Jean Marc Dumur – De Montreuil à Uzès, le parcours d’un musicien inclassable, sous le regard des étoiles.

mardi 7 septembre 2021, par Franco Onweb

Quand j’ai reçu le nouvel album de Jean-Marc Dumur, « Sous le regard des étoiles », j’ai été étonné. Voilà un disque entièrement instrumental, composé au piano et à la beauté saisissante. Je pensais à une BO de film ou encore à un adepte de Yann Tiersen. Ma surprise fût immense quand je découvris que Jean Marc Dumur avait été Gaboni, le batteur des légendaires Lucrates Milk, les fondateurs de ce qu’on pourrait appeler le rock alternatif.

Même si aujourd’hui sa musique n’a plus rien à voir avec le côté punk-arty des Lucrates Milk, Jean-Marc a su préserver son « côté punk » pour écrire et enregistrer un disque qui a été une de mes bandes sons de l’été. Voici donc le parcours d’un musicien inclassable qui a su se réinventer tout en restant fidèle à ses valeurs 

Je suis Jean Marc Dumur, j’ai été batteur du groupe Lucrate Milk dans les années 80. J’ai découvert la musique avec le punk. Cela m’a permis de comprendre que tout était possible. J’ai été aussi le batteur de MKB le groupe du réalisateur FJ Ossang. Ensuite j’ai joué un peu de basse dans un groupe Ouloum Boutou. Après j’ai évolué dans d’autres domaines, notamment le mysticisme parce que j’ai eu la chance de croiser Alejandro Jodorosky . Je suis parti m’installer dans le sud en 1992. Je suis moniteur de plein air depuis cette date. J’ai donc une relation à la nature assez importante et proche. J’ai découvert depuis 10 ans le chamanisme et c’est devenu très important dans ma vie. Mon nouvel album « sous le regard des étoiles » m’a vraiment été inspiré par le chamanisme. Je ne suis pas musicien au sens propre du terme et pour moi l’important c’est d’enregistrer. J’ai déjà fait un premier album il y a 10 ans, parce que j’ai commencé le piano très tard : j’avais 42 ans. J’ai pris des cours avec un prof qui est devenu un ami pendant deux ans. A l’époque, je travaillais beaucoup sur moi et j’ai découvert qu’on avait interdit à mon grand-père maternelle de jouer du piano. Je réalisais comme ça son rêve. Depuis je n’ai pas arrêté de composer. Mes deux fils jouent de la musique avec moi.

Jean-Marc Dumur
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Tu a été batteur des Lucrate Milk (groupe mythique de la scène parisienne qui a été à la base du rock alternatif, NdlR) ?

Oui, je suis aussi le seul batteur qui a joué avec les Béruriers Noirs à un concert au Forum des Halles parce qu’on leur avait volé leur boîte à rythmes.

Aujourd’hui pour moi, avec ton disque, tu es toujours un punk dans l’esprit !

Je suis totalement d’accord avec ça ! Je suis resté au « tout est possible ». J’ai retrouvé ça dans le Chamanisme. J’ai cet esprit-là : il n’y a pas de frontières, on peut tout imaginer… Si tu veux dire merde tu peux le dire… J’évolue de manière moins destroy… Mais à l’époque même si j’avais le look, je menais une vie assez rangée. Par exemple, j’ai passé mon monitorat de judo à cette époque.

Comment as-tu rencontré Jodorosky ? C’est lui qui t’a sorti de ce côté destroy ?

Complètement, ses premières conférences que j’ai vu m’ont beaucoup marqué. Le premier stage que j’ai fait avec lui, c’était sur le massage. Quelque chose à l’encontre de mon univers de l’époque. Je suis sorti de là j’étais transformé : j’avais basculé dans un autre monde. J’ai ensuite travaillé avec lui pendant 10 ans.

Pourtant Lucrate Milk était un groupe très créatif ?

Oui, c’était vraiment créatif et si on n’était pas très destroy sa rencontre m’a ouvert l’esprit sur le mental, le cœur, la créativité mais aussi sur le tarot de Marseille que j’ai enseigné pendant des années. Pour moi c’est mon père spirituel, Jodorosky ! Quand mon père est décédé, Alejandro venait faire une conférence à Paris et j’y suis allé, même si j’ai eu du mal à rentrer dans la salle. C’était très fort et très important pour moi d’être avec mon père spirituel le soir où mon vrai père venait de nous quitter.

Quel a été ton rapport à la musique après 1984 et la séparation de Lucrate Milk ?

C’est simple avec Lucrate et MKB, je suis allé jouer avec Ouloum Boutou, un groupe où il y avait des anciens membres de MKB et de Knik Crick. Je jouais de la basse, c’était un peu de l’Afro Beat à la Fela. C’était super ! J’ai joué deux ou trois ans avec eux et j’ai arrêté. J’ai joué alors avec un copain à moi qui faisait de la chanson française. Un jour il m’a dit qu’il s’en allait. Il avait acheté une maison près d’Uzès. J’étais super déçu ! Je venais de commencer à faire de la musique avec lui et j’aimais beaucoup. On a regardé avec ma femme où était Uzes. Mon premier fils avait deux ans et on en avait assez de vivre à Paris dans les crottes de chiens. On y est parti une semaine et en trois jours on a trouvé une maison et des pistes pour du boulot. C’est donc la musique qui m’a amené dans le sud. Grâce à ça j’ai pu jouer de la musique avec mon copain pendant quelques mois et on s’est arrêté. J’ai donc totalement arrêté la musique pendant plus de dix ans.

Tu avais coupé les ponts avec tes anciens partenaires ?

Non, puisqu’en 2006 on a sorti « Postume trois pièces » avec les Lucrates. On est donc resté en contact. J’ai croisé Ossang plusieurs fois, notamment à une avant-première à Montreuil. Je suis revenu dans la musique à 42 ans quand je me suis mis au piano. Deux ans après j’ai commencé la trompette parce que je jouais, et je joue encore, dans une Pena.

On a l’impression que c’est la découverte de la nature qui t’a ramené vers la musique ?

A l’époque punk, je m’étais dit qu’à quarante ans je me mettrai au piano. A l’époque des Lucrates, je suis allé voir une amie de ma mère qui était prof de piano. J’ai fait un cour et j’ai adoré. Mais j’étais batteur, punk et je courais partout donc je suis parti avec l’idée qu’à quarante ans que je m’y mettrais. J’ai mis deux ans à trouver un prof parce que le mec qui veut démarrer le piano sans entendre parler de solfège et bien il lui faut un prof un peu spécial. C’est devenu un pote et pendant deux ans j’ai bossé avec lui. Bon, je suis limité techniquement mais j’arrive à composer… C’est un peu magique, un peu bizarre … Le morceau « en suspens » par exemple était dans mon ordinateur et j’ai eu un peu de mal à reconnaître que c’est moi qui l’avait fait.

Tu es un adepte du chamanisme : c’est une expérience très particulière ?

Oui, mais aussi, et surtout, très profonde ! Ce sont nos racines en fait. Il y a 10 ou 20 000 ans, c’était quelque chose de normal et cela nous permettait de nous reconnecter avec la nature.

Mais c’est quelque chose qui fait peur aux gens ?

Peut-être, moi en tout cas ça ne m’a jamais fait peur. Je me suis formé avec un shaman Laurent Huguelit. Depuis le début où je me suis intéressé à ça, avec la femme de l’époque de Jodorosky une mexicaine qui connaissait ça à fond. Je n’avais jamais rencontré un chamanisme qui me donnait les clés et là oui, on me donnait les codes. Rapidement je me suis mis à enseigner parce que je pense que mon rôle est de transmettre, d’apprendre. J’ai appris le judo, je suis devenu prof de judo, j’ai appris le tarot, je l’ai enseigné, j’ai fait de l’escalade et je suis devenu prof d’escalade… J’ai donc commencé à enseigner le chamanisme ! J’ai commencé avec ma femme, mes copains, mes enfants et après j’ai agrandis le cercle. J’ai vraiment conscience que mon rôle est de transmettre et d’apprendre aux gens !

Mais c’est quelque chose qui, dans l’esprit des gens, se rapproche de l’ésotérisme ?

Moi, je travaille au tambour, sans plante et c’est le rythme du tambour qui va permettre de rentrer dans le monde shamanique. J’explique aux gens ce qui va arriver : les trois mondes, la rencontre avec son animal de pouvoir … rien n’est caché et en plus tout se fait en conscience ! Il n’y a aucun danger.

On parle de ton disque ? Premier point tu n’as pas chanté.

(Rires) J’ai failli, j’avais écris des paroles et quand j’ai fait écouter à mes enfants, j’ai compris qu’il ne fallait (rires).

C’est un album instrumental, très loin de l’image des punks alternos avec une musique très riche !

J’ai beaucoup de retours avec des gens qui me disent ça ! Je ne m’en rend pas trop compte parce que j’ai une culture musicale très technique et peu académique. Pour moi la musique ça doit faire voyager, ça doit évoquer des choses.

Tu as des morceaux qui sont presque électro ?

Avec l’orgue Hammond ? Oui !

On peut penser à Yann Tiersen ?

On peut le dire comme ça, même tu es le premier à me parler de lui. La plupart des gens me parlent de Satie ou Delerue pour le côté musique de films. J’adorais d’ailleurs que ma musique soit adaptée pour le cinéma.

Mais c’est un disque très beau et très apaisant. Mais pour moi c’est un disque urbain : on dirait la bande son d’une ville la nuit. C’est paradoxal avec ta situation géographique ?

Peut-être mais cela vient de la manière dont je compose et je travaille les sons. Par exemple, je travaillais sur un morceau et je ne m’en sortais pas. Il y avait quelque chose qui n’allait pas et puis brutalement j’ai trouvé un son et là j’ai fini le morceau en cinq minutes. Je ne peux pas expliquer comment ça vient ! Après je retravaille parce qu’il faut que le cercle soit plutôt qu’une spirale se crée. Il faut garder une ouverture. Je retravaille aussi quand j’ai mes sons en midi : j’ai plein de notes devant moi qui sont sur l’ordinateur et de manière intuitive j’enlève des notes jusqu’à que je sois satisfait. C’est pourquoi je dis que ma musique est intuitive autant quand je suis au piano qu’avec l’ordinateur quand je cherche des sons.

Comment peut-on imaginer que tu puisses faire ça sur scène ?

C’est très compliqué mais faisable pour certains morceaux, notamment ceux au piano. Ce n’est pas mon objectif parce que je veux consacrer moins de temps au piano. Concrètement, ce sont les confinements qui m’ont permis de finir le disque. Pour l’instant je n’envisage pas la scène.

Pas du tout ?

Pas avec cet album en tout cas !

Tu penses qu’il l’aurait reçu comment le punk Gaboni des Lucrates Milk ?

C’est une très bonne question ! A l’époque j’étais déjà très ouvert musicalement. J’écoutais Lou Reed ou David Bowie. Je n’aime pas un style en particulier mais des musiques qui me touchent. Est-ce que cette musique m’aurait touchée ? Je n’en sais rien !

Jean-Marc Dumur, èpoque Gaboni
Crédit : Masto

Quelle est ton ambition par rapport à cet album ?

Qu’il soit entendu par un maximum de gens et que les gens qu’il doit toucher soient touchés. Je n’ai pas de pression économique, je gagne ma vie. Je voulais garder une trace de ce que je composais, mais vraiment pas de devenir une rock star. Espérons juste que ce disque permette des rencontres et qu’éventuellement il se retrouve sur de l’image.

Mais tu as appartenu à une scène où plein de gens sont devenus cinéastes ou créateurs de mode : ils pourraient t’aider.

Je ne sais pas, je ne pense pas qu’ils soient connectés avec ça. J’ai fait un crowfunding, et mis à part deux ou trois potes, aucune personne de mon passé n’a participé !

Mais c’est un album très riche musicalement qui n’est pas limité par le format chanson.

Oui, c’est pour ça qu’il faut l’écouter entièrement dans son ensemble et dans l’ordre des chansons pour qu’il fasse sens.

Quels sont tes projets ?

Continuer la promotion et voir où cela me mène. Pour l’instant les retours sont très bons, même si ma musique est inclassable !

Tu l’as fait où et avec qui ?

Dans les Cévennes où j’ai une maison. Pendant les confinements je suis parti avec mon ordinateur et mon piano. On a passé deux jours à enregistrer après quelques répétitions. On s’est mis dans une petite cabane en bois et c’était parti. Il y a un clarinettiste de ma Pena qui est venu et que j’ai enregistré. Sinon il y a mes enfants. Comme mon fils, Gaël, est ingénieur du son, il y avait un peu de matos. Il a fait une batterie test et il s’est mis à la basse. Mon autre fils, Tao, a joué de l’accordéon et s’est quasiment improvisé. Quand on a fini la base on a fait des arrangements chez Gaël, notamment la basse. Il a refait toute la batterie. J’ai juste refait quelques passages de piano. On a mixé à Alès pendant six jours chez un copain de Gaël, Manu. Je suis hyper content du mix.

Jean-Marc Dumur et ses deux fils, Gaël à gauche et Tao à droite
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Tu as vécu comment la situation de confinement qu’on a vécu ?

C’était une période parfaite pour pouvoir se positionner et savoir ce qu’on voulait. Pendant le confinement j’étais dans les Cévennes dans une propriété qu’on a avec plusieurs copains. J’ai passé mon temps à couper du bois et à en brûler. Je me disais : « tu veux quoi dans la vie ? », et bien je veux ça : faire ce que je veux quand je veux. Je me concentre sur ce que je veux vraiment maintenant et je pense que c’est super important ! Je voulais faire ce disque ! Je dis oui à des choses et pas non à son opposé parce que tu alimentes des trucs de merde. Je me concentre sur ce qui est important. Je suis optimiste et j’essaye de finaliser les choses.

Le mot de la fin !

Que l’album vive sa vie, je lui souhaite une bonne route avec pleins d’oreilles pour l’écouter.

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