Big Dez : le groupe « blues » de France

mercredi 9 février 2022, par Franco Onweb

Cela fait 25 ans que Philippe Fernandez joue du blues et pour cela il a fondé Big Dez, son groupe, qui est dans la grande tradition du blues du Delta. Un groupe qui parcourt la France, l’Europe et même les USA rencontrant à chaque fois un public qui le plébiscite.

Alors que sort son nouvel album, « Chicken in the car and the car can’t go ! », j’ai discuté avec Philippe Fernandez pour en savoir plus sur un groupe qui est déjà légendaire.

Peux-tu te présenter ?

Je suis Philippe Fernandez, le chanteur et guitariste du groupe Big Dez qui existe depuis 1996 : ça fait 25 ans.

Big Dez au complet, Philippe Fernandez, deuxième à partir de la droite
Droits réservés

Pourquoi ce nom ?

Mon nom de famille est Fernandez et dans le blues, il y a des surnoms. Au début du groupe on faisait vraiment du blues, comme il fallait un surnom et comme je fais 1m92 et 135 kg une copine a coupé mon nom et a rajouté Big. Ça a fait Big Dez.

Vous êtes dans la tradition du blues originel de Chicago ?

On a commencé par ça il y a 25 ans. Mais on est à notre sixième album donc ce ne sont plus que nos compositions et ça a évolué. Avec ce disque, on a voulu revenir à nos sources par rapport au précédent, mais chaque musicien dans le groupe a ses influences. Le bassiste vient d’Algérie, il aime le funk et le raï, moi j’aime le blues traditionnel mais aussi le blues anglais, le rock et la pop. On aime un peu tout, on n’est vraiment pas sectaire.

A l’écoute de votre disque, on a l’impression d’être dans un club de blues de Chicago ou de la Nouvelle Orléans ?

C’est vrai qu’on a enregistré en Live et un copain me disait hier après écoute qu’on avait l’impression d’être dans un concert. On l’a enregistré un peu comme ça : on a joué Live en studio.

Vous êtes six dans le groupe : il y a eu beaucoup de changement depuis vos débuts ?

Oui, beaucoup, on a changé de batteur et le bassiste nous a quittés pendant quelques années. Bon, au bout de 25 ans ça va. Ce n’est pas comme un groupe qui a trois ans d’existence. Comme on est dans un circuit pas très commercial, ce n’est pas cette musique qui te rendra milliardaire. Les grandes stars de cette musique, on les compte sur les doigts de la main. C’est un peu normal que les gens arrêtent. C’est compliqué quand tu as une vie de famille ou un boulot. Ça t’empêche de jouer ailleurs que les weekend ou même d’enregistrer des albums. Il y a quand même des membres qui sont là depuis le début : Lamine le bassiste et Marc l’harmoniciste. Il y a eu des départs et des arrivées. Le dernier arrivé c’est Paco Lefty Hand, le guitariste que je connaissais depuis longtemps et qui a remplacé le guitariste qui était là depuis le début.

Ce serait quoi vos principales influences ?

C’est les « Afro Américains » ceux qui ont inventé cette musique. J’aime beaucoup le blues, comme l’ont pratiqué les anglais dans les années 60. C’est grâce aux anglais que j’ai découvert cette musique mais je me suis tout de suite tourné vers les noirs américains. Cette musique vient d’eux

Vous avez fait combien d’albums ?

Celui-là c’est le dixième. Parmi tous nos albums on a eu un pirate qui n’a jamais été distribué et un DVD.

Quels ont été vos principaux concerts ?

On a fait tout le circuit blues en France et à l’étranger : festivals, clubs… On a fait le festival de Cognac, celui de Cahors, un gros festival en Suède, un autre à Memphis dans un festival où nous représentions la France… On a presque tout fait de ce que nous pouvions faire en Europe. Depuis 25 ans c’est normal mais heureusement il nous reste des endroits que nous n’avons pas fait et d’autres viennent d’apparaître. Avec le Covid les choses changent et de nouveaux lieux apparaissent. On joue tant qu’on peut. On est un groupe à l’ancienne avec le camion, le van et avec ça, on va partout où on nous engage.

Il y a eu un vrai circuit blues en France et en Europe ?

Oui, moi j’habite à Amsterdam aux Pays Bas, le groupe est basé à Paris donc je fais des allers-retours mais entre le Benelux, l’Allemagne, l’Angleterre et la France, il y a vraiment des endroits pour jouer. Avant le Covid tu pouvais jouer du mardi au samedi non-stop si tu avais la foi… et le temps.

Vous faites des reprises sur scène ?

Quelques-unes, surtout dans les clubs ! On en fait de moins en moins mais on les réadapte à notre sauce. Mais on en fait très peu, deux ou trois maximum.

Le blues est une musique que tout le monde aime mais qui reste underground, pourquoi ?

Je pense déjà qu’il y a le barrage de la langue, on chante en anglais et ça touche moins le public. C’est une musique populaire mais qui reste encore assez peu reconnue. Il suffit de voir au niveau de la presse et de la radio, qui en passent peu. Même s’il y a un réseau de salles et de festival, si tu regardes la programmation des salles il y en a peu, juste une fois de temps en temps.

Vous avez songé à vous installer aux USA pour vivre le rêve américain jusqu’au bout ?

Je l’ai fait, je suis parti plusieurs fois mais je ne m’y suis jamais installé. C’est pas facile, tu as beaucoup de concurrence, tu dois dédier ta vie à ça. Tu passes ta vie dans le camion et dans les hôtels. Ici, avec des choses comme l’intermittence, tu peux vraiment progresser et pas seulement faire de l’alimentaire en jouant partout. C’est authentique de jouer aux USA, je le reconnais et je l’ai fait, mais c’est beaucoup plus dur qu’en France ou qu’en Europe.

Votre nouvel album s’appelle « Chicken in the car and the car can’t go ! », pourquoi ce titre et cette pochette ?

C’est un copain, Swamp Factory, qui nous suit depuis longtemps et qui avait fait la pochette du premier album, qui a fait la pochette en suivant mes indications. Le titre de l’album est un clin d’œil à Chicago, une ville où je suis beaucoup allé. A la maternelle dans l’Illinois, pour apprendre les grandes villes américaines, ils leur donnent des grandes phrases comme celle-là. Là par exemple si tu prends Chicken in the car and the car can’t go, ça fait Chi Ca Go et voilà… C’est un clin d’œil, ça n’a rien à voir avec le poulet même si on aime bien le poulet et il le faut quand tu joues du blues (rires).

Votre blues est vraiment celui de Chicago, proche de Robert Cray ou de BB King ?

Ce sont de grosses influences pour nous. BB King est l‘artiste qui m’a donné envie de faire du blues. J’ai commencé la guitare vers 12, 13 ans et je copiais Aerosmith, AC DC et en l’entendant à la radio en vacances en Espagne en 1992, j’ai eu la révélation. Pour nos influences en 2022, on invente rien. On n’est pas des perroquets mais on est forcément très marqué.

J’ai vu que vous aviez enregistré à « la maison », dans votre local de répétition ?

On a fait ça à l’ancienne : on a joué tous ensemble avec Pascal Duboille, notre ingénieur du son. Pour moi à la base c’était une démo. Paco notre nouveau guitariste a du matériel et une très belle salle de répétition en banlieue parisienne. A la fin ça sonnait tellement bien. On était cool et franchement ça l’a fait. Bon, c’était pendant le Covid et ça cassait un peu l’ambiance. Après on a mixé à Chicago. J’avais trouvé un plan là-bas avec un super ingénieur du son avec qui j’avais déjà bossé sur un album où j’étais invité. On lui a tout envoyé par internet et le résultat a été super.

Big Dez en concert
Crédit : Pascale Limarola

Vous auriez pu aller là-bas ?

On l’a déjà fait, pour deux autres disques, notamment à Austin mais avec la pandémie on était coincé donc on l’a fait comme ça.

La pandémie vous a bloqué ?

Oui, on ne reprend que maintenant. En novembre dernier je suis allé faire une jam session au Blue Monday. Quand j’ai branché l’ampli, ça faisait 603 jours que je n’avais pas joué. On a eu 200 dates annulés. On commence à avoir des propositions pour le printemps et l’été.

Tu as animé beaucoup open-mic. Tu as permis à beaucoup de gens de se lancer et a permis de concrétiser des vocations.

J’en ai fait 17 ans, tous les dimanches soirs au Caveau des Oubliettes. J’étais très présent. Après j’en ai fait ailleurs. C’est comme ça que j’ai appris : dans les Jams en voyant les anciens qui te transmettent le flambeau. Aux USA, il y en a plein les dimanches soirs. C’est une musique de partage, je dis souvent aux jeunes qu’ils apprennent plus en trois minutes sur scène comme ça que le trois heures chez eux dans leur chambre.

Tu as un rôle de passeur pour beaucoup.

C’est gentil de me le dire mais certains ne le voient pas comme ça. Ils pensent que c’est un concert comme un autre alors que je pense que c’est un moment de partage où tu peux transmettre ta passion. On a eu des artistes américains qui repartaient le lendemain, comme Lucky Peterson, qui venait. Là, tu peux beaucoup apprendre.

C’est un album de 10 titres où il y a plus de guitares et d’harmonica que sur le précédent où les claviers étaient plus présents.

Il y a plus de guitare ! On a mis des claviers sur tous les morceaux même si on ne les a pas mis en avant. Si tu écoutes notre discographie, la guitare est plus en retrait.

Pourquoi ce retrait ?

C’est par rapport aux compositions. On était plus pop rock, on faisait plus de chansons.

Ils parlent de quoi vos textes ?

Ils ne sont pas engagés, je n’ai jamais fait ça. Ça parle de l’amour de l’amitié, l’amour, la vie, la bouffe aussi (rires), les femmes, la musique…

Il y a toute une imagerie autour du blues avec un côté mystique ou ésotérique ! ce n’est pas votre truc ?

Pas du tout, je laisse ça aux gens qui savent le faire… Je suis athée alors tout le côté diable ne m’intéresse pas beaucoup.

Il sort chez qui le disque ?

Chez Socadisc en physique et digital. C’est de plus en plus compliqué d’être distribué. Bientôt on ne vendra plus de disques à ce rythme-là.

Vous pensez quoi justement de la technologie qui est apparue dans la musique ?

Je pense que c’est une mode et qu’on va revenir au physique. La preuve est que le vinyle revient. Ça me ferait plaisir de vendre 2000 ou 4000 albums mais le plus important est qu’on écoute, peu importe le format, que l’on vienne t’écouter en concert et qu’il y ait une trace de ta musique. Même si tu es téléchargé illégalement, c’est comme ça, on ne peut rien faire contre ça.

Mais vous avez affaire à un public, plus « cultivé », plus « respectueux »

Les gens achètent les disques pour avoir un objet, plus que pour avoir le son puisqu’ils écoutent ailleurs. Moi le premier : j’ai ma playlist dans mon téléphone. On doit vivre avec son temps et si ça te permet de jouer en concert et que le mec t’a entendu sur Spotify et que grâce à ça ils viennent te voir tant mieux. C’est une musique populaire qui plaît à tout le monde.

Votre album est dédié à Otis Hornesby, c’est qui ?

Un bassiste américain qui vit en Hollande et qui m’aide pour mes textes. Il joue de cette musique depuis des années. Il connaît les métaphores du blues.

Tu en attend quoi de ce disque ?

(Rires) Que les gens l’écoutent, que nous ayons de bons retours, de bonnes « vibes » et qu’ils se disent que le groupe est encore là depuis si longtemps et qu’il a encore des choses à dire.

Vous avez vécu comment le Covid ?

On était en première ligne : tout a été annulé. En plus, on est un groupe éclaté : on habite tous au minimum à 100 km les uns des autres. En temps normal, c’est déjà compliqué mais là c’était impossible. Je l’ai vraiment mal vécu : je vends des disques et je joue en live, c’est mon boulot. Il a fallu faire d’autres choses : jardinier, livrer des plats, porter des caisses… Il a fallu aller au charbon. Le plus compliqué c’est quand tu as l’habitude de jouer, trois concerts par semaine et là on te retire tout. Tu peux vite sombrer. Il faut relativiser. Je voyais, sur internet, des bluesmen de 80 ans qui jouaient chez eux et qui mettaient une adresse PayPal pour faire la manche en ligne. On n’était pas si mal que ça : l’intermittence, des aides…

Vous avez fait des concerts en streaming ?

Un seul devant une salle vide : c’est très particulier. Tu n’as aucunes réactions en face de toi, que des points rouges des caméras… Je n’ai pas été fan et pourtant on était tout le groupe sur scène.

Quels sont vos projets ?

Tourner, faire des concerts, se revoir en studio de répétition, commencer des nouveaux morceaux. J’en ai en stock et tout le monde a l’air chaud ! Peut-être un disque avant la fin de 2022.

La plus grosse date c’était quoi ?

Pour la France, le festival de Cognac Blues Passion où nous étions sur la place François 1er. Joan Baez était sur la grande scène et a terminé 20 minutes avant qu’on démarre et on a eu tout son public. Il y avait 4 000 à 5 000 personnes. On avait des cuivres, des choristes… Super souvenir !

Et à Paris ?

Le New Morning et les clubs. Le 25 février on va fêter les 25 ans du groupe au Sunset. C’est un club que j’aime beaucoup, c’est parfait pour nous. Il y aura des invités, ce sera bien.

Tu veux dire quoi pour la fin ?

Merci d’aider les groupes comme nous.

Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’amener vers la musique ?

« Live at Regal » de BB King où il est au top de sa forme et « Exile on mean street » des Rolling Stones

http://www.bigdez.com/