Pourquoi un livre sur New Rose, trente ans après sa fermeture ?
En 2015, après le Bataclan, un documentaire sur New Rose était prévu. Patrick était encore de ce monde et, pour la première fois, j’avais accepté de parler. Finalement le documentaire ne s’est pas fait.
En 2018, après le décès de Patrick, Dominique Forma m’a à son tour proposé de faire un documentaire. Patrick disparu ce n’était pas évident. Après réflexion j’ai accepté et des interviews ont été réalisées durant plusieurs mois. Dominique a pris contact avec de nombreuses personnes en vue de recueillir leurs témoignages. Les tournages allaient commencer lorsque la Covid est arrivée. Peu avant j’avais rencontré Fabrice Couillerot, ancien client du magasin et éditeur indépendant de livres sur le Rock. Il m’a proposé d’en faire un sur New Rose.
Le documentaire étant tombé à l’eau pour cause de pandémie, nous avons commencé à travailler sur le livre.
J’ai exhumé les archives et demandé à Dominique s’il voulait bien écrire les textes d’après nos entretiens. Chris Bailey a accepté de rédiger l’introduction, Laurent Chalumeau d’en écrire la préface. Il nous a fallu deux ans pour trier et sélectionner les documents afin d’arriver à un résultat satisfaisant.
Comment rencontres-tu Patrick Mathé ?
1977, j’étais encore lycéen et client régulier de Music Box. Les Stones, Stooges, Bowie, Roxy Music, Cochran, Velvet, Gainsbourg, Groovies et autres Dr. Feelgood avaient façonné mes goûts musicaux, le Punk fut ce que j’attendais inconsciemment depuis toujours.
J’ai demandé à Patrick si je pouvais travailler au magasin gratuitement, il a accepté. J’y travaillais trois après-midis par semaine puis je suis devenu employé à plein temps. Lorsque Patrick est parti j’ai été nommé responsable du magasin. A la fermeture de Music Box Patrick et moi avons décidé d’ouvrir notre propre magasin. C’était parti pour une décennie de partenariat.
Qui a l’idée et pourquoi avoir créé un label et une distribution ?
Le magasin a bien marché dès l’ouverture. Il y avait eu un embryon de label (Flamingo) à Music Box, l’idée d’en créer un nouveau nous est venue naturellement. RCA, qui distribuait les premiers disques New Rose, a refusé les albums du Gun Club et de La Souris Déglinguée. Il a donc fallu les distribuer nous-même. Au même moment de nombreux labels indépendants ont vu le jour, la distribution a grandi grâce à eux.
Vous êtes-vous fixés des limites quant à la distribution et au label (artistiques ou financières) ? Quels étaient vos points forts pour attirer les artistes ?
Rien n’était calculé, groupes et labels venaient nous voir. Les grandes maisons de disques s’intéressaient peu à cette scène indépendante émergente. Un groupe en amenait un autre, c’est ainsi que nous avons signé des artistes de Boston, puis d’Austin ou de Memphis.
Les finances ont toujours été tendues, la progression du chiffre d’affaire nous a permis de signer plus de groupes au long des années mais nous étions constamment sur la corde raide.
Y avait-il de la compétition entre Patrick et toi pour le choix des artistes signés ?
Non, nous choisissions les sorties ensemble. Les artistes déjà établis mis à part, chacun proposait des groupes dont il avait aimé la démo ou un single autoproduit. A quelques exceptions près nous avons toujours été d’accord.
Hors du label New Rose j’ai suggéré de sortir en licence certains groupes comme Tuxedo Moon, Front 242, Death Cult, Cocteau Twins, Virgin Prunes. J’ai également apporté l’idée du deal avec Pathé-Marconi qui nous a permis de rééditer des albums d’artistes sortis chez EMI (Buzzcocks, 999, Saints, Stranglers, Starshooter, T.C. Matic…) sur Fan Club.
Est-ce une frustration de ta part qui est à l’origine de la création de sous labels ?
Aucune frustration, c’était dans la logique. Ils n’étaient pas des sous labels, chacun avait sa fonction. Fan Club pour les rééditions de disques épuisés ou des enregistrements inédits de groupes mythiques.
Pour Lively Art l’idée est venue naturellement. Certains groupes, comme Psyche ou Cocteau Twins, sortis sur New Rose, correspondaient moins à l’identité très Rock du label. En créer un nouveau pour accueillir des genres musicaux différents était donc cohérent.
Quelle a été l’importance de la boutique de la rue Pierre Sarrazin dans le développement du label ?
Le magasin était une vitrine pour les labels, ceux de New Rose comme tous les indépendants distribués. Les ventes au magasin permettaient également de tester les disques auprès du public et de mesurer leur popularité en direct.
Pendant 8 ans, New rose a régné sans partage, quelle a été votre réaction à l’arrivée de nouveaux concurrents comme Danceteria par exemple ?
Durant plusieurs années nous avions un quasi-monopole, cette position n’est pas toujours bénéfique. L’arrivée de concurrents fut une bonne chose, cela a créé une émulation et offert plus de possibilités de distribution pour les labels. Nous ne pouvions accueillir tout le monde et faisions donc forcément des déçus.
Quels artistes résument le plus New Rose pour toi ?
Tous. Têtes d’affiche, non-conformistes, débutants et revenants formèrent le catalogue New Rose. Incontournables, seconds couteaux et oubliés témoignent de l’éclectisme et de la liberté éditoriale du label. Et les disques les plus marquants de New Rose pour toi ?
Je ne vais pas citer les classiques, connus et reconnus.
Plutôt quelques disques qui, à mon avis, auraient mérité plus d’attention et de reconnaissance.
L’album « La colère monte » de Gilles Tandy.
Celui de Juliette et les indépendants produit par Mirwais.
“Au pays de l’oubli” des Valentino.
L’album de Blake Xolton « Cool on my Skin”.
The Band of Blacky Ranchette, side-project d’Howe Gelb (Giant Sand).
New Rose était connu pour son graphisme, quelle était l’importance de l’image pour le label ? Tu intervenais dans la conception artistique ?
Au début, je m’investissais beaucoup dans le design des pochettes. Par exemple, j’ai conçu celle du Gun Club avec Philippe Huart. J’en ai même réalisé certaines lorsqu’il était absent. Au fil des ans j’avais malheureusement moins le temps de m’y consacrer. Philippe et Pearl Huart géraient parfaitement la chose en travaillant avec le photographe Alain Duplantier.
Vous avez permis à une génération d’artistes français et de labels, notamment de province, de pouvoir exister. Aviez-vous conscience de votre importance à l’époque ?
Non, aucune. Tout se faisait au feeling, au jour le jour. Nous avons eu la chance d’être là au bon moment et la capacité de gérer l’intendance convenablement. C’est seulement des années plus tard, avec le recul et les témoignages récurrents de personnes pour lesquelles New Rose a été important, que l’on s’en rend compte.
Que s’est-il passé pour que le magasin et label s’arrêtent ?
La société était devenue une grosse machine avec une quarantaine d’employés, ce qui imposait des résultats financiers. Patrick et moi n’avions plus la même vision des choses. Nous nous sommes séparés. Patrick a gardé le label et la distribution. J’ai gardé le magasin et créé le label Single K.O. distribué par Virgin. L’époque n’était plus la même. Beaucoup de proches étaient morts, j’avais divorcé et mes divers excès altéraient mon jugement. Le coût du magasin, des bureaux et quatre salariés, était trop lourd par rapport au chiffre d’affaire. Si j’avais plus prêté attention aux comptes j’aurais réduit les charges en licenciant des employés. Lors de la cession du bail à Gibert j’ai demandé à ce que les vendeurs, Jean et Philippe, soient engagés s’ils le désiraient. Ce fut fait avec la réussite qu’on leur connaît.
Patrick de son côté a vendu le label à FNAC Music. Une page se tournait.
Que penses-tu de l’évolution de l’industrie musicale en 2022 ?
Étant peu au fait de l’actualité phonographique, je n’ai pas d’avis.
La façon d’appréhender la musique n’a plus rien à voir avec celle de l’époque où j’évoluais dans cet univers.
Qu’as-tu fait ensuite ?
J’ai vadrouillé dans le milieu du cinéma au gré de rencontres et propositions, écrit des scénarios, réalisé documentaires, court-métrages et interviews, fait des apparitions dans des films.
Il y a une dizaine d’années, j’ai eu la velléité de créer une société pour éditer en dvd des films que j’aimais. Et puis j’ai repensé à New Rose, aux contraintes, comptabilité, banque et logistique. Ayant déjà donné, je me suis abstenu.
Ton top 10 des disques New Rose ?
Impossible, les classements m’ont toujours posé problème. Ils ne veulent pas dire grand-chose, toute sélection peut fluctuer selon le moment, en fonction de l’humeur. De plus, je risquerai d’oublier certains noms.
Je peux évoquer des rencontres, quelques évènements marquants.
Chris Bailey des Saints, forcément. Premier artiste New Rose et de nombreux souvenirs liés à lui. Juin 1977 – Premier concert des Saints à Paris au Nashville (futur Rose Bonbon). Au premier rang, je mitraille avec mon Kodak. Quatre ans plus tard, on signe le groupe et je pars en tournée avec eux.
Avril 2022, j’apprends le décès de Chris alors que nous étions en train de traduire son texte d’introduction pour le livre.
Autres fragments de souvenirs New Rose, au débotté :
Les concerts des Cramps à l’Eldorado et les soirées qui suivirent.
Le roman photo pour Hara Kiri, tourné au magasin, avec le professeur Choron et le déjeuner qui suivit.
L’insouciance et la complicité des débuts, les fous rires avec Patrick.
Les conversations avec Jean-Pierre Turmel de Sordide Sentimental.
Stéphane (Soucoupes violentes), Thierry et Sandy (Rise and Fall of a Decade) ou les Calamités, avec lesquels je suis toujours en contact.
Pearl et Philippe Huart, Alain Duplantier qui ont façonné l’image du label.
Laurent Chalumeau et Dominique Forma qui ont amicalement accepté d’écrire préface et textes du livre.
Les inaltérables Warum Joe, que je vais inlassablement voir en concert.
Les moments passés avec Chris, Alex, Jeffrey, Damon, Johnny, Willie, Bo, Lux et Ivy et tous les autres. Ils sont l’essence et la raison du livre.