Peux-tu te présenter ?
Je suis Jean Marc Leclercq mais dans le monde de l’espéranto je suis JoMo, c’est plus simple que mon nom complet. Je suis toulousain, mais je me promène beaucoup, et je suis musicien.
La musique est venue comment dans ta vie ?
Elle est là depuis toujours ! Je me rappelle que quand j’étais enfant, j’avais vu Jerry Lewis, l’acteur, à la télé et je trouvais qu’il faisait un métier formidable : il faisait rire au cinéma. Je trouvais ça formidable. Un jour, une copine m’a apportée des partitions des Beatles. Ça ne l’intéressait pas. Elle me les a données et sur ses partitions, il y avait la position des accords à la guitare. J’ai compris les positions. J’ai acheté une guitare et j’ai commencé par « Penny Lane » des Beatles. C’était en 1976.
Le punk a été important pour toi ?
Oui, tu dois bien comprendre qu’avant c’était du rock progressif avec Yes ou Genesis…. C’était très fort techniquement et puis arrive des mecs énervés qui font de la musique avec trois accords. On s’est dit : « ça on peut le faire » (rires). J’étais fan des Ramones. Pour moi ils faisaient vraiment le lien entre le rock que l’on aimait et le punk.
A partir de là, tu vas faire beaucoup de groupes ?
Oui, beaucoup, comme les Diam’s mais finalement j’ai fondé les Rosemary’s Babies.

On a l’impression que tout de suite le côté « Arty » est aussi important que le côté « rock » pour toi ?
J’ai commencé, effectivement par le côté punk, le côté 1,2,3,4… et on y va. Mais comme je voyageais pas mal, je suis arrivé assez rapidement sur le côté « ethnique » de la musique, tout le côté qui a une influence étrangère.
Tu trouvais que le rock n’avait pas assez d’intérêt ?
Cela s’est fait naturellement sans grande réflexion. J’ai commencé à remonter l’arbre généalogique des Beatles qui ont fait des reprises et je regarde qui a fait quoi. J’ai demandé à des amis, comme Michel Bonneval (futur guitariste de Gamine et des Surrenders, NDLR), qui est Hank Williams ou Larry Williams. C’est comme ça que j’ai découvert que Hank Williams était un blanc qui avait inventé la Country et Larry Williams, un black.
Tu vas découvrir l’Espéranto dans les années 80. C’est quoi l’Espéranto ?
C’est une langue qui a été créée à la fin du 19éme siècle par un type qui s’est dit que ce serait bien de créer une langue commune qui n’appartiennent pas à un pays, un dictateur ou une région. Une langue qui serait un pont pour communiquer entre les gens de façon égalitaire. Il y a eu des milliers de projets pour créer une langue et c’est la seule qui ait vraiment marché. L’UNESCO l’a recommandé comme langue. Elle est dans Google traduction et même dans Wikipedia. C’est la seule que l’on peut utiliser et il y a des rencontres un peu partout comme en Espagne ou en Allemagne. Moi, je me balade pour les rencontrer, tous ces gens de culture différente.
Tu as beaucoup voyagé tout de suite ?
Au moment où je suis devenu professionnel de la musique, je vais proposer un spectacle en espéranto qui va beaucoup intéresser les organisateurs de ces rencontres. Je suis allé, comme ça, deux fois au Japon, aux USA, en Australie, deux fois au Brésil… Beaucoup de beaux voyages, un peu partout parce que l’Espéranto est partout mais toujours avec un support musical.
C’est quoi musicalement ?
Un peu de rock, de blues… J’ai adapté des boucles et je commence le premier couplet en m’accompagnant à la guitare, ensuite j’ai des petites lignes de basse et je monte comme ça avec de la disto… On part sur deux directions avec l’histoire du rock avec le blues, le folk et le Cajun. Ensuite je pars sur des choses plus ethniques avec une chanson en chinois qui me plait bien.
Tu parles combien de langues ?
J’adore les langues et j’en ai appris plus de trente… Aujourd’hui j’en parle une dizaine.
Tu parles couramment l’espéranto ?
J’ai commencé à le parler en 1988 et comme je l’utilise presque tous les jours, j’ai un bon niveau. Je suis en contact avec des Espérantistes par mail ou par téléphone de manière quotidienne.
Il y a donc des Espérantistes un peu partout dans le monde ?
Oui, un peu partout… Toulouse, par exemple, est un centre important avec beaucoup de jeunes, des échanges avec d’autres pays comme la Pologne….
Pourquoi est-ce que l’espéranto n’est pas plus répandu dans la musique ?
Pour plusieurs raisons, tout d’abord parce que l’Espéranto est développé par des bénévoles dont le but est de rencontrer des gens. Ce n’est pas reconnu par les autorités. La France a voté deux fois à l’ONU contre le fait que ce soit une langue « officielle ». Comme il n’y a pas de vrai statut, et que cela reste amateur, il n’y a pas ce côté « professionnel ». C’est pour ça que cela reste confidentiel !
On pense qu’il y a de 100 000 à 3 000 000 de personnes qui parlent l’Espéranto.
Oui, certains l’ont appris jeune et ne s’en servent plus. Le monde est bien couvert. L’été dernier j’étais à Arusha en Tanzanie pour le congrès mondial. J’ai chanté là-bas !
Est-ce l’esperanto qui a nourri ta musique ou est ce la musique qui a nourri ton amour des langues ?
C’est la question ! Je ne saurais pas dire. Ce sont les deux à la fois ! J’ai une approche très musicale des langues. Elles ont chacune leurs mélodies et elles utilisent des fréquences différentes : le russe très grave, l’anglais très aigu.
Sur l’album live des Fils de Joie qui va sortir, il y a un morceau en Occitan. Je suppose que cela vient de toi ?
Bien sûr, je suis président de l’association qui fait la promotion de la langue.
C’est paradoxal : tu es musicien très internationaliste et pourtant tu fais la promotion d’une langue très locale ?
C’est une vision française : je défends la diversité culturelle de la planète. Je suis à Toulouse, je défends l’Occitan, je serais en Bretagne, je défendrais le Breton, je serais au Tibet je défendrais la langue Tibétaine contre les Chinois… Ce qu’on appelle le patois Occitan est une langue extraordinaire qui a sa propre histoire. Par exemple il existe une charte de l’Occitanie de 1226, écrite en Occitan qui abolit l’esclavage. Toute personne qui franchissait les murs de la ville de Toulouse était libre et on était au Moyen-âge… Toutes ces cultures ont construit une brique de l’histoire. Je défends les langues, pas les territoires. Dans notre association, l’IEO, fondée en 1945 il y avait Tristan Tzara, le surréaliste. Donc on reste dans son esprit : on défend la langue et que la langue !
Est-ce que pour toi la musique est un moyen de passer toutes ces langues, parce que tu viens d’un rock ? As-tu trouvé que le rock était un peu … réducteur ?
Non, peut-être qu’avec du recul il y a une opposition, mais sur le moment non ! Je me suis éclaté en faisant du rock et parfois il y avait des ponts avec d’autres cultures !
Tu as consacré ta vie à l’espéranto ?
Oui, mon premier contact était en 1988 où j’ai commencé à apprendre. Je me suis beaucoup promené tout de suite, notamment dans les pays de l’Est. Je suis un « propagateur » des langues, pas un militant parce que cela englobe trop de discipline.
Le groupe de ta jeunesse, ce sont les Rosemary’s Babies qui ont bien marché ?
Oui, on a même été jusqu’en Chine où nous avons fait deux concerts. C’est à la fin du groupe que j’ai commencé à me lancer dans la scène Espéranto. C’était un trio où chacun avait sa place. On avait mis en place des titres en serbo-croate, on mettait des touches qui venaient de moi, on a essayé de faire de l’Espéranto… Quand le groupe s’est arrêté, je me suis retrouvé avec des projets que j’initie, notamment sur l’Espéranto.
Sur l’album Live des Fils de Joie, tu reprends « Varsovie » un morceau des Rosemary’s Babies. Pourquoi ce titre ?
C’est une décision d’Olivier et de moi. Lui, en tout cas, a pensé que cela rentrait bien dans l’univers du groupe. A la grande époque des Fils, je jouais avec les Diam’s et on avait des thèmes de morceaux assez similaires. On connaissait des titres du groupe par cœur. On était très branchés par ce qui se passait dans le monde. « Varsovie » rentrait dans la liste.
Tu as écrit trois livres ?
Oui, en Occitan, j’ai écrit un roman à la suite d’une dizaine de voyages en Ukraine sur une partie méconnue de l’histoire de ce pays.
Il y a un public pour ça ?
Oui, très réduit mais il y a un public, très universitaire, mais il y a toujours eu une littérature occitane ! Il y a un renouveau de ce mouvement avec le Larzac dans les années 70. C’étaient des cheveux longs (rires). Ici il n’y a pas de partis occitans qui demandent l’indépendance.
Comment s’est passée ta rencontre avec Olivier et les Fils de Joie ?
Ça s’est passé à la fin des années 70. J’avais un groupe au lycée, avec lequel on a bien fait chier nos parents, qui s’appelait Caniveau parce qu’on est des punks (rires) ! On a tourné New Wave et on a voulu changer de nom. On n’arrivait pas à en trouver un. En marchant dans la rue, j’ai vu une affiche sur une porte de commerçant. Il y avait marqué « Concert de rock avec le groupe les Fils de Joie ». Ils avaient trouvé un super nom. On est allé voir ce concert et on a adoré. Il y avait de supers morceaux. Le bassiste, Daniel, que je remplace maintenant, était incroyable et en répétition je refaisais ses basses. On était un peu concurrents et on a fait des concerts en commun notamment dans les facs. On avait pris le nom des Diam’s. Il y a eu un gros trou parce qu’Olivier était monté à Paris. Le chanteur des Diam’s a fait la même chose et ils se sont retrouvés à Paris. Mon ami m’a prévenu qu’il avait retrouvé Olivier et que parfois ils faisaient de la musique ensemble. Un jour, Olivier m’a proposé de refaire les Fils avec lui. Je n’ai pas hésité une seconde, en plus je connaissais toutes les paroles et tous les morceaux.
Aujourd’hui tu es le bassiste des Fils de Joie ?
Complètement, on a fait des concerts à deux notamment au Ravelin.
N’est-ce pas compliqué ou même frustrant, pour quelqu’un comme toi qui es un vrai artiste et musicien de reprendre des morceaux que tu n’as pas composé ?
Ce sont des morceaux que j’adore ! Je me fous des chanteurs, moi je respecte les morceaux et j’adorais tous les morceaux des Fils. J’étais fan du bassiste et j’essaye de respecter son travail. C’est un vrai plaisir, sachant qu’on va commencer à faire des morceaux en commun avec Olivier !
Tu as fait trois disques en Espéranto et tu tournes dans ce réseau. Ce n’est pas du tout le même public ?
Un peu, même s’il y a toujours un peu un public jeune. Il y a quelques années j’ai croisé un Iranien qui m’a dit qu’il me connaissait parce qu’il avait entendu des cassettes de moi, qu’ils se passaient sous le manteau en Iran, parce que c’était interdit d’écouter ce type de musique. Ça m’a fait plaisir ! Tu imagines ? On m’écoutait en cachette en Iran ! Le public espéranto est content quand s’est chanté en espéranto.
Mais c’est un public très universitaire ?
Il y en a mais il y a aussi des jeunes qui viennent faire la fête et se bourrer la gueule ! Il y a les deux publics !
Il y a des groupes ou artistes importants de l’Espéranto ?
Il y a des artistes qui tournent beaucoup. Il y a un groupe de métal Brésilien dans la veine de Sepultura qui marche bien. Il y a un duo folk néerlandais et ensuite il y a moi (rires). Je fais une dizaine de concerts par an. Par exemple, je viens de jouer à Béziers parce que le club local fêtait ses soixante ans. Il y avait une quarantaine de personnes ce qui est bien pour une ville de cette taille.
Es-tu pleinement un Fils de Joie aujourd’hui ?
Oui, même si je fais partie de la version 2 du groupe mais j’étais très proche du groupe originel. On allait à tous les concerts. Je suis presque un historique du groupe ! C’est un plaisir mais c’est étrange. On a tous vécu nos 20 ans, nos 25 ans et puis on a vieilli en idéalisant notre jeunesse. Moi, je revis ma jeunesse en jouant dans le groupe dont j’étais un immense fan : c’est un sentiment étrange !
Vous avez le même public qu’à l’époque ?
J’ai été surpris, quand on a commencé à deux on est allé en Bretagne dans une soirée et il y avait des gens dans le public qui chantaient les paroles. C’était étonnant ! Il y a des jeunes aussi, heureusement, qui ont connu le groupe par leurs parents.
Il y aura-t-il une chanson en espéranto dans les Fils de Joie ?
Je pense que oui, je vais le proposer en tout cas. Pas toute une chanson en entier mais avec des bouts d’espéranto peut-être. Ça me plairait bien mais il faut que cela soit justifié par le thème.
Tu es un peu militant sur certains sujets ?
Je n’ai jamais écrit une chanson d’amour ! Je suis resté fidèle à notre jeunesse où nous écrivons des textes engagés avec notre époque. Par exemple, « Varsovie » est un texte qui parle du moment où à la réunification de l’Allemagne, des mouvements nationalistes allemands ont voulu reprendre la partie « allemande » de la Pologne. Personne ne s’en souvient mais moi cela m’avait marqué. C’est à ce moment que j’ai écrit ce morceau.
Mais l’esperanto te permet d’écrire sur thèmes importants ?
Oui, ça aide mais chanter en espéranto te permet d’avoir déjà une notion internationaliste.

Dans certains pays, comme la Chine, tu ne dois pas être accueilli les bras ouverts ?
C’est bizarre mais les Chinois ont fait la promotion de l’Espéranto dans les années 80 et 90. Ils éditaient le plus beau magazine d’Espéranto. C’est très paradoxal sans grande logique…
Tu continues à travailler sur des albums d’Espéranto ou tu as ralenti à cause des Fils de Joie ?
Un peu des deux, bon à la base je suis un peu feignant (rires), je grossis ma production en espéranto mais le travail avec les Fils passe un peu avant.
Tu as marqué quoi comme profession sur ton passeport ? Tu pourrais marquer troubadour ?
Ce serait bien mais ce n’est pas reconnu partout ! Surtout que dans la littérature troubadour, il y avait un côté militant et en plus ils ont inventé le mot « amour ». Il vient de la littérature occitane, en français c’était « ameur » et il ne représentait que le côté physique sans la relation homme-femme.
Tu as beaucoup de forme mais surtout beaucoup de fond. Il n’y a pas de clichés dans ton attitude !
Je me méfie des clichés ! Par exemple, j’aime beaucoup la voix de Julio Iglesias et tout le monde se foutait de moi. Je n’aime pas ce qu’il fait, ni le personnage mais sa voix est incroyable et pourquoi je ne pourrais pas apprécier sa voix ?
Tu as plus de liberté dans l’Espéranto que tu auras en français avec les Fils de Joie ?
Je ne me pose pas la question mais quand tu vois les textes d’Olivier. Il y a des références un peu partout qui sont bien explicites. C’est un grand auteur ! A l’époque, on faisait même des citations des Fils de Joie dans nos conversations.
Des textes qui sont, malheureusement, toujours d’actualité !
Complètement… et ça fait drôle !
Quels sont tes projets ?
Je suis dans la continuation de tout et je suis en train d’écrire un livre qui va s’appeler « Toulouse est le centre du monde ».
Le mot de la fin !
Toulouse est le centre du monde !
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’amener vers la musique ?
« With the Beatles » parce que c’est le disque avec des reprises et où le groupe montre ses racines.