C’est ton deuxième album sous le nom de Signac. Avant tu avais sorti six albums sous ton nom, Fred Signac, ainsi que des titres sur des compilations. Pourquoi tu continues à t’appeler Signac ?
Au tout début, vers 1994, je m’appelais « Dimanche Désuet » et c’est sous ce pseudonyme qu’un six titres vinyle « La couleur de l’or » a été publié en 1996. En 2000, enregistrement de l’album « Le liquide allumé » grâce à la structure Dinosaurs dirigée par Jeanne Morisseau. Sur son idée, je me suis découvert et nommé Fred Signac. Je chante et enregistre sous le nom Signac depuis 2018. Quelques années plus tôt une cassure, une brisure avec des musiciens qui m’accompagnaient s’est traduite par une intense douleur, toxique. Depuis cet épisode je voulais oublier Fred Signac. Comme la musique est un moyen vital qui me permet de m’exprimer, et que je composais toujours des chansons, je suis reparti avec ce nom.
Que s’est-il passé musicalement entre 2018 et cet album ? J’ai vu que tu avais arrêté les concerts.
Il s’est passé un terrible drame dans ma vie privée… Pour les concerts, ça a toujours été difficile pour moi. J’en ai fait, qui se sont toujours bien passés mais c’est une rude épreuve. Je suis assez réservé comme personne et un concert est comme un combat. Il faut se montrer, présenter ses chansons devant un public, il faut donc aller au charbon, jusqu’au bout et c’est une angoisse qu’il faut vaincre. Je n’ai aucun réseau et , par le style de mes chansons, il est nécessaire de jouer dans une salle où l’on puisse écouter. C’est devenu impossible de jouer sans réseaux dans une salle décente quand on est comme moi en autoproduction. Il reste les concerts en plein air et c’est une horreur, aucune écoute. Je ne veux plus jamais en faire, ni dans les bars… Cela devient compliqué à partir de là (rires).
Tu sors un deuxième album de Signac « Jusqu’ici ». A l’écoute on peut trouver des points communs avec Bashung, Rodolphe Burger ou même le poète Michel Bulteau mais concrètement ça ne ressemble à rien de précis.
C’est un grand compliment !
C’est très personnel et pourtant tu n’écris pas tes textes !
J’ai écrit plusieurs textes, moins par la suite, mais mon ami d’enfance , mon frère de cœur, Joël Rodde, écrit pour moi et d’une bien plus belle manière. Sa poésie , car il écrit de la poésie, est unique et incroyable. Je l’ai toujours vu écrire et ça fait trente ans que l’on fait de la musique ensemble. Le processus est simple : quand je reçois ses textes, la musique vient tout de suite.
Les textes arrivent avant la musique ?
Oui, la musique n’est pas un souci. Il sait vraiment ce que je veux exprimer et on se connait tellement bien que lui, qui n’est pas musicien, se demande toujours comment ses textes vont sonner. Il est surpris par le résultat. Peut-être est-ce ce qu’il attendait dans sa tête ? Moi aussi je suis surpris parce que les mots qu’il emploie sont les mots que j’aurais voulu employer. Quand je reçois ses textes, la musique vient vraiment immédiatement. Ses mots sont mélodie.
Vous êtes en contact permanent ?
Oui, il écrit, il m’envoie ce qu’il a créé, j’enregistre une version guitare voix et puis on échange. Quand ça nous plait on envoie une démo aux deux autres complices ,Christophe Jouanno et Eric Signor, qui habillent la chanson.
Vous décidez ensemble des arrangements ? On dirait presque de la poésie parlée. Tu te mets dans la position du poète ?
Je n’ai pas la capacité d’écriture de Joël. Je sais juste interpréter et j’adore ça !
C’est toi qui décide si tu récites ou si tu chantes ?
Oui, il ne me donne aucune directive. Il m’envoie juste les textes et c’est comme ça vient. Parfois c’est parlé chanté, parfois chanté et parfois parlé.
Tu as conscience qu’en faisant un disque de troubadour, au sens noble du terme, tu ouvres des portes à un public qui adore ce style. Ce n’est pas du rock, c’est pas de la pop..
Non, ce n’est pas du rock, ce n’est pas de la pop , un peu folk parfois , je n’arrive même pas à le définir. Et je ne suis pas sûr d’ouvrir des portes à un public.
Si on peut te rapprocher de quelqu’un ce serait Leonard Cohen !
Tu m’honores énormément ! Il y a des influences qui m’ont fortement marqué mais chez moi ça sort comme ça. Je ne sais jamais à l’avance comment ça va sonner. Je ne cherche pas à faire comme untel ou à chanter comme l’autre. C’est juste une alchimie entre deux personnes : Joël et moi. C’est une émotion que je ressens et que j’essaye de transmettre en chantant en français. J’ai essayé l’anglais, c’était dans mes débuts mais ce n’était pas assez personnel. J’ai surtout conscience que chanter la poésie en français aujourd’hui, c’est difficile à percevoir !
Non, je ne pense pas, par contre c’est un disque qui s’écoute : il ne s’entend pas ! On ne peut pas le mettre en fond sonore !
Je suis content que tu me dises ça, c’est très important pour moi qu’il s’écoute !
Ton disque se mérite, tu es un personnage qui se mérite. Tu sembles un peu un poète perdu dans un monde qui change avec le streaming ou internet.
Je sais (rires). C’est hallucinant que tu aies saisi tout ça ! Ça veut dire qu’on a atteint notre but parce que tu as ressenti l’émotion et la sincérité par les chansons. Je ne supporte pas le monde actuel ! C’est une illusion totale : le streaming, les plates-formes. Je suis obligé de passer par Kisskissbankbank pour diffuser ce nouveau disque mais tout ce qui est internet ne me plait pas. Je diffusais de la musique avant internet et les gens étaient beaucoup plus curieux. A l’époque c’étaient des K7, qui partaient par dizaines, et aussi nombre de fanzines tenus par des passionnés, qui aidaient à la découverte. Je me souviens Octopus, Hyacinthe, Crème brûlée etc… Aujourd’hui tu as beau avoir un son d’enfer avec des pochettes splendides, tu es un parmi beaucoup. Le pire, ce sont ces plates-formes où il y a tellement de gens et de disques que tu es perdu dans la masse. Les gens ne vont pas aller me chercher là. C’est un piège à la con : tu payes pour être un numéro perdu dans la masse.
Tu es donc un vrai poète perdu dans notre siècle ?
Je vais te dire quand j’étais au lycée et que je voyais l’an 2000 je me disais « ce sera la merde » (rires). Il y a eu une grande bascule après 2000.
Tu n’as pas peur d’avoir l’étiquette « artiste maudit » ?
Les gens mettent les étiquettes qu’ils veulent ou qu’ils peuvent. Moi, je ne revendique rien sauf d’être un artisan. Si c’est mon huitième album, ça signifie que la musique m’est nécessaire, c’est mon souffle vital et que ma création peut toucher les gens. Je suis satisfait de ce que j’ai fait, comme un ébéniste est content de son travail, un travail artisanal. Si cette émotion peut être transmise à d’autres, le pari est gagné. J’ai beaucoup de pessimisme quant au goût critique des gens quand je vois ce qui s’écoute en masse. Il suffit juste d’un bon marketing, de publicités matraquées et le produit se vend comme on vend du vent. Il suffit juste de regarder la programmation des festivals, les mêmes noms se répètent. La normalisation.
Pour la production, tu travailles depuis longtemps avec deux personnes : Éric Signor et Christophe Jouanno. Sur le disque il y a deux instruments qui amènent une trame mélodique : le piano et la guitare Folk et la production est parfois plus importante mais globalement c’est un disque organique et peu produit. Comment se passe la réalisation ?
Je connais Christophe Jouanno depuis 1996. Il a joué et réalisé le premier Fred Signac et sur tous les albums suivants. Il joue de la guitare. Il fait des stages d’ingénieur du son, il se professionnalise et il acquiert au fil du temps du très bon matériel qu’il sait dompter. C’est lui qui nous enregistre. C’est un sorcier du son. Il n’hésite pas à rajouter des instruments comme la guitare espagnole, une mandoline… Il dirige la réalisation et comprend très vite jusqu’où l’on peut aller. Et on y va !
Il y a de la trompette ?
Ça c’est Éric (Signor NDLR) mais ce n’est pas une vraie, comme la batterie… Lui, c’est un musicien qui me bluffe. Il écrit sa musique sur partition. Il joue de l’accordéon, du piano, des cordes… C’est un vrai musicologue ! Il connaît par cœur la musique classique et peut s’adapter à n’importe quel univers. Quand il entend la démo de départ, il met en place tout le reste. Sur le Signac de 2018, je voulais un truc plus urbain. Je crois que j’interviens deux fois à la guitare folk. Là, on est revenu à un truc plus chaleureux. J’ai composé 11 chansons sur douze à la guitare folk et je voulais que l’on entende bien le grain de la guitare folk ainsi que la voix. C’est un disque chaleureux et produit avec cette idée sauf que parfois il y a des débordements comme sur « J’irai », « Pas joli » ou « Ici on ne voit pas loin » où on entend plus de production. Chacun amène sa patte et on écoute, ensuite on discute.
Vous vous voyez souvent ?
Non, Christophe habite en région parisienne et Éric en Ardèche, on se voit rarement… On a enregistré dans une maison en Auvergne en mai 2022. On ne s’était pas vu depuis longtemps mais il y avait eu tout ce travail de démos avant et chacun a mis sa sauce. Ça fonctionne souvent du premier coup. Si tu prends le titre « Ici on ne voit pas loin », je l’ai enregistré à cappella, tellement le texte était puissant. Puis je l‘ai envoyé à Éric parce que je savais qu’il pouvait faire plein d’arrangements dessus. Il l’a entièrement travaillé, apporté ce côté fin de siècle et c’est pour ça qu’il est crédité comme compositeur. Christophe a ajouté des guitares dessus assez froides qui correspondaient totalement à l’ambiance de la chanson.
Pour moi, c’est un morceau de poésie urbaine ?
Oui, c’est ça !
Justement avec cette pochette, ce besoin d’espace et de campagne, tu n’es pas un urbain ?
Non, j’ai habité à Paris, à Grenoble et je ne supporte plus les villes. Depuis plus de vingt ans, j’habite à la campagne et je me sens libre. En ville, j’ai l’impression que l’on nous enlève beaucoup de liberté et en plus il y a cette violence, une tension palpable et quotidienne, l’agressivité… C’est très difficile pour moi d’être dans les villes !
Il y a deux mots qui viennent à l’écoute de disque, c’est campagne et espace. Ta musique a besoin d’espace. Elle n’est pas faite pour être écoutée au casque ! Il suffit de voir la pochette, qui a été faite par ta fille, elle résume ton disque : une forêt en automne !
Le disque a été en grande partie enregistré en Auvergne dans une maison où il y avait de l’espace, oui ! Je n’avais pas fait le lien… Pour la pochette, ma fille m’a proposé de la faire et cette pochette résume le disque, surtout le titre « Vu d’ici ». On voit une espèce de route et on ne sait pas où elle mène ! Quand tu enlèves le disque, il y a un banc sur la photo intérieure. Ça veut dire « je suis arrivé jusqu’ici et je vous invite à vous asseoir, à écouter mais vous n’êtes pas obligé ». Le titre signifie également que je suis arrivé jusqu’ici, aujourd’hui, après toutes ces années de création. Bien sûr, c’est Joël qui a trouvé le titre. J’ai besoin d’avoir des moments précis pour écouter un disque. Si je dois faire une corvée, je mets la radio mais sinon pour écouter un disque, je dois me mettre dans un état précis, un moment privilégié.
Quels sont tes projets ?
Continuer, et que la campagne de financement participatif touche un peu plus de gens que d’habitude. J’aimerais que les gens écoutent ces chansons, chez eux. C’est le plus important du moment. J’aimerais amener une autre vision de la musique avec ces chansons. On m’attend trop sur un terrain, la tristesse, la nostalgie alors qu’il se passe autre chose dans cet album. Et surtout, ne pas être prévisible, c’est ce qui me motive. La prévisibilité fait partie de cette normalisation dont on parlait tout à l’heure et ça, oui, ça me rend triste. J’aimerais donc que cette imprévisibilité se sente auprès des auditeurs par ces chansons.
Tu as participé au livre - disque en hommage à Jean Louis Bergère. Est-ce que tu n’appartiens pas à une famille de chanteurs, comme lui, qui se moque complètement de la mode, du marketing et tout le reste en traçant vos routes ?
Je ne me sens pas appartenir à « une famille ». J’ai rencontré beaucoup de chanteurs comme moi, ou du moins à qui on pourrait me rapprocher et je n’ai pas senti une grande solidarité… presque de la compétition. J’ai senti surtout beaucoup d’égos, sauf avec Jeanne Morisseau et Christophe Jouanno qui m’ont présenté Éric Signor. Sinon, je n’ai pas connu d’entraide entre nous. C’est peut-être dû à mon caractère : je ne vais pas trop vers les gens. Attention, je ne leur en veux pas. La personne dont je me sens le plus proche est Marcel Kanche, même si je ne le connais pas. Il vient de sortir un disque fabuleux, son meilleur à ce jour, »Un nid » et bien, personne n’en parle…
Le mot de la fin pour ce disque ?
Je voudrais dire merci à ceux qui m’ont entouré pour faire ce disque ! On s’est tous bluffés pour arriver à ce résultat. C’est mieux que ce que l’on croyait : ce n’est pas prétentieux c’est un sentiment. On est arrivé à créer quelque chose qui nous dépasse. Il y a un vrai esprit d’apaisement et de satisfaction. Désormais c’est au disque de faire sa vie ! J’espère que les gens vont l’écouter avec attention et bienveillance.
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