On connaissait Stéphane Signoret comme guitariste et on te retrouve écrivain. Comment cela s’est passé ?
Il y a quelques années, j’avais commencé un scénario et une nouvelle mais sans jamais aller au bout. J’avais aussi travaillé sur une dystopie mais encore une fois sans la terminer. En septembre 2024, j’ai eu l’idée de cette histoire ; je m’y suis mis à fond et je suis enfin arrivé au bout. C’est la première fois que je finis un texte (rires). Et c’est mon premier roman édité.
Dans ce texte, tu parles de ton obsession pour New York, où tu révèles dans la préface que tu y as joué avec les Neurotic Swingers. Cela représente quoi pour toi New York qui est le vrai héros du roman ?
La ville est clairement le héros du roman ! New York est un peu un fantasme pour moi. Je partage avec le personnage principal une passion pour la “ Big Apple ”. J’ai eu la chance d’y aller cinq fois : en 1999, 2003, 2004, 2005 et 2022. Avec ma compagne, nous avons eu la volonté d’y habiter mais cela ne s’est malheureusement pas fait. J’ai aussi eu la chance d’y jouer deux fois avec les Neurotic Swingers. J’ai surtout été “ biberonné ” par d’innombrables films et séries. Quand tu arrives là-bas, tu as presque la sensation d’être figurant dans Taxi Driver ou Serpico ! Tu as un peu l’impression de rentrer chez toi, ou du moins se retrouver en terrain connu. Donc oui, j’ai une passion pour New York. Pas autant que le héros mais presque : j’adore cette ville. D’ailleurs dans le roman il y a une dispute entre lui et sa femme où elle lui balance “ arrête de nous faire chier avec New York ”. Cette dispute est un peu l’élément-pivot de l’intrigue. Je dois avouer que ça pourrait s’inspirer d’éléments réels (rires). Il fallait que j’écrive ce livre pour faire ma psychothérapie de New York (rires).
Le New York dont tu parles est celui dont on a tous rêvé : Television, les New York Dolls avec Jerry Nolan et Johnny Thunders, les Ramones, Blondie et surtout Richard Hell avec lequel ton personnage va monter un groupe. On assiste au tournage de “ Taxi Driver ”, il y a le Chelsea Hotel et même au concert du groupe qu’il a monté il y a Andy Warhol. Il y a vraiment tous les fantasmes de New York !
Oui, c’est ça. Mais j’ai essayé aussi de mettre en avant le côté noir du New York de l’époque. Au début, le héros se promène dans ces lieux qu’il vénère, comme un enfant dans un magasin de jouets. J’aurais aimé me téléporter là-bas à cette époque. Comme c’est impossible j’ai écrit ce roman…
Pourtant on te voyait plus comme voulant être à Londres en 1976 plutôt qu’à New York en 1974.
Même si j’aime beaucoup le rock londonien, la ville de New York et son architecture m’ont toujours plus attiré.
A la lecture de ton livre, on remarque la précision de la description de la ville. Tu as travaillé avec un plan de la ville ?
(Rires) J’ai une petite “ fascination ” pour les cartes. Dès que j’arrive dans une ville, j’étudie les plans et la géographie du lieu. Je connais par cœur celui de New York. Je tenais à ce que ce soit cohérent et que les gens connaissant la ville ne soient pas déroutés. Je regarde parfois des films se passant à Marseille. Je suis toujours choqué quand je vois une course poursuite dans laquelle les images ne correspondent à rien. Il fallait que mon personnage se déplace de manière logique dans la ville. A New York, les avenues verticales croisent les rues horizontales et tout est numéroté, sauf justement les Alphabet Streets. C’est assez facile.
Tu as un style très agréable : court et précis avec des dialogues et des descriptions des lieux très réalistes, surtout que la ville en 1974, comme tu le précises au début de ton livre, est presque en dépôt de bilan.
J’ai tenté de garder un certain équilibre entre les descriptions et un rythme assez dynamique du récit. Pour travailler sur le texte, j’ai également relu des livres passionnants sur New York, qui sont cités à la fin ; notamment “ Au-delà de l’avenue D ” et “ New York 73-77 ”. Ces bouquins expliquent très bien la situation : la ville étant en dépôt de bilan et subissant d’importantes coupes financières, les syndicats de police et de fonctionnaires distribuent des flyers dans les gares et aéroports, indiquant “ bienvenue dans la ville de la peur, ne prenez pas le métro, ne sortez pas après six heures du soir parce qu’il n’y aura pas personne pour vous aider… ”. La ville était totalement livrée à elle-même.
On comprend très bien à la lecture que la ville va très mal, notamment quand Jerry Nolan et Richard Hell disent à ton personnage “ ne va pas plus loin l’Avenue D. Tu ne reviendras pas ”.
C’est une maxime connue à New York pour décrire le côté coupe-gorge du quartier Alphabet City : “ Avenue A, you are Alright, Avenue B you’re Brave, Avenue C you are Crazy, Avenue D you are Dead ” (rires). Je me rappelle qu’en 1999, je me suis bien sûr baladé par là et je n’étais pas vraiment tranquille. Cela semblait encore un peu… chaud.
Tu voulais montrer la réalité un peu glauque de l’époque ?
Oui, derrière tout fantasme, il y a un côté plus réaliste. Le livre “ East village blues ”, écrit par une française résidant là-bas à l’époque, raconte crûment la situation. Par exemple, quand le personnage va habiter Avenue B, on lui dit de faire très attention lorsqu’on rentre chez soi. Il y a tout un rituel pour ouvrir la porte d’entrée de l’immeuble en échappant aux éventuels voleurs.
La drogue circule partout à l’époque ! Ton personnage se retrouve à habiter dans un appartement où il y un chat sous coke et héroïnomane ! C’est drôle et glauque !
(Rires) J’avais lu cette anecdote quelque part et j’avais trouvé marrant de l’adapter et l’utiliser dans le livre. Tout le monde baigne dans la drogue, même le chat !
Mais pourquoi a-t-on autant fantasmé sur cette ville, cette époque et sur cette scène ?
Au-delà de la scène musicale, New York dans les années 70 est un fantasme lié à tous ces feuilletons et films que l’on a ingurgité enfant et adolescent. J’ai grandi avec ces décors. Il y a aussi peut-être une sorte de mélancolie. On a subi cet “ impérialisme ” culturel américain avec une sorte de consentement parce qu’il y a d’excellents groupes, des très bons films et romans. Tout cet univers nous est devenu intime.Et les titres du Velvet Undeground, Blondie, Ramones, Television et autres Talking Heads sont un peu devenus la bande-son de nos vies.
Dans ton livre, tu ne parles pas du Max Kansas City, l’autre club légendaire.
Je voulais vraiment axer sur le CBGB. Ce moment unique où Television fait ses quatre concerts là-bas et l’instant où l’étincelle jaillit.
Tu racontes des trucs incroyables comme la séparation de Richard Hell avec Television qui s’est passée en trois minutes sur un trottoir. Ça s’est passé comme ça ?
Non, cette anecdote est une pure fiction. L’idée est que le personnage arrive pour voir Television et que s’ils ne jouent pas, il n’y aura pas de scène du CBGB. Le pitch vient de là : Television donne quatre concerts qui vont changer l’histoire du rock New-Yorkais (et du rock mondial, NDLR), imaginons que ces concerts n’aient pas lieu ? Comment réparer ce manque ? La suite est dans le livre (rires).
Tu fais répéter à ton personnage, Tom, Richard Hell et Jerry Nolan des titres comme “ Born To Lose ” ou “ Blank Generation ”, des titres hypers connus qu’ils ont écrits. C’est un peu… costaud !
C’est un peu gonflé, c’est vrai (rires). J’aime bien ce type de paradoxe temporel. Tom le personnage principal jouant dans un groupe“ Tribute rock à New York ”, connaît tous ses titres par coeur.
Ce sont des morceaux que tu as dû jouer ?
Certains oui : Born to lose ou Ain’t it fun par exemple. Pour la sortie du roman on va faire une soirée le 21 novembre à Lollipop et du coup on va former physiquement les “ New York Toys ”. On va donner corps à ce groupe fictif et jouer les morceaux du roman, probablement pour la première et dernière fois.
Tu as mis une playlist à la fin.
En tant que disquaire, j’étais un peu obligé ! Ce fut un moment de longue et intense réflexion (rires). Cette playlist correspond à l’état d’esprit des personnages ou à certains décors ou à certaines situations. J’ai pris beaucoup de plaisir à la constituer, comme à écrire le roman. La playlist doit contenir plus de 60 titres.
Tu racontes que la première fois que tu vas à New York, tu vas au CBBG et tu vois un groupe qui fait des reprises des groupes de cette époque, comme s’il ne fallait pas que la fête se termine.
C’était un karaoké live qui reprenait les groupes des années 70 et 80. A chaque titre, une personne du public montait sur scène et endossait le rôle du lead-vocal. C’était marrant mais c’est vrai que cela sonne un peu comme la célébration d’une époque passée.
C’est un peu triste !
Oui, ça se passait en 1999, 25 ans après tout ça… donc oui c’est un peu triste. La programmation du CBGB était un peu moins de qualité qu’en 1974.
Tu as mis combien de temps pour écrire ton livre ?
Pour écrire la trame du début à la fin, ça a été relativement rapide, deux ou trois mois environ. Je voulais rapidement arriver au bout. Après je suis longuement revenu dessus en améliorant et étoffant le texte, en ajoutant des détails. Les dernières corrections ont été également un long processus. Disons d’Octobre 2024 à Juin 2025 pour tout le processus.
C’est quoi tes influences littéraires ?
Je lis beaucoup de choses différentes. Il y a longtemps, j’ai eu une période Hubert Selby Junior ou Bukowski. Puis Brett Easton Ellis, McInerney etc….
Très New Yorkais tout ça ! Je regarde tous les films se passant à New York, même les navets les plus navrants…
Tu vois un parallèle entre New York et Marseille ?
Oui un peu, même si je n’ai pas voulu situer mon personnage à Marseille, il habite une ville qui n’est pas nommée. Il y a en effet des parallèles entre les deux villes : l’insécurité, la drogue, la pauvreté, les fortes inégalités selon le quartier où tu habites, ce petit supplément de liberté, on s’y autorise des choses qu’on ne fait pas ailleurs … Mais aussi un bouillonnement culturel, une urgence créative.
Mais aujourd’hui à Marseille il y a des salles, pleins de groupes et donc on peut se demander si en ce moment vous n’êtes pas le nouveau New York de 1974 et qu’il n’y a pas que le rap ?
En 1974 à New York, c’est aussi la naissance du Hip Hop. Actuellement à Marseille il y a de nombreuses salles avec des concerts et plein de jeunes groupes. C’est une bonne époque pour faire de la musique à Marseille. Après il faut raison garder, on parle de groupes de la qualité de Television, Velvet Undergound, Ramones, Blondie, Talking Heads, Hertabreakers, Voidods etc…
Il serait un peu prétentieux d’affirmer que Marseille 2025 est le nouveau New York 1974.
Tu dois être à l’aise avec ce livre puisque on peut faire une comparaison, musicale, entre New York et Marseille ?
Peut-être… je me sens bien à Marseille, même si j’ai toujours des envies d’ailleurs…
On parle de ton éditeur ?
Melmac est une maison d’édition créé en 2016 par Patrick Coulomb, ayant sorti plus d’une soixantaine de livres dont certains dans la nouvelle collection Urban Vibes qui m’accueille. J’ai envoyé le texte à Patrick pour avoir son avis et en espérant peut-être secrètement une éventuelle publication. Quand je l’ai revu, il m’a dit que le texte serait le troisième livre de la collection Urban Vibes. Je suis admiratif de son activité : il sort beaucoup de livres de qualité dans différents styles, au rythme d’un par mois.
Tu n’aurais pas envie pour la promotion de faire des concerts avec ta guitare en reprenant ses morceaux ?
Je ne pense pas chanter assez bien… je pourrais le faire avec Patrick, le chanteur de Pleasures (son groupe, NDLR) mais je ne sais pas s’il a le temps et surtout s’il en a envie. On va déjà commencer par cette soirée chez Lollipop et après on verra. Je n’ai pas encore réfléchi à la promo. On pourrait toujours passer la playlist.
Je pense que la plus grande partie de la culture actuelle, que ce soit au cinéma, en peinture ou en musique, vient de cette scène New Yorkaise entre 1974 et 1980.
Un chapitre résume tous les événements artistiques qui se sont passés à New York entre 1950 et 1980, c’est impressionnant ! Je suis d’accord avec toi : une énorme partie de notre culture actuelle vient de ces artistes et musiciens.
Pourquoi cela s’est passé à New York à cette époque ?
Plusieurs raisons : d’abord les loyers bon marché ont attiré les artistes qui étaient fauchés, cela leur a permis de s’installer. Vu les loyers d’aujourd’hui à Manhattan et autour, un tel rassemblement serait impossible. Et puis New York a toujours été un aimant culturel. C’est une ville qui a une histoire culturelle forte et du caractère.
Donc ton livre est une bonne introduction à cette époque ?
Peut-être… Pour celles et ceux qui ne connaissent pas du tout le New York de cette époque, cela peut être un début assez ludique. Cela leur donnera peut-être envie de creuser.
Il y a quelqu’un qui est absente de ton livre, c’est Patti Smith ?
C’est vrai. J’ai d’ailleurs relu son livre “ Just Kids ” au moment de l’écriture pour me mettre dans l’ambiance. Même si j’ai du respect pour son talent et sa personnalité, elle ne m’a pas vraiment touchée musicalement. Une anecdote raconte qu’elle clamait partout à l’époque qu’il n’y avait pas de place pour 2 chanteuses à New York, c’était soit elle, soit Debbie Harry. Le titre du roman te laisse deviner vers qui j’ai penché (rires).
Pourtant des gens disent que c’est elle qui était à la base de cette scène.
Elle a bien sûr été très importante, elle écrivait également dans la presse des chroniques qui ont eu beaucoup d’impact. J’ai choisi de partir de ces quatre concerts de Télévision entre mars et avril 1974. Mais avant ça, il y aurait eu une sorte de résidence entre Television et Patti Smith durant deux ou trois semaines. Je ne sais pas trop comment cela s’est passé, si c’était une résidence privée ou publique. Donc elle était en effet importante et à la base du mouvement. Quoi qu’il en soit, pour les besoins de l’histoire, j’ai préféré axer le roman sur les quatre concerts que Television donne un peu plus tard seul.
Tu as d’autres projets littéraires ?
C’est un peu tôt pour en parler mais il y a un petit projet qui est en train de prendre forme dans mon esprit. J’ai écrit à peine une dizaine de lignes (rires). Je souhaitais attendre que le livre sur New York sorte pour passer à autre chose et m’y mettre. C’est un projet sur une autre ville et avec toujours de la musique.
Et tes projets musicaux ?
On sort chez Lollipop le nouvel album des Cowboys From Outerspace le 14 novembre. Et on est en train de composer le nouvel album de Pleasures.
Si tu devais choisir un disque à New York 1974 ce serait lequel ?
Richard Hell and the Voidoids avec “ Blank Generation ”. C’est un disque incroyable qui fait le trait d’union entre le Velvet Underground et la nouvelle scène. Sur le disque, il y a d’ailleurs Robert Quine qui va ensuite jouer avec Lou Reed et Marky Bell qui deviendra le batteur des Ramones Il a également créé le t-shirt “ Please Kill Me ” qui a marqué les esprits et deviendra le titre d’un livre sur cette époque. Richard Hell a été une sorte d’étoile filante qui n’a pas duré dans le temps, mais qui a brillé à cette époque un peu plus intensément que les autres.

