Peux-tu te présenter ?
Je suis Jean-Marc Varlet. J’ai commencé à écouter de la musique à mon adolescence en 1970 ou 1971. Au début, j’écoutais ce que les copains me conseillaient. J’étais à Carcassonne, c’était un endroit où la culture musicale anglo-saxonne n’était pas très présente. J’achetais Best et Extra, les revues de l’époque, mais pas Rock And Folk parce qu’il n’y avait pas de posters à l’intérieur (rires). Mes premiers albums étaient Creedence Clearwater Revival, les Bee Gees quand ils ne faisaient pas encore de Disco, Slade… Je n’aimais pas le Hard-Rock alors que mes copains écoutaient Deep Purple, je trouvais ça trop bruyant. Puis, par l’intermédiaire du grand frère d’un copain, j’ai découvert à 14 ans les Beatles et ça a été la révélation ! Aujourd’hui encore je les écoute beaucoup. Il fut une époque où je pouvais reconnaître un morceau des Beatles aux deux premières secondes, et dire sur quelle face de quel album il figurait. De tous temps j’ai gardé une sensibilité plus pop que rock, donc plus Beatles que Rolling Stones (sourires).

Comment et pourquoi on monte un label ?
En 1984, grâce au fanzine toulousain Nineteen, j’ai découvert qu’il y avait une scène contemporaine très influencée par les années 60 avec la même énergie et le même sens de la mélodie qu’à l’origine. J’ai aussi découvert le support, le 45t. C’est un bel objet. Tous les groupes ont commencé par ça. En dépit d’une une vie professionnelle de 38 années dans la banque, de la rigueur et du sérieux que ce métier impose, j’ai continué à écouter de la musique. Une échappatoire peut-être ? Je suis donc devenu collectionneur de 45t. Je vendais et j’achetais, en gardant le rêve de faire un jour un label de 45t. Quand j’ai été à la retraite en 2020, je me suis lancé et j’ai créé Rogue Records en 2021 avec un EP de reprises des Jack Cades. J’ai eu beaucoup de chance parce que le disque s’est vendu assez vite : il a été épuisé en quelques mois. Ce fut un bel encouragement, et depuis je n’ai pas cessé.
Pourquoi Rogue Records ?
Pour deux raisons. Tout d’abord il suffisait juste de remplacer la lettre V des Disques Vogue par la lettre R. Vogue était un label emblématique de la scène française des années 60, dont j’aimais aussi beaucoup le logo. D’autre part, Rogue en anglais a une autre signification (voyou NDLR) qui donne un côté rebelle et mauvais garçon au label (sourire). Le logo et le nom Rogue ont donc une symbolique et une représentativité à la fois à l’égard des publics Anglo-saxons et Français.
C’est un label très sixties, psychédélique… qu’est ce qui te plait dedans ?
Les Sixties étaient une époque où la mélodie et les arrangements vocaux étaient présents et s’associaient à l’énergie du Rock’n Roll. J’ai tout de suite « accroché » à la scène Garage des années 80 à aujourd’hui parce que même si la pop est moins présente dans la scène contemporaine, il y a un sens de la mélodie qui demeure associé à l’énergie du rock.
Mais ton label a aussi un vrai esthétisme, avec de belles photos, de belles pochettes, un beau pressage…
Pour moi la pochette a beaucoup d’importance. Je suis collectionneur et le contenu vaut autant que le contenant ! J’ai rencontré des gens qui ont acheté les disques du label uniquement au vu de la pochette, sans même s’intéresser à la musique. Cette qualité de la pochette est un vecteur de différenciation des autres labels et un moyen de faire venir des clients pour qui la pochette compte beaucoup et impacte leur décision d’achat.
C’était une vraie volonté à la base de faire de belles pochettes ?
Oui, absolument. J’y accorde tellement d’importance que l’usine de pressage s’est montrée incapable de les réaliser, à cause notamment des rabats extérieurs visibles et du vernis brillant qui est appliqué. C’est mon cousin, imprimeur à Metz, qui a réussi à me faire ça.
Comment fais-tu pour vendre autant tes produits ?
J’ai la chance d’avoir pu constituer un réseau de distribution grâce à une activité d’achat de disques pour revente que je mène depuis une vingtaine d’années. Depuis longtemps j’achètais en Europe et aux USA des disques et au lieu d’en prendre un, j’en prenais plusieurs, que je revendais ensuite soit en direct par le net, soit dans les foires aux disques. Cela m’a permis de connaître une quantité de labels qui fonctionnent de la même façon que moi. Pour survivre les labels font des échanges et vendent les produits de leurs confrères. C’est comme ça que presque tout le monde fonctionne. Je vends au détail 20% de la production, et c’est la distribution chez les disquaires ou chez les grossistes aux Pays Bas et aux USA qui prend le solde de la diffusion.
Tu ne fais que des formats 45T, tu n’as pas envie de passer au 33T ?
Non (rires), on me l’a souvent demandé (rires). J’ai arrêté les 33T en 1984 et ma femme serait contre si jamais je reprenais cette collection. Parce qu’elle prend trop de place. Sur le plan économique on peut plus facilement être dans le vert avec des 33T qu’avec des 45T, mais pour l’instant je ne perds pas d’argent, et ça me convient. Je fais ça pour le fun, pas pour gagner ma vie. Disons que c’est avec les recettes du projet A qu’on arrive à financer le projet B et ensuite de suite… La plupart des labels que je connais font la même chose.
Comment trouves-tu les groupes ?
Pour certains groupes comme The Crystal Teardrop ou Child Of Panoptes, qui ont bien marché, le label était déjà connu et ce sont donc eux qui se sont adressés à moi. Par contre, au commencement, c’est moi qui prenais l’initiative de contacter les groupes. Ce n’était pas facile parce qui allait s’intéresser à un petit Français sorti de nulle part pour proposer la réalisation d’un disque ?! Mais quand j’ai expliqué mon âge et mon parcours professionnel les gens étaient rassurés. Je n’ai pas essuyé beaucoup de refus et le label est désormais suffisamment connu pour appuyer mes sollicitations.
Justement, tu as combien de sorties à l’heure actuelle ?
On en est à 34, à la rentrée 2025 il y en aura 5 ou 6, et 14 sont prévues pour 2026. J’en sors une dizaine par an mais il y a des aléas. A titre d’exemple Je devais sortir une nouveauté en juillet 2025 mais quand j’ai reçu la palette de l’usine de pressage, il manquait 3 cartons et j’ai du reporter à plus tard.
Quelles ont été tes sorties les plus marquantes ?
Toutes (rires), mais certaines sont plus marquantes que d’autres. Le EP des Jack Cades par exemple. Il a été enregistré pendant la pandémie, les 4 musiciens ont enregistré leur partition chacun de leur côté, ça n’a pas empêché la réussite de cette première expérience pour le label. Peut-être aussi parce que les 4 morceaux étaient des reprises ? Je peux aussi citer The Crystal Teardrop, qui tournent beaucoup, notamment hors du Royaume-Uni, et qui sont très présents sur les réseaux sociaux. Je pense que la personnalité de leur chanteuse compte pour beaucoup (rires). Quant à Child Of Panoptes, j’ai annoncé dernièrement à Alexandre Besson (leader du groupe NDLR) que son disque était officiellement épuisé.
Comme beaucoup de tes sorties ?
Il y en a eu plusieurs, mais c’est normal qu’un disque soit épuisé au bout de trois ans.
Tu en tires combien à chaque fois ?
500 exemplaires ! Au début, on me conseillait de n’en faire que 300 pour ne pas me retrouver avec des stocks énormes sur les bras. Mais lorsque l’on compare le coût de fabrication de 500 exemplaires par rapport à 300, les 200 copies supplémentaires ne coûtent que 200 Euros. Donc allons-y pour 500 !
La majorité des groupes que tu sors sont étrangers (Anglais, Américains ou Espagnols). As-tu eu beaucoup de groupes français à part les Child Of Panoptes ?
En premier lieu je dirai que l’origine des groupes avec lesquels j’ai travaillé jusqu’à présent est très vaste et va bien au-delà des pays que tu cites. Il est vrai que les groupes Français sont peu représentés parce que l’audience pour ce style de musique en France est faible. Le public est relativement âgé, sachant que les jeunes préfèrent le punk ou le post-punk. La scène garage est beaucoup plus active aux USA, au Royaume-Uni, au nord de l’Europe, et tout particulièrement en Espagne où le public est assez jeune, beaucoup plus que chez nous…. Le problème des groupes Français est qu’ils ne jouent pratiquement qu’en France et sont difficilement vendables à l’étranger, là où ils ne tournent pas. Il me faut des groupes qui tournent à l’international. On a le cas avec le Chiffre Organ-Ization et Child Of Panoptes qui vont en Angleterre et en Espagne. Ils bénéficient également d’un large suivi local autour de Montpellier et Avignon. Les Wylde Tryfles est un groupe de Bordeaux qui joue de plus en plus souvent en Espagne, un single sur Rogue Records arrive en 2026.
Ça se passe comment ? Tu ne produis pas ?
Le processus de fabrication est toujours le même. En premier lieu je demande aux groupes de m’envoyer leurs bandes pour que je puisse les évaluer. Si je n’aime pas je ne fais pas. Je n’aime pas non plus le principe du super morceau en face A avec du remplissage en face B. là aussi, c’est niet ! Si les pistes sont à mon goût je demande au groupe de réaliser le mixage et le mastering. Le groupe m’envoie ensuite ses fichiers définitifs, quelques photos pour le recto de pochette, et la liste des crédits à afficher au verso. Ces crédits seront affichés en Français.
Pourquoi en français ?
Pour que l’objet final ait l’air d’une pochette française des années 60 bien sûr (rires) ! Le travail de conception est réalisé par un graphiste que j’ai rencontré dans le Gers. Nous travaillons ensemble en visio-conférence, en l’espace de deux heures la pochette est généralement terminée. Cela fait trente pochettes que l’on conçoit ensemble. On s’entend bien. Il est très disponible. La plus grosse difficulté est d’arriver à coordonner la disponibilité de la pochette avec celle du vinyle, puisque les deux tâches sont réalisées en deux endroits différents. Il faut que les deux arrivent en même temps.
C’est compliqué ?
Oui, ça l’est. Il est certain que la solution de facilité serait de faire réaliser les pochettes par l’usine de pressage, puisque dans ce cas il n’y a aucun problème de coordination, mais je n’obtiendrai jamais la qualité des pochettes actuelles du label.
Tu fais comment pour la promotion ?
J’ai un ordre précis. Je lance une pré-commande deux semaines à l’avance sur Bandcamp, ce qui permet aux clients fidèles de réserver leur copie. En même temps que la prévente, je lance la promotion : réseaux sociaux, Facebook et Instagram, et mails à un réseau de 300 bloggeurs, journalistes et radios en ligne, qui obtiennent la pochette et les fichiers Mp3 à la demande. J’obtiens pas mal de chroniques un peu partout : Australie, USA, Royaume-Uni, et les pays Européens comme l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, Pays-Bas, Suède… Je réalise également des vidéos sur YouTube à l’aide d’une image de la pochette et d’un fichier wav. Enfin, j’informe par mail les clients récurrents.
Tu l’envoies aussi à des disquaires ?
Oui, j’informe aussi quelques disquaires par mail, mais je n’en ai pas beaucoup. Quand tu as terminé tout ce travail de promotion, que tu as réalisé tout seul devant ton ordinateur, tu te rends compte que sortir un disque est extrêmement chronophage. A certaines occasions, quand tu lances une pré-commande et n’obtiens que trop peu de réactions, j’avoue qu’il m’est arrivé d’avoir le moral dans les chaussettes. Mais maintenant, avec le temps, j’ai appris que ce qu’on n’arrive pas à réaliser en 3 mois, on le fera en 12 mois, et ça n’est pas bien grave…
Pourrait on imaginer un festival ou des événements Rogue Records ?
Mon problème est que je ne saurais pas l’organiser. Je ne connais pas les tourneurs européens donc ce serait vraiment compliqué. A fortiori considérant l’éclectisme de l’origine géographique des groupes avec qui je travaille.
Tu vas évoluer musicalement ?
Je vais peut-être aller vers le power pop parce que je n’ai pas sorti beaucoup de groupes dans ce style. Même remarque pour le psychédélisme.
Quel serait le groupe dont tu rêverais de sortir un 45 t ?
J’ai vu les Lemon Twings à Toulouse il y a peu de temps et ils étaient exceptionnels ! Si je pouvais le faire je serais enchanté mais ils sont déjà sur un gros label. Il y a deux groupes que j’aimerais faire aussi : les Schizophonics et les Courettes, je les adore, mais ils sont dans la catégorie au-dessus pour un petit label comme le mien.
Quel serait le groupe, selon toi, pour découvrir ton label ?
Pour moi ce serait les Embrooks. Ce n’est pas forcément le groupe le plus apprécié par le public parce que c’est du Freakbeat mais c’est vraiment ce que j’aime : des mélodies, des harmonies vocales et du rock n’ roll.
Tu es proche de Pop Superette ?
Oui, Pierre a fait les 10 premières pochettes du label et on a des goûts assez similaires musicalement parlant. Il est, quand même, plus éclectique que moi, et plus orienté pop Française. Il a en ce moment un beau projet avec Gingerella.
Tu n’as pas peur d’être dans une « chapelle » ?
J’assume complètement d’être dans une chapelle et ça ne me fait pas peur. Je dirai même que ladite chapelle est déclinante et que l’avenir n’est pas forcément prometteur, mais ça m’est égal. Bien sûr, pour vendre plus, je pourrais faire des choses comme de l’électro ou du hip-hop, mais je ne vais pas me compromettre à faire des choses qui ne m’intéressent pas. Je continue ce label parce que j’aime les groupes avec qui je travaille, j’aime leur musique, je leur fais plaisir et je donne satisfaction à un certain public. Je ne vis pas du label et donc tant que je le pourrai, je continuerai.
Quels sont tes projets ?
Il va y avoir cinq disques à la rentrée 2025 et il y a 14 prévisions pour 2026. Entre les prévisions et la réalité, il y a certes des changements, mais on va essayer de s’y tenir (rires). Il y a un projet qui me tient à cœur, c’est la réédition des deux premiers singles des Crimson Shadows, un groupe garage Suédois mythique des années 80.
C’est ta première réédition ?
Oui !
Et des Français ?
Oui, les Wylde Tryfles de Bordeaux, Child Of Panoptes, ainsi que le Chiffre Organ-Ization.
Le mot de la fin !
Pourvu que ça dure ! Ma plus grande récompense au terme de ces quatre premières années est d’avoir pu rencontrer des musiciens de tous horizons, que j’admire, et qui sont tous d’une simplicité et d’une modestie étonnantes. Je n’imaginais pas que de tels artistes puissent être aussi heureux quand, en toute sincérité, tu leur dis que tu adores leur musique et leur travail. Une leçon d’humilité. J’ai la prétention de dire que la plupart sont devenus mes amis.
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?
« Odessey and Oracle » des Zombies.
https://roguerecords.bandcamp.com/
https://www.youtube.com/@RogueRecords-zv5gb
https://www.facebook.com/roguerecords
https://www.instagram.com/jeanmarcvarlet/