Ludovic-Jérôme Gombault ou comment évoquer le Storytelling

lundi 18 décembre 2023, par Franco Onweb

Apparu dans les années 90, le Storytelling est une méthode de communication qui a rapidement gagné les secteurs du marketing, de l’art et de la politique. Elle se fonde sur le principe de la narration, du récit… Un système auquel nous avons été habitués depuis notre petite enfance : faire passer un message ou des principes à travers des contes, est quelque chose que nous avons tous connu de la part de nos parents et autres.

Ludovic-Jérôme Gombault est un des meilleurs spécialistes de cette technique, qu’il utilise au quotidien dans son agence éditoriale « Storyteller ». Il a participé à beaucoup d’aventures et est devenu un des meilleurs spécialistes de cette technique si particulière, qui est désormais dans l’ensemble des communications des marques et des personnalités publiques.

J’ai demandé à Ludovic de m’expliquer et de décrire le Storytelling. Voici donc un entretien passionnant pour comprendre une des techniques de la communication moderne.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Ludovic-Jérôme Gombault. Je travaille depuis trente ans dans l’édition au sens large que ce soit pour les livres, les magazines ou le numérique. J’ai toujours vécu cette mission comme étant la rencontre la plus intime, ou la plus forte, entre un contenu et une audience. C’est la base pour moi : apporter au public des contenus qu’il attend, parfois sans le savoir. Quel que soit le support, il faut faire le lien entre un univers et le public ! Au début de ma carrière, j’ai été rédacteur, journaliste, petit scribe de l’ombre qui a commencé en bas… J’ai toujours écrit. Je me souviens qu’à sept ans, j’écrivais des poèmes, à quinze ans je continuais à écrire des poèmes romantiques, pas forcément meilleurs, et quand j’ai commencé, j’ai voulu toucher un public plus large.

Ludovic-Jérôme Gombault
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Tu as fait comment ?

J’ai été rédacteur, journaliste… scribe de l’ombre ! Le premier public qui m’est venu, naturellement, c’est le public des enfants. Ce que l’on appelle dans l’édition « la Jeunesse ». J’ai été éditeur, ce qui dans nos métiers correspond à celui qui corrige et harmonise le contenu. J’ai toujours ressenti la capacité de ce public jeune à s’intéresser au récit et à ce que celui-ci leur apporte. Je vois chez l’enfant et dans la jeunesse, une capacité à se plonger avec beaucoup de ferveur et de croyance dans ce qu’on va lui donner : un conte, un histoire… J’ai beaucoup produit de magazines pour des personnages emblématiques d’univers d’enfants. J’ai eu rapidement la chance de devenir rédacteur en chef de magazines emblématiques pour la jeunesse, à 26, 27 ans et puis de devenir rédacteur d’un groupe de presse à 31 ans. C’était tôt. Il a fallu que j’apprenne par l’expérience. Depuis je continue à raconter des histoires à un public. Aujourd’hui je le fais de manière un peu différente.

Tu as monté ta propre agence éditoriale ?

Oui, il y a 7 ans, en 2016, j’ai fondé mon agence éditoriale, Storytellers Média, nom qui m’est apparu comme une évidence. On parlait peu avant du Storytelling mais à ce moment-là le public professionnel de la communication, dont l’édition, a compris que toutes les formes de communication pouvaient passer par des techniques narratives et de récits. Mon but était de mettre en avant ma manière de faire, avec mes valeurs, comme raconter des histoires. On peut raconter l’actualité, on ne l’invente pas, mais on essaye d’apporter des techniques de récits narratifs pour la rendre plus touchante et attachante. Je suis un journaliste devenu un éditeur, devenu un entrepreneur avec toujours cette ambition de raconter des histoires.

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Quelle est ta définition du Storytelling ?

Le terme et la discipline, comme des techniques de marketing, viennent des Anglos saxons. La pratique n’a cependant pas été importée. Elle existait déjà avant dans la culture et la communication. Pour la définir, le Storytelling est une discipline, ou une méthode de communication, qui consiste à raconter une histoire pour trouver et toucher un public durablement pour vendre. Attention, il s’agit de vendre, de manière attachante et durable, soit un produit, soit un service, soit une marque, soit des valeurs… On va essayer de convaincre une audience en racontant une histoire. La technique c’est donc « je raconte une histoire… », comme si on revenait aux origines où je raconte le soir une histoire à un enfant. Ce sont les mêmes techniques.

Il est difficile de raconter une histoire s’il n’y a pas du passé donc peu d’affect ?

Une histoire n’est pas nécessairement constituée de moments forts, marquants ou de rebondissements… Une histoire, cela peut être juste une voisine qui va chercher du pain ou un enfant de deux ans qui ne peut dire que douze mots. Une histoire, ce sont des événements. L’exemple le plus simple c’est la publicité, qui utilise beaucoup cette technique, qui va raconter une histoire en quinze secondes. C’est le personnage qui rentre dans un magasin. Il vient parce qu’il a besoin d’un pare-brise car qu’il a roulé dans un nid de poules. Bien sûr c’est urgent et on lui trouve sa solution. Ça s’est histoire qui est née d’un micro-événement chez une personne.

On peut complexifier les scénarios ?

On peut y introduire une dose de suspens avec une personne qui vous demande de vous prêter son portable parce qu’il vient de se le faire volet et que c’est la première fois qu’il se trouve dans ce lieu.

On peut faire un lien avec des artistes ?

J’ai fait beaucoup de relations promotionnelles pour des artistes. On les accompagne beaucoup dans une forme de promotion parce que je ne suis pas attaché de presse mais je sais faire autrement. J’ai le discours qui dit « aujourd’hui le fait de téléphoner ou de proposer un artiste à différents médias, cela ne marche plus ». Il faut d’abord prouver que l’artiste est déjà connu et qu’il va amener quelque chose aux médias.

C’est compliqué de se faire inviter par des médias !

Oui, énormément, donc il faut raconter l’histoire de ces artistes. Attention, pas celle des vainqueurs de « The Voice » ou des télés crochets, parce que le travail est déjà fait. Ces artistes ont été très entourés ! Les autres n’ont pas un accès aussi important et on doit passer par des techniques de communications qui vont engendrer un attachement. Il y a des artistes qui n’ont pas percé mais qui génèrent des audiences plus faibles mais ce n’est pas ridicule parce qu’ils créent une communauté qui a ses propres médias. Je suis absolument convaincu que le Storytelling permet de faire émerger des talents : des artistes, des chefs d’entreprises, des auteurs... On va rendre une personne attachante en racontant son histoire !

Quelle est la différence entre ton travail et une agence de presse ?

C’est très différent ! Il y a des agences de presse, des agences éditoriales et des agences de communication. L’agence de communication utilise les nombreuses techniques de communication pures pour vendre un produit ou un service. Elle utilise souvent, en plus, la publicité pour la vente.

L’agence de presse ?

L’agence de presse va agréger des contenus avec des journalistes et des vidéastes. Elle va recueillir ses contenus, soit sur demande soit sur proposition, pour les vendre. Elle va commercialiser un travail comme des photos ou des vidéos.

Différents magazines, partenaires de Storytellers Medias
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Et l’agence éditoriale ?

L’agence éditoriale crée sur mesure des contenus éditoriaux pour des médias. Lorsque le média veut communiquer, il vient nous voir en nous proposant de nous acheter du contenu qui respecte leur ligne éditoriale, leur charte graphique ou leur charte digitale… On peut publier pendant plusieurs années, jusqu’à 10 ou 15 articles par jour pour un même média. Sinon ça peut être un média qui n’a pas une image de marque « au top » et ils nous demandent de réfléchir à des contenus qui pourraient à la fois favoriser leur croissance et leur visibilité. A partir de là on peut créer un média qui rehausse la marque avec des belles images, des contenus pertinents, bref l’inverse de leur image… Notre objectif est donc de capter des contenus éditoriaux avec la meilleure visibilité possible.

Ça passe donc tout ça par le récit sous forme d’interviews ou dans l’écriture pure ?

Bien sûr le Storytelling peut prendre des formes infinies. Par exemple, si on prend un jeune artiste qui démarre, qui a son propre univers, et bien nous allons travailler sur son Storytelling à travers son Instagram. Il racontera sa journée, sa promotion mais aussi sa vie quotidienne… On a défini avant que c’est sur compte Instagram qu’il a son public. C’est capital de déterminer la cible, pour qu’il puisse communiquer avec son public. La clé la plus importante du Storytelling est de générer de l’émotion. Si tu mets en avant la tournée mondiale et avec qui il a joué tu génères aucune émotion mais c’est avec son trajet personnel et le chemin qu’il traverse que tu peux communiquer. C’est là que tu peux créer des homonymes et créer de l’empathie.

Le Storytelling n’est-il pas un moyen de recadrer ou de relancer une image de marque par rapport à des écarts ». On a vu des gens qui avaient fait une faute « morale » avoir des reportages dans la presse « grand public » pour rehausser ou juste sauver une image de marque ?

A partir du moment où il s’agit d’une méthode de communication, on peut tout faire, y compris tromper les gens pour les rallier mais aussi les tromper. Mais si un conseiller en communication veut sortir quelqu’un de la panade, il sera obligé de raconter l’histoire falsifiée, non authentique et le Storytelling est totalement étanche au mensonge. C’est la marque du vrai ! Si on essaye de manipuler le public, il s’en rend compte à travers cette communication biaisée. Le Storytelling cherche à connaître son sujet pour déclencher de l’empathie, pas de nous mentir. Si tu vas dans le mensonge, le Storytelling t’explosera à la figure puisqu’il ne supporte pas le manque de vérité. Il n’est fait que pour explorer des histoires vraies, humaines et quotidiennes. Si un conte de fée raconte qu’un enfant ne doit pas se battre dans la cour, il va comprendre tout de suite la leçon de morale et exploser. Par contre si on parle au cœur, au cerveau de votre auditoire, c’est-à-dire au siège de lui-même et bien ça fonctionnera parce que ce sera fait dans un but sincère.

Exemple de Storytelling : la publicité Carglass - Droits réservés

Ton activité est de fournir du contenu en Storytelling à différents médias en fonction de l’actualité ?

Pas que ça : je fais aussi de l’actualité en la racontant de manière brute et factuelle ! Il est difficile de marier le factuel et le Storytelling, mais on y arrive parfois avec par exemple une collection sur les soixante ans de carrière de Johnny Hallyday. Si on travaille en fonction de son public, on va raconter des choses touchantes pour raconter sa vie sans rien omettre. Pour ça on va utiliser les techniques narratives. On a aussi une collection « les grands guerriers du monde » qui parle des Samouraïs, des Vikings, des Centurions… On a connu la méthode de nos livres d’histoire qui étaient très ennuyeux, avec des images pas excitantes, bref on s’endormait dessus… Aujourd’hui il y a d’autres méthodes : on peut parler les faire re exister par l’Intelligence Artificielle, on peut raconter leurs journée, par exemple celle d’un centurion. C’est très différent comme approche mais ça ouvre de l’intérêt.

Tes clients ont donc besoin d’une communication « différente » ?

Ils ont besoin de l’ajout d’un ADN narratif !

Tu parles aussi du Brand Content. Peux-tu le définir ?

C’est la conception de contenus éditoriaux ou journalistiques au profit d’une marque. Une marque ne communique plus qu’au travers de la publicité en achetant de l’espace. Aujourd’hui les marques veulent communiquer différemment sur leur histoire ou leurs valeurs. Pour créer ces contenus, elles font appel à une image de communication ou éditoriale pour créer des contenus pour les médias. Cela peut être par exemple de créer l’Instagram d’une marque pour raconter son quotidien, par exemple d’un journal : la conférence de rédaction, une interview ou alors les nouveaux numéros du journal. Tu fais des petites vidéos que l’on appelle virales, avec Konbini par exemple. Tu parles de tout sauf du journal ! Par exemple, la semaine de la sortie d’un film, tu vas interviewer l’acteur principal : il parle de tout, de sa vie, ce qu’il aime, ce qu’il fait, mais pas son film. A travers ça on ne dit pas au public « allez au cinéma voir le film » mais au contraire on a généré de l’intérêt pour une personne qui joue dans un film qui vient de sortir. C’est de la communication éditoriale pour les marques.

Honoré de Balzac
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Mais cette technique narrative de communication existe depuis longtemps, avec par exemple « Salut les copains » dans les années soixante qui mettait en scène des romans photos ou même Balzac au 19éme siècle ?

Je l’ai fait pendant 10 ans, notamment pour la Star Academy. Si tu prends le cas de Jenifer, la petite secrétaire qui voulait devenir chanteuse et une autre chanteuse qui dit qu’elle a un clip qui a coûté très cher avec pleins d’effets spéciaux et une grosse tournée, le public va choisir qui il veut. Ce sont justement les Balzac et autre Flaubert qui ont permis de trouver les racines du Storytelling dans le narratif et les romans. On est tous plus ou moins attaché à un héros de fiction ou à un chanteur populaire sauf quand les médias commencent à raconter sa vie privée, en annonçant une naissance ou un divorce par exemple…

Le Storytelling est une façon de bien raconter des histoires simples pour des personnes morales ou physiques ?

Il y a cette notion de style qui joue bien sûr et la mécanique narrative ! Une histoire devient captivante quand elle comprend les ressorts émotionnels de son public. En faisant ça, il a beaucoup de chances de trouver son public. Ça peut être de la joie, de la peine, de la mélancolie. Il y a aussi l’exemple des feuilletons quotidiens à la télévision, les ressorts narratifs et l’identification que va faire le public des scénarios va générer un Storytelling très fort. Il faut juste choisir la bonne histoire.

Tout le monde fait du Storytelling, tout le monde se raconte…

C’est un peu vrai… mais avec plus ou moins de talent. Il faut une capacité à écouter l’autre avant de lui parler. Je suis enseignant en journalisme. A mes étudiants, j’explique que si un interlocuteur prend la parole, il faut pouvoir avoir un récepteur pour comprendre son message. Si tu ne saisis pas bien ce qu’il veut dire, tu as peu de chance de pouvoir répondre à ses attentes. Il faut s’intéresser à ton récepteur et arriver à quelque chose qui soit entre vous deux, quelque chose de médian donc de média. C’est l’exemple d’une personne âgée qui perd son chien à la boulangerie le matin. Comme elle est assez irascible et pas sympa, tu la ramènes chez elle pour qu’elle arrête de crier sur les gens. Tu retournes à la boulangerie et là tu fais un panneau qui dit que le chien est perdu et que c’est son seul compagnon, là tu auras créé un média.

Quand la publicité s’empare du Storytelling - Droits réservés

Ta démarche est totalement différente de la presse qui garde une ligne éditoriale ferme ?

La ligne éditoriale c’est la promesse à ton public, ça signifie traiter les choses sous un certain angle. C’est une manière de correspondre à des opinions que le lectorat attend. Il ne raconte pas toujours la même histoire en fonction du lectorat.

Mais le Storytelling n’est-il pas une manière de déboulonner les grandes stars ?

Pas du tout, on peut certainement trouver une antinomie entre le discours narratif et la communication purement promotionnelle, comme pour un paquet de lessive. Il est certain que les stars du commerce vont avoir du mal avec les marques qui communiquent mieux, c’est-à-dire de manière délicate, sensible ou émotionnelle mais le côté « achète le disque c’est une star » ne fonctionne plus, mais aujourd’hui plus personne ne le fait. Britney Spears ne se serait jamais relevée sans du Storytelling et encore c’est difficile. Le Storytelling donne sa chance à des produits, à des marques, à des personnes qui n’ont pas toujours les moyens de s’offrir une grande tribune !

Autre exemple, Marylin Monroe ou Salinger n’auraient jamais été de grandes stars avec le Storytelling puisqu’ils ne se racontaient pas !

Le Storytelling ne raconte pas forcément une personne. Il peut raconter une œuvre ou les films de Marylin. Il peut être aussi celui de l’absence comme Salinger. Tu peux raconter le travail de l’individu, le roman d’un auteur avec ses valeurs ou le nom. Mais il y a des gens qui ne vont vendre que sur leurs noms comme Guillaume Musso. En revanche, un jeune auteur qui va apparaître et qui n’a pas les moyens d’apparaître dans les grands médias on va développer son parcours : comment il est arrivé, comment il a publié… Et contrairement à ce qu’on pense les « fils ou filles de » vont avoir plus de problèmes parce qu’on va les inviter partout mais pour de mauvaises raisons et ce sera beaucoup plus compliqué pour eux de créer de l’empathie.

Toutes formes de communication vont passer par du Storytelling ?

Non, absolument pas, c’est une des techniques parmi d’autres qui peut être employée !

Mais aujourd’hui avec, notamment les réseaux sociaux, on doit trouver une justification à ses achats ?

Pas forcément, si tu regardes « The Voice », on va te dire d’acheter ce disque, comme un produit… Ce n’est pas du Storytelling !

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Mais ça ne marche plus !

Ça marche moins, ça continue encore d’exister mais la carrière sera plus dure sur la longueur. Le dernier gagnant de « The Voice », par cette méthode de communication « classique » a vendu beaucoup moins que le premier. A l’époque on écrivait les histoires des jeunes talents : sa vie, ses amours, avec qui il s’était disputé… On racontait l’histoire de ce gamin qui après allait chanter ! Cette méthode narrative a créé de l’émotion et de l’empathie directement dans notre cerveau et nous a attaché. 22 ans plus tard Jenifer est toujours là avec ce côté « petite fiancée préférée des Français »… comme Bardot en son temps ! C’est donc une méthode mais toutes les autres méthodes autre que le Storytelling ne sont pas épuisées !

Mais aujourd’hui le storytelling permet de véhiculer des valeurs ?

Un enfant rentre de l’école et dit à son père « on mange quoi », tu réponds des pâtes. L’enfant dit « non pas encore des pâtes, chez maman on mange autre chose », là si le père en profite pour sortir des plats cuisinés d’une marque, c’est gagné pour cette marque ! Mais si cette marque te dit « j’ai les bons aliments, je suis bio, écolo et je fais du commerce équitable », ce n’est pas du Storytelling. Par contre si dans une pub qui a l’habitude de communiquer comme Jacques Vabre, va mettre en forme une histoire où un acheteur va dans une plantation acheter du café, là il crée une Storytelling avec le côté bio et équitable. Cette histoire, il va l’importer avec lui dans les magasins pour ses opérations de promotion en restant dans un réseau précis. Par contre tu ne pourras faire pareil en allant dans les magasins « discount » parce que tu n’aurais que des choses sur le pouvoir d’achat.

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