C’est quoi ton rapport avec Closer ?
C’est simple quand Philippe Débris a remonté Closer en 2013, si ma mémoire est bonne, j’étais encore sur l’île de Saint-Martin à l’époque et il m’avait demandé un coup de main. J’étais fan de tout un tas de disques qui étaient sortis sur le label. Ce label avait fait une grosse partie de mon éducation musicale quand j’étais ado, avec New Rose aussi bien sûr. Donc j’avais accepté parce que j’avais un peu de temps, pour donner des coups de main pour tenir la boutique internet, pour faire des pochettes, des mixages, des masterings, écrire des bios de promo, réaliser des vidéos, faire des affiches ou des flyers de concert… J’ai donc fait pas mal de choses pour Closer, beaucoup de masterings d’albums (Bruce Joyner, Primevals, Midnight Scavengers, les deux dernières compilations Eyes on you, Keith Richards Overdose, No Jazz Quartet, The Needs, Belphegorz … je ne me souviens pas de tout…). J’ai fait aussi des pochettes de disques (Tio Manuel, Midnight Scavengers, Peter Zaremba…). J’ai fait des mixages d’albums (Bruce Joyner, Bratchman…)… J’ai toujours été un peu l’homme à tout faire dans ce label ! Un genre de couteau Suisse !
Tu as fait parti de la deuxième génération de Closer. Ça représentait quoi pour toi ce label ?
Le rock Australien (Died Pretty, Sunnyboys, New Christs…), le rock suédois (Nomads…), les américains (Dream Syndicate entre autres…), les anglais (Only Ones…) et tous ces groupes français de la fin des 80’s comme les Thugs ou Kid Pharaon. Tu sais je viens de Decazeville, j’ai habité Toulouse et donc, à l’époque on voyait beaucoup de groupes de chez Closer qui venaient jouer chez nous, notamment pour l’extraordinaire association de Jean-Louis Calmettes à Livinhac : Fixed Up, Batmen, les Thugs, Kid Pharaon, Dum Dum Boys, New Christs, Nomads, Fleshtones, Lyres, Paul Collins… C’est aussi le label indépendant français qui a sorti un album des Ramones, « Too Tough to die », il fallait le faire quand même ! Mais aussi et surtout Bruce Joyner dont je suis un immense fan !
Concernant Bruce Joyner, voilà quelqu’un qui était ultra respecté par une petite partie du public et pourtant le seul contrat qu’il avait c’était Closer. Il représentait quoi pour toi ?
C’était la claque absolue en live ! Je l’ai vu 6 ou 7 fois en concert. Il avait un charisme et une voix incroyable. C’est l’équivalent, pour moi, de Roy Orbison ! C’est un mec qui a eu une vie terrible et très mouvementée, remplie d’accidents. C’est un des seuls chanteurs qui arrive à faire passer une émotion extrême juste avec sa voix. Comme Johnny Cash il raconte des histoires : c’est un chanteur et un conteur. J’ai eu l’immense chance de faire deux albums avec lui grâce à Closer Records ! Un soir, comme nous papotions souvent ensemble de tout et de rien, je l’avais branché pour qu’il revienne sur Closer et qu’on fasse un joli disque ensemble… Ca avait fonctionné, on s’aimait bien… C’était quelqu’un de profondément humain et de très cultivé… Il y a plein de souvenirs amusants… Pour le dernier album, « Love and the blood vodou », j’avais en charge le mixage et le mastering et ce fut épique. Ils avaient enregistré des batteries dans leur cuisine et pour arriver à faire sonner tout ça ce fut une grande aventure (rires) ! Comme nous n’avions pas assez de morceaux j’avais demandé à Bruce et Tom Byars d’enregistrer deux titres en acoustique (j’avais toujours rêvé d’écouter Bruce juste accompagné d’une guitare sèche) et ils avaient fait deux superbes ballades à tomber par terre… Quelle voix incroyable ! Nous avions d’ailleurs prévu de faire un album totalement acoustique avec Tom Byars et Bruce cette fin d’année… mais malheureusement le sort en a décidé autrement… et Bruce est décédé.
Il n’a pas rencontré le succès qu’il aurait mérité.
Avec les Unknowns, il a connu un succès relatif mais il était très aventureux, très libre… Je ne pense pas non plus qu’il réfléchissait en terme de plan de carrière… il avançait surtout par coup de cœur, à l’intuition. C’était probablement un des meilleurs chanteurs de rock de l’histoire mais je ne crois pas qu’il en ait eu conscience… Tant mieux d’ailleurs, c’est pour ça qu’il était aussi humble probablement…
On a toujours eu l’impression que Closer était le petit frère de New Rose mais avec une démarche plus « rock », que des groupes à guitare, uniquement en anglais.
Ca ne ferait pas plaisir à Philippe Debris… C’était juste différent. New Rose sortait des groupes français que j’aimais bien (les Calamités notamment !) mais Closer était un label à vocation plus internationale, plus anglophone. Closer c’était aussi et surtout le Havre. C’était le rock dans sa dimension prolétarienne, celle qui sentait la chaîne à vélo ! Un rock’n’roll qui ne peut ni ne veut faire dans la dentelle !
Comment as-tu rencontré Philippe Debris ?
Par Internet, j’étais à Saint-Martin encore à l’époque et on s’était branché. Je lui avais envoyé des groupes français ou internationaux de copains / copines que j’aimais bien ou sur lequel je travaillais, comme Radiocityshakers, Mystery Machine, Indian Ghost, Bang Bang Band Girl (Chili), Titty Twisters (Japon)… Quand j’avais le temps, j’allais le voir au Havre, surtout quand il fallait prendre des décisions. J’ai quand même souvent fait 16000 bornes aller-retour pour lui rendre visite !
Tu étais d’accord avec la ligne artistique de Closer ?
Non, non, pas toujours, loin de là ! Pour toutes les sorties on a le plus souvent été trois à voter et assez souvent j’étais contre les sorties proposées mais Philippe est un très bon maquignon. Il arrivait toujours à convaincre le troisième larron de la bande, notre ami Yury. Je ne sais pas comment il s’y prenait ou le soudoyait mais il savait être persuasif… Et comme c’est moi qui avais demandé à ce que l’on décide « démocratiquement » … je n’avais plus qu’à me taire (rires) ! Mais, trêve de plaisanterie, nous étions aussi très souvent d’accord parce que Philippe est très ouvert et ses goûts comme sa culture musicale me surprennent toujours. Il est aussi très fan de trucs pop avec de belles mélodies et c’est pour cela que l’on s’entend bien ! Mais bon, en tant qu’amateurs des Byrds, des Beach Boys, Ronettes, Dylan… je représente la partie la moins garage rock du label… La partie la plus fleur bleue (rires) !
Tu n’as jamais sorti d’albums chez Closer en tant qu’artiste ?
Non, j’ai travaillé sur beaucoup de disques pour Closer mais je n’ai jamais pensé à sortir John Wayne Supermarket sur ce label parce que j’avais des titres en français et que la règle d’or chez Closer a toujours été : pas de chansons en Français. Il y a suffisamment de bons groupes qui chantent en anglais… et puis je ne participe pas à un label en pensant à sortir mes chansons. En fait je m’en moque un peu de mes ritournelles… ce sont deux univers différents. Après, c’est effectivement relativement limitatif ce genre de décret, « surtout ne pas chanter en français », mais pourquoi pas… Le rock’n’roll c’est évident que c’est mieux quand c’est chanté dans la langue de Chuck Berry ! On dira que c’est une règle historique que je respecte. Ceci-dit, je crois que Philippe aurait pu craquer pour des groupes comme les Soucoupes Violentes par exemple… Il faudra lui en parler !
A partir de 2013, quand Closer se relance il y a beaucoup de rééditions de la première époque de Closer comme les Barracudas, les Dum Dum Boys et autres…
Cela faisait parti du cahier des charges et cela permettait à certains disques ou artistes, qui avaient été connus de revenir (un peu) sur le devant de la scène. Et puis ces albums assez mythiques étaient épuisés ! C’était bien que de nouvelles personnes puissent les découvrir ! J’aime bien le respect des anciens…
Le troisième volet des compilations Closer vient de sortir « Eyes on You vol 3 ». Il y a beaucoup de groupes habitués de Closer et puis il y a des groupes comme les Dynamite Shakers ou les Doum Doum Lovers et 22 Pistepirkko qui n’est pas un groupe que l’on imaginait chez Closer.
Pour moi si ! Quand on a entendu le morceau, on est tombé par terre. C’est juste fabuleux les 22 Pistepirkko ! Je me souviens d’un concert à Toulouse au Bikini où nous avions ouvert pour eux avec Indian Ghost (en 92 ou 93). Ils étaient juste majestueux. Là aussi je suis très fier de pouvoir récupérer un titre de ce groupe finlandais dont je suis fan depuis plus de 30 ans. Ca été compliqué, pour la petite histoire, le studio d’Asko Keranen a été ravagé par une inondation. On a fouillé ensemble et on s’est mis d’accord sur ce titre qui sonne comme une aurore boréale… « Madness of speed ». J’ai du mixer des pistes toutes plus étranges les unes que les autres mais à la fin nous sommes très satisfaits du résultat… et comme ils ont pas mal de titres inédits qui trainent il n’est pas exclu que nous fassions un de ces jours un album avec tout çà…
Donc il y a un mélange d’anciens et de nouveaux ?
L’idée des deux premières compilations (Eyes on You et Eyes on you 2) c’était de ne sortir que des groupes Français. Pour celle-ci c’est différent, j’étais en train de mixer Bad Wheels, un super groupe de Toronto. C’est un groupe assez garage avec de belles mélodies. J’ai fait écouter, comme souvent, le morceau à Philippe, il s’agissait d’une reprise des Small Faces. Il a adoré et aussitôt il m’a proposé de faire une compilation internationale. Je me suis dit qu’il était dingue mais que c’était pour cela que je l’aimais bien avant tout… L’idée a très vite germé… Au début, c’était un simple vinyle que nous avions prévu. J’avais insisté pour que nous fassions figurer des groupes français, jeunes obligatoirement, qui n’avaient jamais sorti quoi que ce soit auparavant sur Closer. J’ai donc immédiatement pensé aux Dynamites Shakers que j’avais vu sur scène en Aveyron et qui m’avaient impressionné. Il y avait aussi les Lemon Rose, des bordelais de très haut niveau que m’avait fait découvrir mon pote Fred Mosrite. Je les trouvais très excitants pour un groupe Français : ça chantait en harmonie et c’était plein de mélodies millésimées, en plus ça jouait sévère. Mais on a eu rapidement trop de groupes pour un seul vinyle !
Mais c’est toi qui t’es occupé de tout ça ?
Non, non, je n’étais pas du tout seul heureusement, Philippe faisait feu de tout bois via ses réseaux internationaux, il nous a ramené des australiens, les Sunnyboys et The Aints (via Tim Pittman le manager des Saints), Gentle Ben, les somptueux autrichiens de Die Kammer par l’intermédiaire de son vieil ami Lucas Fox (premier batteur de Motorhead), Nachtcassie, sa connection suédoise a joué à plein avec The Bwanas, Moons of Saturn… Notre ami Cooke a branché les Hollandais de Miners of Muzo ; Alain Feydri, l’écrivain rebelle du Périgord, nous a ramenés les Espagnols de Los Tupper ; Gilles Meursault nous a proposé l’excellent My Girlfriend is a Nurse, Tio Manuel a contacté son vieux copain James Leg … Rapidement l’album simple est devenu double parce qu’on recevait des titres de partout. Bien entendu, j’ai aussi placé quelques artistes qui me tenaient particulièrement à cœur : 22 Pistepirkko, Bad Wheels, Bruce Joyner pour le dernier morceau qu’il n’ait jamais sorti, les fantastiques Lemonmnm (le groupe de Tom Byars) d’Atlanta sur lequel je travaille le mixage du premier album depuis près d’un an, Dynamite Shakers et nos chouchous de Périgueux : Doum Doum Lovers. Mon plus gros travail fut de masteriser le tout et c’était une sacrée gageure car 22 groupes provenant de nombreux studios et pays différents ce n’est pas évident à harmoniser et à équilibrer… Mais ce fut un énorme plaisir et cette compilation finalement, c’est un peu mon bébé ! Vu le travail fourni et la qualité des groupes présents, ça me ferait vraiment plaisir que ça se vende un peu, même en 2025…
Cette compilation pour toi c’est un manifeste à l’époque du Mp3, des plateformes et des titres générés par l’IA ? Il y a encore des gens qui chantent en anglais avec une certaine idée de la musique…
Un manifeste, je ne sais pas mais musicalement c’est très ouvert, il y a des gens comme 22 Pistepirkko qui sont proches de la pop tout en restant très décalés et originaux. Maintenant oui, c’est un peu un manifeste qui vient contredire les gens qui crient « le rock est mort ». C’est international, nous avons sur 22 groupes de nombreux pays représentés, ils tirent tous dans le même sens, ont tous une certaine éthique de la musique et du rock’n’roll, une certaine vision partagée. Peut-être est elle datée, obsolète… Nous savons bien que le public qui achète nos disques sont des gens un peu âgés, nous savons bien aussi que ce genre de produit en vinyle est un peu cher vu la paupérisation ambiante (même si la compilation qui est un double vinyle ne coûte que 32 Euros…), mais nous savons aussi qu’il reste des amateurs de ce genre de groupes en France et ailleurs ! Il y a 30 ans Closer vendait 40 000 Kid Pharaon aujourd’hui combien s’en vendrait il ?
Tu en attends quoi de cette compilation ?
Ça a été un énorme boulot ! J’y ai passé presqu’une année dessus. On en tire 500 et on va voir ce que cela va donner !
Ils manquent des gens sur ce disque pour toi ?
Plein ! Durant la gestation du projet on avait pensé à Steve Wynn du Dream Syndicate, aux Courettes, à Willie Loco Alexander, à Peter Perrett des Only Ones, aux Lords of Altamont… j’en passe et des meilleurs… Mais bon, on n’allait pas faire un triple album non plus…
Il y aura-t-il des groupes qui chantent en français un jour chez Closer ?
Je ne pense pas que ça arrivera. A la base Closer est un label du Havre avec une certaine culture et surtout la proximité de l’Angleterre. C’est ainsi et pas autrement (rires) ! Ceci-dit, à titre personnel et sans vouloir créer de polémiques inutiles (rires encore), j’adore les titres des Dogs chantés en français ! « La Belle Saison » reste une de mes chansons préférées de tous les temps.
Pourtant tu n’es pas sectaire, cela doit te déranger un peu le côté tout en anglais ?
Tout ce qui est obligatoire, les diktats en général m’ennuient et j’essais de les contourner (rires). Mais là, dans Closer, il y a comme une philosophie du label… Quand Philippe m’a appelé pour me demander de l’aider, je savais où je mettais les pieds. J’ai toujours cette image des groupes Closer de mon adolescence et elle me convient parfaitement. Je sais que « c’est comme çà et puis c’est tout » (rires). Philippe connait très bien mon point de vue : je me moque de la langue dans laquelle c’est chanté. Pour moi, l’essentiel est que la chanson raconte une histoire et on raconte bien mieux dans sa langue maternelle… On sait alors y mettre les intonations, les accentuations, atténuations voulues… Et parfois (souvent…) quand tu entends certains groupes français qui chantent en anglais on doit reconnaitre que c’est assez inquiétant même si ça s’améliore avec le temps. J’ai vécu pendant vingt années dans une ile anglophone et je faisais l’école le plus souvent en anglais, donc je suis un peu interloqué par certaines manière de chanter en anglais… Pour moi la voix n’est pas un instrument comme un autre, c’est 50 pour cent au moins de la chanson, ce qui raconte le plus important, c’est-à-dire l’histoire.
Closer représente aussi la pop culture et la rock culture.
Peut-être, mais on sait qu’on reste confidentiel ! Il ne va pas y avoir une diffusion énorme et un éclairage important aujourd’hui. Mais il est évident que le rock’n’roll c’est aussi de la culture, voire surtout de la contre culture, c’est aussi ce qui m’intéresse !
Mais c’est de la culture populaire qui a du sens
La culture populaire a toujours du sens non ? La « culture » est malheureusement trop souvent réservée à une élite, qu’elle soit bourgeoise, citadine ou mondialiste… l’avantage du rock’n’roll c’est que c’est simple, basique, on n’a pas besoin d’avoir une agrégation pour comprendre, vivre et interpréter le truc… et si ça peut nous causer à tous tant mieux !
On parle de la pochette ?
C’est Joe Art qui l’a faite et franchement c’est du super boulot : elle est terrible ! Ce Sétois est talentueux, on ne fait pas mieux en designer de rock en France à mon avis !
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