Peux-tu te présenter ?
Cyril, dit Pooley dans le milieu graphique, Cucumber dans le milieu musical car c’est le nom de mon projet perso. Je suis graphiste depuis mes 18 ans et musicien en side project depuis le même âge.
C’est venu comment cet amour des années soixante ?
J’ai plongé dans le mouvement Mods à 13 ans. Je me suis rapproché d’une communauté Mods à Avignon. Ils étaient un peu plus vieux que moi et j’ai intégré cette culture. Ce ne m’a pas lâché pour la vie. J’ai découvert la musique Nord-Américaine et Anglaise des sixties, ensuite cela a été les vêtements et les scooters et par extension le mode de vie de cette époque, toute la culture au sens large du terme.
Pour moi, tu fais de la pop culture ?
Je ne sais pas si j’en fais mais je vis dedans !
Tu définirais ça comment la pop-culture ?
Houlà, c’est compliqué ! Je ne sais pas si il y a une définition parce que chacun y voit sa propre pop culture. Pour certains ce seront certaines années, pour d’autres une attitude, enfin j’imagine…
Penses-tu que c’est vivre dans une époque précise ou une culture populaire à qui on donne du sens et de l’esthétisme ?
Ce sera plutôt ça, ce n’est pas se cantonner à une période précise. Aujourd’hui, par exemple, il y a beaucoup de choses à prendre. C’est peut-être de la revisite ? Je ne sais pas trop… Ce n’est pas restreint à une période. Le sampling ou la revisite de ça est passionnant : faire du neuf en allant piocher dans le vieux. Je pense que c’est quelque chose qui évolue, même si cela prend ses racines dans une période donnée, là les années soixante. Je m’intéresse à pleins de choses dans d’autres périodes comme les années 30 ou le psychédélisme de la fin des années soixante… C’est plus vaste qu’une période donnée ! Je peux m’inspirer de l’art nouveau pour faire des affiches comme l’ont fait avant moi des gens à San Francisco dans les années 60. En fait c’est une espèce de boucle !
Le talent n’est-il pas de digérer ses influences et de savoir les ressortir ?
Oui, mais c’est une vraie réflexion : c’est quoi le talent ? Je vois des gens que j’adore et qui sont talentueux mais je ne sais pas comment ils font (rires).
Tu es graphiste avec le Woom Studio qui existe depuis 1989 ?
En 1989 c’est l’année où je deviens graphiste, professionnellement ! J’avais mon job de graphiste mais à côté je faisais des pochettes, des affiches et tout ça pour des groupes qui me plaisaient. C’étaient les prémices du Woom Studio.
Pourquoi ce nom ?
Je l’ai trouvé il y a quatre ans quand j’ai quitté l’agence où je bossais depuis 25 ans. Je voulais un nom pop et je trouvais que Woom allait bien : ça faisait pop et surtout je voulais une pirouette graphique, c’est un ambigramme rotatif. Tu peux le faire tourner et tu peux toujours voir Woom (rires).
Tu as fait beaucoup de pochettes de disques, notamment pour Dani Sani !
J’ai fait toutes ses pochettes ainsi que celles de son label les disques Tchoc, entre autres.
Tu as aussi fait celles du Superhomard !
Oui, je fais les pochettes (et les clips) de Christophe Vaillant depuis le début du Superhomard, et quelques mises en page depuis sa collaboration avec Maxwell Farrington. Christophe est mon ami de longue date.
Dans toutes tes pochettes il y a toujours ce côté pop culture qui revient !
J’essaye (rires), mais presque à chaque fois ce sont des projets où je me sens proche. J’ai fait des choses pour les compilations StereoUltra chez Big Cheese, Fred Palem et d’autres…
Tu as eu une formation de graphiste ?
Pas du tout ! J’ai appris sur le tas et j’ai arrêté mes études à cause de mon addiction au dessin. J’ai fait un stage durant l’été, chez Christian Audigier qui était basé à Avignon, pour gagner un peu de sous. Comme il a vu mon aptitude à ce travail, il m’a proposé un job. Deux mois après la rentrée, je suis allé le voir et j’ai laissé tomber la 1re (au lycée) où je végétais depuis deux ans pour le rejoindre. Je me suis arrêté avant le bac. C’était un métier qui apparaissait : le graphisme PAO. C’étaient les premiers Macs et les logiciels Adobe arrivaient. J’ai découvert ce métier par hasard et depuis je n’ai pas lâché, j’étais un fou de dessin et que j’avais un ordinateur perso chez moi.
Tu as également une carrière de musicien. Ces deux carrières se sont nourries l’une et l’autre ?
Laquelle a nourri l’autre ? Mon métier de graphiste m’a nourri au sens propre du terme et comme j’avais accès à des ordinateurs, j’ai pu faire du graphisme pour les groupes dans lesquels j’évolué. Je me suis payé un Mac et j’ai pu travailler chez moi (la nuit).
C’est quoi ton premier boulot ?
Je me rappelle de mon premier logo où j’ai été payé en perso. C’était une friperie qui voulait un truc à la Lonsdale. La boutique existe encore et j’ai été payé avec de la fripe, deux pantalons et un petit blouson (rires). Je n’ai jamais arrêté depuis, même si forcément j’ai évolué. Je continue à faire des pochettes mais maintenant le cœur de mon boulot c’est les clips vidéos.
Tu as fait dernièrement un clip pour Matmatah.
Oui, j’ai d’abord travaillé pour leur label sur un autre projet : Skopitone Sisko. Comme Matmatah, pour un nouveau morceau, cherchait un réalisateur, le label m’a proposé, parallèlement appuyé par Benoit Fournier, le batteur du groupe, qui est un grand copain de Daniel Sani. Il y a eu pas mal de télescopages et ils m’ont proposé de faire un clip psychédélique, ce qui m’allait bien !
Surtout que toi, tu adores les scopitones !
Oui, c’est vrai (rires). Pour ce clip c’était la première fois que j’utilisais l’Intelligence Artificielle. Ça m’intéresse et ce travail correspond parfaitement avec le sujet du morceau. Je fais beaucoup d’expérimentation sur mes propres clips, ça me permet de maîtriser ces techniques….
Tu ne fais pas de tournages ?
Si, même si je n’ai pas fait beaucoup de clips tournés en décors naturels et en costumes, parce que c’est compliqué. Je préfère travailler sur l’intégration d’artistes sur un fond vert. Comme j’ai fait avec Matmatah. Le clip est presque fini quand je fais l’intégration des fonds verts. Ça reste quand même de l’animation. Souvent je pars avec mon fils qui m’aide pour l’organisation. On est allé à Brest, un weekend, pour filmer les musiciens du groupe et ça m’a permis de les intégrer au clip.
Tu n’as pas peur des IA ?
J’ai eu beaucoup de discussions sur le sujet avec des collègues ! Ce qui m’intéresse c’est l’outil ! Ça me permet d’ajouter et de proposer quelque chose au processus de création. C’est très artisanal ce que je fais, je bricole beaucoup mais j’aime utiliser tous les outils à ma disposition : les fonds vert, la 3D… J’aime mélanger les styles pour arriver à mes fins. L’IA je trouve ça passionnant… Tu ne sais pas trop où tu vas, même si tu lui donnes les directions à prendre….Tu dois t’arrêter, repartir, pour enfin arriver à un résultat qui te conviens à peu près ou même mieux… parce qu’elle est forte l’IA ! Pour le deuxième clip de Scopitone Sisko, tous les décors et personnages sont faits en IA et après je les remet en scène.
Tu n’as pas peur que l’IA surpasse le travail des graphistes comme toi ?
Si bien sûr mais qu’est-ce qu’on peut faire contre ? La grande question qui se pose est « est ce que le boycott va changer quelque chose pour l’avenir ? » La machine est en marche et elle ne nous a pas attendue… Ça va tellement vite !
Mais toi qui fais de la musique organique, ce n’est pas compliqué de voir apparaître l’IA ? C’est antinomique avec ta culture !
Bien sûr, même si je ne suis pas très au courant de ce qui se passe en termes d’IA pour la musique mais en termes de graphisme c’est une révolution. Sur le principe, tu tapes quelques mots clés dans un logiciel et en une dizaine de secondes tu as une pochette de disque ou autre, notamment si tu sors le disque en numérique, sans avoir besoin de conseils techniques d’impressions… Maintenant quand je vois le travail que font des artistes avec l’IA, il faut avoir la culture, les bonnes références et toute la culture graphique qui va avec ! C’est juste une machine l’IA ! Que ce soit les réalisateurs ou les graphistes pour arriver à avoir quelque chose dans « l’esprit de », il va falloir qu’ils demandent à cet outil, un vrai travail de précision pour qu’elle aille piocher dans toutes les références proposées sur le web ! C’est ça qui a du sens ! Je ne l’utilise pas comme une fin en soi. Je passe derrière pour y mettre « ma patte ». C’est juste un outil pour fabriquer de la matière.
Tu penses donc qu’avec l’IA, la culture est plus importante que le savoir-faire ?
Il faut les deux ! Il faut savoir parler à la machine et la nourrir avec les bonnes choses.
Ta culture tu la nourris depuis 30 ans mais tu as appris l’IA en une après-midi !
C’est pas faux mais maîtriser les outils de l’IA, où tous les jours tu as un nouveau truc qu’il faut intégrer c’est un vrai travail où il faut une complexité importante. Ce qui me fait un peu plus peur, ce sont des applications de smartphones qui font appel à l’IA où derrière il y a des mecs avec des préceptes qu’ils auront ramenés. Tu as juste un bouton où tu peux faire des choses dans « le style de ».
Maintenant tu vas intégrer l’IA dans ton travail ?
Pas tout le temps, encore une fois pour moi c’est un outil. Actuellement je travaille sur un clip où il y a des façades de maisons méditerranéennes et dans un souci d’unité j’ai demandé à l’IA de me construire ces façades. Ça me servira pour mon décor ! Tout le reste c’est d’autres techniques graphistes d’animation. C’est juste le background qui est en IA mais tu ne le vois pas. Il y aussi une unité graphique qui est capitale pour moi. Les façades sont cohérentes entre elles !
Ne serait-ce pas la vraie attitude mods : un pied dans le passé, le regard vers l’avenir pour un corps bien planté dans notre époque ?
Je suis d’accord, les Mods sont modernes ! Être moderne ce n’est pas vivre dans les années soixante mais au contraire vivre dans son temps. Moi, je vis en 2024 mais en baignant dans un esthétisme des années 60. Je vis pour ça, c’est mon truc. J’achète des livres graphiques des années 60, du mobilier… Ce qui m’intéresse chez les gens qui font de l’IA aujourd’hui, avec cette culture, ce sont ceux qui font des trucs incroyables entre Cosmos 1999 et l’ultra pop. Ce sont des univers qui me parlent avec l’esthétisme des années 60 et la modernité de l’IA. Ils manipulent l’outil pour arriver à ça, c’est ce qui me plairait.
A côté de ton travail de graphiste tu mènes une » carrière » de musicien !
Pas vraiment une « carrière », Christophe (Vaillant) mène une carrière pas moi (rires).
Tu as fait beaucoup de groupes avec lui ?
Oui, Strawberry Smell et Pony Taylor, ses deux groupes avant le Superhomard. J’ai quitté Pony Taylor à la naissance de ma fille en voulant juste lever le pied. J’ai fait un dernier concert au Jam à Montpellier en 2012. Je ne voulais pas rater des trucs que j’avais un peu raté avec mon fils aîné. Il y avait beaucoup de répétitions, ce genre de choses… Bref je ne suis pas revenu dans le groupe. Ils ont continué sans claviers, un type m’a remplacé et puis rapidement le groupe s’est arrêté. Je chantais et je faisais les claviers : on s’est toujours partagé le job de chanteur avec Christophe.
Tu es d’Avignon, une ville où il y a le Superhomard, le Chiffre et pleins d’autres. Il y a quelque chose de spécial pour qu’il y ait autant de groupes ?
Je crois que ça vient de la communauté Mods, c’est le chaudron. Ça part de ça : on est tous Mods. Moi je le suis depuis mes 13 ans. On était une bande de potes et puis cela a donné des sous-branches avec certains qui ont monté des groupes. C’est ce noyau dur qui a organisé des soirées, des concerts avec des groupes avignonnais. On faisait les premières parties des uns et des autres. Il se passait des choses…
Si tu regardes les Mods en France c’est Paris, Lyon, Montpellier, Avignon et Perpignan. Pourquoi ça s’est passé dans ces villes, notamment chez toi à Avignon ?
Je ne sais absolument pas pourquoi. J’ai découvert ce mouvement en colonie de vacances en Angleterre, je me suis acheté les badges, la parka, la cocarde et une paire de Doc. J’ai eu mon scooter à 14 ans et me suis fait alpaguer par des types plus vieux que moi qui étaient Mods à Avignon et qui me disent « être mods, ce n’est pas une mode : c’est un style de vie ». J’avais une Vespa, j’étais dans le truc et j’ai rencontré les leaders. Je ne sais pas qui a été le premier Mod à Avignon.
Selon Christophe Vaillant c’est plus une philosophie de vie plus qu’une façon de s’habiller. Tu es d’accord avec ça ? Tu es dans la culture Mods, plus dans le mouvement ?
Si, si.. Je dirais l’inverse parce que Christophe a gardé l’attitude et il n’est plus comme il était à 18 ans. Moi, j’ai fait en quelque sorte mon revival. Il y a quatre ans, je me suis retrouvé seul avec mes enfants, dont ma fille à mi-temps. Ça a été le déclencheur : je n’en pouvais plus de mon boulot, j’ai démissionné et j’ai démarré une nouvelle vie. Je me suis mis en indépendant. J’ai retrouvé une forme de liberté et j’ai commencé à refaire ce que je faisais à 18 ans : aller dans les soirées Sixties ! J’ai refait les rallyes Mods, j’ai été dans pleins de soirées pour aller danser. J’avais de nouveau 18 ans à ce moment-là mais j’avais la maturité de 53 ans (rires). Je recommence à bien m’habiller, ce que je fais tous les jours. Il n’y a pas d’artifice, pas de déguisements : c’est comme ça, c’est moi et c’est nous ! En plus il y a que des vieux dans ce milieu (rires).
Est-ce que revenir dans ce milieu, t’as permis de te nourrir dans ton travail de graphiste ?
Clairement ! Déjà ça m’a permis de renouer et de nouer des contacts pour mon boulot. J’ai trouvé du travail grâce à ça : il y avait un besoin de clips et de pochettes pour des groupes de cette scène dont je m’étais isolé pendant plusieurs années.
C’est pour ça que tu as refait de la musique avec The Falken’s Maze, un groupe où il y a Alain du Chiffre et Daniel Sani ?
Oui, il y a aussi mon fils dans le groupe. Il y a aussi un LP de Stereoscope Jerk Explosion, un vieux projet, qui est prêt ! On doit juste s’occuper de sa sortie. Dans The Falken’s Maze, il y a Cyrille Mazella, l’ancien batteur des Strawberry Smell, mon fils Jamy à la guitare, Alain à la basse, Daniel Sani à l’autre guitare et moi à l’orgue Hammond. J’avais posté avec un peu de nostalgie une émission de télé que l’on avait faite en Espagne avec les Strawberry Smell et là on m’a dit « pourquoi tu ne remontes pas un groupe ? ». J’en ai parlé à Alain, qui est toujours super occupé, mais qui m’a aussitôt dit « d’accord ». C’est parti de là ! Bon, on ne répète pas tout le temps (rires). On a fait deux concerts depuis juin. On a fait notre premier concert pour le Délirium à Avignon, un truc qu’on organise avec Alain et Alexandre qui joue aussi dans le Chiffre. C’est une soirée sixties qu’on organise assez régulièrement sur des weekends entiers avec des groupes et des Dj’s de qualité. Ça balaye tout le panel musical des sixties.
Tu penses quoi de ce parcours ?
Je suis fier de mon parcours, mais je préfère regarder ce qu’il y a après, comme dans la création, ce qu’il y a de plus drôle c’est pendant que tu le fais ! Quand c’est fini et bien, voilà c’est fait ! Je suis fier mais ce qui m’importe c’est le clip en cours, ce qu’on va faire, c’est ça qui est marrant ! Je vis un peu au jour le jour parce que je suis indépendant je n’ai pas une vision à long terme. Me retrouver célibataire et quitter mon boulot m’a fait renaître. Je fais le Dj, j’adore danser et je m’éclate ! Je suis content de voir ce qui va arriver !
On t’enterra mods ?
Sixties plutôt ! Mods c’est trop restrictif ! Je serais plus Pop que Mods. Là je reviens de San Francisco et j’ai l’impression d’être retourné à mes racines en allant acheter des chemises psychédéliques et des posters du Fillmore Auditorium ! Je dois être plutôt hippie que Mods maintenant (rires). Je joue de l’orgue Hammond, instrument qui m’a ouvert à pleins de style musicaux ! J’aime beaucoup cet univers ! Le meilleur est à venir maintenant et après, même si parfois j’ai un besoin de poster des vieux trucs des Pony et des Strawberry. C’est mon côté Mods poseur (rires), genre « je suis né avant vous » (rires).