Ian Chippett, rencontre pour un premier album “This is your Life”

mercredi 27 avril 2022, par Franco Onweb

Venu de la Grande Bretagne, Ian Chippett, est un de ses multiples secrets que la musique britannique nous offre régulièrement. Un merveilleux musicien élevé au son des Beatles et compagnon de route de la mythique scène de Canterburry. Alors qu’il vient, enfin, de sortir un premier album j’ai discuté avec cet expatrié anglais. Pour présenter un tel personnage, j’ai demandé à Jean-Emmanuel Deluxe, son producteur et ami, de nous le présenter dans une introduction juste en dessous.

Il y’a de ces artistes qui sont étouffé par leur égo et leur prétention. Dans mon parcours de journaliste j’ai souvent rencontré des « petits » groupes bien plus prétentieux que de grandes icônes. Ian Chippett est un génie encore trop méconnu. Il est bien trop passionné par l’écriture de ses chansons magnifiques pour être taraudé par l’ambition. Bill Fay, Sugarman et quelques autres furent des slow burner, que l’on a vraiment (re)découvert que des années après la sortie de leur premier album. Le cas de Ian Chippett est encore plus compliqué car bien qu’il ait plus que croisé la route de Pip Pyle (Gong, Hatfield and the North, Dashiell Hedayat), Jack Monk (dans Stars le dernier groupe de Syd Barrett avec Twink…mais le bassiste ne se rappelle plus de rien) ainsi que celle de Didier Malherbe (Gong), il n’avait jamais enregistré de disque. Un jour, Bertrand Burgalat m’avait présenté comme le Zorro de la pop, toujours partant pour réparer une injustice. Celle de Ian en était une. Mais Ian n’est point dans les regrets et l’acrimonie ! Au contraire , never explain, never complain pourrait être sa devise ! C’est un génie qui n’en est même pas conscient et passe son temps à minimiser son travail. Too modest for this place ! Alors ne croyez pas tout ce qu’il ne dit pas ! Il mérite vraiment une place dans l’histoire de la pop !

Jean-Emmanuel Deluxe

Peux-tu te présenter ?

Bien sûr, je m’appelle Ian Chippett, je suis d’origine britannique. Je suis né à Bristol dans un quartier populaire. Je suis allé à l’université à 18 ans et je suis revenu à Bristol pour être fonctionnaire jusqu’en 1978, l’année où je suis venu en France pour me marier. Depuis je n’ai pas quitté la France. Ici j’étais prof d’anglais. Je suis à la retraite depuis 2010 et je suis devenu musicien professionnel non payé (rires).

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Comment la musique est rentrée dans ta vie ?

Il n’y avait pas de musique dans ma famille sauf ma mère qui jouait très bien du piano mais elle ne voulait jamais jouer. J’ai commencé les cours de piano à 8 ou 9 ans. Ça a duré deux ans. Je jouais des trucs très simples. J’étais aussi enfant de chœur et grâce au piano j’ai appris le solfège, mais quand tu es enfant tu ne fais pas le tri et franchement ça m’ennuyait. Ce n’est qu’à 13 ans que j’ai vraiment eu le déclic. Je jouais avec des copains, pendant les vacances, et tous les après-midi, ils fredonnaient un air. Après leur départ j’ai allumé la télé pour regarder « Five O’clock club », une émission pour les ados. Là j’ai vu et entendu la musique qu’ils fredonnaient : c’étaient les Beatles ! Je n’en avais jamais entendu parlé avant. Tout de suite je me suis dit : « je veux faire ça ».

C’était normal pour un ado de cette époque !

Oui, mais je ne connaissais pas du tout. Tout de suite je suis allé voir un copain qui jouait de la clarinette et on a commencé à jouer ensemble. Bon, cela n’a rien donné. Je n’avais pas de guitare et on ne savait pas jouer. On a commencé à jouer alors chez nous, à apprendre. On essayait de faire les Beatles ou les Beach Boys, ce qui est dur quand tu as qu’un seul chanteur (rires). Ça m’a lancé !

Comment es-tu es arrivé à la scène de Canterbury ?

J’avais vu à la télévision le groupe Caravan. Je lisais beaucoup la presse musicale, qui était moins chère que les disques. Comme ça je pouvais parler musique avec mes copains sans investir dans des disques. J’ai vu à la télévision Richard Sinclair, le bassiste de Caravan et j’ai adoré sa présence, sa personnalité… J’ai beaucoup lu sur la scène de Canterbury dans la presse. J’ai acheté un disque d’eux et je n’avais jamais rien entendu de pareil. J’ai ensuite acheté les disques des autres membres de Canterbury comme Henry Cow.

Et ensuite ?

Plus tard, bien plus tard j’ai rencontré Aymeric Leroy qui est le spécialiste de Canterbury. Il a écrit un livre sur eux très complet. En 2001 il est venu s’installer à Paris et je lui ai écrit pour le rencontrer. J’y suis allé avec un copain avec qui je jouais dans un groupe. Il est venu et il a commencé à jouer des claviers avec ce groupe. J’ai ensuite rencontré Pip Pyle, le batteur de cette scène avec qui je suis devenu très copain. On a joué ensemble souvent avec le groupe. Aymeric voulait que l’on joue de plus en plus la musique de Canterbury mais on n’avait pas trop le niveau, donc ça a été compliqué.

Que s’est-il passé ?

Le groupe a fini par me virer parce que je ne jouais pas très bien. Je voulais faire des concerts et jouer ma musique. J’étais enfin tout seul et je n’avais pas de contact. J’aime beaucoup la musique de Canterbury mais c’est trop dur à jouer pour moi et j’aime pleins d’autres choses. Je tiens à préciser que je suis très ami avec des gens de cette scène et qu’ils apprécient ma musique.

Quand tu es arrivé en France, tu as eu un passage à vide en musique ?

J’ai jamais eu une carrière musicale avant mon album. Je faisais les choses dans mon coin et j’aimais écrire. J’ai beaucoup copié les autres avant de faire ma musique assez tard. J’ai acheté beaucoup de partitions pour apprendre la musique des autres. Ce n’est qu’avec l’internet et un musicien britannique, Pete Acky, que j’ai commencé à développer mon style. Il est inconnu en dehors de l’Angleterre. Il a fait six albums dans les années 70 sans faire carrière. J’ai découvert un site web sur sa musique et j’ai pu étudier ses chansons. J’ai beaucoup appris avec lui. Il a un style classique mais il fait les choses de façons inhabituelles.

As-tu fait beaucoup de concerts ?

Très peu, avec mon groupe qui s’appelait Safe Sex Tape, on a fait que les fêtes de la musique ou les fêtes privées. Les autres n’aimaient pas trop jouer en public alors que moi oui. On a fait nos débuts pour un petit festival sur Pete Acky en 2001. On a joué à trois. J’étais juste à la guitare. On a joué mes chansons et les gens ont aimé. Le groupe a évolué en fonction du départ et des arrivées jusqu’en 2004. Après je suis parti.

C’est là que tu as commencé en solo ?

Un jour j’étais dans ma petite maison qui est sur une île de la Seine et Pete est venu pour le weekend. Pendant qu’on buvait un coup dans le jardin, il m’a proposé de faire un album avec lui parce qu’il aimait bien mes chansons. Il voulait installer un studio chez lui mais ça a traîné. Il est mort après et le projet est tombé à l’eau.

Crédit : Joëlle David

C’étaient les titres qui sont sur l’album ?

Toutes les chansons sauf « Little suicide » et « Mon dernier amour » ont été écrites à l’époque du groupe. On en a joué quelques-unes en public mais pas tout.

Comment tu arrives à faire ce disque ?

Il y a 7 ans j’ai quitté Paris suite à mon divorce. J’ai acheté une maison à Vernon dans l’Eure qui était proche de ma maison de vacances et Paris. J’ai retrouvé sur Facebook, Jean Emmanuel Deluxe (fondateur et responsable de son label Martyr Of Pop, NdlR) qui habite à Rouen et que je connaissais il y a longtemps. Je lui avais proposé d’écrire des chansons. Je l’ai invité à venir me voir. Ce qu’il a fait. Je lui ai chanté quelques-unes de mes chansons. Il m’a mis en contact avec Olivier Collet (réalisateur de son album, NdlR) qui m’a proposé de faire un mini album. J’ai proposé alors d’avoir un thème sur l’album : la vie, enfin de la naissance à la mort.

C’était assez noir ?

Oui mais avec de l’humour et sans prétention. J’ai choisi quelques chansons et voilà. J’ai d’abord enregistré une chanson avec Olivier, chez lui, juste avec ma guitare et ma voix. Il a travaillé ensuite tout seul chez lui. Je suis revenu le voir quelques temps après. Il m’a fait écouter et j’ai été étonné. Ce n’était pas moi au début.. Puis après j’ai entendu ma voix. C’était bien moi ! Il avait tout retravaillé et ce n’était pas du tout ce que j’avais envisagé. C’était bien, mais curieux, et ça m’a plu. C’était « This is your life » qui ouvre l’album. On est alors parti du principe que j’irai une après-midi par mois faire une chanson et ensuite il retravaillait avec deux amis qui faisaient de la guitare et du piano. Ma contribution est donc minime : juste ma voix et l’écriture !

Et la guitare ?

Je joue la guitare sur « Suicide Note » mais il ne fallait pas que je le joue deux fois sinon j’allais me planter. Je ne suis pas capable de jouer deux fois bien le même morceau. J’ai joué aussi le dernier accord sur « I have wasted all my life ». Le reste c’est Olivier et ses amis.

C’est une volonté d’avoir un son aussi acoustique et assez « pur » ?

Je dois dire que l’album n’est pas du tout comme je l’avais envisagé mais je précise que je ne savais pas comment l’envisager (rires). J’allais chez Olivier, il me faisait écouter et je trouvais ça bien mais ce n’est pas comme j’aurais fait. Tous mes copains musiciens me le disaient : « c’est super bien fait ! Les musiciens jouent bien mais ce n’est pas toi. ». Je ne suis pas capable de faire un album comme ça. J’aurais peut être fait quelque chose de plus simple : guitare, basse, voix, batterie et quelques claviers mais moins de complexité. Je trouve vraiment qu’il est bien fait !

C’est un album assez court ?

C’est une question de temps et de budget : Olivier est très pris entre son travail et ses différentes activités.

Peux-tu nous présenter Olivier Collet ?

C’est un très bon professionnel qui faisait une sorte de jazz. Il s’intéresse à tout en musique : il a une énorme collection de disques, notamment en jazz. Il a arrêté sa carrière pour devenir disquaire. On ne se connait pas assez. On se voyait que pour les enregistrements et il est venu une fois chez moi à la campagne. Il vient de commencer à rejouer un peu de musique et c’est un excellent producteur.

Tu sors ton disque chez Martyr Of Pop ?

C’est Jean Emmanuel qui me l’a proposé. Ce disque existe uniquement parce qu’il me l’a demandé. Il a beaucoup de contact dans le business de la musique. Le disque a mis du temps à sortir et franchement sans Martyr Of Pop il ne serait pas sorti : c’est lui qui tout organisé. Je fais mes chansons et pour le reste je lui fais entièrement confiance.

Mais l’album est prêt depuis longtemps ?

Oui, au moins quatre ans et il est enfin sorti. A la base il devait sortir en 2019, mais il y a eu tout ce qu’on a connu. Je dois aussi dire que dans ma vie je manque d’ambition et que je suis très paresseux. La seule ambition que j’avais depuis mes 15 ans c’était de faire un album et c’est fait ! Tant pis si les gens aiment ou n’aiment pas : c’est fait !

Pourquoi avoir mis sur le disque le morceau « mon dernier amour » qui est différent des autres ?

C’est un moment important pour moi. Le jour où j’ai rencontré Jean Emmanuel et qu’il m’a mis en contact avec Olivier, il m’a aussi mis en contact avec une dame qui était de ses amis et qui venait souvent à Vernon. Il pensait que cela passerait bien entre nous. Je l’ai contactée sur Facebook et elle m’a répondu qu’elle venait le samedi suivant. Elle est arrivée et ça a été un coup de foudre entre nous. Deux jours après j’ai écrit deux morceaux sur elle, un qui était un peu une blague et j’ai écrit en anglais « Mon dernier amour », parce que pour moi, elle était la femme de ma vie. Quand on a commencé l’album, Jean Emmanuel m’a demandé quelque chose en Français avec du punch. J’avais ce morceau qui avait un côté Beach Boys. On a décidé de faire ça. Olivier a fait un super travail dessus. Il a réussi à placer cinq fois ma voix. C’est un super morceau qui est différent du reste de l’album même si je n’aime pas beaucoup ma voix dessus, ce qui n’enlève en rien le travail d’Olivier.

Comment sont les retours pour l’instant ?

Aucune idée (rires) ! J’évite de demander (rires). J’ai vu que des personnes l’ont acheté sur internet et c’est tout.

En concert
Crédit : Alexander Faem

Il va y avoir des concerts ?

J’ai joué à Paris avec Alexander Faem à Paris, un autre protégé de Jean Emmanuel à l’International. J’ai fait venir pas mal de copains. Ça s’est bien passé. J’ai fait une télé sur IDF où j’ai chanté une chanson en direct. C’était la première fois et une bonne expérience. Je sais que Jean Emmanuel travaille dessus, je le laisse faire.

A Paris, tu étais tout seul sur scène ?

Oui, je voulais avoir d’autres musiciens pour ce concert. J’ai demandé à Olivier s’il voulait faire la basse ainsi que à deux musiciens de Canterbury qui sont des musiciens exceptionnels. Mais je ne jouais que une heure donc ce n’a pas été la peine. Le concert s’est bien passé mais le souci est que les Français ne comprennent pas mes textes, alors que si je jouais en Angleterre cela se passerait mieux.

De quoi parlent tes textes ?

Pour moi c’est un jeu. Quand j’écris une chanson, il me faut une idée au début. C’est beaucoup plus facile pour moi. J’aime bien avoir des rimes et améliorer mes mots. Un morceau comme « Missing » a mis des années à être écrit. Si je trouve une phrase, ça arrive facilement, sinon c’est compliqué. J’ai constaté que mes meilleures chansons que j’écris sont sur la différence. Ma femme me disait que j’étais indifférent aux autres mais ce n’était pas vrai. Je me suis aperçu qu’avec le temps c’est quelque chose qui me touche. Il y a peut-être une relation de cause à effet. Avec le temps ça doit jouer. Pip Pyle adore mes textes par exemple. J’essaye de faire quelque chose d’un peu léger mais sérieusement.

Mais tu es contestataire ?

Je fais toujours le contraire de ce qu’on attend de moi. Ça m’énerve quand les gens disent des vérités vraies mais c’est marrant de dire le contraire (rires).

Quels sont tes projets ?

J’ai assez de chansons pour 10 albums et comme le temps m’est limité et j’ai décidé de faire un album par an sur Bandcamp. Je vais enregistrer mes chansons et tu pourras choisir mes chansons comme tu veux. Ça va parler des années de ma vie où je me suis retrouvé seul à Vernon et des rencontres que j’ai faites. Ça va parler de ma vie sans être ma vie. Je vais essayer d’être universel. C’est l’autobiographie de ma vie personnelle sans l’être (rires).

Tu veux dire quoi pour la fin ?

John Lennon a dit que les Beatles étaient plus connus que Jésus Christ, Paul McCartney était le plus grand mais moi j’ai six centimètres de plus que lui, je suis donc plus grand que les Beatles (rires) !

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