Black & Noir, où l’histoire d’un label raconté par Patrick Foulhoux,

jeudi 10 avril 2025, par Franco Onweb

A la fin des années 80, une nouvelle génération de groupes apparurent en France. Tous avaient les particularités d’être des groupes à guitares et de chanter en anglais. Venus, pour la plupart de province, ces formations parcouraient la France et écumaient toutes les scènes qui s’offraient à eux. Rapidement des associations se créèrent autours d’eux qui organisèrent des concerts et certaines d’entre elles allaient fonder des labels. Que ce soit Spliff à Clermont-Ferrand, Vicious Circle à Bordeaux ou encore Closer au Havre, ces labels permirent que cette scène soit une réalité.

L’un des labels les plus importants, et des plus symbolique, de cette époque fut Black& Noir à Angers, la ville des Thugs et leur chanteur, Éric Sourice fût un des artisans du label. Le journaliste Patrick Foulhoux a sorti à l’automne dernier un livre passionnant sur ce label qui est vraiment représentatif de son époque et de ce mouvement. Il faut aussi noter que le label Nineeten Something, héritier de ces différents labels, a sorti une excellente, et indispensable, compilation du label.

Passionné par cette histoire, je lui ai demandé de me raconter l’histoire incroyable de Black & Noir. Éric Sourice a accepté aussi de mettre « son grain de sel » dans cette interview qui vous fera découvrir l’incroyable vivier des labels français dans les années 90 mais aussi, malheureusement, leur déclin !

Peux-tu te présenter ?

Patrick Foulhoux, je suis journaliste. J’ai été journaliste musical pendant très longtemps, aujourd’hui je suis plutôt journaliste généraliste. Je suis directeur éditorial d’un magazine territoire de quartier à Clermont-Ferrand.

Patrick Foulhoux
Crédit : Yann Cabello

Tu as été un témoin privilégié d’une scène musicale française dans les années 80 et 90. C’est comme ça que tu t’es intéressé à « Black & Noir » ?

Etant fan de rock, ici à Clermont-Ferrand, il y avait la boutique « Spliff » qui était un disquaire. La scène rock, c’est un petit milieu. Vers la fin des années 80, « Spliff » était une boutique et un label. Gilbert, l’un des deux propriétaires, l’autre était Buck, chanteur des Real Cool Killers, ne voulait plus s’occuper du label. Il était plus intéressé par la boutique, lui voulait continuer le label et ils m’ont proposé de remplacer. Monsieur Rock (Bruno Lion, NDLR) avait lancé une subvention pour les labels rocks et on avait travaillé sur les dossiers ensemble par exemple.

Quelle est la genèse de « Black & Noir » ?

J’ai pris « Black & Noir » parce que c’était pratiquement le seul label où tous les protagonistes sont encore de ce monde, contrairement à « Spliff » ou « Vicious Circle ». L’intérêt est qu’il y avait beaucoup de structures comme celle-là. Au départ, c’était une émission de radio à Angers. Éric était aussi programmateur dans un bar angevin, le Bar Belge. Naturellement, « Black & Noir » s’est développée en association Il n’y avait plus de magasin de disques intéressant à Angers, donc ils en ont ouvert un et comme ils voulaient faire découvrir des groupes, ils ont monté en label en rapport avec le magasin. C’est l’histoire de tous ces labels : on a tous fait pratiquement la même chose et de manière identique. Spliff, par exemple, c’était un fanzine avant de devenir un magasin de disques. C’est ça qui est passionnant : il y avait tout à construire à l’époque ! Jusqu’à la distribution, qui était un énorme travail ! Il y avait des distributeurs qui se mettaient en place comme « New Rose », « Dancetaria », « Le Silence de la Rue » ou « Tripsichord » ! On a collaboré avec tous.

Les modèles de « Black & Noir » c’était « Vicious Circle » ou « Bondage » ?

« Bondage », ils ont été parmi les premiers mais tout le monde était quasiment sur le même modèle. Comme me l’a dit Stéphane, l’un des fondateurs de « Black & Noir », ils voulaient tout faire eux-mêmes mais c’était déjà trop tard : c’était la fin du vinyle, le début de l’internet…

Eric Sourice : Vicious Circle est créé en 1993, ce sont peut-être eux qui se sont inspiré !

La première boutique qui fait ça c’est « New Rose » à Paris ?

Oui, mais ils ont commencé à la fin des années 70. Ce sont eux les pionniers.
A l’époque, vue de l’extérieur, tout paraissait simple et se faisait
calmement.

On sentait une grande honnêteté sans arrière-pensée avec beaucoup de « Do It Yourself ».

On était tous autodidactes, on ne connaissait pas grand-chose sur ce métier … Ça a commencé parce que des musiciens n’avaient pas de lieux pour jouer. Ils sont allés voir des bars pour cela. Ensuite, il y a eu des échanges avec des groupes d’autres villes. C’étaient des échanges de bons procédés entre groupes. Il y avait vraiment tout à construire. On a appris sur le tas. Il n’y avait pas de mercantilisme. On était là pour faire de la musique et s’amuser. Il n’y avait aucun plan de carrière !

Les Thugs en 1991, Eric Sourice deuxième à partir de la gauche
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Il y a un très bon retour du public bien que vous soyez loin des Majors, loin de Paris. On s’aperçoit à cette époque que l’on a une scène locale assez vivace mais sous les radars.

On était sous les radars parce qu’on n’avait rien : pas de salles, pas de lieux, peu d’émissions de radios jusqu’au début des années 80. Avec la bande FM on a commencé à faire des émissions et puis des fanzines mais on n’était pas du tout formé à ça. Tout doucement, on a commencé à se structurer. Avec la première fête de la musique le 21 juin 1982, le public a compris que faire de la musique était à la portée de tout le monde. On a eu ensuite les bars et la suite est venue naturellement : on s’est structuré et on a appris sur le tas. On a vu qu’il y avait un tissu de groupes intéressants.

Un des groupes moteurs de cette scène, ce sont les Thugs !

Oui, pour la scène rock chantée en anglais les Thugs sont un groupe phare ! Il y a d’autres groupes qui chantaient en français dans un réseau auquel les Thugs appartenaient aussi.

Mais ils ont permis à une scène, d’abord angevine et puis nationale, d’apparaître. Ils ont aussi débuté une carrière internationale mais c’est surtout un groupe toujours actuel musicalement.

Les Thugs étaient vraiment ambitieux mais dans le bon sens du terme. Ils ont commencé chez « Gougnaf » mais c’était vraiment un concours de circonstance, après ils vont chez « Closer ». Pierre-Yves, le bassiste, qui était en stage de cuisine à Londres a rencontré les gens de « Vinyl Solution ». Il leur a parlé du groupe mais ils le connaissaient déjà depuis le 1er 45t. Les Thugs vont ensuite jouer dans un festival à Berlin. Là, ils rencontrent les gens de « Sub Pop » qui vient de se créer et qui est un tout petit label à l’époque. C’est devenu plus gros après. C’était un groupe locomotive qui a signé sur des labels anglais et américains. Ils ont tiré les autres vers le haut. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi à l’époque des groupes comme Kid Pharaon ou les Scuba Drivers qui sont excellents mais qui n’auront pas la même notoriété que Les Thugs, ni la même trajectoire.

Mais ça semblait naturel à Éric Sourice de participer à « Black & Noir » ?

Oui, ça participait d’un même élan : il n’y a pas de disquaire rock en ville, on ouvre une boutique. Puis, on a plein de groupes sans label, par conséquent, on monte un label pour les produire et les faire connaître.

Ton livre est donc une sorte d’hommage à tous ces labels, pas uniquement à Black & Noir ?

J’ai toujours conçu mes livres de la même façon. En creux, j’essaie de rendre une étude sociologique. A travers l’histoire de « Black & Noir », que j’adore, il y a plein de structures au profil identique. Tu as raison, c’est un peu un hommage.

N’avaient-ils pas l’attitude « Do It Yourself », c’est-à-dire punk ?

Oui, c’est ça mais ce n’est pas pour se rendre intéressant, mais c’était parce qu’il y avait un manque à combler.

Il y a deux choses qui sont sorties : ton livre et une compilation des « Clubs Singles » du label ?

La compilation est une idée de Frank de « Nineteen Something » pour fêter la sortie du livre. C’est une super idée, très pertinente. Il y a longtemps que je ne les avais pas écoutés et il y a une vraie homogénéité. Ce « Club Single » avait pris modèle sur celui de « Sub Pop ». Il fallait s’abonner et on recevait tous les mois un 45t. On ne savait jamais ce qu’on recevait. « Black & Noir » a copié l’idée et pendant deux ans il y a eu dix 45 T, c’est-à-dire un tous les deux ou trois mois. Il y a eu quelque chose comme 200 abonnés.

Sur cette compilation, on retrouve des groupes comme Dirty Hands, Drive Blind, les Shakings Dolls …

Grâce à « Black & Noir », certains se sont jetés à l’eau, ça les a lancés. Il faut bien comprendre qu’à l’époque, un studio coutait très cher. Aujourd’hui avec les logiciels c’est plus facile. « Black & Noir » les a aidés. C’était un tremplin pour ces groupes.

Les Drive Blind
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Quels sont les groupes qui sont sortis chez « Black & Noir » que tu conseillerais aux gens ?

Pour les 45t : le Dirty Hands, le Burning Heads, le Shaking Dolls, le Casbah Club et celui des Mad Monster Party. Pour les albums : le premier Deity Guns et les Dirty Hands. Je suis fan absolu des Dirty Hands, c’était un immense groupe. Pour la plupart des groupes ils apprenaient et en plus il n’y avait pas de mastering. Je rajouterai Bouchon, son premier 45T qui est une petite merveille.

Pourquoi cette belle énergie s’est arrêtée ?

C’est expliqué dans le livre. Il y a eu les SMAC qui sont arrivées ! Ça a en partie cassé la dynamique. Mais c’est tout un ensemble de choses qui a participé à un essoufflement.

Que s’est-il passé par rapport à ça ?

Par exemple, j’organisais un festival à Clermont-Ferrand avec une aide qui a fini par être transférée à la Smac locale. Les aides et les subventions ont été transférées aux SMAC. Au bout d’un moment, ça a asséché le tissu associatif. D’autant que la législation évoluait en même temps et organiser un concert en bar devenait quasi impossible pour des histoires de nuisance sonore.

C’est donc le succès qui a tué cette scène ?

Non, il y a eu le succès de Nirvana en 1991, ce qui a permis à des groupes comme les Thugs ou les Burning Heads d’être signés par des majors. Il y a aussi la loi Toubon en 1994 qui impose les quotas de chant en français à la radio. C’est aussi l’arrivée du Cd, des SMAC

Eric Sourice : Pour généraliser, dans les années 90 de nouveaux styles musicaux, le rap ou l’électro par exemple, se sont développés et une grande partie de la jeunesse a délaissé le rock à guitares qui est devenu dès lors la musique de leurs parents.)

Dirty Hands
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On a eu l’impression qu’il y a eu un problème entre ces groupes et Paris ?

Non, il n’y avait pas de problème. Seulement, Les Thugs, quand ils arrivaient sur scène disaient « Bonjour, on est les Thugs et on vient d’Angers ». Ça voulait bien dire qu’ils venaient de province. Il y avait peut-être une forme de condescendance de Paris pour la province. J’ai toujours eu ce réflexe « On peut faire sans Paris ». On disait que pour la promotion, il fallait jouer à Paris. C’est une énorme connerie !

Eric Sourice : Au début, de notre carrière avec les Thugs, c’est à dire au milieu des années 80, l’impression que nous avions, en tant que public, c’était que l’on voulait nous faire croire que le rock en France se passait exclusivement à Paris et que si tu étais un groupe parisien, après deux concerts au Gibus tu avais ton entrée dans les colonnes des journaux spécialisés. Alors nous ça nous faisait rire de dire au début des concerts que l’on venait d’Angers, c’est à dire au-delà du périph !

Est-ce que tu vois aujourd’hui des héritiers de « Black & Noir » ?

Je ne suis plus trop au courant de ce qui se passe en musique. « Twenty Something », le label de nouveauté de « Nineteen Something », avec Eric Sourice qui est encore dans cette affaire, est l’héritage de « Black & Noir » mais il doit y en avoir d’autres…

Eric Sourice : Il y a eu plein de labels par la suite que l’on peut comparer à Black & Noir, même si la plupart ne connaissait le label angevin, donc on ne parlera pas d’héritiers. Par exemple Guerilla Asso fait un boulot remarquable.

Le mot de la fin !

Le but de ce livre est de transmettre une histoire passée, il participe à conserver la mémoire du rock en France. J’écris des livres pour les générations futures, pour laisser une trace. Si un jour des sociologues veulent s’intéresser à ces questions, ils pourront toujours se plonger dans mes livres.

https://nineteensomething.fr/
https://metrobeach.fr/black-noir-enragez-vous/