Philippe Maujard : de Ubik à Maujard et les Télépathes, la trajectoire d’un artiste unique qui aime juste la musique

jeudi 3 février 2022, par Franco Onweb

En 1982 un drôle de titre tournait en radio, « Kakikouka ». Une chanson pleine de swing et de rythmes. Le nom du groupe, qui jouait ce titre, était Ubik. Leur patronyme venait du roman de Science-Fiction de Philip K. Dick et c’était bien choisi parce qu’à cette époque avec une musique pareille le groupe était un Ovni. Le leader incontesté d’Ubik était Philippe Maujard, un artiste, un vrai, une personnalité très forte avec un talent incroyable qui n’hésitait pas à monter sur scène dans des tenues incroyables, dont un bikini !

Malgré des concerts remarqués et un album splendide, la carrière d’Ubik ne décolla pas vraiment, pourtant le groupe fût une pépinière de talents et beaucoup observaient la carrière de Maujard pour savoir vers quel parcours il fallait s’orienter. Et pour cause : à la fin d’Ubik et sa musique futuriste, Philippe Maujard fonda Maujard et les Télépathes, un collectif de musiciens autour de lui-même qui reste l’un des projets les plus avant-gardistes que ce pays ait connu. N’est-ce pas lui qui fût l’un ou le premier Français à travailler avec des musiciens proches de Massive Attack et à comprendre l’intérêt et le nouveau son qui venait de Grande Bretagne ? Mais, comme il le dit lui-même, dans le monde de la musique, il ne faut jamais avoir trop d’avance sur son époque et Maujard en a beaucoup eu de l’avance. Lassé du manque de succès, il jeta l’éponge pour se lancer dans des projets audiovisuels.

Au printemps 2021, j’apprends que Philippe Maujard remonte sur scène depuis quelques temps à Rennes, sa ville, sous le nom d’Ubik, avec la complicité de son fils Hélie, qu’il continue de sortir des disques et que bientôt une biographie de son incroyable parcours était sur le point d’être éditée. Grâce à Pascal Karels, le guitariste de Frakture et ami proche qui a participé au dernier album du sieur Maujard, j’ai pris contact avec lui et c’est devant un café avec un cookie, en présence de Pascal, que ce musicien talentueux et futuriste m’a raconté cette incroyable histoire. Si vous en voulez plus, je vous conseille de vous précipiter sur sa biographie « Kakikouka », un livre essentiel pour tout bon fan de musique.

Tu viens d’où ?

Je suis né à Saint Denis mais mes parents sont très vite allés souvent en Bretagne. Jusqu’à mes sept ou huit ans j’ai fait la navette entre Paris et Saint Brieuc où nous avions de la famille. J’ai ensuite passé mon adolescence à Saint Brieuc. Un jour j’ai vu Marquis de Sade à « Chorus » (Émission de télévision, NdlR), là je me suis dit « allez, je pars à Rennes, c’est là-bas que ça se passe ».

Philippe Maujard en 2021
Crédit : Sytruk

Ça commence comment la musique ?

Ça commence très tôt. J’étais encore à Paris, un des premiers disques que l’on m’a offert c’était Tintin « Objectif Lune ». J’adorais quand la fusée décollait, ça faisait un bruit d’enfer (rires). C’est un des premiers sons qui m’a marqué. Mon père vendait des voitures d’occasions et il en a vendu une à un représentant de chez Vogue. Il nous a laissé une caisse entière de disques et de bandes magnétiques. Il y avait des trucs de fou dedans. Suite à ça j’ai commencé à écouter beaucoup de musique.

Tu écoutais quoi ?

Tout ce que je pouvais : Petula Clark, Françoise Hardy, Los Machucambos, Count Basie et du classique que j’aimais et que j’aime toujours beaucoup.

Tu commences quand les groupes ?

Quand j’avais 15 ans je me suis vraiment branché sur la musique : j’ai acheté le disque blanc des Beatles que j’ai adoré. J’allais au Mammouth du coin pour écouter tout ce qui sortait. Il y avait des groupes Français comme les Variations, Triangle ou Martin Circus (première version) … J’étais à Saint Brieuc quand je suis monté sur scène pour la première fois, au lycée. C’était pour chanter Honky tonk women des Rolling Stones avec une fausse guitare. C’était en 1969. J’ai toujours chanté parce que j’avais de la voix.

Comment tu montes Ubik ?

Le groupe se forme à Saint Brieuc quand je me mets à la basse. Avant j’ai commencé avec un groupe : Cyclone ! Un truc barge avec qui j’ai fait le Golf Drouot. Leur bassiste avait quitté le groupe et ils m’ont proposé de le remplacer. Je me suis barré très jeune de chez mes parents et donc je devais travailler. J’ai vu une annonce « orchestre, cherche chanteur ». Comme je chantais je suis allé à l’audition et je suis devenu deuxième chanteur du groupe. C’est moi qui faisait les morceaux en anglais. C’était en 1973, 1974. J’ai quitté le groupe parce que ça ne fonctionnait plus et quelques temps après j’ai monté Ubik.

Groupe où beaucoup de très bons musiciens, qui ont fait « carrière » sont passés ?

Oui, il y a eu du monde mais le premier musicien important c’était Henri Jégou. Un pianiste incroyable et génial, avec qui j’ai renoué des années plus tard et qui fait les claviers sur l’album « Sous le Chapiteau du ciel ». Henri c’était un peu notre maître à tous. Après il y a eu Tox (Xavier Géromini guitariste ensuite de Étienne Daho et Alain Bashung, entre autres, NdlR) et Alain Richard (actuel batteur des Nus NdlR). On a commencé à répéter. On a fait la première partie de Magma à Saint Brieuc. Le groupe s’est séparé et je suis parti à Rennes.

Il vient d’où ce nom ?

C’est Philippe K. Dick ! Je suis un fan total et Ubik est un de ses meilleurs romans. J’aimais l’idée et c’était un bon concept. On a créé une asso à Saint Brieuc et on a fait tout ce qu’on pouvait pour faire jouer les groupes de l’époque de Art Zoïd III à Imago !

Dans les 80’s tous les groupes de cette scène avaient des noms très « littéraires », en prenant Ubik tu restais dans la lignée mais en te mettant de côté avec la SF. Tout Ubik est déjà là ?

Quand je suis arrivé à Rennes, ils m’ont tous regardé comme un extraterrestre !

Tu arrives seul à Rennes ?

J’ai essayé d’amener Tox avec moi mais il est resté à Saint Brieuc. Il est arrivé après. J’ai eu beaucoup de mal à le faire venir. Quand je suis arrivé, je suis d’abord allé taper à la porte de Philippe Pascal (chanteur de Marquis de Sade, NdlR) pour lui proposer de monter un groupe avec moi (rires). Bon, il a refusé (rires). Il préparait le deuxième album de Marquis de Sade. Il a été très sympa avec moi.

Philippe Maujard au début des années 80
Crédit : JM Teillet

Ubik se lance alors à Rennes ?

Le premier musicien rennais avec qui je joue, c’est Philippe Herpin (saxophoniste légendaire de la scène rennaise, NdlR) qui m’avait proposé la première partie de Anches Doo Cool (Duo formé par Philippe Herpin et Daniel Paboeuf, NdlR). Après pour mon groupe, j’ai essayé pleins de gens, dont des chanteurs parce que je ne voulais pas chanter et puis comme je ne trouvais pas l’oiseau rare je me suis mis à chanter et Ubik est devenu moi tout seul. Le premier concert de Ubik c’était à la Paillette (MJC de Rennes, NdlR), j’étais tout seul. J’avais eu un électrochoc dans ma vie : la mort de mon fils ! Suite à ça il y a eu l’explosion de mon couple et je me suis retrouvé seul chez moi et bientôt plus de chez moi. Tout ça m’a précipité pour faire de la musique. On m’a prêté une chambre d’écho, j’ai trouvé ça intéressant, on pouvait faire des canons, et je me suis lancé. C’était le principe quand tu n’avais pas de matos. Je m’enregistrais avec une mini cassette, c’était l’époque. La scène locale me prenait un peu pour un hurluberlu : il y avait une couleur très noire, new wave, cold wave. Moi j’étais plutôt dans le funk.

A l’époque vous tranchiez beaucoup par rapport à la scène locale, notamment avec une tenue de scène ?

Je n’en n’avais pratiquement pas (rires), j’étais sur scène comme à la ville.

Ça vient d’où ce « look » ?

J’ai toujours aimé les fringues. C’est vrai que je suis monté sur scène en bikini, et mono-kini ! Et franchement on est vraiment bien (rires). C’est un bonheur : tu es libre et tu n’as pas trop chaud.

Mais ta musique ne vient pas d’un côté dadaïste ?

On peut parler du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, ça me parle, ce genre de choses.

Tu as un côté surréaliste : tu as dû adorer Buñuel, et « le chien andalou », tout ce côté un peu fou qui est très peu exploité dans le rock ?

Le seul qui a exploité ça c’est Bowie…

Moins que toi parce que Ubik a ce côté-là très prononcé !

Oui, avec l’image qui a toujours été un truc important pour moi. Toute cette culture m’a marquée, je suis un gros fan de Boris Vian par exemple.

En 1981
Crédit : Beaunis

Il y a deux influences pour moi, chez toi Magma et le côté surréaliste ?

J’aimais aussi beaucoup Tuxedomoon, Henry Cow, Fred Frith, Zappa… Mais j’étais aussi branché funk.

Tu faisais de la musique que les surréalistes auraient pu faire s’ils avaient découvert le punk ?

Le punk, c’était super, ça a donné une bouffée d’oxygène. Ça a permis à des gens qui ne savaient pas jouer de jouer et d’exprimer pleins de choses intéressantes.

Les premiers concerts d’Ubik ont été très remarqués ?

Il y avait du funk, on expérimentait plein de choses…

Mais techniquement c’était très fort : vous étiez tous de très bons musiciens !

Surtout les autres (rires) ! En fait, après ce concert à la Paillette, Philippe Constantin (directeur des éditions Clouseau Musique, ndlr) est venu me voir et m’a dit « vient me voir à Paris, je veux te signer ». C’était en 1980. Après ça j’ai eu une reconnaissance de la ville et j’ai été pris aux Trans. J’ai voulu monter un « vrai » groupe. Il y avait Tox à la guitare et Marc Pouliquen, un très bon musicien à la batterie. Lui c’était un énorme batteur ! On a commencé à trois. On a joué avec Opposition ce soir-là. On a fait un très bon succès et le lendemain la presse, Libération, Best, parlaient de nous.

Ubik sur scène aux Transmusicales de 1981
Crédit : Gino Macarinelli

Bon alors la question : il arrive quand le bikini sur scène ?

(Rires) Au deuxième concert je ne l’avais plus : j’étais en collant avec mon ailette qu’un pote m’avait fabriquée. J’ai dû rejouer une ou deux fois en bikini, dont une fois à l’Ubu.

Sur scène en 1980
Crédit : Richard Dumas

Mais tu as été accepté parce que vous faisiez une musique plus « funk » avec de la couleur ?

Oui, c’est ça, ils étaient en noir et blanc. J’écoutais beaucoup Eno et les Talking Heads.

Vous allez signer assez vite ?

D’abord chez Clouseau en édition avec Philippe Constantin. C’était une super boite. Bon, après on a signé un contrat qui était une grosse merde chez RCA. C’était sur un sous-label qui n’a jamais vraiment existé qui s’appelait Light.

Et vous sortez un album à quatre parce que Daniel Paboeuf vous rejoint !

Bon là il faut réexpliquer. Après ce concert aux Trans, tout le monde voulait nous signer. Le batteur se tire parce que ça l’ennuie, il voulait repartir faire du bal !!! On se retrouve à deux avec Tox. Je propose de reprendre la boîte à rythmes et à Daniel de nous rejoindre. J’aimais beaucoup ce qu’il faisait. Suite à ça on part jouer à Lyon aux Nuits Bleues, un festival très important. Pour ce concert Marco est revenu. On a fait un « tabac » et on a été signé dans la foulée.

Et là vous partez enregistrer en Angleterre.

Oui, on a entendu un disque de Peter Gabriel qui était génial avec de nouveaux sons. C’était le début des samplers et des sons incroyables. J’attendais ça depuis longtemps. On fait le disque dans cette optique et quand il est sorti, on a eu un bon papier de Rémi Kolpa-Kopoul dans Libé qui qualifiait Kakikouka le single de « Cadeau de printemps », ça sentait bon !

Vous étiez sur une autoroute : vous faites Elixir, vous avez beaucoup de promotions…

Mais ça ne marche pas… En fait mon grand problème a toujours été les musiciens (rires). Après nos déboires avec Marco, Tox est parti chez Étienne Daho.

Houlà ?

Je vais te raconter. Après Elixir on pouvait penser que nous allions cartonner, on était super motivés. Tox nous propose un clavier : Boris Sarcey ! Super idée, on se met à répéter. On prépare un 45t. On réussit à avoir un budget pour l’enregistrement. Béatrice Macé notre manageuse nous organise une super tournée : Suisse, Allemagne, Autriche …Une semaine avant le départ Tox nous annonce qu’il ne viendra pas parce que Daho l’a branché avec Boris pour « la Notte, la Notte ». On est devenu dingue Béa et moi. On est parti faire cette tournée sans guitariste !

Mais Ubik n’a jamais été un groupe : c’est toi avec des musiciens ?

On peut voir ça comme ça. On est parti en tournée avec un autre bassiste : on avait deux basses et Marc Pouliquen à la batterie. Le groupe n’était pas vraiment au point. On répétait sur scène !. On a enregistré quand même le 45t « Nada », même si la veille de l’enregistrement le bassiste s’est retrouvé en taule (rires). Ça a été catastrophique !

En concert à Poitiers en 1982
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Comment ça ?

Le jour de l’enregistrement il n’y avait personne. Le bassiste s’était fait chopper avec un demi kilos d’herbe et comme ce crétin avait dit qu’il dormait chez Marco, il s’est retrouvé aussi en taule (rires). C’est grave un con pareil ! Le jour de l’enregistrement ! J’ai appelé Bernard Szajner (Musicien contemporain Français, NdlR) avec qui je venais de travailler et je lui ai demandé le numéro de Bernard Paganotti, un super bassiste. Pour l’occasion on a réembauché Tox ! C’était le dernier disque chez RCA.

C’est là que tu commences à travailler avec Bernard Szajner et Howard Devoto ?

Non, on a joué sur le disque de Bernard en 1982 : « Brute Reason ».

Qu’est ce qui se passe après : tu te retrouves tout seul dans Ubik ?

Oui, je n’en pouvais plus, je voulais un peu d’air donc je m’installe à Paris avec Béa, rue de Belleville. Elle devient tourneuse. Je rencontre des gens, je travaille de nouveaux morceaux. Entre temps je faisais plein de boulots alimentaires. Je retournais à Rennes tous les mois de décembre pour les Transmusicales. Aux Trans j’étais Runner. Je véhiculais les groupes et du coup j’ai eu l’occasion de rencontrer pas mal de bon musiciens. C’était génial comme ambiance les premières Trans. C’était vraiment la fête !

Et musicalement tu faisais quoi ?

J’ai fait « Maria del Peylote », avec Boris Sarcey qui est sorti sous forme d’un single chez Off The Track et sous le nom d’Ubik. On a fait ensuite « Opéra » toujours sous le nom d’Ubik.

Tu étais seul ?

J’ai toujours été avec des musiciens mais globalement c’était moi tout seul. J’étais le seul élément stable du groupe !

A l’époque tu commences à travailler avec Peter Murray chez Off The Track ?

J’ai du respect pour lui, c’est un très grand DA. Il a découvert pleins de trucs : les Négresses Vertes, Zebda… J’ai ensuite enregistré « l’album « Mysteries of the solid ground » sous le nom de Maujard et les Télépathes !

Un groupe très avant-gardiste.

Avec ce nouveau nom et ce nouveau groupe, j’ai pu continuer et déjà j’en suis content.

C’était quoi l’idée : continuer Ubik ?

Je voulais juste continuer à faire de la musique. On a fait un premier album en live. J’ai monté un groupe : Marcel Aube, (qui lui aussi jouait avec Etienne Daho, Ndlr) à la basse, Fodil à la guitare, Afid à la batterie (Batteur de Khaled et de Bertignac et les Visiteurs, Ndlr) et Helen Turner aux claviers, une anglaise qui avait beaucoup bossé avec Style Council. On a fait le disque, ça sonnait d’enfer, tout le monde était content, y compris Off The Track. On décide de préparer une tournée pour promouvoir l‘album. Tout allait bien. Helen devait repartir en Angleterre pour son album solo. On allait pouvoir la remplacer. Et là Marcel nous annonce qu’il nous quitte pour produire les Valentins et qu’il va jouer avec Tox pour ….Sylvie Vartan !!! (énorme rire). Bon, en dehors de l’aspect tragi-comique du truc, on avait un disque qui était super, on avait un clip réalisé par Jo Pinto Maïa qui tournait bien, on passait en radio, on aurait fait la tournée avec les musiciens du disque…. Et le bassiste – élément clé du groupe - nous quitte pour Sylvie Vartan ! Le plus dôle c’est que lui et Tox se sont fait virer une semaine après le début des répétitions !

Tu as fait comment ?

On a cherché des musiciens dans tout Paris, on en a trouvé mais bon ça ne l’a pas fait ! Marcel est un bassiste difficilement remplaçable, et puis… ça a cassé légèrement l’ambiance !

Tu es maudit !

Je me suis posé la question ! Attend, on fait la fête de la musique pour M6 à la Défense. Une grande scène, c’était énorme pour nous. On s’installe et pas de batteur. L’équipe technique tirait la gueule, bref on fait la balance sans batteur. On réussit finalement à le joindre et il était devant sa télé à regarder quoi ? M6 ! Il a fini par venir et on a joué mais j’étais super énervé… et il y a de quoi.

Après ça ?

Je re-arrête ! J’en pouvais plus !

Et pourtant tu fais un deuxième album sous le nom de Maujard « Sous le chapiteau du ciel » encore plus avant-gardiste avec des gens de Massive Attack.

Oui pas les membres du groupe mais Andy Wright qui avait travaillé en tant que programmeur sur l’album « Protection » et aussi avec Eurythmics, un musicien excellent que m’avait présenté Peter Murray. C’était le début de l’électro et je savais que c’était pour moi, je n’avais plus à bosser exclusivement avec des musiciens. Bon, pour ce disque, j’ai re-travaillé avec Marcel. En même temps quand il y a du blé les mecs arrivent toujours ! On a préprogrammé et arrangé le disque à Rennes avec Henri Jégou et Marcel. Bref, Pete organise l’enregistrement et il produit. J’avais signé chez East West mais ils ne comprenaient rien à ma musique. Quand il a écouté mon D.A à dit « Mais c’est pas du rock ?! » et ils n’ont rien foutu. Forcément ça a été un fiasco. Dégouté ! Après le single Technosalsa qui est malheureusement sorti en même temps que la Lambada (!) J’ai fait l’erreur de leur rendre mon contrat, je dis erreur parce que si j’étais resté et ils auraient été obligés de me faire enregistrer un autre album mais j’en pouvais plus.

Et tu fais quoi après ?

Je décide de m’intéresser aux machines mais personne alors surtout en France ne mettait des voix sur l’électro. On me prenait pour un opportuniste alors que je m’intéressais vraiment aux premiers Dj’s technos. On partait en Angleterre avec mes potes pour les découvrir. Ce qui est sûr c’est que j’ai été un des premiers à intégrer des sons électro dans des chansons françaises.

Mais tu as travaillé avec de grands noms ?

Ouais, ouais… J’ai rencontré des gens… Des bons.

Mais tu t’es arrêté ?

Non je suis parti en Angleterre. Ça tombait mal : j’avais déjà un gamin et un autre en route. Ma femme m’a toutefois encouragé. Et j’ai découvert un autre monde : c’est dur chez eux. Ils n’ont pas d’intermittence, pas d’aide. Les anglais sont durs à la tâche. Quand tu ouvres le frigo moyen chez eux, tu n’as rien : juste des pâtes et du ketchup. Ils bouffent que de la merde et j’ai fait comme eux ! J’ai bouffé de la merde en habitant dans une piaule pourrie. J’ai fait un peu le serveur parce que je devais survivre. Je suis retourné voir Andy pour aller bosser dans son studio. Il m’a branché sur un pote à lui, qui m’a proposé une petite place dans la petite place qu’il avait dans le studio. J’ai rencontré une foule de musiciens géniaux dont l’adorablement excentrique Dave Allen qui avait produit entre autres « Disintegration » de Cure, j’ai commencé à faire des remix. J’ai même rencontré Brian Eno qui venait travailler là de temps en temps. Je me suis prosterné devant lui ! (rires). Andy m’a appris plein de choses.

Et tu rentres ?

J’avais toujours ma famille en France et je vivais dans un appartement squatté dans un immeuble qui avait été désaffecté près du stade de Wembley. Tu croisais des renards dans la cage d’escalier (rires). Quand je rentrais en France j’étais décalé ! Je devais à chaque fois tout recommencer quand je revenais. Il fallait être réactif.

Que se passe t’il quand tu reviens à Rennes ?

J’étais super motivé, j’avais bossé avec des supers bons mais personne ne voulait travailler avec moi. J’ai quand même fait un six titres avec Dargelos, « Pourpre cœur ». J’ai commencé à faire DJ le Clown et du Mash-Up, mais tu ne gagnes pas un rond avec ça ! J’avais pas les droits. Comme je suis un mec simple je me suis dit : « pourquoi ne faire que de la musique, quand tu peux faire aussi de la vidéo ? ». J’ai commencé à monter des images pour faire un show Mash-up vidéo ou j’intégrais des films et des séries.

Mais tu ne gagnais rien avec ça ?

Non, mais je tournais un peu. Je suis allé à San Francisco, à Los Angeles, en Pologne, en Suisse et pas mal en France mais le problème est que j’étais trop en avance et que personne n’avait vraiment le matos pour la vidéo. J’ai même fait les Trans ! Mais les gens ne dansaient pas tant que ça : ils regardaient les vidéos. L’image est tellement puissante que ça bouffe tout.

Tu as sorti tes deux derniers disques sous le nom d’Ubik, pourquoi ?

Eh bien, je ne sais pas (rires) ! Comme j’étais à Rennes et comme les gens me connaissent sous ce nom, je me suis dit « pourquoi pas ? ». J’ai cherché un autre nom mais bon… Mon prochain album sera peut-être sous le nom de Maujard, on verra…

Pourquoi tu refais des disques ?

Parce que j’aime la musique et que j’aime l’idée d’avoir un public… même petit !

Tu fais tout, tout seul ?

je les produis tout seul mais je joue avec mon fils, Hélie, et j’ai fait jouer des gens sur mon disque : Pierre Corneau sur un titre, Pascal Karels sur un autre, Daniel Paboeuf et Yannick Jory… Je joue avec des gens doués et que j’aime ! Parfait.

Et puis tu remontes sur scène ?

Oui, la scène c’est vital et j’adore ça.

Quand on te voit sur scène, c’est très rock !

Oui avec mon fils c’est plus rock : on est deux avec une machine. Hélie a quartier libre et il en profite à fond !

Tu penses à reformer le vieux Ubik avec Tox, Marc Pouliquen et Daniel Paboeuf ?

Jamais ! Je ne suis même pas sûr qu’ils auraient envie ! En fait, je suis très content de ce que je fais à l’heure actuelle. Ce qui sort des hauts parleurs, c’est la musique que je veux ! Artistiquement je suis sur la même longueur d’onde que mon fils : c’est un super guitariste. J’ai la pêche, il est positif : la malédiction c’est fini.

Tu penses à jouer en dehors de Rennes ?

Je cherche des concerts en ce moment mais avec le Covid c’est un peu compliqué. j’ai profité de cette période pourrie pour faire un album et là on va commencer à rejouer sur scène.

Quand tu vois ce parcours, tu penses quoi ?

Je me dis que j’aime la musique : ce n’est pas de ma faute ! J’aime toujours autant ça !

Mais si le Maujard d’hier, il te croisait aujourd’hui ?

C’est le même, la même folie (rires).

Helie et Philippe Maujard sur scène en 2021
Crédit : Philippe Trocheris

Donc pour conclure on peut dire que tu es un ovni sur la scène rennaise et française ?

Oui, mais ça a été une force et aussi une faiblesse d’être toujours à la marge. En musique, il faut arriver au bon moment : ni trop tôt, ni trop tard.

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Couverture de « Kakikouka ! Ubik et l’étoile noire »
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