiciens mais le groupe a beaucoup évolué avec le temps. Dès le début, on a développé un son différent et qui nous a suivi.
Quand on écoute le groupe, on a l’impression que vous étiez très influencés par Peter Murphy et Bauhaus.
On était un groupe à contre-courant de ce qui se faisait à Manchester à l’époque. On était un peu punk dans le sens où ne voulions pas suivre ce que faisait les autres. C’est pour ça que nous n’étions pas dans le moule de l’époque. On était plus rock et punk. En ce qui concerne Bauhaus, c’est un peu vrai mais on n’a pas encore sorti les morceaux des années 80. Ils ne sont pas bien enregistrés. C’est un de mes projets en attente…
Quand on écoute ton disque « A Stranger To Your City », on découvre une musique très personnelle. Il y a beaucoup d’influences mais sans que cela ne ressemble vraiment à quelque chose. C’est très personnel
!
Pour moi, c’est très positif ! Quand j’écris une chanson, je commence toujours par les paroles, surtout depuis que je suis en solo. Les textes m’amènent ensuite une mélodie. C’est vrai que j’ai beaucoup d’influences en moi mais je n’ai presque jamais l’intention de suivre le style d’un groupe ou d’un courant pour développer la chanson. Je suis ce que la chanson me dit.
Il y a eu deux périodes distinctes pour les Creature Comfort et vous avez été repérés par le manager des Stones Roses. Suite à cela, vous avez fait beaucoup de choses avec des premières parties du Gun Club, Mudhoney, Stereolab… mais sans jamais vouloir leur ressembler !
Oui, tout à fait. Je suis un immense fan de Jeffrey Lee Pierce (chanteur du Gun Club, NDLR). Il avait une vision artistique très pure en y mettant son âme. C’est ce que je cherche aussi. Pour moi, la musique est primordiale pour l’âme.
Le groupe a eu une petite renommée jusqu’à sa séparation en 2021.
Il y a eu un premier arrêt en 1995 et puis, je suis revenu en 2010 avec un album qui est finalement sorti en 2013. Le groupe s’est séparé en 2021 quand je suis arrivé en France. Je joue toujours avec 3 musiciens du groupe, mais je cherche des musiciens en France parce que mon avenir est ici à présent.
Pourquoi te lances-tu dans une carrière solo ?
Mes chansons sont beaucoup plus personnelles qu’avant. Ce sont des chemins de vies et tout ce que qu’ils m’ont appris. Mise à part une chanson comme « Je suis le Président », toutes les autres sont très personnelles et ça fait partie d’une évolution artistique. Je me suis beaucoup intéressé à l’idée d’être un « songwriter ». Il y a quelque chose de plus profond que d’être un groupe très rock’n’roll ou punk, avec une attitude « Fuck off » (rires). D’une manière pragmatique, je voulais me renouveler et surtout, être accueilli par le public français comme Ben Le Jeune, sans cet historique du groupe. En plus, Ben Le Jeune c’est plus facile à dire en français que Creature Comfort (gros rires NDLR).
Tu l’as fait où et avec qui ce disque ?
L’enregistrement a été fait à Manchester sur deux périodes séparées d’un an. C’était la période où je m’installais en France. J’ai commencé fin 2021, au moment où je quittais l’Angleterre. L’album a été produit par Tim Thomas qui a travaillé avec The Fall ou Johnny Marr (The Smiths). Il m’a beaucoup aidé à me développer et à trouver le son qu’il me fallait. On a terminé l’album en 2022.
A l’écoute de ton disque on pourrait presque te qualifier de poète ! Tu as mis de la musique sur des mots et pas l’inverse !
(Énorme rire, NDLR) Merci ! Oui, c’est exactement ça mais je n’aime pas vraiment être qualifié de « poète » car ça me paraît très prétentieux. Surtout en Angleterre. Mais en France cela passe mieux, c’est plus dans votre culture.
L’autre point qui marque tes textes, ce sont les voyages. Tu ne serais pas un grand voyageur ?
Oui, je voyage beaucoup mais souvent pas très loin (rires). Je tourne en Europe mais je suis allé aux USA et en Afrique mais il est vrai que j’ai l’impression d’être toujours en mouvement. Cela amène quelque chose de positif. J’aimerais vraiment vivre sur la route, rencontrer des gens nouveaux et voir de nouveaux endroits. Pour en revenir à mes textes, mes paroles sont primordiales et j’essaye de peaufiner mes mots avec une manière adroite, élégante et romantique. J’essaye vraiment de trouver des termes qui ne soient pas courants pour intriguer les gens.
Est-ce que, sur cet album, tes textes sont mis sur un genre musical à chaque fois différent ? Tu passes du rock au psyché, au jazz, au blues… Tu essayes de trouver à chaque fois une ligne musicale qui s’applique à ça ?
Oui, dans le sens où je ne vais pas décrire le « feeling » de la chanson aux musiciens. Par exemple, « Je suis le Président » est un blues de Chicago alors qu’avec « Love You In The Morning » on est dans jazz assez New-Yorkais, avec une teinte Motown.
Mais est-ce que l’ensemble ne serait pas du blues, le blues du Bayou bien sûr. Pour moi, tu es dans la lignée de Jeffrey Lee Pierce mais aussi de Nick Cave.
D’abord merci ! Et je partage ton point de vue car j’adore le blues qui est au cœur de ce que je fais. Mes paroles ont également un côté blues en effet. C’est ce que j’écoutais en boucle quand j’étais jeune avec mon père. J’aime le côté « sale » du blues comme John Lee Hooker ou Muddy Waters. J’adore aussi JJ Cale pour le côté bayou.
Tu dois aussi beaucoup aimer le jazz mais plus des gens comme Coltrane. Tu aimes toujours les artistes qui ont un côté sale et romantique ?
Et oui, la vie est comme ça : sale et romantique. On essaye tellement d’avoir un côté moderne et romantique mais quand tu y regardes d’un peu plus près, ce n’est pas vraiment clean. Ça fait partie de la beauté de la vie ! Quand tu regardes la nature par la fenêtre, c’est magnifique mais si tu regardes bien tu y verras un côté très violent, c’est comme la vie.
Pour ton prochain album, tu ne feras pas quelque chose de plus direct, avec peu de musiciens ?
(Rires) Je crains de passer le cap et pourtant je voudrais bien. Mais je me dévoilerais encore plus.
Tu as deux morceaux, en partie en Français, dont « Je suis le Président » avec un côté Dutronc, deuxième degré ou même Jacques Higelin.
Je connais Higelin de nom mais je n’ai jamais écouté. Quant à Dutronc, je l’ai beaucoup écouté à Bruxelles avec Françoise Hardy et Serge Gainsbourg. Je n’en ai pas parlé aux musiciens parce qu’ils ne le connaissaient pas. Il y a quelques morceaux de Dutronc qui ont le rythme et le sarcasme de « Je suis le Président » en effet.
Tu as ce deuxième morceau en français, que tu as mis à la fin de l’album, « Marée noire ». C’est un morceau très calme et avec un vrai côté poète. Pourquoi tu l’as mis à la fin de l’album ? N’est-ce pas le morceau où ton côté poète ressort le plus ?
Je l’ai mis à la fin parce qu’il est très différent du reste de l’album. Ensuite, j’aime beaucoup comment finit le morceau, avec des sons différents. Il est aussi à la fin en raison d’un manque de confiance concernant mes textes en français. Je sais écrire en anglais mais j’ai plus de mal en français. J’ai un ami poète en Belgique à qui j’ai envoyé le titre pour lui demander son avis et qui m’a conforté en me disant : « c’est bien, vas-y ». Mon entourage en France me disait de faire attention avec ce titre et même, de le mettre en caché. Je ne voulais pas être jugé dessus.
Tu ne penses pas que « Marée noire » est ton vrai morceau de poète, avec très peu de production ?
C’est le morceau où je me cache le moins. Je suis assez fier des paroles. C’est vraiment plus de la poésie que des paroles pour une chanson. Le fait qu’elles soient écrites en français joue beaucoup. En anglais, les paroles doivent avoir un effet percutant et direct. Il y a moins d’envergure que dans des paroles en français.
Ton album n’est pas vraiment un album anglais !
Je ne suis pas très anglais, plutôt international. Je ne fais pas de la pop anglaise, c’est sûr. Ce n’est pas parce que j’ai habité à Manchester que je dois faire de la pop. J’ai une vision plus globale de la musique. J’ai toujours essayé de faire une musique universelle et forcément, les USA exercent une immense influence sur nous, notamment avec le blues.
Tu as un morceau « Formentera » qui a une image très liée au voyage et à la route. Ne serais-tu pas un grand fan de Kerouac ?
Oui absolument ! J’ai étudié Kerouac, j’ai même fait une sorte de thèse sur lui et William Blake.
Mais est-ce que le rock ne serait pas dépassé pour toi ? Tu ne voudrais pas réduire un peu tout le côté rock au profit de la poésie, un peu comme Jim Morrison ?
Peut-être, c’est difficile à dire : il y a une différence entre les paroles des chansons et la poésie que j’écris. Il y a beaucoup de chansons que je dois terminer et j’essaye de le faire avec un côté basique.
Ça va se passer comment sur scène ?
J’ai fait un concert au Supersonic (Paris) en juin qui s’est très bien passé. J’essaye de trouver des dates et de finir des chansons pour un nouvel album que je voudrais faire avec des musiciens français. J’essaye aussi de monter sur scène de manière plus régulière en France et en Europe. C’est primordial d’être sur scène et d’avoir le contact avec le public.
Il y a qui sur scène avec toi ?
Ce sont des Anglais, les meilleurs musiciens avec lesquels j’ai joué. Ce sont les musiciens du disque, sauf le batteur.
Quels sont les premiers retours sur le disque ?
Ça va, « Je suis le Président » a été beaucoup programmé sur les ondes. Je pense que je suis mieux compris en France qu’en Angleterre où ma démarche intrigue. John Robb (journaliste anglais NDLR) a écrit que j’avais une démarche très originale.
Tu vas bientôt attaquer de nouveaux enregistrements ?
J’aimerais m’y mettre assez rapidement pour ne pas être oublié.
Le mot de la fin ?
Je veux amener quelque chose de sincère et d’artistique à la France !
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?
Un album de John Lee Hooker et aussi « Raw Power » des Stooges !
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