Tu t’occupais de la « Tête de l’artiste » et tu reviens avec ton nouveau projet « Outcast Music ». Qu’est ce qui s’est passé ?
Ça faisait quatorze ans que je m’occupais de « La Tête de l’artiste ». J’avais commencé avec des interviews philosophiques d’artistes pendant 5 ans, puis c’est devenu des relations presse musicale. En 2023, à la suite du décès de mon associée Eloa Mionzé, j’ai dû de prendre une année sabbatique. J’ai continué à suivre l’actualité de la musique, notamment parce que j’étais président de la Grosse Radio, que je n’ai jamais arrêté en tant que programmateur de l’antenne rock. J’avais continué de faire un peu de sessions de conseils en management de deux heures pour les jeunes groupes, pour les aider à trouver les bonnes solutions. J’ai décidé de mettre tout ce que je savais faire au même endroit : les relations presse, le management et le conseil dans une nouvelle structure : Outcast Music !
Comme le marché de la musique a beaucoup évolué depuis des années, tu as monté une structure qui est plus en adéquation avec la situation actuelle ?
On me dit que le rock est mort, que les indés font chier le monde parce qu’ils sont pleins… C’est pour ça que la structure s’appelle « Outcast music » ! C’est la boîte des parias, des laissés pour compte… Mais on est là pour se battre, jouer des coudes… mais gentiment (rires). J’ai revu ma manière de travailler notamment en ce qui concerne le management où je m’engage sur une année et sur un nombre d’heures qu’on détermine ensemble : 50, 100 ou 150 heures. C’est en fonction de leurs besoins parce que le coût d’un manager peu vite être élevé, on vend à la fois du temps, du savoir-faire et un réseau. On essaye d’avancer ensemble avec nos petits moyens.
Le monde de la musique a totalement évolué, notamment avec les réseaux sociaux. Ta nouvelle structure correspond aux besoins actuels ?
C’est surtout pour répondre aux changements de mentalités des acteurs du milieu. Je pense notamment aux programmateurs de salles, aux journalistes mais aussi de moyens qui sont mis en place, notamment avec les fameux partenariats. Il faut payer pour avoir un article, une interview en échange d’une publicité. Je ne veux pas faire ça ! Surtout que les groupes avec qui je travaille on peu de moyens et ce sont des artistes qui cherchent à émerger. Mon but est toujours le même : travailler avec la base, les radios locales, la Ferarock, les webzines… Pour moi c’est le cœur de notre métier : cela se passe beaucoup sur internet ! Il faut quand même avoir la presse spécialisée « musicale », ça plaît et ça rassure les programmateurs de salles.
Quand on lit la presse rock, on a parfois l’impression qu’ils ne parlent pas des mêmes artistes que les webzines. Comme si c’étaient deux mondes !
Il y a un décalage entre les réseaux sociaux et la presse. Je pense que la presse musicale va sur les réseaux sociaux mais je ne suis pas sûr que les personnes qui vont sur les réseaux sociaux ont de l’intérêt pour la presse rock ! Il y a peu de gens de moins de 35 ans qui achètent des magazines. Pourtant ce sont des lectures de qualités, mais oui, souvent en décalage entre l’actualité rock et les couv’ qu’elles proposent. Je le comprends tout de même, mettre David Bowie en couv’ est encore très vendeur, plus qu’Idles par exemple je pense, surtout du fait de leur lectorat.
Ça consiste en quoi Outcast Music ?
C’est, comme j’en ai déjà parlé, c’est du management à la base. Il y a 6 groupes par an. Si un veut partir on verra si un autre artiste veut entrer dans la structure. Je ne cherche pas à en avoir plein mais au contraire, en avoir peu pour privilégier le respect des relations humaines. On travaille au quotidien avec chaque groupe sur Discord. On a même un Discord commun, tous les groupes ensemble. On peut discuter sur les meilleures méthodes pour travailler : à quelle heure on publie ? Quelles photos ? C’est ma méthode pour créer de l’entraide. Tous les groupes ont une centaine de dates à leur actif, donc de l’expérience à revendre.
Parmi tes artistes, il y a « L’Ambulancier » avec qui tu travailles depuis longtemps. As-tu tout de suite pensé à lui pour Outcast Music ?
On se connaît depuis 15ans, c’est un des premiers artistes que j’avais interviewé. On a monté un petit label associatif ensemble et avec Eloa au moment du Covid, Tadam Records. Et je le manage depuis cinq ans. Il était normal qu’il soit là. D’ailleurs je ne lui ai même pas demandé son avis ! Je lui ai dit « maintenant on s’appelle Outcast Music » et lui m’a juste dit « ok ». Ça ne change rien à notre manière de travailler ensemble.
Quand tu es revenu, qu’est ce qui avait changé ?
Tout d’abord ma passion est revenue (rires). Ça a tout changé. Sinon beaucoup de médias ont disparu, notamment au niveau des Webzines et j’en suis désolé… Il a fallu mettre à jour mon fichier de contacts. Mais à l’inverse, au lieu de rejoindre des médias, pas de passionné.e.s se sont mis à faire des chroniques vidéos sur leur compte Instagram. On a donc des micros-médias qui sont apparus. Ca va de pair avec l’évolution des médias et des pratiques musicales des auditeurs.
Ne penses-tu pas qu’aujourd’hui, le plus important pour un groupe est que son nom circule ?
Oui, il est capital que le nom d’un groupe circule sur la toile. J’ai une base de 5 000 contacts et dès que l’un de mes groupes fait quelque chose, je préviens mes contacts. Il faut que ça tourne.
Mais tu n’auras toujours que 6 groupes ?
En management, oui ! Mais en ce qui concerne les conseils, je fais des réunions par téléphone d’une heure minimum pour les aider à mettre en place un planning, un budget, une méthodologie… Par exemple, il faut préparer un album sur un ou deux ans. Il faut pouvoir poser les bons jalons et avancer au mieux pour sortir dans les meilleures conditions possibles ! Je conseille vraiment de prendre son temps pour réussir au mieux. Si ces réunions se passent bien, on peut ensuite voir si on peut travailler ensemble l’année suivante. Donc, pour l’instant, je travaille avec Les Agités du Bocal, Animo Virile, EllSide, ZATO, Karaboudjan et L’Ambulancier.
A côté de ça, j’ai environ un groupe par mois en relations presse, pareil, je ne veux pas faire du volume et bosser avec trop de groupes. Mon critère principal pour choisir un groupe est de pouvoir écouter leurs albums en continu toute la journée. En ce moment, pour l’automne, je bosse les sorties d’albums/EP de Mhud, ATR !UM, Telemac et Deleo. Et mon agenda se remplit déjà pour le premier semestre 2026.
Ce qui a changé, c’est donc une organisation bien prévue à l’avance ?
Oui, il y a énormément de choses ! L’artiste est un peu comme un entrepreneur. Il a plein de postes à occuper : le travail avec le distributeur, la distribution digitale, les réseaux sociaux, le marketing digital… Quand on doit faire des posts importants, il faut les préparer et pas uniquement les faire au dernier moment. Quand tu as un concert et un post à préparer, il faut travailler le concert, d’où l’importance de les préparer en amont. Si tu prends L’Ambulancier, on a fait fin 2024 un rétro planning pour 2025 spécialement pour les réseaux sociaux avec les sorties et les différents posts. Il faut vraiment bien les préparer à l’avance pour ne pas être submergé mais surtout faire ça dans la bonne humeur, parce que cela reste du divertissement.
Tu es plus serein qu’avant ?
Je suis plus… pondéré ! Bon, je reste un punk dans ma manière de voir le monde (rires) ! J’essaye de voir les choses différemment. Mes artistes ont des choses à dire et à produire, donc on essaye de faire des choses de manière qu’ils puissent le faire dans les meilleures conditions possibles ! Si ça marche tant mieux et sinon tant pis mais au moins on aura fait les choses en conséquence pour que ça fonctionne.
Mais aujourd’hui la promotion, la vente et la distribution passent souvent par le numérique. Il y a peu de supports !
Bien sûr, quand un groupe me contacte, on regarde son budget et je lui demande toujours s’il a un budget pour le marketing digital parce que c’est une manière de mettre la musique en avant. Il faut communiquer sur les réseaux, c’est valable pour n’importe quelle entreprise dans n’importe quel domaine… Je ne vois pas pourquoi la musique y échapperait !
Aujourd’hui le digital a gagné ?
Complètement ! On passe notre vie devant notre téléphone ou notre ordinateur, plus devant notre platine (rires). La question est vite répondue !
Il y aurait 25 000 groupes de rock en France. Tous ces groupes existent sans le soutien des médias, pourquoi ?
C’est énorme 25 000, c’est beaucoup trop. On ne peut pas s’intéresser à tous ces groupes et encore une fois c’est le marketing qui change la donne ! Quand un groupe d’une Major sort un album, il y a peut-être plusieurs milliers d’euros pour le marketing. Mes groupes ont plutôt 1 000 euros max de marketing ! Forcément on n’est pas dans les mêmes proportions. Le public va suivre le groupe qui a une exposition sur internet et dans les médias. Ces deux mondes ont toujours cohabité et parfois des groupes arrivent à s’en sortir sans un énorme budget. L’exemple le plus marquant, ce sont les groupes du mouvement alternatif comme les Béruriers Noirs qui n’avaient signé nulle part et qui ont réussi à vendre plusieurs dizaines de milliers de disques. Il faut avoir une nouvelle manière de concevoir la société du spectacle, notamment en ce qui concerne les concerts, sans avoir des dizaines de millions de likes comme Shakira (rires).
Beaucoup de groupes pensent qu’avec les réseaux sociaux, ils peuvent se débrouiller seuls, sans dégager un budget !
Eh bien non, tu ne peux pas te débrouiller sans budget. Un groupe qui travaille sans argent sur les réseaux sociaux, va poster son message mais pas grand monde va le voir mais si tu l’englobes avec une belle publicité et bien beaucoup de monde pourra le voir !
Ça a donc beaucoup évolué ?
Oui, mais j’ai toujours essayé de m’adapter au principe qu’il faut suivre l’ère du temps. Il y a beaucoup de groupes indé qui se servent de l’IA pour travailler. Ils s’en servent pour les textes, pour la musique… C’est un outil puissant comme lorsque l’ordinateur est arrivé dans la musique : ça a permis de développer la musique électro. Il faut se tenir au courant des nouveaux outils et faire attention à ce qu’il ne devienne pas trop imposant, mais comme restant à notre service.
Tu vas donc continuer à t’adapter ?
Je vais surtout m’adapter aux besoins des musiciens avec lesquels je travaille et voir ce qui est possible pour eux. C’est ensuite que l’on regarde les outils dont on peut avoir besoin.
Es ce que tu t’adaptes en fonction du public ?
Je pars du principe que l’on n’a pas de public ! Comme tu l’as dit il y a 25 000 groupes et donc souvent c’est moins de 1 000 personnes sur ta page Instagram, et donc tu n’as pas de public. Le plus important, ce sont les concerts. Une personne qui t’a vu en concert et qui a vibré avec toi pendant une heure, c’est quelqu’un qui va aller sur tes réseaux sociaux, t’acheter le vinyle ou le CD à la fin du même concert. Au contraire si quelqu’un voit passer ton nom, ta page ou ta pub, il va aller écouter et il ira vers celui qui aura mis le plus de pub, parce qu’il aura vu son nom plus de 100 ou 200 fois. Le but du jeu c’est donc de travailler les concerts parce que c’est là où on peut « accrocher » durablement du public.
Pour toi le Live est plus important que tout ?
Ça reste capital ! Maintenant le but du jeu est de faire venir les gens au concert et donc on repart sur du marketing. Des salles demandent aux groupes de faire la pub à sa place et ce n’est pas normal. Ce sont leurs salles et ils doivent quand même se bouger pour faire venir du monde. Un musicien qui est loin de chez lui n’a pas forcément ce qu’il faut pour faire venir le public local. C’est à mon sens à la salle de mettre en avant des outils pour faire venir le public.
Mais aujourd’hui les salles se louent plutôt qu’elles ne programment !
D’accord mais elles doivent avec cet argent faire un peu de pub pour le concert. L’artiste, ou son attaché de presse, peuvent prévenir les médias qu’il joue là et inviter des pros.
On a donc toujours besoin de presse ou de médias. Quand on annonce que la presse ne fait plus vendre et que ce sont les réseaux sociaux uniquement, pour toi ça n’existe pas !
Pour moi tout est complémentaire ! Il faut que l’on s’adapte et quand tu vois que des groupes se servent d’outils assez aléatoire il vaut mieux aller vers des choses plus « sur ». Il y a même maintenant des sites qui proposent du management avec l’IA ! C’est horrible, moi je peux être heureux avec les groupes quand ça marche, pleurer quand ça ne va pas. Une IA ne pleurera pas et ne sera pas un soutien affectif rien si ça ne marche pas. Est-ce que on veut vraiment ça pour le futur ?
Tu as toujours ton label Tadam, tu comptes le développer ?
Le label fonctionne encore. On a deux sorties par an et on compte s’y tenir. C’est un label associatif qui nous permet de passer du bon temps ensemble et de faire pile ce qu’on peut et veut. Maintenant mon but est de continuer à développer Outcast Music et que l’on ne soit plus des parias (rires).
Tu as donc toujours la foi ?
Oh oui, je suis toujours là pour les groupes et je veux continuer à travailler sur le rock.
Est-ce qu’il va y avoir des concerts Outcast Music ?
Oui, c’est prévu qu’il y ait environ une soirée par trimestre à Paris. Je suis en train de mettre ça en place avec une salle, abonnez-vous à @outcastmusicfr sur les réseaux, vous saurez.
Tu as envie de faire d’Outcast Music un label de qualité ?
Non, avec les groupes qu’il y a dedans c’est déjà de la qualité mais il n’y a pas de couleur musicale particulière. C’est rock au sens très large. Le but est de développer nos artistes. J’espère aussi pouvoir embaucher d’autres passionné.e.s pour travailler avec moi. En ce moment, j’ai un stagiaire, Simon qui est en fin de MBA de management musical, et Davy Sanna, que j’avais recruté en 2016 à La Grosse Radio, qui fait quelques heures par semaine en relations presse. C’est MA personne de confiance.
Tu es toujours à la « Grosse Radio » ?
Oui, je n’ai pas le droit de partir par contrat bénévole (rires). Ça me permet d’écouter des nouveaux groupes, de rester au fait de l’actualité rock, et de travailler avec une équipe de zinzins passionnés. C’est ma maison de cœur depuis 10 ans. Et je remercie encore l’ancien président Mallis de l’avoir montée en 2003 et d’avoir été un mentor si précieux.
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