Tu viens d’une famille de musiciens, ton père était contrebassiste à l’Orchestre de Paris. C’est là d’où viens ta vocation ?
Oui et non, mon père était effectivement musicien à l’Orchestre de Paris. Il s’est fait recruter à la création de cet orchestre par le chef Charles Munch, qui a vu passer un grand nombre de grands chefs d’orchestre et de grands solistes… Mais, à l’époque, je trouvais la musique classique très ennuyeuse, moins maintenant parce qu’il m’arrive d’en écouter. Je trouvais ça austère et mon père en plus n’avait pas un rapport à la musique comme nous : il allait au « turbin » ! Il partait répéter de telle heure à telle heure… C’était une vie de musicien un peu « d’usine ». Il jouait des choses magnifiques avec de grands chefs mais il ne me renvoyait pas une image qui me faisait rêver.
Tu commences comment alors ?
J’ai chanté très tôt naturellement, parce que j’aimais ça. J’ai eu très tôt un « appétit » pour les disques 33 t, les vinyles comme on dit maintenant (rires). Je me rappelle qu’il y avait un disque, « Les plus grandes musiques de western d’Ennio Morricone ». J’ai supplié mes parents de me l’acheter. Je l’ai beaucoup écouté.
Tu avais quel âge ?
9 ou 10 ans mais le premier disque que j’ai écouté avec intérêt c’est un disque de Charles Trenet que mon père avait, même s’il n’écoutait jamais de musique à la maison. Mais il y avait ce disque et comme ça racontait un peu des histoires, ça me parlait, notamment la chanson « Je chante ». C’est une chanson très joyeuse mais si tu examines le morceau, il y a une introduction musicale très mélancolique, et le joyeux vagabond de la chanson finit par se pendre. On peut sans doute y voir mon goût pour ce mélange de merveilleux et d’effrayant qui caractérise mes textes. Cette chanson et ce disque sont les premières que j’ai écoutées. Après il y a eu Morricone (A l’aube du 5e jour) et les chansons qui passaient à la radio qui avait un impact important à l’époque. Je me souviens de morceaux de Abba qui me fascinaient à cause de l’enchevêtrement de leurs voix.
Il y avait quand même d’autres disques chez toi que ton père appréciait ?
Mon père aimait beaucoup le jazz et la bossa nova.Il aimait principalement Antonio Carlos Jobim et Bill Evans, le pianiste de jazz.
Et à partir de quand écoutes-tu les choses qui vont te marquer ?
J’ai vu Elvis Presley à la télé et son visage, sa voix m’avaient beaucoup marqué, ensuite j’ai vu Bob Dylan toujours à la télévision, quelques images de lui sur scène, vers 1975. Mais le vrai départ, ce sont les Beatles avec les albums Rouge et Bleu. J’avais un copain au collège dont le grand-frère possédait ces disques. Ensuite j’ai demandé à mes parents de m’acheter le double blanc (rires). On ne Tapez pour saisir le texte ne les voyait pas sur la pochette, juste dans la pochette intérieure et comme mon père avait eu une éducation un peu stricte, un peu classique, dès qu’il voyait des mecs avec des cheveux un peu longs, un côté crade, il bloquait. Comme je ne voulais pas avoir de remarques j’ai pris celui-là puisque on ne les voyait pas (rires). J’ai eu raison parce que c’est un album incroyable.
Pourtant quand on écoute ta musique on pourrait penser que tu es plus fan de ‘Sgt Pepper’s » et « Revolver ».
J’aime beaucoup « Revolver » et j’aime certaines chansons de « Sgt Peppers » mais ce n’est pas mon disque préféré. Le côté pop baroque psychédélique, je le préfère sur « Magical Mystery Tour ». Le double blanc est vraiment mon préféré, surtout avec l’enregistrement qui a un côté très direct, peu d’arrangements. On sent qu’ils voulaient enregistrer vite et bien. Il a un côté intimiste. Pour finir sur les Beatles, j’aime aussi beaucoup « Rubber Soul ».
C’est vraiment ton point de départ ?
Oui, à partir de là je me suis dit « J’aime chanter et je veux jouer de la guitare ». Ensuite, il y a un été où j’étais à Saint Cyr les Lecques dans le Var. On était un groupe d’ados, tu sais des rencontres de vacances. Là sur la plage il y avait une fille qui jouait de la guitare et comme j’adorais chanter, je suis allé la voir. Cette fille m’a dit « tu devrais apprendre à jouer de la guitare, comme ça tu chantes où tu veux et ce que tu veux ». Elle avait raison et quand je suis rentré de vacances j’ai commencé à apprendre la guitare. Mon père m’a ramené d’une tournée aux USA, un « song book » des Beatles, qui est devenu un classique. Ce n’étaient pas les vrais accords. C’était assez simplifié mais c’était parfait pour moi pour apprendre les premiers accords de guitare. Comme je connaissais très bien les chansons, je m’accompagnais à la voix pour trouver les accords et voilà, j’ai commencé comme ça !
Tu as sorti ton premier album en 1996. Tu as fait quoi avant : des groupes ?
J’ai fait plein de groupes ! Mais ils n’ont jamais rien fait ! De mes 14 ans à ce premier disque, j’ai joué avec beaucoup de monde mais sans faire de disques. Je me souviens d’un groupe « le Groupuscule des Gueux » (rires).
Ça c’est du nom !
(Rires) Oui, c’était un groupe qui était déjà constitué. Je suis arrivé comme chanteur. On a fait des morceaux et des concerts qui se sont bien passés. Ensuite j’ai fait des groupes, parfois à la guitare ou à la basse (j’adore en jouer) mais toujours comme chanteur.
Et donc ce premier album ?
Je faisais partie d’un groupe et avec le clavier, Stéphane Chavy, on est partis pour faire des morceaux sous le nom « Napoléon Dynamite » qui est un des pseudos d’Elvis Costello pour un album. On a fait des démos que l’on a présentées aux maisons de disques. On était reçu par des directeurs artistiques qui aimaient beaucoup ce que l’on faisait mais qui n’avaient aucuns pouvoirs (rires). Moi j’étais motivé et en parallèle j’enregistrais des démos en solo. Au bout d’un moment, un éditeur MCA Caravelle, a été intéressé. J’avais demandé à une fille de Sony que je connaissais ce qu’il fallait faire et elle m’a conseillé d’aller voir un éditeur. MCA, qui était une grosse boite, a aimé et nous a signé tous les deux. Mais au même moment j’avais envoyé une démo à Crammed Discs à Bruxelles parce que j’avais vu une interview de Marc Hollander (fondateur et directeur de Crammed Disc NDLR) que j’avais beaucoup aimé. Je l’avais trouvé drôle, intéressant et cultivé. Je voulais le rencontrer et c’est lui qui m’a appelé pour me dire qu’il aimait mes chansons, et que Véronique, sa femme, chanteuse des Tueurs de la lune de miel et d’Aksak Maboul aimait beaucoup mes textes. On s’est vus à Paris avec mon comparse. Marc m’a rappelé ensuite pour me dire qu’il voulait me signer mais pas Stéphane. Il me voulait seul parce qu’il aimait les chansons que j’avais composées.
Pas agréable comme situation !
Oh oui, j’étais très embêté. J’en ai parlé à mon acolyte et lui disant que je n’allais pas laisser passer une telle occasion et que l’on pouvait continuer à collaborer même si ce n’était pas sous le nom du groupe. Il s’est vexé, ce que je comprends, et voilà j’ai signé chez Crammed Discs.
Tu l’as fait comment ce disque ?
J’ai commencé avec Bertrand Burgalat. Marc Hollander voulait que j’aie un producteur parce que c’était mon premier album. On était dans un studio, qui n’existe plus pas loin de la Grande Place à Bruxelles, le Studio Madeleine. Bertrand était à la prise de son. J’avais répété avant avec un batteur et un pianiste. L’enregistrement a commencé avec Bertrand. C’était ma première expérience de studio, je n’avais fait que des démos. Il s’est avéré que travailler avec Bertrand Burgalat, que j’apprécie beaucoup pour son talent et son humour, était compliqué. A l’époque, en studio, il était assez tyrannique, avec des lubies. Par exemple on m’avait prêté une super basse (Vincent Kenis), parce que c’est moi qui les faisais sur l’album, et Bertrand a dit « non, non le son est trop seventies », j’adorais ce son moi, c’était ce que je voulais (rires) et voilà qu’il commence à mettre des Kleenex sous mes cordes pour faire un son plus sixties. Je ne voulais pas d’un hommage aux années soixante et en plus c’était injouable parce que les Kleenex rendaient la basse impossible à accorder. Et quand tu lui faisais des remarques il partait dans des colères énormes ! A sa décharge il dormait très peu, il buvait des quantités astronomiques de Coca toute la journée ! Il devenait à moitié cinglé parce qu’il était sous caféine tout le temps (rires). Il était sous tension pour rien. Le pianiste était venu une journée faire ses prises et au dernier morceau Bertrand appuie sur stop et lui dit « c’est bon ! ». L’autre lui demande de réécouter et Bertrand a dit « non ! ». Il était super énervé. A l’époque il était avec Valérie Lemercier et parfois, pendant une prise, le téléphone sonnait, je suppose que c’était elle et il partait en plein milieu de la prise (rires). Comme c’était lui qui était au son, j’avais besoin de lui et il partait cinq minutes.
Et donc ?
Je ne pouvais pas continuer comme ça. Bertrand est parti à Paris pour des raisons personnelles et moi je suis resté à Bruxelles. Quand je suis rentré dans le petit appartement où je logeais, je me suis dit : « Ce n’est pas possible ». C’était mon premier album, je ne savais pas si j’en ferai un autre. Il avait une vision très précise de ce qu’il voulait, un son très sixties à la Gainsbourg. J’aime beaucoup mais je ne voulais pas ça pour moi. Je suis allé voir Marc Hollander pour lui demander de continuer sans Bertrand, juste avec un ingénieur du son calme (rires). Marc a accepté et j’ai continué l’album avec Michel Van Aechter, une crème. Gilles Martin, l’ingénieur du son, est passé. Il avait travaillé avec Dominique A, Miossec et Deus notamment. On a sympathisé et on a décidé qu’il allait mixer l’album. Il a un peu tordu mes chansons parce que Marc Hollander est quelqu’un qui aime quand il y a un twist. Moi j’avais un côté très pop et aussi americana. Le mélange a donné ce premier album, que j’aime toujours beaucoup. Bertrand était un peu furieux mais je lui ai expliqué, je l’ai mis dans les crédits de l’album et voilà on s’est réconcilié.
Ce premier album « La Formule » était très marqué par la pop. Tu faisais de la pop française, très à la mode à l’époque. Ça a bien marché non ?
Je n’ai pas vendu beaucoup de disques, mais « La Nacelle » et « Les Photos » sont énormément passées en Belgique et France. Je suis ensuite parti en tournée en première partie de Pascal Obispo. C’était curieux. C’était une idée de Colombia, qui faisait ma promo en France. Il faut juste remettre ça dans le contexte. Il avait fait deux albums très pop qui étaient loin de ce qu’il a fait après. Je n’avais pas du tout la vision de lui que j’aurais pu avoir 10 ans plus tard. J’ai accepté. Je pouvais faire plein de scènes comme ça et rencontrer plein de monde. J’avais un peu peur de me faire « jeter » par son public. En fait ça s’est très bien passé avec le public qui a été très chouette. Obispo c’était un peu compliqué. Il jouait un peu à la star. Je m’en suis tenu assez loin. J’étais sur scène guitare voix et j’avais un bassiste avec moi. J’ai fait quarante dates et je restais dans mon coin à lire tranquille alors que Obispo et ses troupes étaient un peu dans les clichés du rock avec la grosse drague bien lourde et tout ça… ça me mettait mal à l’aise en fait ! C’était une expérience étrange !
Tu regrettes ?
Non, je dirais juste que je n’ai pas fait de bon choix quand j’étais chez Columbia. Je voulais que mes chansons soient écoutées par le plus grand nombre. Le DA de Columbia m’avait demandé si je voulais être plutôt dans les médias genre Inrocks, Magic, Libé, Télérama ou plutôt grand public, je trouvais ça idiot comme question Je n’avais pas de snobisme et je voulais que mes chansons soient écoutées par le plus grand nombre. Ce que je ne savais pas c’est que tout ça est très « clivé » et si tu passes dans certaines émissions populaires tu n’as pas accès aux médias plus « intelligents » ensuite.
Mais tu étais un peu coincé entre ces deux mondes !
Tu as raison !
C’est un album qui t’a amené de la notoriété mais pour toi qui faisait de la Pop élégante tu n’avais rien à faire dans certaines émissions de télévision ou de radio !
Complètement, j’ai fait des grandes émissions de télévision et c’était une erreur de ma part mais j’ai beaucoup manqué de conseils. J’aurais dû plus cibler ma promotion même si je ne suis absolument pas snob en musique. Je suis un vrai passionné de musique. J’en écoute vraiment beaucoup et depuis très longtemps. J’écoute plein de trucs, je suis insatiable ! J’explore des choses, bref c’est ma passion mais je ne veux surtout pas être dans des chapelles. Je n’aime pas du tout réduire la musique alors l’école de « j’aime les Smiths, Björk et Manchester mais le rock Prog c’est horrible », ne m’intéresse absolument pas. Si j’aime un morceau de Zappa je vais le dire, pareil pour Genesis ou ELO. Je suis incapable de snobisme. Parce que ce qui m’intéresse dans la musique, ce sont les compositions étonnantes, ou accrocheuses, les arrangements que je trouve passionnants, une voix singulière. Pas les attitudes.
On peut penser que Benjamin Biolay t’as pris ta place ?
(Énormes rires) Je ne pense pas, il a autre chose à faire.
C’était une époque où les maisons de disques cherchaient un nouvel Etienne Daho. Même si musicalement on ne peut pas vous confondre, il y avait un peu le même esprit ! Tu n’as pas de regrets par rapport à ça ?
Des regrets ? Si bien sûr ! Pendant la tournée, « la Nacelle » passait beaucoup à la radio et tout le monde était ravi. Je pensais que j’allais faire de la promo sur la tournée : des interviews, des showcases… Et la tournée avançait et il ne se passait rien. Je trouvais ça bizarre. En plus le DA a décidé de lancer un deuxième single « les Photos ». L’attachée de presse s’est énervée. « La Nacelle » continuait de grimper et il ne fallait pas l’arrêter. Les choses ont été mal faites par lui comme par moi. A l’époque dans ces gros labels on sortait d’une période où il y avait un changement à la tête des boîtes : on passait de vrais fans de musique à des commerciaux qui n’y connaissaient rien en artistique. Le mec qui s’occupait de moi, c’était un mec comme ça. Il était gentil mais il avait des partis pris un peu foireux. Comme il ne connaissait pas bien les choses, il a fait des bêtises (rires). Ça m’a desservi mais je pense que la tournée avec Obispo n’a pas aidé non plus. J’aurais dû parler uniquement des Byrds, des Beach Boys et des choses comme ça pour plaire aux Inrocks et Télérama et creuser un sillon (rires), je manque de stratégie, je suis juste un musicien. Non, je n’ai pas de regrets ou plutôt si j’en ai un petit : je pense que j’ai une bonne voix et de bonnes chansons et beaucoup de gens n’y ont pas accès. Ça m’embête un peu (sourire).
Il y a un pays qui est très important pour toi, c’est la Belgique !
C’est un pays qui t’a permis de faire de la musique et qui te permet de continuer à sortir des disques ? Complètement, c’est un pays très important pour moi. Ils ont une vision différente de la musique. Ils aiment la variété française mais pas seulement. Ils sont un peu comme les Anglais. Pour eux le rock, au sens large, c’est normal. Ce n’est pas un loisir ou juste une sortie. Si tu es attablé en terrasse tu peux assister à un débat entre deux femmes de 65 ans sur tel ou tel disque ou artiste. En France tu ne vois ça que dans des lieux très précis. En Belgique c’est normal : tout le monde vit la musique. Ils connaissent très bien tout ce qui est Anglo-Saxon et quand je joue là-bas avec des musiciens, ça fonctionne très bien très vite, parce que nous avons les mêmes références. Quand je parle des Stone Roses ou de Prefab Sprout, ils savent tout de suite ce que c’est. En France, chez les musiciens, personne ne connaît ces groupes à part les fans acharnés de musique. Ils aiment aussi mes textes parce qu’ils sont un peu absurdes. L’humour des Belges est plus proche des Monty Python que de Lagaffe.
A partir de là tu vas revenir à l’Indé avec « La Nuit des balançoires » où il y a Orwell, Thierry Bellia et Cascadeur.
J’ai composé mon deuxième album dans des conditions difficiles, mon premier enfant est né, et je ne m’entendais pas bien avec sa maman… Toujours chez Crammed, Jérôme Didelot d’Orwell, Thierry Bellia et Alexandre Longo (Cascadeur) ont participé à certains arrangements. J’aime certaines chansons sur cet album, comme « La Collection » ou « Pas de chance pour les Wilson », mais même si j’ai beaucoup aimé travailler avec eux, je ne suis pas fan du résultat. Je trouve cet album un peu mou… Je ne le referais pas du tout comme ça. Je ne le referais pas du tout d’ailleurs (rires).
Tu dois adorer Brian Wilson ?
Bien sûr, mais aussi les Byrds ou Todd Rundgren. J’adore ces gens qui font des mélodies splendides. J’aime beaucoup la pop des années 70 comme les Wings, 10cc, Fleetwood Mac, Genesis, Steely Dan. J’aime les mélodies complexes et accessibles à la fois. Et j’aime énormément Tom Petty, et aussi des groupes des années 80 comme The Blue Nile, Aztec camera ou Lotus Eaters.
Tu aimes la variété française ?
J’ai plus de mal avec les Français. J’adore Daho que j’ai beaucoup suivi, moins maintenant mais sa voix, ses compositions et ses textes me touchent. J’aime bien les vieux Polnareff ou alors quelques chansons de Delpech qui sont superbes ou alors Dick Annegarn à ses débuts avec ce côté folk dadaïste. En revanche, tout ce qui est Biolay, Vincent Delerm et consort, je trouve ça vraiment affreux musicalement. Globalement j’écoute très peu de français. Les groupes anglais et américains ont une dimension que n’ont pas les chanteurs français. Tu as été fan de la pop anglaise des années 80 avec les Smiths ou Sarah Records avec la « ligne claire » ? On a souvent parlé de tout ça à mon sujet mais je ne suis pas archi fan. « La ligne claire » c’est joli mais ces groupes ne sont pas très excitants. Je préfère de loin Modern English, Psychedelic Furs ou les Stranglers, Lotus eaters. J’aimais bien leur façon de faire des mélodies, un vrai son… J’ai besoin d’être impressionné en musique pour vraiment devenir fan, avec un côté mélodique comme Brian Wilson, XTC, Prefab Sprout mais aussi un côté très ambitieux. Ces gens-là m’impressionnent beaucoup.
Mais en France on a un problème avec les textes et les paroles. On a ce côté chanson française qui nous complexe et qui nous empêche de faire des textes « pop » alors que les anglais eux font les choses plus simplement.
Pour moi il y a différents problèmes avec des figures comme Brel, Brassens ou Gainsbourg qui planent au-dessus de nous et qui dictent et nous complexent. Ils sont trop présents mais aussi en France on manque de très bons compositeurs à part Daho, Voulzy, Polnareff et Sheller. A part ces gens-là il n’y a pas grand-chose. Beaucoup trop de compositeur font des musiques pour servir des textes et musicalement ça donne des trucs pas terribles. Quand Miossec, qui est un mec adorable, fait des supers textes pour moi c’est un poète qui met des mots en musique. Il n’y a pas vraiment de fibre musicale en France.
Mais tu ne ferais pas partie d’une génération sacrifiée dont on attendait des textes engagés ou de la poésie alors que vous vouliez juste faire de la pop ?
La France n’est pas un pays plus cultivé que les autres, contrairement à ce que pensent certains médias. Quand il y a des jolies mélodies chantées en Français, pour certaines personnes c’est un peu « nunuche ». Comme si cela remettait leur crédibilité intellectuelle en cause. Il faut toujours que ce soit un peu tordu par la voix ou avec une musique un peu « cheap ». Pour les médias il faut de l’engagement dans les textes. On n’a pas ici une culture de la pure musique, celle qu’on aime pour ce qu’elle est ! C’est pour ça que les Français ne comprennent pas la musique comme les Anglais, les Brésiliens ou les Américains.
C’est pour ça que tu t’es réfugié artistiquement en Belgique ?
Là-bas les grosses radios continuent de programmer mes chansons, et pas que « La Nacelle » … « Classic 21 » qui est la troisième radio belge continue de passer des morceaux de mon premier ou de mon troisième album dans sa programmation assez « rock ». En France il n’y a aucune radio qui me passe. Sauf pour le dernier album, là des radios indés me programment.
Tu n’as pas pensé à t’installer en Belgique ?
Oui, plusieurs fois oui mais c’est comme habiter au bord de la mer : c’est bien à condition de savoir que tu vas rentrer chez toi. J’adore être en Belgique. J’aime beaucoup les gens qui sont plus cultivés qu’en France mais de là à m’y installer, je ne sais pas. Ils m’ont tous parlé d’hivers très longs. (Sourire)
A ce stade il y a une personne que tu n’as pas encore citée mais qui pourrait être un « frère d’arme » anglais : c’est Elvis Costello !
Je l’adore. Il essaye des choses différentes et c’est un immense mélodiste.
Pour moi tu serais un « Costello à la française » !
Merci, moi ce qui me plait, c’est de composer, d’écrire et d’enregistrer de la musique. J’aimerais que ce soit à une plus grande échelle. Je vais continuer. J’aime l’idée de composer, de jouer les instruments. J’aime beaucoup ce travail-là. Ce n’est pas facile d’avoir plus d’audience : il faudrait faire plus de scène par exemple même si économiquement c’est compliqué.
Depuis 2014 tu as signé et tu sors des disques chez Hot Puma. Est-ce que tu n’as pas trouvé chez Sergio Taronna (le fondateur et patron de Hot Puma NDLR), une sorte de « frère d’arme » ?
Complètement. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et que je considère comme un ami. C’est facile de parler avec lui et surtout j’adore le revoir à chaque fois en Belgique. On a l’impression de s’être quittés la veille et ça c’est chouette !
Mais son label te correspond parfaitement bien ?
Oui, parce que c’est quelqu’un qui adore la musique et il est très curieux et ça j’adore !
Grâce à lui en 2015 tu as eu une soirée aux Francofolies de Spa ?
Oui ! Les Francos de Spa, j’ai dû y jouer 4 ou 5 fois en tout, c’est un festival très chouette. En fait Thierry Bellia de Variety lab nous a mis en contact. Il m’a dit qu’il connaissait Sergio qui faisait un label en Belgique. Je l’ai contacté et voilà ! J’ai beaucoup de respect pour lui : il est tout seul, il doit faire face à la concurrence des gros labels et il arrive à faire plein de choses. J’ai donc recommencé à sortir des albums grâce à lui avec l’album L’Homme du soir en 2015, dont 3 chansons tournent encore sur Classic 21 là-bas. Il n’y a pas à dire, cette radio a du goût (rire).
Tu vas faire avec lui un autre album, « Avalanche » en 2016 où il y aura un duo avec Romain Guerret d’Aline, et en 2020 tu vas sortir un album totalement acoustique !
Pourquoi ? Le duo avec Romain venait du fait que j’aime beaucoup Aline. C’est un super groupe de rock français, fin et talentueux. Quant à l’album acoustique Dix chansons naturelles et sauvages, c’est parce que c’était le confinement. Je voulais sortir des chansons. Je voulais de l’immédiateté. Je ne voulais pas un batteur, un ingénieur du son, une équipe… Je ne voulais pas impliquer plein de gens. J’ai enregistré le disque et je l’ai sorti. Ce sont presque des démos !
On remarque vraiment sur ce disque ta qualité littéraire au niveau des paroles. Tu dois être un grand lecteur avec beaucoup de références littéraires dans tes textes mais des références pop avec des auteurs américains.
Oui, je suis un grand lecteur. En France, quand on parle de littérature, à part quelques émissions pointues c’est assez cliché. On cite toujours les mêmes. Moi j’aime bien la littérature française mais ce qui m’inspire ce sont beaucoup les Américains. Ça va assez loin puisque j’arrive à placer des phrases, que j’écris dans des carnets, mais sorties de leur contexte. Quand j’écris mes textes, je reprends mes carnets et je m’en sers.
Tu composes comment justement ?
Je cherche des suites d’accords, et un rythme, une pulsation. Puis j’improvise des mélodies à la voix. Lorsque je trouve quelque chose qui me plait, je l’enregistre rapidement sur mon téléphone. Et j’avance comme ça, tout en construisant la structure de la chanson. Après je me mets à l’écriture du texte. Quand j’écris le texte je veux qu’il colle parfaitement à la mélodie. Donc je reprends mes carnets, je sors une phrase, je la modifie, à partir d’une phrase me vient une idée, une histoire… Il y a des chansons où des phrases sortent de romans, parfois totalement, parfois modifiées. Une phrase puisée dans un livre m’aide à imaginer une histoire, un lieu. Je suis aussi un gros dévoreur de films et souvent une scène d’un film peut m’inspirer des phrases, je raconte des images, un peu comme quand on est enfant et qu’on se raconte un film.
Quand on lit tes textes, on peut supposer que tu es fan d’une certaine littérature américaine, notamment celle de la « contre-culture ». Tu dois aimer Jack London, Melville, Kerouac…
J’aime beaucoup tous ces auteurs mais aussi d’autres de plein d’époques différentes. En revanche je ne suis pas très fan de la poésie de la « Beat Generation ». La littérature fantastique américaine, de Hawthorne à Sturgeon, en passant par Bradbury, McCammon ou Stephen King est une source et un plaisir inépuisables.
Au cinéma, tu dois aimer aussi les Américains comme Jim Jarmusch ?
J’aime bien. Jarmusch oui, mais surtout je suis fan des séries anglaises et américaines comme « Chapeau Melon et Bottes de Cuir », « Le Prisonnier » … Ce genre de choses ont peuplé mon imaginaire ! J’aime l’idée d’une petite ville où se cachent des choses extraordinaires. Il y en a un peu dans Steinbeck. C’est aussi l’univers de Tom Sawyer que j’adore également. C’est un roman fondateur dans le décor d’une petite ville où la nature prend un tour fantastique. Je suis vraiment habité par ce genre d’idées comme une science-fiction un peu romantique …
Pourquoi es-tu passé de Hugo à Hugo Chastanet ?
Pour plusieurs raisons, pas toujours valable mais bon… D’abord si je tape Hugo dans les plateformes de streaming, je trouve plein de trucs qui ne sont pas moi. Il y a un Hugo qui est rappeur et suisse, alors bon… (rires) C’est d’abord une raison technique. J’avais envie aussi de montrer autre chose que « La Nacelle », même si je n’ai aucun problème avec cette chanson, que j’aime toujours jouer, j’avais peur que les gens attendent le morceau et écoutent moins de nouvelles choses. Je me suis dit qu’il était temps de devenir un grand garçon et de mettre mon nom en entier (rires).
Mais tu dois être très malheureux avec tout ce qui passe dans la musique, notamment les plateformes de streaming. Tu as aimé la musique pour tout ce qu’elle pouvait véhiculer et qui t’as construit culturellement, cela doit être horrible en ce moment ?
Horrible ? Non… Je ne dépends pas trop des autres : je suis dans mon monde même si je suis tourné aussi vers les autres. Je ne me sers pas trop des plates-formes. Quand j’ai envie d’écouter des trucs, je vais dans une médiathèque ou je les achète. J’aime bien les avoir. J’aime bien l’idée de faire des playlists, etc, mais je ne veux pas avoir un abonnement. Je veux pouvoir faire mes propres playlists. Surtout les plateformes ne payent pas les musiciens, c’est un scandale absolu.
Mais cela doit te manquer les pochettes ? Et puis ces plates-formes avec tout ce rap un peu « vulgaire » et ces morceaux assez « faciles » ?
Je sais que ça existe mais ça me glisse sur les oreilles. J’ai d’assez bons réflexes de conservation(rires). Mais tu es dans une forme d’esthétisme de vie qui n’a plus grand-chose à voir avec la société actuelle ! En fait ça m’amuse de rester romantique dans ce monde. Je m’adapte, cela ne met pas en péril mon imagination. Elle est à moi et tant pis pour ceux qui n’en n’ont pas ou qui n’en veulent pas. La musique me passionne tellement que j’arrive toujours à en écouter comme je veux, et le monde dans lequel on est ne m’en empêche pas. Cependant, qu’il y ait autant de musiques merdiques sur la plupart des grosses radios, c’est vraiment dommage, pour tout le monde. Il n’y a plus de place pour le choix. Quand j’étais gamin on pouvait entendre beaucoup de choses différentes dans des styles différents. Maintenant c’est impossible ou alors sur une radio locale ou très indépendante. On n’entend plus que du rap ou du R’n B américain, rien d’autre souvent. Dans le paysage actuel le truc le plus pop c’est The Weeknd ! Je ne déteste pas d’ailleurs, mais c’est un peu pauvre. Il y a un manque de curiosité qui est grave. On a le choix entre les grosses radios ou France Inter qui passe des groupes français un peu branchouilles pas terribles… Le côté un peu indé, un peu fragile, ça reste leur ligne éditoriale. Il n’y a que certaines émissions ou l’animateur propose des choses chouettes, comme Assayas. On est coincé entre l’archi commercial et le snobisme de Radio France. C’est dommage.
Tu as sorti au printemps, un sixième album où tu es passé du français à l’anglais avec beaucoup de références musicales qui sont plus américaines qu’avant : tu parles de Peter Buck ou de Tom Petty ! C’est une première !
J’ai toujours aimé autant la musique américaine qu’anglaise. Et j’ai toujours joué de la guitare avec Neil Young, Tom Petty ou The Byrds comme modèles. C’est pour ça que je souris quand on me parle de ligne claire ou de Sarah records. Ça n’est pas mon truc du tout. Mes goûts sont tellement multiples que je ne peux pas renier mon amour du rock-folk américain comme les premiers REM ou Big star, Fleetwood Mac, qui m’ont beaucoup marqué avec leur son et leur jeu de guitare.
Il y a quelque chose de nouveau sur ce disque : c’est la notion d’espace. Ce sont des artistes qui libèrent beaucoup d’espace ! Ton dernier album était acoustique et très fermé et celui-là est très ouvert.
J’ai composé ce disque à la guitare électrique, alors que d’habitude je compose à la guitare acoustique. C’est une guitare dont le contact physique m’a plu. Le côté électrique est ressorti cette fois. J’aime beaucoup l’espace, surtout la mer, l’immensité et l’immersion dans l’immensité et ça a dû jouer.
Est-ce que ce n’est pas un album post confinement ? Comme si tu pouvais enfin marcher devant la mer ou dans la campagne.
C’est sûr que par rapport à l’album acoustique, très intimiste, on s’est remis à marcher. Ceci dit, pendant le confinement je marchais plusieurs heures par jours (rires).
Comme si tu voulais retrouver de l’oxygène ?
J’ai deux grands fils et j’ai une fille de neuf ans. J’ai une vie assez tranquille. Ce n’est pas très rock and roll. Je suis un papa tendre et présent, heureux en famille. En faisant de la musique, je m’évade, car j’ai aussi besoin de plus d’espace, d’horizon. J’avais aussi envie de retrouver mon goût pour Big Star ou REM. Ces groupes américains qui ont une façon de sonner différente des Anglais…
Justement pourquoi tu chantes en anglais ?
Parce que tous les groupes dans lequel j’ai chanté avant mon premier album, étaient des groupes où je chantais en anglais ! Ensuite tous les groupes qui m’ont donné le goût de la musique, chantaient en anglais. Au départ, je me suis un peu « forcé » à chanter en français. A l’époque une maison de disque ne signait pas des groupes ou des artistes français qui chantaient en anglais, cela a changé depuis. Même si j’ai pris du plaisir à chanter en français, je me suis senti un peu à … l’étroit , comme si je me sentais un peu limité vocalement. En anglais je me sens plus à l’aise avec ma voix. Au début, je voulais collaborer avec des artistes anglais. J’ai essayé avec April March (chanteuse américaine proche de Bertrand Burgalat, NDLR). On a essayé, elle a écrit de très beaux textes sur mes morceaux, c’est quelqu’un de très intéressant et cultivé, mais après j’ai bifurqué parce que je voyais arriver des chansons dans une veine différente qui me plaisait plus et j’ai continué seul. Peut-être que cela sortira un jour. Les morceaux étaient vraiment pas mal !
Est-ce que tu montes souvent sur scène ?
Avant ce nouvel album, je montais très régulièrement sur scène, principalement parce que dans la région où je suis, Nantes, Clisson, je faisais beaucoup de concerts guitare voix ou avec un autre guitariste où je faisais des reprises. J’adore ça. Je faisais peu de concerts avec mes morceaux. J’adore la scène et dans le contexte actuel c’est difficile de jouer ses propres chansons. C’est difficile de trouver des lieux qui acceptent mon type de musique. Ils préfèrent souvent des gens qui mettent l’ambiance dans des soirées. Il vaut mieux jouer du blues, du reggae ou du jazz manouche.
Tu dirais quoi de ce nouvel album ?
(Silence) J’ai collé au plus près de mes envies. J’ai enregistré assez vite et ça a été très agréable ça. Cela n’a pas été laborieux. Ça a coulé de source, véritablement.
Tu l’as fait où ?
Chez moi, sauf la batterie qui a été faite par un batteur que j’aime énormément, Alexandre Goulec Bertrand, à qui j’envoyais des fichiers. J’ai tout fait très vite, tout seul : les guitares, les basses, les voix, les claviers… C’est un disque qui est au plus près de ce que j’aime dans la musique. Même si c’est un peu cliché, j’aime beaucoup ce que j’ai fait. J’ai pris du plaisir à le faire, naturellement et assez facilement. C’est un album qui ressemble vraiment à ce que j’aime et qui je suis. Il sonne bien sans chercher à faire le malin.
Tu as eu de bons retours ?
Oh oui, de très bonnes chroniques mais aussi pas mal de radios de différents pays qui ont passé des morceaux de l’album et ça c’est grâce à l’anglais. Je suis content des retours. Mon seul regret c’est que je n’ai pas pu encore faire des concerts en groupe sur mon nouvel album.
Quand tu vois ton parcours, tu en penses quoi ?
J’ai essayé de faire de beaux albums avec de belles chansons… J’ai commencé par un single qui est beaucoup passée à la radio et puis après je n’ai eu plus beaucoup de visibilité mais avec de bons retours. C’est satisfaisant parce que ces bons retours m’encouragent à continuer et j’ai toujours envie de continuer. C’est naturel pour moi de faire de la musique. J’essaye de faire au mieux avec mes petits moyens. Il y a des gens, des journalistes par exemple, qui me connaissent et qui aiment ce que je fais mais je ne suis pas au courant (rires). Parfois je rencontre des journalistes ou des musiciens sur les réseaux sociaux qui me disent « j’aime ce morceau sur tel album », alors que je pensais que personne ne l’avait écouté. Un mec que j’aime beaucoup par exemple, qui a beaucoup de goût et de talent, Benoit Sabatier, ancien redac chef de Teknikart, réalisateur, m’a beaucoup surpris car j’ai compris qu’il connaissait très bien ma musique, dans des détails que je ne soupçonnais pas. Ça c’est une vraie récompense, c’est gratifiant.
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?
Je ferais écouter un album un peu extraordinaire, comme les Beatles, Kate Bush ou Genesis ou Lemon twist. Il faut qu’en littérature ou en musique se passent des choses extraordinaires pour happer l’auditeur ou le lecteur !
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