Les Temps Modernes : quand la pop rencontre le jazz avec élégance

lundi 14 février 2022, par Franco Onweb

Les Temps Modernes ! Derrière ce patronyme se cache deux musiciens : Alexander Faem, musicien ultra présent sur la scène rock et pop et Nicolas Leoni, jazzman impeccable. L’association de ces deux talents a donné un disque inclassable et superbe : Les Temps Modernes ! Un album où les influences des deux artistes se rencontrent dans un ensemble impeccable. Un disque moderne et résolument inclassable ne pouvait que m’intéresser. Pour en savoir plus, j’ai envoyé des questions à deux artistes que vous allez adorer aimer !

Qui êtes-vous ? Présentez-vous musiciens par musiciens

AF : Alexander Faem, auteur compositeur interprète, producteur et créateur du label Chantage Records… Je suis parolier sur l’album « Les temps modernes »

J’ai commencé la musique à l’âge de 11 ans par le solfège et la guitare classique dans une école de musique près de Rouen. Ensuite, j’ai formé divers groupes de rock avec les copains du collège puis du lycée… Beaucoup plus tard je me suis mis à écrire mes propres titres à l’aide d’un quatre pistes à bande… Ce fût le point de départ de ce que je suis maintenant.

NL : Nicolas Leoni, pianiste et compositeur, 45 ans ; méditerranéen qui a jeté l’ancre en IdF depuis quelque temps. J’ai vécu entre Cannes Nice et l’Italie et aujourd’hui je suis installé en Banlieue Sud de Paris. Je travaille avec Alex et d’autres artistes sur des projets de différents registres (slam, théâtre, accompagnement, Jam sessions animations).

Je bosse dans le milieu musical par passion, ce n’est pas mon activité professionnelle principale.

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Quel a été votre parcours en musique pour vous deux ?

AF : Toujours à Rouen, j’ai rencontré Jean-Emmanuel Deluxe et nous avons composé le Tribute to Delon/Melville qui est devenu « culte » avec des invités prestigieux : Héléna Noguera, B. Burgalat, Jacno, April March, Saint Etienne, Ariel Wizman et Luis Rego…

Je me suis installé à Paris où J’ai ensuite formé Gulcher avec Ronan Queffeulou, Alexandre Rouger et Laurence Remila (Technikart/Schnock), on a sorti deux albums ensemble, puis un troisième avec Johan Dalla Barba comme chanteur… Parallèlement, j’ai sorti plusieurs albums solo dont le notable « Agent 238 ».

En 2014, j’ai formé avec Clément Juttel The Gallant Club… Nous finissons actuellement notre deuxième album.

NL : Aussi loin que je me souvienne, la musique a toujours exercé sur moi une puissante et magique fascination. Il y a toujours eu de la musique à la maison. Ma famille cultivait un certain goût pour l’art et la musique même si c’était conventionnel. Quand j’avais 5 ans, je me souviens avoir été bercé par les cassettes que mon père passait : Simon and Garfunkel et la comédie musicale « Les Misérables », même du Glenn Miller. Je me souviens également de la passion de mon père pour Chopin qui ne manquait pas de crier au génie chaque fois qu’il nous faisaient écouter sa compil’ interprété par Rubinstein. Quand mes parents se sont installés dans leur domicile définitif dans le sud, ils ont acheté un piano droit car ils me destinaient à des études au conservatoire. Mon père voulait que j’assure là où précisément il n’avait jamais pu accéder et ma mère estimait que le flambeau du piano devait continuer à briller dans la famille. J’avais 8 ans, je trouvais que c’était cool de jouer du piano comme ma mère. Ma mère, qui a toujours été scolaire, se souvenait de quelques morceaux qu’elle était encore capable de déchiffrer. j’écoutais La sonate au Clair de Lune de Beethoven en fermant les yeux. Je trouvais ça beau et complètement mystérieux. Parallèlement, les multiples génériques de dessins animés et séries et BO de cinéma dans lequel baignait tout gamin de mon âge, ont eu une influence certaine dans ma vocation musicale. Moi, je voulais comprendre et surtout savoir jouer la musique que j’entendais !

J’ai eu donc un parcours qui a commencé au conservatoire, par des études de piano classique assez brèves et franchement décevantes qui se sont réduites 5 années laborieuses de déchiffrage de morceaux chiants comme la pluie. Je me souviens que les deux dernières années avant d’être disqualifié du cursus, j’entrais dans l’intensité émotionnelle de l’adolescence en découvrant la pop anglo-saxone, le rock progressif et le RAP californien en particulier qui était entrain d’exploser dans les clips. J’ai toujours profondément aimé la musique classique (particulièrement la musique russe post XIXe siècle) mais pas ce qu’on me donnait à déchiffrer et, à ce moment-là j’avais envie d’explorer d’autres univers qui me parlaient davantage. Les sonorités du jazz et plus particulièrement le groove afro-américain étaient en train de m’appeler. À 14 ans, je voulais savoir composer comme Elton John ou jouer du Boogie Woogie. J’ignorais tout de l’Harmonie mais certains accords venaient résonner en moi comme jamais. J’ai découvert la puissance des neuvièmes en repiquant « Riders on the storm », j’ai découvert la force lumineuse des septièmes majeures en écoutant du Ennio Morricone.

Quand j’ai échoué aux examen pour la poursuite du cursus de piano au niveau supérieur, j’ai bifurqué en classe de jazz durant deux années au sein du même conservatoire pour ne presque rien apprendre, techniquement parlant. Mais le conservatoire a été également le lieu où j’ai bénéficié de l’enseignement du compositeur et pianiste Jean-Michel Bossini et qui a constitué véritablement mon initiation artistique et musicale. Encouragé par son enthousiasme devant ma créativité, j’ai pu enfin m’autoriser à exprimer la musique que j’aimais et me débarrasser de cette image de cancre qui me collait dans cette institution depuis des années. Avec Bossini J’ai appris l’ethnomusicologie, l’harmonie, l’improvisation, l’arrangement, l’écoute, l’histoire des différents mouvement artistiques etc. j’en redemandais, tous les élèves étaient fans de ce prof. Jusqu’à la Fac, j’ai suivi ses cours au sein du département de musicologie et des arts du spectacle, parallèlement à mon cursus d’Histoire. Il nous faisait découvrir des musiques actuelles et des styles du monde entier.
C’est avec Bossini que je suis né à la musique, j’apprenais enfin ce que j’avais toujours voulu apprendre !

La deuxième composante de mon parcours a été l’école de la scène, et des multiples expériences de groupes de musiques actuelles dans des styles variés où j’ai développé mon goût de la musique narrative et de l’improvisation ; j’ai exploré davantage les références que Bossini nous avait présentées en cours. Durant cette période, j’ai fait beaucoup de recherche et d’expérimentations en autodidacte. J’ai développé plus en profondeur le jazz, la composition et le travail créatif, l’art du Busking (musique de rue), joué du piano bar dans différents hôtels et restaurants entre la France et l’Italie, écouté une infinité de styles et de groupes qui m’ont inspirés, collaboré avec différents artistes, plasticiens, peintres etc.

Enfin quand je me suis installé en région parisienne en 2007, j’ai éprouvé le besoin de me remettre à niveau techniquement et de consolider mes bases. J’ai pris des cours particuliers de jazz puis je suis retourné au conservatoire pour suivre un cursus adulte en jazz et pratique collective à Châtenay Malabry puis à Antony. A Paris, j’ai rencontré beaucoup d’artistes et autant d’opportunités de collaborer sur des projets dans différents univers (Théâtre, chanson pop, Slam, quintet de Jazz etc). « Les Temps Modernes » en fait partie.

Quand le groupe a-t-il commencé et à quelle occasion ?

AF : Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années, je ne sais plus à quelle occasion, la seule chose dont je me souviens est que j’ai rapidement apprécié la personnalité de Nicolas et son univers musical entre jazz et mélodies contemporaines.

NL : Le groupe c’est la rencontre improbable de deux artistes passionnés de musique à une soirée.

Alex me faisait découvrir ses multiples influences et la richesse de son univers. On a échangé comme ça de manière informelle chacun menant ses projets de son côté mais nourrissant une belle amitié d’années en années. Moi je suivais un cursus Jazz très exigeant et passais mes soirées en Jam la plupart du temps. Après un certain temps, convaincu pour deux que nous devions tenter un projet d’album concept ensemble, Alex m’a lancé sur « les Temps Modernes », il avait écrit la plupart des chansons. On naviguait entre dystopie et satyre érotico-sociale, ça me parlait En lisant les textes des suites d’accords me venaient. J’avais carte blanche. Alex avait entièrement confiance en ce que je lui pondrais. On était en 2013, je venais à peine de sortir de ma grotte pour écrire des musiques pour un jeune poète slameur dont les textes magnifiques appelaient d’être portés par une musique habitée. J’ai dit « oui » par amitié, par confiance, et parce que j’ai toujours été stimulé par des expériences nouvelles. Composer des chansons, je ne savais pas faire, je ne l’avais jamais fait, c’était pas mon monde mais j’y ai vite pris goût. On se réunissait, je proposais une instru au piano, j’ai rassemblé des bouts de compos qui trainaient depuis des années sur des carnets. Alex chantait on rectifiait le style, la mélodie. On ne se bridait sur rien et en même temps on ne laissait rien passer qui puisse nous tirer une grimace de désapprobation. Alex nourrissait mon inspiration avec ses références pop rock très nombreuses et très éclectiques. J’ai découvert de véritables pépites.

Travailler sur « les temps modernes » ça a été plusieurs heures pour chaque chanson pendant 5 ans, mais ça a été aussi la consécration d’échanges, de confiance et d’amitié. C’est très important pour moi que les artistes avec qui je travaille soit des personnes avec qui je suis aligné humainement, ça n’a pas toujours été le cas.

Quelles étaient vos influences à la base du groupe ?

AF : Pour moi elles sont multiples : la musique contemporaine et expérimentale (Philip Glass, Riyuchi Sakamoto, Tuxedomoon…), le punk (Stranglers, the clash, Père Ubu…) mais aussi la pop française la plus subtile (Elie et Jacno, Gainsbourg, Sheller…).

NL : « Les Temps Modernes » a une esthétique qui révèle une multitude de styles et quelque part la synthèse d’influences très variés que ce soit chez Alex ou chez Moi.

Ma culture pop est assez limitée par rapport à celle d’Alex, mais j’absorbe comme une éponge les musiques qui m’inspirent. J’ai été très influencé par Tears for Fears, le Rock Prog’ comme Marillion, Sting, Radio Head, le Metal progressif, Boards of Canada, l’électro des années 2000 et quantité d’influences classiques et de compositeurs de musiques de film tels Philippe Sarde, Woicjek Kilar, Michael Nyman, Ennio Morricone, John Williams, Craig Armstrong et de musiques minimalistes (Steve Reich, Philip Glass) et j’en passe.

Quelles ont été les dates de concerts importantes ?

AF : Nous avons fait peu de dates car l’album vient de sortir et on est soumis à pas mal d’annulations en raison de la pandémie… bref, nous attendons toujours cette grande date !!

Vous avez enregistré combien de disques avant cet album ?

AF : C’est notre premier album ensemble… mais nous sommes en train de réfléchir au second opus…

NL : Personnellement, « Les temps modernes » est mon tout premier album

Comment êtes-vous arrivés sur Martyr of Pop ?

AF : Je connais Jean-Emmanuel Deluxe depuis 25 ans maintenant et j’ai souvent collaboré avec Martyrs of Pop sur d’autres projets.

Pourquoi ce label ?

AF : C’est le label d’un passionné de musique (Jean-Emmanuel Deluxe) qui aime et connaît parfaitement la pop mais est aussi ouvert aux styles musicaux plus déviants.

Vous sortez un album « les Temps Modernes » il a été fait où, avec qui et quand ?

AF : Nous avons enregistré l’album il y a trois ans …nous l’avons produit Nicolas et moi mais c’est Clément Juttel de The Gallant Club qui a mixé et masterisé l’album.

Pourquoi ce titre « les Temps modernes », c’est un hommage à Chaplin ?

AF : Ce n’est pas un hommage à Chaplin directement mais pour ma part un simple clin d’œil ironique car le monde que nous décrivons dans cet album n’a rien de moderne… Il est plutôt rétrograde et la pandémie qui nous touche actuellement n’a rien arrangé… En deux mots, c’est le train-train d’un individu lambda qui cherche sa place dans un monde matérialiste où le cynisme et l’individualisme sont les normes… C’est l’histoire de sa désillusion…

NL : C’est son remake je dirais, transplanté au 21e siècle ; l’individu face aux machines, c’est-à dire au totalitarisme numérique consumériste mou. Le personnage récurrent des « Temps Modernes » n’a pas la grâce prolétaire d’un Chaplin indigné et révolté ; c’est un type assez superficiel ; sans relief dont l’apparent conformisme ne le satisfait pas entièrement et le questionne. Enfant qu’on suppose millénium, il se dilue dans un univers absurde et routinier dominés par le divertissement et la comédie sociale sur les réseaux.

Pourriez-vous décrire le disque ?

AF : La pochette a été réalisée par Stéphane Pianacci avec qui je travaille depuis plusieurs années… Il est à l’origine de pas mal de pochettes de mon label Chantage records…

Le disque est composé de 11 titres, c’est un album concept assez grinçant autour d’un anti-héros, petit cadre sans relief, perdu entre ses amours d’un soir, son aveuglement face à une société matérialiste vouée à l’échec et de plus en plus kafkaïenne et son envie de poursuivre l’aventure humaine en ayant des enfants…

En écoutant l’album on trouve beaucoup d’ambiance différente mais globalement c’est de la pop ! Êtes-vous d’accord ?

AF : Oui nous avons privilégié le format pop pour nous exprimer…pour certains, on a un côté variété chic à la Sheller/Gainsbourg/Daho mais il y a aussi des influences « electro » indéniables ainsi que des ambiances cinématographiques… Nous voulions surtout une pop d’aujourd’hui et pas une pop passéiste…

Qui a composé et qui écrit les morceaux ?

AF : C’est Nicolas qui se charge des compositions et des arrangements et moi des textes.

NL : J’ai entièrement composé et pensé la musique de chaque chanson. Alex me précisait quel genre d’atmosphère il voyait sur tel ou tel texte, ce qui me guidait dans les multiples directions que pouvait prendre la musique. La mélodie à proprement parler naissait ensuite de cette instrumentation. Alex chantait et on fixait la mélodie qui sonnait le mieux.

Les textes : d’où vient l’inspiration ? De quoi parlent-ils ?

AF : Nous sommes partis sur l’idée d’un album concept autour d’un individu, de ses amours, de ses déboires, de sa vie au travail… Donc d’un schéma narratif avec un début, un milieu et une fin même si parfois nous aimons brouiller un peu les pistes et les références.

Nous avons Nicolas et moi une fibre très littéraire… pour ma part, j’ai hésité entre la littérature et la musique… J’ai finalement décidé d’être musicien mais je garde toujours dans mes projets l’idée d’amener une certaine profondeur dans les textes, une lecture qui pourrait être double, triple… un double sens, une métaphysique.

Comment se procurer le disque ?

AF : Sur le site de Modulor notre distributeur, sur les sites Fnac, Gibert, Cultura.

Quels sont vos projets ?

AF : Nous allons bientôt nous mettre à l’écriture du deuxième album avec Nicolas… Mais je ne peux pas vous en dire plus…

Y a-t-il des concerts prévus ?

AF : Nous jouons à Paris au Walrus le 16 avril prochain et nous attendons confirmation d’autres dates…

Sur scène nous sommes accompagnés de Lucas Thang aux programmations/DJ et d’Aurore Daniel au violoncelle (elle joue sur l’album aussi).

En concert
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Que pensez-vous de la situation actuelle et de celle que nous venons de vivre avec la culture mise en silence ?

AF : Malheureusement la pandémie n’a pas arrangé les choses sur le plan culturel… Dans un paysage français déjà bien sinistré par l’absence de budgets publics ou privés consacrés à la promotion d’artistes qui aiment défier le mauvais goût ambiant… Un paysage où la musique n’a jamais été une priorité surtout si celle-ci est indépendante et ne se conforme pas aux diktats commerciaux.

NL : Je crains que nous soyons entrés dans une époque néo-puritaine obsédée par les corps parfaits vitrifiés et par la bonne santé livrée à toutes les charlataneries. La génération d’enfants-bulle issue de cette dystopie n’en a rien à foutre de la culture et de l’altérité qu’elle implique. Personnellement je suis effrayé à l’idée qu’un algorithme ou une appli décide de notre identité d’artiste ou autre.

La culture est devenue une caution du spectaculaire marchand : On fabrique des idoles ou des modes pour mieux vendre des attitudes en club, des fringues ou faire la bande-son d’une pub pour voiture ; mais ce n’est pas propre à notre temps.

Quand je me suis installé ici, j’ai été tout de suite saisi par l’électricité, le foisonnement artistique qui irradiait les quartiers de Paris. Je sortais souvent, je happais l’énergie créative qui se déployait. Aujourd’hui l’intramuros est devenu un lieu aseptisé, inaccessible, excessivement cher et verrouillé par les délires de ses édiles sur fond d’ordre écolo-sanitaire.

Quand on vit des cachets en concert ou spectacle, les mesures sanitaires actuelles sont une mort programmée des petits artistes qui se produisent où ils peuvent. Ceux qui font partie des majors et de l’industrie du divertissement n’ont rien à craindre, ils seront toujours protégés par le monopole.

Empêcher les gens de venir voir des artistes C’est peut-être un moindre mal ; que de ne jamais sortir de cette pandémie. La mort de la sociabilité par la fermeture des lieux de culture ne signifie pas pour autant mort de la culture. Le double mouvement de la scène vers le public et vice versa est une énergie vitale pour l’artiste, mais il existe d’autres vecteurs de diffusions de la parole des artistes, via des plateformes ; des concerts en plus petit comités, etc.

Le mot de la fin : vous pouvez dire ce que vous voulez ?

AF : Un mot pour tous les artistes « Tenez bon ! »

https://www.modulor.tv/releases/alexander-faem-nicolas-leoni-les-temps-modernes/
https://open.spotify.com/album/69bachul9ztmMTnu8Fprvi