Comment est né ce livre ?
J’ai rencontré Marc Guillemot à l’occasion d’un précédent livre, « Tempêtes, témoignages de marins », dans lequel parmi d’autres marins, il me racontait sa vision de la tempête et dont il a écrit la préface. L’année dernière, j’ai écrit un article sur son nouveau bateau innovant MG5-Metarom, mi-croisière, mi-course, intégrant des éléments d’autres bateaux de course. Il préparait alors la Route du Rhum. Je lui ai donc proposé ce projet de livre d’entretiens biographiques qui me semblait vraiment intéressant à ce moment précis. C’est un grand marin qui a connu toutes les étapes de la course au large, en en étant souvent pionnier, et à 63 ans, il prend le départ de sa 6e Route du Rhum avec un nouveau bateau innovant. En plus, je crois que nous nous entendons bien. Comme il le définit lui-même, ce livre rassemble des « brèves de vie » : sa découverte de la voile, ses premières courses, les grands moments, les naufrages, les drames, les obstacles…
Ce format d’entretiens permet à Marc Guillemot de vraiment s’exprimer. C’est rare ! On découvre qu’il a fait partie de la première génération des marins professionnels qui arrivent juste après Éric Tabarly !
Il a navigué avec Tabarly qu’il admire beaucoup. Mais Marc fait partie de cette génération de marins qui seront les premiers à devenir professionnels en tant qu’équipiers. Patrick Morvan, skipper de Jet Services est le premier à l’aider à se lancer, comme il en aidera d’autres…
Ils vont être les premiers à être vraiment médiatisés, ils deviennent de vraies vedettes.
Il a vécu cette période ! Il est sur « Jet Service » comme équipier quand la voile prend de l’ampleur auprès du grand public.
C’est quand le grand changement ?
Comme il me l’a expliqué, Tabarly avait déjà une aura auprès de ce grand public mais la Route du Rhum 1978, où Mike Birch gagne devant Malinovski avec 98 secondes d’avance, et l’un des plus petits bateaux de la flotte marque les esprits ! Là, c’est un point de départ ! En 1984 quand Marc bat, en équipe, sur Jet Services IV skippé par Patrick Morvan, le record de la traversée de l’Atlantique, toute la presse est là ! Cela a eu un énorme écho avec une dimension « star » !
Marc a navigué avec Mike Birch qu’il admirait. Il vient de nous quitter. Je leur vois des points communs. Birchétait un marin mais aussi un aventurier, quelqu’un qui a eu plusieurs vies et curieux de tout avec en même temps un vrai côté compétiteur.
Quand on lit votre livre, on découvre le côté dangereux de la voile. Ce sont de vrais aventuriers qui sont dans un élément hostile, la mer, et qui n’hésitent pas à prendre des risques. Je pense que ta fascination pour eux, vient de là ?
Entre autres ! Je ne suis pas du tout marin mais je connais cet univers avec ma famille ou mes amis. Je ne connais pas la voile et suis d’autant plus impressionné par ce qu’ils font. C’est vraiment fascinant. Et puis, quand on est breton, on a forcément un lien avec la mer (rires).
Ce sont des gens qui pour gagner sont souvent obligés de prendre des risques ?
Dans le livre, il y a un moment où Marc évoque le risque. Il est souvent à la limite mais il fait attention parce que ce qui compte pour lui c’est d’aller au bout avec son bateau. Jamais ces marins recherchent le risque.
Il a perdu deux coéquipiers en mer et subit des accidents, dont un très grave où il passe 48h dans un état épouvantable sur un bateau en pleine tempête. Ils ont un côté très fraternel dans la mer.
Ils ont un côté fraternel c’est vrai : quand un marin a un souci à bord, tous les autres arrivent. Mais ils restent aussi des compétiteurs. Ils se croisent finalement tout au long de leurs carrières, comme coéquipiers ou concurrents et parfois amis. Je ne suis pas sûr que ce soit comme ça dans beaucoup de domaines.
Autre point : c’est un très bon commercial. Dans ces entretiens, il explique très bien que régulièrement, tous les deux, trois ou quatre ans, ils doivent aller chercher des sponsors à qui ils demandent de grosses sommes pour des bateaux qui valent des fortunes et avec des équipes importantes pour les encadrer.
Absolument : il faut être un bon communicant en plus d’être un bon marin. Il y a de très bons marins qui n’ont jamais fait carrière parce que ce ne sont pas de bons communicants ou commerciaux… C’est ça qui est fascinant aussi avec Marc Guillemot : il a un côté réservé et à côté il a un côté déterminé incroyable.
La voile, c’est aussi une école d’humilité ?
Je crois oui. Il faut composer avec les éléments, essayer de mener son bateau le mieux possible avec une quantité de facteurs qui ne dépendent pas de soi. Je pense que ça rend naturellement humble. Marc en est l’exemple, lui qui se considère comme un « éternel apprenti ». Il sait qu’on peut gagner un jour et perdre le lendemain.
Donc pour être un bon marin il faut trois qualités : connaître la mer, être un bon commercial et être un bon ingénieur.
Effectivement, il explique comment toutes les questions techniques le passionnent et sont importantes. Les jeunes générations sont très pointues, et peut être qu’elles se sont trop éloignées de la mer. Marc Guillemot a appris à naviguer au sextant et peu de jeunes marins savent le faire. Ce qui est un peu dommage. Mais lui est passionné des nouvelles technologies et n’a absolument aucune nostalgie du passé.
Mais la préparation des marins a aussi beaucoup évolué. A ses débuts Marc Guillemot et ses coéquipiers sont presque en rupture avec la société alors que maintenant les plus jeunes ont des préparateurs physiques, mentaux et ont une vraie préparation physique.
Je ne sais pas si on peut parler de « rupture avec la société » ! Mais c’est sûr que les marins dans les années 80 étaient moins sévères quant à leur hygiène de vie ! Ils pouvaient être un peu plus fêtards ! (rires). La voile a évolué et on voit apparaître effectivement des préparateurs dans plein de catégories. Les marins deviennent des athlètes. Mais ce sont tous les sports qui ont évolué ainsi.
Je suis d’accord mais les marins font face à un univers qui peut être instable et ils n’ont pas de système temporel : il n’y a pas la fin du match, il doivent aller au bout. C’est là où la voile devient belle parce qu’il y a des joies, des peines, des drames … Marc Guillemot le raconte très bien !
Oui, comment vit-on avec les drames de la mer ? Je pense que la plupart de ces marins vivent avec des fantômes. Ils vivent des drames et ils repartent avec tout ça en tête. Marc l’explique dans le livre : pour lui le plus important est de naviguer, surtout avec l’intensité de la compétition… Ils acceptent la part de risque avec une nature imprévisible. Il dit à un moment qu’il « apprend la mer » à chaque fois ! Avec un bateau différent, un âge différent, des caractéristiques différentes.... La mer est imprévisible, mais en course tu dois arriver avant les autres et contrairement à un plaisancier tu ne peux pas toujours éviter les dépressions ou les tempêtes. Il faut parfois les utiliser.
C’est fascinant ?
Oh oui, parce que ce ne sont pas des « têtes brûlées » mais ils sont dans un milieu où le risque existe vraiment. Ils doivent jouer avec tout ça et en plus c’est leur passion. Il y a un côté poétique et romantique chez ces marins.
Ce qui m’a frappé c’est que malgré les risques et les drames, ils y retournent !
Ça aussi c’est fascinant ! Marc a eu un très grave accident dans lequel il a perdu un équipier, comme il le raconte, hé bien malgré le drame, la proximité de la mort, la douleur, l’immobilisation, l’hospitalisation et la rééducation, il veut y retourner. La course au large, c’est sa vie.
Il y a aussi la transmission chez les marins. Ils aident souvent les jeunes. Il y a la compétition mais il y aussi ce besoin de partager leurs expériences ?
C’est vrai ! On voit la transmission dans d’autres domaines, mais pour eux, dans cet environnement, ça prend une autre dimension. Il y a comme un passage de relais : Marc a navigué avec Morvan, Tabarly, Birch et il a fait naviguer des marins plus jeunes qui sont devenus aussi skippers.
Il appartient à une génération qui s’est faite seule ?
En tous cas, elle a défriché le terrain à une époque où tout était à faire.
Ce sont donc de vraies stars ?
Il suffit juste de regarder les pontons de Saint Malo pour le départ de la Route du Rhum qui sont plein de monde avec des animations. Le grand public est vraiment fan de la voile maintenant.
Il explique aussi dans votre livre, qu’il y a plusieurs catégories de bateaux ?
Oui, pour la Route du Rhum, Marc Guillemot sera dans la classe Rhum multi qui est un peu « fourre-tout » mais surtout la plus proche de la course originelle, parce qu’il n’y avait pas de catégories à la base. Les gros bateaux très rapides sont souvent davantage regardés mais dans la classe où il est, il va batailler contre Roland Jourdain, Gwen Chapalain, Halvard Mabire ou Charlie Capelle et cela va donner une très belle course.
On a l’impression que cette Route du Rhum est très importante pour lui ?
Bien sûr parce que la Route du Rhum c’est sa course : C’est sa sixième participation avec un nouveau bateau… C’est important pour lui !
La mer a un côté très solitaire. Pour avancer, ils doivent avoir une synergie avec la mer ?
Une synergie, je ne sais pas mais la comprendre oui ! Il a appris la mer par l’expérience !
Autre point évoqué dans ton livre : les navigatrices !
Il en a croisé beaucoup, comme Florence Arthaud pour qui il a beaucoup d’amitié et de respect. Il a mis en place des duos mixtes avec des jeunes. Il raconte dans notre livre comme il a été admiratif de la combativité des navigatrices comme Pip Hare, Samantha Davies ou Isabelle Joscke lors du dernier Vendée Globe en 2020. Elles parviennent à compenser les écarts de force physique avec une intelligence différente. La technologie a permis à plus de femmes de naviguer.
Ce sont les Français qui ont donné les lettres de noblesse à la voile ?
Je crois. Dont beaucoup de Bretons ! Ce qui est logique et naturel (rires).
Quel est ton ressenti pour Marc Guillemot ?
De l’admiration ! Pour son parcours, son talent, sa combativité et son honnêteté.
On parle de ton éditeur ?
« Voiles et Voiliers », qui est réputé dans le milieu de la voile, notamment pour son magazine. On a eu un timing très serré : on a commencé les entretiens fin avril et le livre est sorti le 21 octobre pour la Route du Rhum. J’avais en fait contacté les éditions Ouest France avec qui j’avais déjà publié deux livres et ils ont transféré à Voiles et Voiliers, qui fait partie du groupe. Cet éditeur préparait une collection « grand public », Voiles d’aventure, lancée par notre livre. Ça tombait bien.
Quels sont tes projets ?
Un livre d’entretiens avec Miossec et plusieurs autres projets en cours de discussion.
Tu vas suivre la Route du Rhum ?
Bien sûr et surtout il y a #tousderrièremarco ! On sera avec lui !
Marc Guillemot
Toujours en course
Entretiens avec Grégoire Laville
Édition Voiles et Voiliers
https://voilesetvoiliers.ouest-france.fr/boutique/7502-marc-guillemot-toujours-en-course.html