Nicolas Falez : Dés 2008 – 2009, il y a eu pour moi une réflexion sur l’après « Superflu ». Je voulais démarrer quelque chose de neuf et cela a d’abord donné Tancarville avec Cecile Beguery à la basse, Fabrice de Battista aux claviers et Christophe Gratien à la batterie. Puis il y a eu une parenthèse liée à nos vies perso et professionnelles, j’ai notamment passé quelques années à l’étranger. A mon retour, nous avons repris les choses là où nous les avions laissées mais il nous a fallu trouver un nouveau batteur. Et c’est là que j’ai retrouvé Ludovic qui nous a rejoints.
(Fontaine Wallace - Droit réservé)
Ludovic Morillon : Pour la petite histoire, nous nous sommes souhaité un bon anniversaire sur Facebook car nous sommes nés le même jour, mais pas la même année ! Et là, il me dit qu’il cherche un batteur pour son groupe. Ce à quoi j’ai répondu que je n’en connaissais pas beaucoup !
Tu as réussi rapidement à rentrer dans ce projet ?
LM : On me pose souvent cette question ! C’est vrai que j’ai joué avec Prohibition, qui a l’image d’un groupe violent, hardcore, mais j’ai toujours aimé les mélodies, les chansons, la pop. On m’a beaucoup sollicité pour faire des choses "dures". Quand Yann Tiersen m’a proposé de le rejoindre lors de sa tournée « Les retrouvailles », c’était parce qu’il voulait faire du rock. J’aimais beaucoup Superflu, surtout les textes, et quand Nicolas m’a contacté, dès l’écoute des 4 titres qu’il m’a envoyés, je n’ai pas hésité.
NF : On se croisait au Village Vert (le label sur lequel sont sortis les deux premiers albums de Superflu Ndlr) à l’époque où Ludovic était batteur de Luke. Je connaissais son parcours, bien sûr, mais je savais surtout que cela pouvait coller sur le plan humain. Cela s’est confirmé tout de suite.
LM : Le premier morceau que j’ai écouté, c’est « Sagittaire ». Nous sommes tous les deux sagittaire : un signe ! C’est même le titre que nous chantons ensemble sur l’album et sur scène.
https://www.youtube.com/watch?v=QNINiiPJ6Hk
Pourquoi ce nom, Fontaine Wallace ?
NF : Il désigne ces fontaines vertes que l’on trouve un peu partout dans Paris et qui ont été offertes à la ville par un riche Anglais, M.Wallace. Pour être tout à fait honnête, je n’ai découvert leur nom qu’au moment où Cécile nous a proposé d’en faire le nom du groupe.
LM : Également !
NF : La recherche d’un nom de groupe est souvent une recherche esthétique et sonore et, là, ça nous a tout de suite accrochés. C’est un nom en partie francophone, en partie anglophone. On a aussi développé son côté graphique, avec les deux lettres F et W, dont on se sert sur plusieurs de nos visuels.
Justement vous êtes un vrai groupe du XXIéme siècle, avec cette volonté de travailler avec le net : poster des titres et des vidéos. Il n’y avait pas ce besoin absolu de faire un album avec un label directement ?
NF : On se l’est dit très vite. On connaissait l’ancien monde, et on savait que c’était mort
LM : On n’a pas eu le choix : on devait avancer, enregistrer des titres, faire des vidéos …
Mais il n’y avait pas la volonté de sortir automatiquement un album ?
NF : Si, bien sûr. Mais ce n’était pas la priorité. On voulait s’emparer des outils d’aujourd’hui pour avancer. Pour autant, je n’oppose pas les deux mondes : avant d’être signé sur un label il y a vingt ans, je dupliquais des cassettes que j’envoyais à des compiles ou à des fanzines qui, eux-mêmes, les dupliquaient… C’était du « Do it Youself », de l’artisanat. On peut se dire la même chose, aujourd’hui, lorsqu’on tourne une vidéo à la maison et qu’on la diffuse sur internet. C’est la même idée de ne pas attendre que les choses viennent des autres.
LM : Avant, on maquettait de façon succincte et on enregistrait un album avec un label. Avec les moyens d’aujourd’hui, on n’a plus besoin de studio ou de label pour exister et nous qui avons connu les deux, nous essayons de trouver un équilibre. Pour des groupes des années 70, 80 que je connais, c’est beaucoup plus difficile que pour nous. Après, avouons-le, être bien entourés, ça aide beaucoup.
(Fontaine Wallace en concert - Droit réservé)
Quelles étaient les influences communes ?
NF : On ne s’est pas formés autours d’un truc précis, mais c’est vrai qu’on partage nos goûts depuis plusieurs années : Girls in Hawaii, Grizzly Bear, The National, Pinback, Tindersticks, Sonic Youth, Divine Comedy, Blonde Redhead, Nick Cave… On a tous passé quarante ans et on a eu le temps d’accumuler des influences diverses.
LM : Ce qui nous réunit surtout, c’est ce que nous jouons et comment nous le jouons.
Vous vous sentez proches de qui musicalement ?
NF : De retour en France après quelques années à l’étranger, je me sentais un peu déconnecté. Mais rapidement, j’ai vu qu’il se passait plein de choses en France : Chevalrex, Arlt, Requin Chagrin et tout le travail de La Souterraine … des gens qui prennent des directions très différentes, mais qui sont passionnants. Je me suis dit « super, c’est vivant ici… allons-y ! »
LM : En France, il y a le dernier album de Thousand que j’aime beaucoup, également Requin Chagrin. La plupart reste des groupes qui chantent en anglais.
On fait un petit récapitulatif : premières répétitions , premiers enregistrements et premier concert ?
NF : Janvier 2014, première répétition de Fontaine Wallace ; 2015, premiers enregistrements et automne 2016, premier concert aux Trois Baudets à Paris.
Dans vos premières interviews, vous n’étiez pas intéressés par le support physique ?
NF : On se posait la question de la finalité. Fallait-il regrouper nos morceaux sur un support physique ? Pour nous, c’est important parce que nous achetons encore des disques, mais on sait bien que ça n’est pas le cas de tout le monde. Puis on a rencontré l’équipe de Microcultures (leur label Ndlr). Ils nous ont permis de réaliser le disque : on en est ravis, même si, à la base, ce n’était pas évident.
Ca c’est passé comment la rencontre avec Microcultures ?
NF : Avec eux, on a tout de suite eu une discussion artistique. C’était formidable qu’ils nous proposent de rejoindre le label. Ce qui n’a pas empêché de monter une opération de prévente-financement participatif pour contribuer au budget. Parce qu’à un moment, il faut aussi payer la fabrication du disque, le graphisme, la promo…
LM : Ils ont eu dès le départ une démarche de label.
Qui a réalisé l’album ?
NF : Nous et Antoine Delecroix, l’ingénieur du son qui a enregistré et mixé l’album, dans son studio à Pantin.
Avec vos expériences, vous étiez capables de réaliser cet album ?
LM : Oui parce qu’on le fait tous les jours. J’adore la prise de son et je mixe presque tous les jours dans mon studio… Les maquettes ont été faites chez nous.
On parle de l’album ? On commence par les textes : d’où viennent tes inspirations ?
NF : La réponse la moins modeste que je pourrais faire est que j’écris ce que je voudrais entendre. J’aime bien travailler sur des atmosphères un peu sombres, crépusculaires. Et dans l’album, j’ai voulu travailler sur le « nous » : c’est quoi aujourd’hui être dans un groupe ? Vivre une aventure collective ? Une aventure humaine ? Je crois que ça s’entend dans « Une Odyssée », dans « Architecte » et dans « Quarantaine », au moins.
LM : D’un point de vue extérieur, je trouve les textes plutôt drôles, avec un second degré et une subtile pointe d’humour. Si on prend la première phrase du « Plongeon », je dois me retenir de ne pas rire et je vois le public sourire. C’est pareil pour « La neige de l’année dernière ».
On parle de votre musique ? Vous avez des guitares très mélodiques avec cette batterie assez puissante qui rappelle Steve Shelley (Batteur de Sonic Youth Ndlr ) qui fait que l’on ne peut pas vraiment vous coller une étiquette : ni pop, ni rock, ni chansons
LM : La manière dont j’aborde la batterie fait que je ne pense pas être un vrai batteur car je joue d’autres instruments et j’aime les mélodies. Ce n’est pas parce que la batterie est percussive qu’elle ne doit pas être reconnue comme entité dans une chanson. Quant à Steve Shelley, il a une façon très pop de jouer, ses batteries restent immédiatement identifiables.
(Fontaine Wallace sur scène - Droit réservé)
Ca rappelle le travail que tu avais fait sur le premier album de Luke ?
LM : Oui, ça reste des chansons en français, très pop en tout cas. Ce n’était pas du rock !
Oui mais avec ces guitares et cette rythmique, vous avez dépassé tout ça. Comme tout le monde fait du post quelque chose - du post rock, du post punk - , est-ce que vous ne feriez pas de la post-chanson ? (rires)
NF : Post-chanson ? J’aime beaucoup, merci (rires) ! En tout cas, je vois ce que tu veux dire et tu as compris ce qu’on voulait faire. Tu as très bien décrit ce que je ressens : je suis très fan du travail de Ludo et j’aime ce dialogue qu’il établit avec la basse, la guitare, les claviers et la voix. On travaille en ce sens maintenant. La connexion rythmique-voix, c’est un élément central pour nous.
C’est nouveau pour toi ?
NF : Totalement, et j’adore !
LM : D’ailleurs, si tu écoutes bien « le Plongeon », la batterie joue la mélodie de voix. C’est totalement conscient.
Et pour toi Ludovic ?
LM : Si pour toi c’est une qualité de jouer comme ça, de manière assez cassée, pour certains, c’est un défaut, voire une contrainte. J’ai dû quitter des groupes parce que les musiciens avaient besoin de quelque chose de plus … droit. Quand j’ai commencé à écrire des chansons et que j’ai fait un concert guitare-voix avec un groupe, j’ai compris ce qu’était la batterie. Jouer avec Fontaine Wallace, ça voulait dire assumer de chanter, de faire les chœurs et crois-moi, j’ai dû me forcer pour me lancer. Mais, aujourd’hui, cela me semble naturel.
Justement une autre grande caractéristique du groupe ce sont les chœurs : tout le monde chante !
LM : La plupart des morceaux sont doublés, notamment avec la voix de Fabrice et la voix de Cécile. Cela crée une originalité, avec deux voix qui s’opposent.
NF : Il y a une démarche esthétique et aussi une démarche de groupe : quelque chose de collectif et d’humain. Qu’est-ce qu’il y de mieux que des chœurs pour affirmer ça ? Et je pense qu’on va encore accentuer cela à l’avenir.
Et sur scène tout le monde chante ?
NF : Oui, tous
LM : En ce qui me concerne, c’est nouveau. J’avais un vrai problème esthétique ! Un batteur avec un micro, c’est Phil Collins ! (rires). Mais maintenant, ça va ! (rires) Ils m’ont vraiment poussé à chanter : il y a eu une répétition où ils m’ont posé le micro en me disant « allez, il faut que tu chantes ! ». Par exemple « Sagittaire » est chantée à deux avec Nicolas. Puis j’ai vu Tindersticks sur scène, le batteur a un micro et fait beaucoup de chœurs, ça m’a rassuré, je me suis dit que c’était possible
Vous avez aussi ces guitares qui ont l’air très libres ?
NF : Comme tu l’as remarqué, nous avons, et nous assumons totalement, une rythmique très dense. Du coup, cela m’ouvre beaucoup d’espace à la guitare … Je ne suis pas obligé de jouer des rythmiques tout le temps.
LM : Il y a aussi un piano très riche et très présent en mélodie. La basse assure parfois des mélodies, en plus d’une rythmique harmonique.
Vous pourriez jouer avec qui ?
LM : Thousand ! J’adore son dernier album ! The Cure ! Mais c’est un peu tard !
NF : Nos premiers concerts aux côté de Silvain Vanot, Matthieu Malon, Julien Orso-Jesenska, ça avait du sens.
Quel est votre rapport à l’électronique ?
LM : Je dirais que l’électronique est pour nous une technique plus qu’une texture. On lance des samples et des boucles car certaines parties ne peuvent pas être jouées, ou alors il faudrait que nous soyons plus nombreux !
NF : Je crois que l’opposition entre les parties « jouées » et les parties électroniques ou samplées, ça n’a plus vraiment de sens. La frontière est abolie depuis un moment maintenant.
(Nicolas Falez en concert - Droit réservé)
Vous allez vers quoi maintenant ?
NF : On ne se pose pas trop de questions : on avance, on compose … On verra le résultat !
Quels sont vos projets ?
NF : Si nous avons une petite singularité à proposer, nous rêvons qu’elle soit entendue, comprise et appréciée. Ensuite notre chantier principal est d’emmener le disque sur scène, on a quelques dates d’ici à l’été.
LM : La vraie tournée aura lieu à partir de la rentrée
Quel disque faut-il donner à des enfants pour les amener à écouter de la musique ?
NF : Ce que je trouve fascinant avec les enfants d’aujourd’hui c’est qu’ils ont un rapport à la musique différent du nôtre : avec internet, ils vivent une sorte de « compression temporelle » en piochant dans toutes les époques. Ils se construisent une culture riche et désinhibée. Il y a une gourmandise par rapport à la musique qui est passionnante et je suis vraiment curieux de voir ce qu’ils vont en faire. En tout cas, ils ont moins ce côté « niche » ou « chapelle » que je pouvais avoir à 15 ou 20 ans
LM : Si tu donnes un disque à un enfant il ne pourra rien en faire : il n’aura rien pour l’écouter ! Ils ne savent plus à quoi cela ressemble !
C’est bien de laisser les enfants écouter de la musique que nous trouvons horrible, cela ne peut que renforcer leur écoute quand ils tomberont sur des chefs-d’œuvre.
Et donc le disque (rires) ?
NF : Oui, on n’a pas répondu à la question. (rires)
LM : Un album des Smiths, “Meat is murder”, il y a tout là-dedans : des superbes mélodies, une très belle voix !
NF : Si je me rapporte à ma propre expérience, je dirais que ma vie a changé lorsqu’à 8 ou 10 ans, un voisin un peu plus âgé m’a fait écouter les Beatles.