Comment est arrivée la musique dans ta vie ?
Je l’ai raconté dans ma biographie des Kinks. C’est le jour où j’ai les entendu pour la première fois dans un petit garage près de chez moi dans la banlieue de Périgueux. Un endroit que la directrice de l’école maternelle laissait au bénéfice des gamins du coin et qu’on appelait, pompeusement, « Club de jeunes ». Je devais avoir 13 ou 14 ans. C’était un peu informel. Il y avait un vieux buffet, quelques disques, un électrophone et une grande table de Ping Pong. Un jour, lassé d’écouter ce que les autres passaient, j’ai fouillé dans la pile de 45t et là, deux disques m’ont vraiment interpellé : un des Kinks et un des Who. Ça sortait de l’ordinaire, particulièrement au niveau des pochettes, surtout le Kinks. J’ai eu une révélation et c’est devenu le point de départ d’une longue passion pour la musique rock et pour les Kinks en particulier.
Tu n’en n’avais jamais écouté ?
Si, j’avais déjà dû entendre les Beatles à la radio, peut-être les Rolling Stones et du rock and roll aussi certainement mais cet EP des Kinks, c’est vraiment le début de mon histoire avec cette musique.
Tes parents n’étaient pas fan de musique ?
Ma mère un peu, elle écoutait souvent la radio qui trônait sur le buffet de la cuisine. C’étaient de gros postes à l’époque. Mon père n’en n’écoutait pas du tout. En tout cas en famille, on n’écoutait pas de musique, c’était plutôt… un fond sonore !
Tu es né en 1952 et la fin des années soixante et le début des années 70, ce sont les grandes années du rock et de sa mythologie. C’est là que tu as adhéré à cette culture ?
Oui, mais cela ne s’est pas passé du jour au lendemain ! La découverte de la musique s’est rapidement accompagnée de la découverte de tout l’univers qu’il y avait autour. Vers 15 ou 16 ans, j’ai entendu parler des écrivains « Beatnik » comme Jack Kerouac, le plus connu à l’époque. En France il y avait eu Boris Vian ou les surréalistes. Pour moi, ces gens étaient dans la tradition d’une forme anticonformisme. Ils ne suivaient pas une ligne droite. C’est aussi l’époque où je commence à entendre parler de peinture ou d’une autre forme de cinéma. J’ai développé, en parallèle à la musique, une passion pour le cinéma mais ce n’est pas quelque chose de réfléchi ou de pensé… Très jeune, j’ai fugué. Je suis parti de chez moi à 17 ans et j’ai vécu un peu la bohème, me déplaçant régulièrement en stop par exemple. On pouvait rapprocher ça de ce que l’on appelle la « Contre-Culture ». On vivait un peu à la marge.

On parle de Byzance ?
(Rires) C’est rigolo que tu me parles de ça ! C’est un groupe de rock local dans lequel je me suis retrouvé chanteur, parce que je ne savais pas jouer d’instruments. On était quelques copains et moi ne jouant de rien, je suis devenu chanteur. Je n’étais pas réellement doué pour l’exercice. Le groupe a eu une eu existence brève. Il n’y a pas d’enregistrements et il y a eu peu de concerts… Bref, c’est un beau souvenir mais plutôt anecdotique ! Avec un mode de vie plutôt rock ’n’roll.
C’est le punk qui a fait que de spectateur, tu es devenu acteur ?
Quand le punk a explosé j’avais déjà 24 ou 25 ans. J’étais à Mont de Marsan en 1976. Je suis revenu vivre à Paris fin 1976 et je suivais ça d’assez prés. En 1977, j’ai fait un voyage d’un mois aux USA. J’ai pu voir pas mal de groupes. J’allais souvent à Londres aussi et même si j’ai fait quelques chroniques pour « Rocks », magazine mort-né, j’étais encore beaucoup spectateur. C’est en revenant à Périgueux vers 1984, 1985 que j’ai vraiment basculé.
Quand tu reviens à Périgueux, tu retrouves tes deux frères, Didier et Philippe, qui vont monter les Pretty Boys où tu seras un peu impliqué.
Oui, j’aimais bien leur musique. En tout cas, je ne pense pas avoir joué un rôle dans leur envie de faire ce type de musique. Didier et Philippe, Je ne les ai pas beaucoup vus pendant quelques années, mais leur groupe était bien. C’était dans l’air du temps. Ils avaient beaucoup de copains qui écoutaient ça dans la banlieue Est de Périgueux où ils habitaient. Au fil du temps, encore une fois parce que j’aimais bien le groupe, je me suis offert de les aider au mieux, même si je n’y connaissais rien ! Mais c’était une époque où les contacts pour trouver des concerts étaient facilités par les fanzines… C’est l’époque où je commence à écrire pour Nineteen (Fanzine toulousain mythique NDLR) et même à faire de la radio. On pouvait faire un peu ce qu’on voulait. C’était extraordinaire et surtout spontané et naturel.
Est-ce que cette musique ne t’a pas aidé à te développer culturellement, notamment par rapport à la pop culture ?
Chez moi c’est une évidence ! Je suis un vrai « enfant du rock » même si c’est très galvaudé (rires). J’ai toujours essayé de savoir ce qu’il avait derrière. J’ai lu très jeune « Rock and Folk » en découvrant qu’il y avait des gens qui parlaient du rock sans prendre leur lectorat pour des bêtas ou des demeurés, contrairement à « Salut les copains », que me prêtait mon voisin. C’est le début d’un « journalisme rock » et une façon de prendre cette musique au sérieux. Ça m’a ouvert au cinéma, à la littérature et à un monde bien plus vaste… C’est aussi la révélation que le rock s’inscrit dans une lignée héritée du blues ou du rockabilly. J’ai découvert Gene Vincent et surtout Buddy Holly, auquel j’ai consacré une biographie il y a peu. A travers les Kinks, les Yardbirds, les Rolling Stones ou les Pretty Things, j’ai défriché le blues parce que, souvent, dans leurs interviews ils faisaient référence à des musiciens noirs comme Muddy Waters ou John Lee Hooker …. Ensuite j’ai découvert le jazz avec John Coltrane, par exemple… Tout ça m’a ouvert des portes !
Ce qui est incroyable dans ton parcours, c’est que tu n’es pas fan des « premiers de la classe », comme si tu trouvais dans la culture, et dans les gens que tu aimes, un moyen d’échapper à une vie toute tracée !
C’est difficile à expliquer mais les Yéyés, par exemple, ne m’intéressaient pas, c’était trop convenu. C’était bâti sur des reprises, ne faisant qu’adopter des morceaux anglo-saxons. Tu prends « Da Doo Ron Ron », tu écoutes la version originale, c’est largement supérieur à toutes les versions ou reprises en français. Idem pour la plupart des chansons reprises ou adaptées en français. Il y quelques contre-exemples comme Ronnie Bird qui était largement à la hauteur des versions originales. Disons que par rapport à ce que je cherchais, les Yéyés ne m’intéressaient pas. Que ce soit la musique, le cinéma ou la littérature, je ne cherchais que des choses me touchant sans trop me préoccuper des « premiers de la classe » et des vies toutes tracées. Et c’est toujours un peu le cas aujourd’hui !
Mais tu as été un « passeur » après comme si tu voulais remercier la culture qui t’a aidée à aborder la vie excitante ?
Passeur ? Je ne sais pas. Peut-être que j’avais l’envie de transmettre, de raconter que j’aimais tel livre ou tel film. Ça a été quelque chose que j’ai toujours adoré : faire connaître ce que l’on aime au plus grand nombre ! Même si, à mon niveau, ça reste un nombre très modeste.
Je voudrais que l’on parle de ton rôle d’organisateur et de manageur. Tu as commencé avec le groupe de tes frères, les Pretty Boys qui sont devenus rapidement Scuba Drivers. Quel a été ton rôle ?
L’idée était déjà de les conseiller. Il y a eu rapidement, dans les Pretty Boys, un manque de motivation qui a débouché sur l’arrêt du groupe. En même temps, l’album n’était vraiment pas terrible. Il est sorti sur Surfin Bird. Ce devait être un 45t à la base, mais Grégoire, que je connaissais de Périgueux et qui était un de mes colocataires à Paris, dirigeait le label et a décidé de sortir un 30cm parce qu’alors les 45t se vendaient mal. Une bêtise, à mon avis, parce que le groupe n’était pas mature pour ça ! Ils ne connaissaient pas du tout le travail studio. Grégoire les a fait produire par Kick, l’ex chanteur de Strychnine, qui n’était pas fait pour eux, malgré tout son talent. Le son n’était pas bon et le résultat est plus que moyen ! Pourtant les titres tenaient la route mais bon, c’est un cumul d’erreurs, tout simplement !
Ensuite arrivent les Scuba Drivers !
C’est le groupe qui est apparu après. Mon frère Didier, qui était batteur, habitait Limoges à l’époque et il avait rencontré là-bas, François Berry, qui est devenu le chanteur des Scuba Drivers. L’idée c’était de redémarrer un groupe avec un son plus actuel à l’époque, moins Garage et surtout avec un chanteur plus motivé et qualifié que Mathieu, celui des Pretty Boys ! Didier l’a proposé au chant. En plus il était guitariste rythmique et le groupe est reparti comme ça ! Je leur trouvais des concerts, je m’occupais des textes et d’essayer de les faire connaître. J’étais amateur et je me servais du circuit que je commençais à mettre en place par d’autres biais puisque j’organisais aussi des concerts à Périgueux. C’étaient des échanges de bons procédés : « tu peux les faire jouer chez toi et je fais venir ton groupe ». C’étaient le milieu des années 80 et il y avait en France un début d’explosion de groupes à guitares. Il y en avait à Angers, à Rouen, au Havre, à Grenoble, à Nice, à Orléans, à Toulouse, à Bordeaux …. Il y avait un univers de ce style au sens large, du rock mélodique à guitare en anglais… Des Fanzines se créaient, il y avait des radios, des bars et des petites salles pour jouer. Il y en avait beaucoup plus qu’aujourd’hui ! C’était un moment florissant !
Pourquoi cette scène, malgré des débuts prometteurs, a été coupée dans son élan ?
L’institutionnalisation du rock avec les subventions du ministère de la culture n’a pas favorisé, le vieillissement, le manque de relève, également, mais c’est surtout l’explosion du rock alternatif, ce qui ne veut pas dire grand-chose selon moi, qui n’a pas aidé cette scène. Lui a fait beaucoup d’ombre.
Pourquoi ?
On n’était pas dans les discours, dans les slogans… Pourtant les Scuba Drivers étaient aussi alternatifs que nombre de ces fameux groupes. On n’a jamais demandé un sous d’argent public. On a tout fait en autarcie. On touchait juste moins de monde et les discours des gens du rock alternatif plaisaient davantage au public. Notre discours « alternatif » était contenu dans la musique et l’attitude, il n’y avait pas besoin de slogans. Pour moi les Béruriers Noirs c’étaient beaucoup d’effets et de singeries. Moi, j’aimais beaucoup les Jam. Ils ont fait un titre magnifique « Down in the tube at Midnight » abordant le racisme anti-Pakistanais. Juste des faits énumérés et c’était bien plus fort que des slogans avec des peintures. Chacun fait comme il veut, mais on était beaucoup de groupes dans cette mouvance qui préférions parler via musique et paroles. L’histoire nous a donné tort. Nous, on était vraiment dans l’optique du rock classique tandis qu’eux s’appuyaient sur le punk mais aussi sur la chanson française comme les Négresses Vertes !
C’étaient aussi des groupes parisiens !
Sans parler de Paris, mais tu prends les Scuba Drivers qui, sur la fin, étaient vraiment un bon groupe, s’ils avaient été originaires d’une grande ville comme Bordeaux ou Toulouse, ça se serait mieux passé pour eux. Je souris quand je vois le culte autours de certains groupes parisiens comme les Stinky Toys ou Asphalt Jungle. Cela ne tenait pas la route. S’ils n’avaient pas été de Paris, personne ne se serait souvenu d’eux ! Le truc c’est qu’étant tous sur Paris, la presse avait inévitablement un sentiment de proximité avec eux.
Qu’est ce que tu vas faire en musique après les Scuba Drivers avant de te consacrer à l’écriture ?
Disons que quand le groupe s’est arrêté, j’ai arrêté aussi. Je ne voulais surtout pas en faire un métier. Je n’avais pas les compétences pour ça. C’est aussi simple que ça et j’ai continué à écrire et à faire de la radio. Pour les Scuba Drivers, je me sentais impliqué parce qu’il y avait mes frères, avec un relationnel assez fort et que j’aimais la musique. Cela m’a peut-être aidé à soigner la frustration de ne pas être musicien, comme il est souvent dit à propos des critiques, mais je n’ai pas cherché un autre groupe quand les Scuba se sont arrêtés !
Tu as beaucoup écrit et c’est là que tu as commencé ton rôle de passeur ! Le premier c’est avec Rocks quand tu étais à Paris ?
Oui, c’était un magazine qui était en kiosque et qui n’a connu qu’un seul numéro (rires). Mes premiers écrits, c’étaient au début des années 70 dans un fanzine de lycéens à Périgueux qui s’appelait « l’Acidulé ». Il y a deux numéros et le premier article que j’ai écrit était sur le Velvet Underground, largement copié dans « Actuel » première formule !
L’écriture c’est vraiment ce qui te plait. Tu n’as jamais cessé d’écrire !
(Rires) Disons que c’est ce que je sais faire de mieux.
C’est là où tu vas jouer un rôle de passeur : tu vas faire découvrir une scène australienne, des groupes de province. Tu vas vraiment faire découvrir plein de groupes.
Tant mieux, mais ma démarche était plus simple. Les discussions que je pouvais avoir avec les copains sur des groupes, je n’avais qu’à les retranscrire dans des Fanzines ayant parfois une certaine audience. L’idée c’était de faire profiter de mes coups de cœur, même si, quand je me relis aujourd’hui il y a certains trucs où j’aurais dû être plus … mesuré (rires), mais ça fait partie du truc. On ne peut pas faire ce genre de choses sans l’envie de transmettre et sans une certaine ferveur. Un certain toupet, aussi. J’ai eu la chance de connaître des groupes passionnants ou de redécouvrir des disques l’étant tout autant. Pour les groupes locaux, j’en voyais beaucoup et certains méritaient vraiment de la visibilité. Mais dans tous les cas, je ne me sentais surtout pas en mission.
J’ai toujours eu l’impression que ton grand modèle c’est Philippe Garnier.
Bien sûr, je ne l’ai jamais caché. Mon premier modèle était Alain Dister qui écrivait pour « Rock and Folk », il avait des écrits qui me transportaient parce qu’il était au contact : il voyageait. C’est quelque chose que Garnier a perpétué. Ses premiers écrits sur la scène punk naissante en 1977 aux USA sont extraordinaires. On avait vraiment l’impression de partir avec lui. On est dans du journalisme de terrain plutôt que sur de la théorie comme Greil Marcus ou comme Yves Adrien qui jouaient sur un mythe et une trame littéraire.
Tu es fan de Gonzo ?
Je n’en suis pas sûr (rires) !

On va parler des fanzines où tu as écrit. Le premier, qui a fait ta réputation, c’est Nineteen !
Comme j’ai coutume de le dire, ce sont eux qui m’ont permis de me lancer. J’étais juste un rédacteur, pas un décideur. Je vivais encore à Paris quand j’ai découvert Nineteen chez New Rose pour le premier numéro. Ça m’avait frappé ! J’ai attendu quelques numéros avant de leur envoyer un petit mot pour leur proposer mes services. Je leur ai dit que j’avais fait deux ou trois écrits pour Rocks, le magazine et je leur ai soumis une chronique qu’ils ont passée. Ensuite, j’ai continué de collaborer avec eux. C’était une super expérience. L’arrivée de Nineteen c’est le début de cette scène de groupes locaux à guitare qui faisaient échos à la scène anglaise avec les Prisoners, les Milkshakes et aux USA avec la scène Paisley comme Green On Red ou Dream Syndicate. Tu as aussi toute la scène australienne qui apparaît avec Hoodoo Gurus ou Died Pretty entre autres… Nineteen a synthétisé tout ça et l’a rendu accessible à un petit public qui était demandeur. Best et Rock and Folk ne parlaient pas beaucoup de ces scènes, de ces groupes et de ces courants musicaux. Ils ont rempli un vide et j’étais très content d’en faire partie. Mais j’étais extérieur au noyau dur : Antoine Madrigal, Monique Sabatier et Benoit Binet. Des gens se sont ensuite greffés dessus
Dig It !
Là encore un excellent souvenir ! C’est d’abord la rencontre avec Gildas (Cosperec, NDLR), qui était un personnage merveilleux et que je n’ai pas connu suffisamment parce qu’il est mort trop tôt. C’était plus restreint en audience, un peu plus orienté et étiqueté Garage Rock, mais il y avait pleins de gens qui écrivaient bien et étaient marrants. C’était vivant. Ça n’a pas eu la même portée que Nineteen. J’ai aussi pu y faire connaissance avec des gens avec qui je suis toujours en contact. Pour moi, en parler, c’est vraiment une façon de rendre hommage à Gildas.

Il y a aussi Abus Dangereux !
J’ai collaboré à ce journal grâce à Philippe Couderc (Fondateur d’Abus Dangereux et label Vicious Circle NDLR) qui m’a contacté. On se connaissait un peu. Il m’a demandé de faire un papier sur Kim Fowley et je suis resté ! Leur ambition était d’être un suppléant à Nineteen. Philippe a arrêté d’écrire assez vite, les fondateurs sont partis et la rédaction s’est recentré sur des choses plus pop, plus proches des Inrocks que de Nineteen. Il y avait des gens qui écrivaient très bien mais le rédactionnel a peu à peu perdu de la place au profit d’interviews et moi je préfère le rédactionnel. Je ne connais pas beaucoup d’interviews totalement palpitantes ! De tous les fanzines auxquels j’ai participé, c’est celui qui a eu la plus longue vie, ce qui prouve bien qu’il était porté par quelque chose. C’était du bon boulot, très beau et pro, mais parfois, musicalement, je ne m’y reconnaissais pas !
Tu vas ensuite travailler pour la presse « classique » Rock Sound, X Rock et Rolling Stone. Tu as fait ce passage dans une presse distribuée par les NMPP.
D’abord, ce sont les seuls à m’avoir payé, un petit peu, et m’avoir donné quelques points retraite (rires). Nineteen a aussi tenté de se faire distribuer par les NMPP, l’espace de trois numéros et ça a, un peu, été un fiasco. Un coût exorbitant pour pas grand-chose. S’agissant de Rock Sound, c’était un journal basé à Clermont Ferrand, avant de s’installer à Paris, et j’avais pas mal de connaissances là-bas. Ça s’est fait au travers des Scuba Drivers signés sur le label Spliff à Clermont et qui était aussi une boutique de disques. Des gens ont suggéré mon nom dans la boutique au directeur de la rédaction, Pierre Veillet, et en plus j’avais la caution Nineteen qui m’a ouvert quelques portes, dont celle-là ! Pour ce qui a suivi, que ce soit X-Rock ou Rolling Stone, c’était le même groupe de presse.
Tu as trouvé une grosse différence entre les Fanzines et les « gros » magazines NMPP ?
Oui, dans les fanzines, je faisais un peu ce que je voulais. Dans la presse officielle, j’étais cantonné à la chronique de disque et on m’envoyait souvent des trucs un peu anecdotiques.
A partir de 2007 tu commences à écrire des livres avec « Story of the Dogs », les nouvelles pour Dominique Laboubée, le chanteur du groupe qui était décédé !
C’est ma première publication fiction. Cela s’est fait par Jean Noël Levavasseur qui est journaliste à Ouest France. C’est un fan de polars et il avait des connexions. J’ai appris que le projet était en route, j’ai offert mes services. Ça a été accepté. Ma nouvelle est parue sous le titre « Death Lane ». J’étais avec des gens confirmés comme Marc Villard, Slocombe ou Pouy. J’ai été assez flatté de sortir de la stricte critique rock.
Tu vas en faire ensuite pour Little Bob, les Clash, les Thugs… Tu aimes faire ça ?
Tout à fait, mais on reste dans le même cercle de gens : Jean Noël Levavasseur et quelques auteurs similaires. J’ai aussi fait des trucs à propos des Sheriffs ou Oth, qui ne sont parmi mes disques de chevet, mais je trouvais ça amusant de le faire. Une certaine gageure. Tout ça prenant forme parce que c’était le même cercle de gens.
Tu vas écrire ensuite des biographies sur les Kinks, les Cramps ou encore les Troggs. C’est comme si tu voulais rendre au rock tout ce qu’il t’a apporté, surtout le Kinks !
Oui, je l’avais commencé bien avant, avec l’aide des gens du Fan Club Français du groupe : la Kinks French Konnection. Deux d’entre eux, Jean Claude et Anne Marie Savy, m’ont aidé à faire paraître le livre. C’est un moment où les premières biographies de groupes, qui n’étaient pas des superstars façon Beatles ou Stones, commençaient à apparaître. Comme personne ne s’était décidé à faire une bio sur eux, je me suis lancé. J’ai voulu combler un vide et c’est ce qui a amené le reste. Ça s’est vendu assez rapidement et Jean Claude et Anne Marie m’ont proposé d’en écrire un autre. J’ai aussitôt pensé aux Cramps.
Pourquoi eux ?
Parce que c’est un groupe qui va vraiment au-delà de la musique et qui a développé une vraie culture ‘bis’ autour du cinéma, de la littérature et bien sûr de la musique. Ce sont des gens qui ont un véritable univers. La première partie de leur carrière est fascinante. Ensuite, cela devient plus une machine sexuée et grand spectacle, mais les premiers disques sont réellement très originaux, recyclant un rock d’un format très personnel. Ils ont inventé le Psychobilly, mais aucun groupe de ce mouvement ne leur arrivent à la cheville.
Les Cramps avec Brian Grégory étaient incroyables !
Je suis aussi très fan de la période avec Kid Congo. J’ai vu le groupe dans ces deux formations et franchement, c’était énorme. Il y avait un vrai équilibre qui a, peu à peu, disparu après le départ de Kid Congo où Lux et Ivy ont pris toute la place.
Tu as aussi écrit un livre sur les Flamin’ Groovies qui est un groupe adulé en France ! Tu es le seul à avoir écrit sur eux ?
Pas tout à fait, deux mecs ont aussi rédigé un livre sur eux au Camion Blanc, qui est assez court et parfois erroné. Mais c’est assez symptomatique, malgré le mini-culte aux USA, en Angleterre ou ailleurs, les deux seuls livres écrits sur eux l’ont été en France. C’est un groupe avec une forte image de « losers » et qui a mis beaucoup du sien pour le rester (rires).
Ça a été un groupe très important pour la génération des groupes dont tu t’es occupé et sur lequel tu as écrit ?
Oh oui, j’ai grandi avec eux moi aussi ! Dès 1974/75, à Périgueux on passait des après-midis à les écouter. Le groupe a été porteur de cette image un peu « sauveur du rock ». Ils ont presque reconstruit l’histoire. Quand ils ont été signés chez United Artists et qu’ils sont allés, peu de temps, en Grande Bretagne, les relais dans la presse musicale les présentaient comme le renouveau du rock et plein de mépris envers les Hippies de San Francisco. Ville dont ils étaient originaires. C’est une bêtise ! Quand j’ai écrit ma bio, j’ai longuement discuté par mail avec Roy A. Loney (chanteur des Flamin’ Groovies NDLR) et lui me disait le contraire. C’étaient des fans du Jefferson Airplane, des Charlatans et de tout ce qui se passait à San Francisco au début. Ils avaient juste une approche un peu différente de la musique. Ensuite, ils se sont construits, avec l’aide des journalistes, une image de durs à cuir en Perfecto, mais à la base, c’étaient des gens bien immergés dans leur époque tout en étant ultra fans de British Beat !

Tu vas faire paraître ensuite au « Boulon » un livre sur les Troggs autour de « Wild Things » et un autre sur Buddy Holly qui est, peut-être, ton livre le plus personnel et venait de loin ?
L’histoire du Buddy Holly est assez étrange parce que de moi-même je ne me sentais pas aussi légitime, comparativement aux Cramps ou aux Kinks, que j’avais vus en concert et que je connaissais. J’ai découvert Buddy Holly à 15 ans avec un disque prêté quand lui était déjà mort. De moi-même, je ne pense que je ne me serais pas lancé dedans. C’est un copain de Périgueux, Roland Ranoux, lui-même immense fan, qui m’a poussé à le faire puisqu’en France, il n’y avait quasiment rien sur lui. Ça parait dingue, parce que c’est un personnage incroyable qui va inventer, en partie, la pop musique et le rock à guitare… Il n’y avait aucun livre sérieux sur lui et cela m’a donné envie de me lancer. Un jour, j’étais chez Roland et il m’a fait admirer sa collection de disques et voir tous les documents qu’il possède. Y’avait matière. Puis j’ai été mis en contact avec le patron du Boulon, Xavier Belrose. Je lui ai envoyé un premier chapitre. Cela lui a plu et ça a commencé comme ça. J’ai également fait ce Buddy Holly parce que cela me permettait d’évoquer le fourmillement musical qu’il y a eu aux USA aux débuts des années 50 entre le rock, la country, le blues, le R’n’B et la musique noire en générale… Tout ce qu’il y a eu avant l’arrivée de Presley. Les premiers rocks qui vont faire basculer le monde de la musique : c’est un panorama passionnant à étudier. C’est ce qui m’a poussé à le faire, raconter ça en filigrane, en allant bien au-delà de ce personnage finalement assez sage, loin de l’image du rockeur turbulent.
C’était une sorte « d’esthète » ?
Oui parce qu’il était en avance sur son temps ! Musicalement, on ne sait pas sur quoi il serait parti. C’est une carrière très courte mais il laisse un héritage musical phénoménal. Ça fait un ensemble de choses me confirmant que je pouvais me charger d’écrire sur lui.
Les Troggs ?
C’est parti d’un concours de circonstance. J’ai permis la rencontre entre Nicolas Sauvage, que j’avais rencontré à Belfort, et Le Boulon. Je lui avais conseillé de contacter Xavier Belrose. Il a ensuite inauguré la collection Seven Inches, la série du Boulon sur les 45t. Il m’avait coché dans ses remerciements et, de fil en aiguille, Xavier m’a proposé d’écrire à mon tour un livre sur un 45t de mon choix. J’ai aussitôt pensé à « Wild Things » et aux Troggs. Il a accepté et je me suis lancé. C’est la première fois que j’avais un cadre imposé avec un nombre de caractères précis. Cela m’a permis notamment de raconter que la chanson n’a pas été écrite par les Troggs, mais par Chip Taylor. Dont ils ont hérité via le manager Larry Page, qui sortait d’une expérience désagréable avec les Kinks. Il s’est servi des Troggs pour une petite vengeance personnelle. Il y avait ces trois éléments : un groupe de la campagne du sud de l’Angleterre, Chip Taylor et Larry Page un manager un peu affairiste et combinard.
Il y a aussi « Azerty Blues » qui est un recueil des différents articles parus dans les Fanzines !
Pas seulement, mais oui, y’a de ça. Quelques temps avant, sont parus deux volumes d’anthologie sur Nineteen. Antoine Madrigal m’avait contacté à ce propos et je figure sur les deux volumes. J’ai trouvé que ce que j’avais écrit alors n’était pas terrible ! J’avais le sentiment d’avoir fait mieux depuis et cela m’a donné l’idée de ressembler divers papelards et d’y ajouter quelques inédits que j’aimais bien. Plutôt immodeste, comme initiative.
Tu viens de sortir un nouveau livre dans lequel tu ne parles pas que du rock !
Je ne parle pas de rock du tout ! Ça s’appelle « Fais Pas Ton Cinéma et Autres Histoires Sans Importance ». C’est un autre concours de circonstance. Parallèlement à ce que j’écrivais sur la musique, je m’amusais à rédiger des bricoles, des petites nouvelles qui, souvent, n’avaient rien à voir avec la musique. J’avais aussi écrit un gros article pour un blog baptisé « Groovy Time » sur les « méchants » du cinéma US des années 40 et 50. J’avais des écrits un peu épars que je continuais à rassembler. Il y a quelques mois, les Dum Dum Boys sont venus jouer à Périgueux et j’ai revu à cette occasion Didier Balducci (guitariste des Dum Dum Boys et fondateur de Mon-Tones NDLR). Il m’a demandé si j’avais des écrits à lui proposer pour sa structure Mono-Tone. Je lui ai d’abord envoyé ce premier article et puis peu à peu j’en ai envoyé d’autres. Il a bien aimé et pour donner suite à ça, il m’a proposé d’en faire un ouvrage. L’idée, pas très rationnelle, c’était de faire une première partie sur le cinéma et une deuxième partie sur des nouvelles de fiction, d’où le titre « Fais pas ton cinéma et autres histoires sans importance ».
C’est vraiment l’influence de Philippe Garnier avec ces nouvelles et ce texte sur le cinéma ?
Oui, c’est une influence indéniable chez moi pour tout ce qui touche au cinoche US, pour les nouvelles, pas du tout. Mais j’achète tout ce qu’il fait paraitre depuis toujours. Son livre « neuf mois » sur le décès de sa femme est extrêmement fort et bouleversant. Il a un talent énorme et je ne cherche surtout pas à être comparé à lui, mais son approche m’a vraiment marqué.

Quels sont tes projets ?
Je rassemble des idées ! (Rires) Je suis quelqu’un qui ne projette rien. Les choses arrivent quand elles doivent arriver. On me propose des choses, mais il me faut toujours une Deadline pour me motiver. Je suis un ramier !
As-tu conscience de l’importance que tu as eue pour certains, dont moi, pour toutes les découvertes que tu nous as proposées ?
Je ne vais pas faire l’hypocrite : je commence à en avoir conscience, surtout par les réseaux sociaux. Avant tu n’avais pas ou peu de retours, mais avec Facebook, par exemple, j’ai, depuis plusieurs années, des messages de gens qui me le disent. C’est flatteur. Lors de certains concerts, je croise parfois des gens affirmant me lire depuis longtemps. Ça fait très plaisir à chaque fois.

Parce que ta démarche a toujours été celle d’un passeur ?
C’est gentil. Ce qui est essentiel, c’est que j’ai toujours travaillé à côté, me permettant d’avoir une vraie liberté et de ne pas dépendre de mon écriture pour vivre. Sans cela, aujourd’hui, je serai mort de faim ! Je n’ai écrit que sur ce qui m’intéressait. Ou à peu près. Je recevais beaucoup de disques et même des livres. J’étais souvent invité aux concerts. C’était ma récompense. C’est compliqué d’écrire et franchement je n’avais pas envie de faire ça à propos de gens pour lesquels je n’avais que peu d’intérêt.
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?
C’est une question piège (rires). Par rapport à ma fille je n’ai jamais vraiment essayé de lui imposer des choses. Elle les a subies. Mais toute génération doit se débrouiller : on ne vit pas dans le même contexte. Ce serait compliqué pour moi d’aller voir un enfant pour lui dire « écoute ça ». J’écoute par exemple, en ce moment, le dernier Peter Perret qui a le même âge que moi. Ou le nouveau XYZ, duo à peine plus jeune. En musique je fais avec ce que j’ai. Je ne suis plus trop donneur de leçon. Il y aura toujours de la musique de qualité et c’est aux jeunes de se débrouiller avec ce qu’ils ont (rires). Je reste dans ma tranche d’âge et cela me va très bien.