Jean-François Sanz : Une trajectoire singulière, entre art contemporain et culture populaire

mardi 11 octobre 2022, par Franco Onweb

Cela fait plusieurs années que le nom de Jean-François Sanz apparaissait dans différents projets qui m’avaient emballé : les Jeunes Gens Mödernes , Planète_Fab ou dernièrement le disque de Mitzpah. Des projets qui ont en commun d’être accessibles à tous tout en faisant preuve d’une grande exigence artistique.
C’est sous l’égide d’agnès b., dont il dirige le programme Art & Culture du fonds de dotation, que Jean-François Sanz produit, organise et développe différents projets culturels aussi essentiels que passionnants, avec cette volonté d’ouvrir la culture à tous. Un personnage aussi intéressant ne pouvait que m’interpeller. J’ai donc discuté avec lui, au printemps dernier, pour un entretien où il sera question de pop culture, de contre-culture, des Jeunes Gens Mödernes et de ses différents projets à venir.

Peux-tu te présenter, en lien avec tes activités chez agnès b. ?

Je travaille depuis une vingtaine d’années chez agnès b., en tant que responsable mécénat pour la marque et directeur du programme art & culture du fonds de dotation agnès b. qui a été créé en 2009. Je m’occupe du mécénat culturel et assure le commissariat de certaines expositions, généralement collectives et thématiques, souvent en lien avec divers aspects de la culture populaire. Ces projets peuvent également se déployer dans les domaines des musiques (plus ou moins) actuelles, de l’audiovisuel, de l’édition, du débat d’idées… Je touche aussi un peu au podcast via Planète_Fab, un petit web média qu’on a lancé à l’ouverture de La Fab., le nouvel espace qu’Agnès a ouvert en février 2020 pour y montrer sa collection ainsi que les expo de la galerie du jour notamment.

Jean François Sanz
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Quel a été ton parcours pour en arriver là ?

J’ai étudié le droit pendant six ans à Toulouse, j’ai abandonné cette voie au moment d’entamer une thèse de droit public. Puis j’ai passé un troisième cycle en communication, histoire de bifurquer car je ne me sentais pas de faire du droit toute ma vie, je n’avais clairement pas la vocation. J’ai ensuite passé un an à New York, où j’ai travaillé dans une agence de communication événementielle. Je suis rentré en France pour travailler aux Abattoirs, le musée d’art moderne et contemporain de Toulouse, pour préparer l’exposition d’ouverture du musée, sous la direction de Pascal Pique. Cette expérience a été déterminante dans mon parcours, ça m’a mis le pied à l’étrier et motivé à poursuivre dans le domaine de l’art contemporain. Comme le musée n’avait pas de job à me proposer à l’issue de ma vacation, j’ai candidaté sur les conseils de Pascal à l’École du Magasin, organisme de formation professionnelle aux pratiques curatoriales rattaché au Centre National d’Art Contemporain de Grenoble, Le Magasin. J’ai été sélectionné et, comme j’avais bossé durant la plus grande partie de mes études, j’ai pu financer cette année à Grenoble grâce aux droits à la formation acquis avec ces jobs étudiants. C’était une formation très pointue, avec de super intervenants, des séminaires, des voyages à l’étranger dans des lieux d’expo partenaires, etc. ça m’a été très profitable car, étant autodidacte jusque-là, j’avais pas mal de lacunes sur le plan théorique et en termes d’histoire de l’art que j’ai pu comble grâce à ce copieux programme. A la suite de cette formation – qui, malheureusement, n’existe plus aujourd’hui –, j’ai envoyé deux candidatures spontanées, dont une chez agnès b. J’ai eu un premier rendez-vous avec la DRH de la marque, qui s’est pas mal passé, puis j’ai rencontré Agnès, et là, ça l’a tout de suite fait.

Tu défends la pop culture. Comment tu définirais ça ?

J’entends ce terme dans son sens littéral et dans son acception française originelle de « culture populaire », par opposition à certaines conceptions plus élitistes de la culture, qui génère souvent une forme de condescendance envers tout ce qui n’est pas académique et/ou reconnu par diverses instances de validation, qu’il s’agisse des institutions, du marché, des médias, des réseaux sociaux ou de la hype du moment. Ce côté snob et entre-soi est particulièrement sensible dans certaines sphères de l’art contemporain. Cette sorte d’« art officiel » se concentre essentiellement ces dernières décennies sur des choses très minimales et ultra conceptuelles, ou alors spectaculaires, avec éventuellement une dose de provoc facile, de cynisme, voire parfois de ce que certains qualifient de foutage de gueule pur et simple. Ce phénomène va bien sûr de pair avec celui de la spéculation financière qu’il engendre et entretient, ainsi qu’avec celui de la peoplisation qu’implique la fascination exercée par les sommes colossales investies dans ce marché de niche, encore plus exclusif que celui du luxe, auquel seule une minuscule minorité d’ultra-riches à accès. Personnellement, ce côté à la fois élitiste et tape-à-l’œil m’a toujours un peu gonflé et ce genre de formes d’expression ne m’a jamais beaucoup attiré. Ce qui m’intéresse davantage, c’est précisément ce qui se crée et se diffuse en dessous des radars, qu’il s’agisse de sous-cultures ou de culture populaire d’hier ou d’aujourd’hui. La littérature et le cinéma de genres, les courants musicaux alternatifs, la BD underground, la notion en perpétuelle évolution de contre-cultures et les marges en général constituent un réservoir inépuisable d’inspiration et de thématiques pour de potentiels projets culturels. Ce qui m’intéresse, c’est de mettre en lumière des pans méconnus de notre cultures à travers les productions de ces multiples courants injustement occultés, et aussi de tirer des fils pour mettre en évidence les échos qu’ils peuvent avoir dans la création contemporaine la plus actuelle.

Pochette de la double compilation « Des jeunes gens mödernes »
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C’est comme ça que tu vas beaucoup travailler sur « les Jeunes Gens Modernes » ?

Oui, l’idée était de faire à travers ce projet un focus sur cette scène effervescente de la fin 70’s - début 80’s, riche et super créative, mais qui n’avait selon moi pas eu la visibilité qu’elle aurait méritée à l’époque. Sachant que la culture mainstream a surtout retenu le pire des années 80, c’était une façon de remettre les choses en perspective, de mettre en valeur les voies alternatives qui ont pu émerger durant cette phase charnière entre deux décennies. C’est un type de démarche que j’ai réitéré en 2012 avec le projet Futur Antérieur, autour du rétrofuturisme, du steampunk et de l’archéo modernisme. De même avec UN AUTRE MONDE///DANS NOTRE MONDE, projet initié en 2016 autour d’un mouvement majeur de la contre-culture des sixties depuis lors largement occulté, le réalisme fantastique.

N’y a-t-il pas aujourd’hui en France, un problème d’élitisme de l’art ? On a l’impression qu’on veut empêcher les gens de découvrir tout ça.

D’une certaine manière c’est le cas, car les choses sont organisées de telle façon que l’écrasante majorité des gens n’a accès qu’à la soupe, souvent frelatée, que lui fourguent les médias et tendances mainstream. L’accès à la culture, en particulier à certaines formes de cultures un peu spécifiques, est quelque chose qui ne va pas de soi. Ça se travaille, ça s’encourage, ça s’accompagne. Beaucoup de paramètres interviennent : des problématiques de reproduction sociale, des questions liées à l’éducation et à l’enseignement, ainsi qu’à la nature même des contenus auxquels on est exposé au quotidien. C’est pourquoi les problématiques liées à la communication et à la médiation mises en place autour des projets sont essentielles, le public mérite qu’on lui rende accessible le contenu des œuvres, qu’on lui donne des clefs de lecture qui lui permettront de décrypter ce qu’il regarde, écoute ou expérimente.

Entre ce mode autoritaire d’arbitrage des élégances, cette sorte de police de la pensée et du bon goût massivement influencée par les agendas de quelques multinationales, et les injonctions commerciales omniprésentes d’un système économique globalisé et numérisé qui tend à tout niveler vers le bas en termes d’offre culturelle, c’est souvent bien difficile de trouver son chemin. Après, si on a la chance d’avoir disposé d’un accès facilité à la culture, c’est à chacun de se montrer curieux, d’explorer, de creuser des pistes que délaissent la plupart de nos contemporains. Ces préoccupations sont loin d’être partagées par la majorité de la population qui, faute d’avoir accès à mieux, tend à se satisfaire du tout-venant de l’entertainment que lui propose le marché des industries culturelles de masse. Bien sûr, ce problème est loin de se limiter à la France, mais il est par ailleurs clair qu’on a encore un souci ici avec la notion de hiérarchie culturelle, avec la définition des critères qui permettent de dissocier ce qui est de l’art ou de la culture de ce qui n’en est pas, ce qui est digne d’intérêt de ce qui ne l’est pas, ce qui est sérieux et ce qui est anecdotique ou, pire, scabreux. C’est en train de changer ces dernières années mais on a encore pas mal de retard par rapport aux pays anglo-saxons notamment, qui ont une approche plus large, inclusive et moins restrictive sur ce point de vue.

Tu as beaucoup travaillé sur les « Jeunes Gens Mödernes », tu ne penses pas que ce sont des gens qui n’ont pas voulu voir la vie sous un angle social et politique mais plutôt sous un angle culturel et esthétique ?

C’est vrai que la génération des Jeunes Gens Mödernes n’était pas très politisée. L’émergence de cette scène correspond historiquement au début de la fin des grandes idéologies. En amont, le rêve hippie avait parfois viré au cauchemar, les utopies des seventies avaient été battues en brèche, puis le bulldozer punk est venu ratiboiser et ringardiser tout ça, tout en décomplexant au maximum les nouvelles générations par rapport à l’acte de création artistique, faisant ainsi table rase et place nette pour l’éclosion de cette scène prolifique qui fut une sorte de parenthèse (dés)enchantée à la fin des 70’s. Mais dès la première moitié des années 80, la domination absolue du marché et de la pub s’impose. Ce sont les années fric, symbolisées par la figure de ceux que l’on nommait alors les golden boys. On dérégule et on financiarise à tout-va. Sur le plan musical, le post punk et la new wave commencent à s’auto-parodier et à tourner en rond, ça vire rapidement à la caricature et à la daube mainstream, bref ce n’est pas brillant. Ceci dit, même si les Jeunes Gens Mödernes n’avaient pas de revendications idéologiques très affirmées, renvoyant dos à dos dans la lignée des punks les idéologies antagonistes majoritaires, leurs productions ne sont pas pour autant dénuées de regard critique sur la société qui les entoure, bien au contraire. Ils convoquent aussi dans leur musique tout un tas de références historiques et politiques déterminantes, à la guerre froide ou au péril nucléaire par exemple. Ils mettent en avant une vision puriste de la modernité historique originelle tout en ironisant sur le caractère désuet que revêt déjà ce terme à l’époque. Ils sont pétris de contradictions, désabusés mais avide de futur, nonchalants mais ultra créatifs… d’un point de vue plus général, toute contre-culture ou sous-culture a nécessairement des dimensions et des implications politiques qui se manifestent à travers l’usage de différents codes (vestimentaires, graphiques, en termes de mode de vie et de comportement) qui évoluent et peuvent parfois être totalement détournés des objectifs initiaux. Ce sont des phénomènes assez passionnants à étudier et, à ce propos, je recommande à tout le monde le livre de Dick Hebdige , Subculture : The Meaning of Style, qui retrace notamment les origines des mouvements mods, punk et skinhead. C’est une lecture qui a été très importante pour moi quand j’avais la vingtaine, très bien documenté, très riche sur le plan sociologique, et ça permet de remettre en perspective l’évolution ultérieure – parfois désastreuse – de ces divers courants.

Mais avec agnès b., tu as travaillé avec Poni Hoax ou The Penelopes qui sont des groupes qui ont essayé de maintenir cet esprit des « Jeunes Gens Mödernes ».

Effectivement, j’avais invité ces deux groupes à faire des reprises de morceaux de l’époque pour la version CD de la première compilation sortie chez Naïve en 2008. Poni Hoax avait repris le « Wanda’s Loving Boy » de Marquis de Sade, une version très lente avec un chant en mode crooner que Philippe Pascal avait bien aimée. Quant aux Penelopes, ils avaient repris avec l’écrivaine Chloé Delaume « Je t’aime tant » d’Elli et Jacno, je me souviens que ce dernier avait été surpris par les sonoriés de leur version electro 2.0, et le groupe a collaboré avec Elli sur d’autres projets par la suite. Il y a clairement une filiation entre ce genre de musiciens et ceux de la génération Möderne, sur le plan musical bien sûr, mais pas que, ça peut se ressentir aussi en termes d’écriture, de sensibilité, d’attitude, etc. En fait, Poni Hoax et The Penelopes avaient déjà été réunis deux ans avant la sortie de cette compilation, autour du projet de reformation de Charles de Goal, qu’on avait organisé à la Flèche d’or en 2006 avec Gilles le Guen (Dj, auteur et chanteur du groupe Denner, grand connaisseur des scènes post punk, NdlR) et Yann Le Marec (responsable de l’identité sonore agnès b.). Le groupe Frustration, qui venait de sortir ses premiers titres sur Born Bad Records, complétait idéalement le plateau. Ce fut une soirée mémorable et d’ailleurs, Charles de Goal et Frustration ont fréquemment partagé les mêmes scènes et collaboré ensemble par la suite, ce qui illustre bien le fait qu’un dialogue intergénérationnel fécond s’était bel et bien établi entre ces musiciens malgré l’écart d’âge.

Comment cela se passe-t-il en général : on t’amène des projets ou tu vas les chercher ?

Ça dépend. Pour les projets évoqués précédemment, il s’agit au départ d’initiatives personnelles. Ensuite, il y a bien sûr tout un travail d’équipe pour les faire exister. J’ai eu la chance qu’Agnès me fasse très tôt confiance sur ce genre de projets thématiques, qu’elle me laisse plus ou moins carte blanche dessus et qu’elle me permette de les développer à travers sa structure C’est une super opportunité et je ne lui serai jamais assez reconnaissant pour ça. Après il y a des projets extérieurs que l’on nous propose de soutenir à titre de mécène / partenaire. Ponctuellement, il y en a qui m’accrochent et me paraissent pertinents, j’en parle alors à Agnès et à l’équipe du Fonds de dotation et, si ça le fait, on essaie de les accompagner au mieux en fonction des besoins formulés et des moyens dont on dispose. C’est typiquement le cas du projet Mitzpah initié par le label toulousain Pop Supérette que l’on vient tout juste de soutenir. Il s’agit d’un album écrit en 1981 par Hervé Zénouda (ex Stinky, Toys, Mathématiques Modernes, etc.) mais jamais enregistré à l’époque. Hervé a réactivé le projet il y a deux ans avec le soutien de Pop Supérette, et l’album a été enregistré à distance en pleine période de confinement car le chanteur réside au Canada. C’est un petit bijou de pop rock classieuse qui évoque notamment les grandes heures du Velvet Underground, mais avec aussi un côté singulier et très personnel, qui cadre totalement avec divers types de projets musicaux soutenus par agnès b. depuis de nombreuses années.

Justement sur le projet Mitzpah, il y a Loulou Picasso qui a fait la pochette. C’est un peu « le peintre Maison » chez agnès b. Pourquoi fait-elle ça : sa promotion, sa communication ?

Je dirais qu’elle le fait avant tout par passion, par amour de l’art et des artistes. Elle a un attachement très profond et sincère pour tout cela depuis toujours, et c’est une grande découvreuse de talents. S’il y a quelqu’un qu’on ne peut pas taxer d’opportunisme par rapport à ce type de démarche, c’est bien elle. Dès que sa marque a commencé à bien marcher vers la fin des 70’s, elle s’est mise à acheter des œuvres, non seulement pour s’entourer de belles choses qui l’intéressent et la nourrissent, mais aussi pour encourager et soutenir les artistes dont elle aimait le travail. Ensuite, dès 1983, elle a ouvert la galerie du jour, ce qui lui a permis de développer son soutien à la création et aussi d’étoffer sa collection. Parallèlement, elle a sorti ses premiers t-shirts d’artistes qui ont été réalisés avec des images du collectif de graphistes punk Bazooka, dont Loulou Picasso faisait partie , et qui en ce temps-là semait le trouble dans la rédaction et parmi certains lecteurs de Libération. Le groupe a fini par splitter mais Agnès a toujours continué à soutenir Loulou par la suite, lui achetant de nombreuses toiles au fil des années, dont certaines ont été présentées lors de l’expo qu’elle lui a consacrée récemment à la galerie du jour au sein de la Fab. - en lien avec le projet Mitzpah dont il a effectivement réalisé la très belle pochette de l’album. Au-delà de ça, l’ensemble du projet Des Jeunes Gens Mödernes renvoie aussi aux origines de la marque, dont la première boutique a ouvert dès 1976 rue du jour, à deux pas des Halles, centre névralgique du maelstrom afterpunk qui agitait alors le cœur de la capitale. L’époque était depuis peu à la porosité entre les divers domaines créatifs et tout cela interagissait beaucoup, musique, fringues, littérature, arts plastiques, cinéma… chaque discipline intégrait de multiples influences extérieures qui la faisait elle-même évoluer de manière novatrice. Parallèlement à ces liens directs avec les artistes, Agnès soutient depuis longtemps tout un tas d’asso, de structures, de festivals actifs dans les domaines de la culture, de la solidarité et de l’environnement.

Et pour en revenir à ta question initiale, j’ajouterais que, pour une boîte qui n’a jamais fait de pub en France et qui pourtant continue de privilégier un maximum la production locale, la visibilité volontairement discrète assurée à la marque à travers divers partenariats culturels lui a permis de développer au long des décennies un modèle tout à fait pertinent et assez précurseur de communication culturelle. Sachant qu’au-delà de ça, la quasi-totalité des actions de mécénat sont assumées par Agnès à titre personnel via son fonds de dotation et La Fab.

En quoi consiste ton travail au quotidien ?

A la base, c’est essentiellement du commissariat d’exposition, mais disons que j’ai une conception plutôt extensive de ce terme (pas très heureux en français d’ailleurs, le terme anglais de curator / curating – celui qui prend soin – fait un peu frimeur mais est quand même plus joli) qui m’amène à expérimenter pas mal d’autres disciplines connexes. En général, j’ai toujours deux trois projets sur le feu en même temps, j’aime bien jongler et passer de l’un à l’autre. Ça permet de maintenir une bonne dynamique et on a l’impression que les choses avancent plus que quand on est bloqué sur un seul et même truc. Sur des projets dont je suis à l’initiative, mon travail consiste à développer puis à conceptualiser une idée pour la concrétiser, lui donner corps, sous forme d’exposition, de disque, de livre, de podcast, de film, d’événement, de concert et, parfois, un peu tout ça plus ou moins simultanément ou successivement selon les cas. Ça passe toujours par une phase d’écriture, de recherche, l’identification d’œuvres et de contributeurs pertinents et souvent la création de fait d’un mini réseau, beaucoup d’échanges avec, les artistes, les partenaires éventuels, du suivi de prod, de la com, de la scénographie, du montage audiovisuel, la modération de débats… la liste n’est jamais exhaustive ni jamais exactement la même en fait, ça dépend vraiment de la nature des projets et des types de collaboration qu’ils induisent. La seule constante absolue c’est évidemment la partie gestion budgétaire, pas la plus fun bien sûr mais néanmoins incontournable car c’est le nerf de la guerre comme chacun sait…Généralement, il s’agit de projets qui se préparent un ou deux ans en amont et qui se poursuivent sur plusieurs années. A titre d’exemple, Des Jeunes Gens Mödernes a initialement eu lieu en 2008 puis a pas mal tourné en France et à l’étranger dans la décennie qui a suivi, et est régulièrement réactivé encore aujourd’hui à l’occasion de concerts, d’expo, de projections, d’invitation dans des festivals… Idem pour UN AUTRE MONDE///DANS NOTRE MONDE qui tourne depuis 2016 et dont on prépare actuellement la sixième édition pour l’année prochaine.

Tu n’as pas envie d’écrire un livre ou de réaliser un film sur tout ce travail assez large et ton expérience ? Tu as sans doute plein d’anecdotes croustillantes à raconter…

Je ne sais pas, peut-être dans mes vieux jours, si je m’emmerde ferme et décide d’écrire mes mémoires (rires). Il y aurait effectivement pas mal de matière avec tous les gens que j’ai croisés. Je pourrais par exemple raconter ma première conversation téléphonique, assez surréaliste avec Yves Adrien à l’occasion du projet Des Jeunes Gens Mödernes : quand il a décroché au bout d’une quinzaine de sonneries j’ai timidement demandé si j’avais bien affaire à Yves Adrien, ce à quoi il a répondu « Yves Adrien est mort. Je suis son exécuteur testamentaire, 69X69, que puis-je faire pour vous ? », j’ai décidé de jouer le jeu et nous avons discuté pendant plus d’une heure et demie, lui en parlant de lui-même à la troisième personne et moi à l’imparfait, comme s’il avait effectivement disparu.

Ou alors je pourrais raconter comment je me suis fait pirater un projet de film, toujours en lien avec ces fameux Jeunes Gens Mödernes, lorsqu’ARTE est entré dans l’histoire et a imposé un réalisateur qui a complètement dévoyé le projet d’origine, m’obligeant à me désolidariser de ce ratage annoncé et à reprendre les rush de départ pour livrer ma version du film plusieurs années après, avec l’aide précieuse du réalisateur et auteur Farid Lozès – pour le meilleur d’ailleurs car, malgré une avant-première cannoise en fanfare, le film co-financé par ARTE n’a été diffusé qu’une fois sur la chaîne franco-allemande, à minuit passé, et a fait un four retentissant ; alors que le second film (qui était en fait l’original… vous suivez toujours ? ;) a bénéficié quant à lui d’une grande visibilité et d’un super accueil du public via une trentaine de projections événementielles, une édition DVD et une vingtaine de diff tv sur OCS pendant un an. Au final, il y a deux films qui portent le même titre, Des Jeunes Gens Mödernes, c’est un cas d’école assez unique je crois… il y aurait aussi et surtout plein de belles rencontres et collaborations à raconter, celle avec Agnès au premier chef bien sûr, mais aussi avec des gens marquants comme Philippe Pascal, Corine Sombrun, Shepard Fairey, Abdelkader Benchamma, Maurice Dantec, Jonas Mekas, Elli Medeiros, Edouard Glissant, Alan Vega, Emmanuelle K, Abraham Poincheval, David Lynch, Maripol, Enki Bilal, Edwige Belmore ou encore Etienne Daho pour n’en citer que quelques-uns…

Quels sont tes projets à venir ?

Un album UN AUTRE MONDE///DANS NOTRE MONDE qui devrait sortir début 2023 chez Contours / BEATITUDE agnès b. MUSIQUE, avec des titres psyché français fin 60’s début 70’s et des morceaux inédits de groupes actuels en lien avec le réalisme fantastique, le tout mixé avec des archives audio d’époque et des sons issus de l’expo, à mi-chemin entre la compil thématique et la création sonore. On y retrouve entre autres des artistes comme Zombie Zombie, The Liminanas, Rubin et le paradoxe featuring Brigitte Fontaine ainsi qu’un super nouveau groupe qui s’appelle Terrains Vagues. Je prépare aussi pour février 2023 à La Fab. une expo collective intitulée Bachelard contemporain dont l’objet est de mettre en lumière l’influence et les résonances de la pensée de ce philosophe-poète à travers la création contemporaine. Il y a également « La Ligne de partage des temps », un projet sur les imaginaires du futur sur lequel je commence à travailler avec le critique d’art et commissaire d’expo Dominique Moulon, mais il est encore trop tôt pour en parler…

Pochette de l’album UN AUTRE MONDE///DANS NOTRE MONDE
Crédit : Vortex Graphik / Contours / BEATITUDE agnès b. Musique

Le mot de la fin ?

Étant très malvoyant et sachant que ma vue ne va pas aller en s’améliorant, il est fort probable qu’un de ces jours je ne sois plus du tout en mesure de m’exprimer à travers mon médium de base, qui est l’exposition. En dépit du fait que ce soit parfois assez mal vu d’être malvoyant dans les arts visuels, j’ai eu la chance de collaborer ces dernières années avec beaucoup de professionnels du secteur, artistes bien sûr mais aussi responsables de lieux, institutionnels et autres, qui ont fait preuve d’une très grande ouverture d’esprit à cet égard et qui m’ont témoigné une confiance dont je leur suis particulièrement reconnaissant. Quoi qu’il en soit, je ne veux surtout pas me retrouver bloqué dans mon évolution par l’aggravation inéluctable de ce handicap. Donc je prépare depuis quelque temps déjà une transition vers des modes d’expression plus à ma portée, du côté de l’audio, de l’écriture, qui me permettront je l’espère de faire par le biais de nouveaux médias le même genre de choses que je fais depuis une vingtaine d’années à travers mes expositions. Je vois ça comme un nouveau cycle qui s’annonce et qu’il faut préparer. Tout est cyclique de toute façon, c’est bien connu !

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