Comment est venu ce principe de l’infiltration ?
J’ai d’abord fait l’école de journalisme de Bordeaux en 2010-2011. À cette époque, Florence Aubenas, qui était journaliste au Monde, fait une infiltration qu’elle va relater sous le nom « Les quais de Ouistreham ». Je ne connaissais pas du tout cette technique que je trouve tout de suite géniale : on est vraiment dans le réel avec ce système. À partir de là, je commence à m’intéresser à cette technique et je découvre que ce mode de journalisme n’est pas nouveau. Cela date de la fin du XIXe siècle avec Nelly Bly qui avait infiltré un hôpital psychiatrique. En sortant de l’école de journalisme j’ai tenté de faire ça. Rapidement je me suis aperçu que ce n’était pas possible : je n’avais jamais fait de terrain. J’ai commencé alors à travailler en presse et radios locales et ce n’est qu’en 2014 que je me suis lancé dans l’infiltration. J’ai passé deux ans à Lille et j’y ai fait mes premières infiltrations là-bas.
Quand tu as infiltré la police, c’était ta septième infiltration. Tu es vraiment rentré dans la police, en gardant ton vrai nom et ton vrai CV ?
Oui, c’est compliqué d’avoir des faux papiers, je ne suis pas Jean Moulin (rires). J’ai toujours fait comme ça pour les infiltrations. Je suis invisible sur les réseaux sociaux, presque invisible sur Internet… Au moment où je passe le concours pour être policier contractuel, et non gardien de la paix, j’ai bidonné un peu mon CV en enlevant l’école de journalisme et mon année et demie passée à Ouest-France. J’utilise mon vrai nom parce que je n’ai pas trop le choix dans ma démarche.
Mais on va te confier une arme et une plaque de police sans faire une enquête ?
Mais ils la font normalement ! Ils vérifient ta déclaration bancaire, ta déclaration judiciaire, tes diplômes… Moi, j’avais déclaré le Bac. Je l’avais, donc ça allait, et c’est tout ! Il n’y a eu aucune recherche sur moi. Quand je suis passé devant la policière chargée de l’enquête administrative, elle n’avait pas de temps pour moi : ça l’ennuie. Elle va bâcler son travail en voyant que tout roule pour elle. Elle ne fera aucune recherche sur internet alors que j’étais déjà identifié comme journaliste d’infiltration. S’ils avaient fait un peu mieux leur travail, ils auraient vu tout de suite que je n’étais pas celui que je disais. Par exemple, il y a des gens qui sont fichés S et qui rentrent dans la police, ça arrive régulièrement. Il y a des failles dans leur système.
Tu vas faire trois mois d’instruction. Tu en retiens quoi ?
Comme me l’avait dit un premier formateur, ça prépare une police « Low-Cost ». Ce statut de policier contractuel existe depuis 1997, et il est conçu comme un assistant des gardiens de la paix mais dévolu aux tâches administratives. Cela a complètement évolué puisqu’un ADS peut être sur le terrain. Moi, ce que je retiens de cette école, c’est trois choses : tous les gens qui étaient de ma promotion, moi y compris, sont sortis avec une habilitation pour porter une arme sur la voie publique, ce qui n’est pas rien. Ensuite, tout ce qui concerne le code de déontologie, qui est chargé de régir la vie des policiers, c’est quelques heures de formation, je dirais 1 % de la formation alors que dedans il y a des choses capitales comme la probité, l’impartialité et le respect des personnes. Cela est balayé sans que les élèves puissent être mis devant des solutions pratiques. L’autre problème c’est sur les violences conjugales ! C’est à la fin de la formation et ça ressemble un peu à ces cours de fin d’année où le professeur ne sait pas trop quoi faire. Cela dure trois heures, et sur ces trois heures, on nous explique pendant une heure comment des couples peuvent arriver à des violences conjugales. Et les deux heures restantes, on regarde un film Mon roi, le film de Maïwenn. C’est très choquant sachant que les violences conjugales et les violences entre voisins sont la majorité des interventions des policiers d’arrondissements. Les policiers contractuels ne sont formés que trois heures, dont deux avec un film. C’est une faille énorme ! Quand on voit que tous les ans il y a des femmes qui se font assassiner par leurs conjoints, on se dit que la police a beaucoup de retard dans ce domaine. On est resté dans le théorique sans jamais rentrer dans la pratique.
Tu peux expliquer ?
À l’école, nous avions des simulations pour le contrôle routier, palpations, contrôle d’identité… Des choses assez répressives en fait, mais à aucun moment il n’y a eu des simulations sur les violences conjugales. Autre point, on voit que depuis les attentats en 2015-2016, la police a beaucoup de mal à recruter, donc aujourd’hui, elle recrute qui elle peut. Dans ma chambrée nous étions sept, parce que c’était un internat. Et bien, il y en avait un qui avait passé son adolescence proche de milieux néo-nazis, un autre qui avait un casier judiciaire, et moi journaliste. Ces trois-là, nous n’aurions jamais dû être dans la police s’il y avait eu un vrai suivi. Ça pose des questions sur le recrutement, d’autant plus que, depuis les attentats, la méthode c’est d’envoyer des policiers sur la voie publique. Pour reprendre une phrase d’un « informateur » : « pour assurer la méthode il faut envoyer du bleu ». On va envoyer donc beaucoup de gens sur le terrain mais qui sont mal formés.
Mais qu’est-ce que tu as appris dans cette formation ?
Le premier truc qu’on t’apprend c’est de marcher au pas ! Il y avait un côté casernement avec le lit en batterie, faire le lit au carré à midi… A 7h45 le matin, c’est les couleurs avec le lever du drapeau, au garde à vous, et le soir, à 17h45, on baisse les couleurs, toujours au garde à vous.
Au bout de trois mois tu es affecté à l’hôpital psychiatrique de la préfecture de police, où tu vas rester un an avant d’arriver au commissariat du XIXe arrondissement de Paris.
J’avais comme idée de faire trois mois d’école et six mois dans un commissariat, mais cela ne va pas se passer comme ça…
Pourtant il ne doit pas y avoir beaucoup de demandes pour aller dans des commissariats des quartiers un peu « chauds » ?
En fait, les gardiens de la paix, quand ils sortent de l’école, ont un classement, et les premiers demandent ces quartiers-là. Principalement parce que ça bouge.
Quand on regarde les réactions sur ton livre, tout le monde ne retient que la violence de la police et pas du tout le malaise qui y règne. On parle pourtant de gens qui sont décriés, insultés, même à qui on demande de se suicider, et qui sont très mal payés. Tu as ressenti ce malaise ?
Un policier en début de carrière est à 2000 euros net, et un contractuel à Paris est à 1340 euros net. S’il est affecté en province, il touche 1280 euros net. C’est peu, et les fins mois commencent très tôt… Effectivement, il y a un mal-être des policiers qui est très visible : une partie de la population les déteste ! Tu parlais des demandes de suicides, c’est très violent ! Par exemple, il y a des endroits, dans le XIXe, où la réconciliation entre la police et une partie de la population semble impossible. Quand on est policier, on doit vivre avec l’idée qu’une partie des gens vous déteste. Il y a aussi la violence qui est quotidienne.
C’est violent comme métier ?
C’est un métier très violent, tout est violent. On commence sa journée en se levant à 4 heures et demie, on prend son service à 6 heures. Parfois, on doit garder la porte du commissariat avec un gilet pare-balles de 13 ou 15 kg. On est deux, il fait nuit, il n’y a personne et on doit attendre. Je trouve ça violent. On peut commencer sa journée à 6 heures trente en allant dans l’appartement de quelqu’un qui est décédé dans la nuit, ce qu’on appelle un delta, et y rester plusieurs heures. C’est très violent ! On peut aussi surveiller les gens qui sont en garde à vue : ça sent l’urine, la sueur, ou alors il faut gérer un toxico de la place Stalingrad qui est en crise parce qu’il n’a pas eu sa drogue. Il faut gérer tout ça dès 6 heures. Il y a aussi les rapports humains entre les policiers qui sont extrêmement violents.
C’est-à-dire ?
On est dans un univers où la violence est décuplée : on brasse la violence et la misère humaine tous les jours. Comme on baigne dedans, à aucun moment il n’y a de recul pour parler. Dans toutes les entreprises, les gens mettent « les formes » pour se parler. Pas là. C’est brutal et frontal. Il y a aussi un manque de matériel. Quand on entre à l’école de police, on a ce qu’on appelle la dotation : les uniformes, les chaussures, les gants. Souvent ils s’usent très vite et les policiers doivent racheter tout ça avec leur propre argent. Et puis, le matériel ou les locaux sont très vétustes, et souvent on se demande comment on peut arriver à travailler avec ou dedans. Tout ça participe au mal-être de la police, qui est en fait la population avec le deuxième taux de suicide.
Justement, tu étais dans un arrondissement ou un quartier assez « chaud », mais on peut penser qu’ailleurs c’est plus… tranquille ?
Attention, c’est ça qui m’intéressait : aller dans un quartier où il se passe des choses et où les policiers n’ont pas toujours les moyens de faire leur travail le mieux possible. Dans le XIXe, comme dans tous les quartiers, il y a des problématiques locales. Cela fait plus de 20 ans qu’on parle des toxicomanes de Stalingrad, il y a de la prostitution, de la drogue…
Tu es resté en contact avec des gens avec qui tu étais en formation ?
Non, aucun ! La plupart des gens que je connaissais venaient de province et moi je suis parti à Paris, là où j’avais passé le concours, mais c’était volontaire, parce que je voulais un quartier populaire. Ils sont tous entre la Normandie, la Bretagne ou les Pays de la Loire. En fait, à l’école, j’étais très discret parce que j’avais peur de me faire repérer. Quand je suis arrivé là-bas, il y a eu une enquête de Cash investigation sur les conditions de travail dans les entreprises. J’avais une caméra cachée… L’émission a été un carton : 5 millions de téléspectateurs qui m’ont vu, dont un mec de ma chambre. J’ai passé deux mois et demi à lui répéter que ce n’était pas moi, alors que lui me disait que j’étais un journaliste qui infiltrait la police… Je ne sais toujours pas comment j’ai fait pour tenir. Quand j’ai quitté l’école cela a été un grand soulagement. Je partais pour Paris où je ne connaissais quasiment personne.
Autre point de ton livre : c’est la violence quotidienne, pas toujours très démonstrative mais très présente.
Moi ce que j’ai observé dans mon commissariat, dans mon expérience, c’est que la violence des policiers elle se fait « sous les radars ». Personne n’en parle, c’est caché. C’est de la violence sur des personnes : des immigrés, des migrants… J’ai assisté à deux, trois tabassages de migrants dans des paniers à salade. Dans mon commissariat, sur les 32 policiers, il n’y en avait que cinq ou six qui étaient violents.
Mais il y a aussi ce mot « bâtard » qui revient régulièrement pour désigner des personnes comme des Nord Africains, des Noirs ou des migrants ?
C’est un mot générique pour désigner effectivement des hommes noirs, nord africains ou migrants. C’est un mot très raciste mais très utilisé dans la police : moi-même je me mets à l’utiliser et cela devient un mot fourre-tout… Quand on contrôle des gens qui sont noirs ou nord africains, on dit les bâtards ! Un jour, je fais un contrôle routier et le policier avec qui j’étais me dit : « on va contrôler cette voiture il y a deux beaux bâtards à bord ». Je regarde, et il y a deux jeunes hommes noirs et ils sont contrôlés uniquement parce qu’ils sont noirs. C’est un mot très employé dans la police mais qui est extrêmement raciste. Quand on l’utilise tous les jours, on oublie que ce mot-là a une portée.
Tu as déclaré que le mal-être de la police n’avait rien à voir avec la violence de la police, pourquoi ? On pourrait penser que les deux sont liés.
Si je ne fais pas le lien entre les deux, c’est parce que le mal-être concerne tous les policiers, alors que la violence concernait cinq ou six policiers sur 32 dans mon commissariat, donc une minorité. L’écrasante majorité des policiers n’est pas violente, ni raciste, voilà pourquoi je ne lie pas les deux. Il y a une phrase de Montesquieu qui dit : « Donner du pouvoir à un homme et il s’en servira ». Un policier, il a du pouvoir sur le reste des citoyens, il peut bloquer la liberté des gens ou la libre circulation. Rouler à 120 km/h dans les rues de Paris c’est interdit, sauf pour la police. Souvent ce sont des choses qui se déroulent « sous les radars », avec un vrai sentiment d’impunité, malgré la peur de l’IGPN. Les violences policières se font toujours sur le même type de personnes : des gens faibles qui ne connaissent pas leurs droits. Frapper un migrant dans un fourgon c’est facile, parce qu’il n’ira pas se plaindre. Il y a un côté pas vu, pas pris.
Mais on a l’impression que pour les jeunes, la haine de la police c’est culturel. Il suffit juste de voir les paroles des groupes de rap aujourd’hui ou avant, les Apaches ?
J’ai souvent eu l’impression qu’entre les policiers et les jeunes des quartiers dans le XIXe, c’était devenu irréconciliable. Quand les policiers sont en patrouille et passent devant eux, ça se jauge… En fait, le lien entre la police et la population s’est beaucoup dégradé. La police de proximité a été supprimée en 2003, ce n’était probablement pas ce qu’il y avait de mieux, mais au moins, elle avait le mérite d’exister. Les policiers étaient connus dans leur quartier. On les appelait par leurs prénoms et l’inverse était vrai aussi. Maintenant, les policiers, quand ils ne sont pas en intervention, ils sont au commissariat, ça va très vite. Quand on voit une intervention de police, c’est quelque chose de particulier : il y a de la violence, de la brutalité…
On a l’impression que la police, depuis quelques années, est de moins en moins respectée.
Ce qui change les choses c’est le contexte : les gilets jaunes, Adama Traoré ou Georges Floyd aux USA. Toutes ces affaires vont dans le mauvais sens pour les policiers, et en plus, il y a les réseaux sociaux qui postent ces agressions. En plus, il y a les syndicats de police qui nient la violence de celle-ci, alors que tous les jours on a les preuves que ces violences existent. Quand ce n’est pas raccord on voit bien le problème. Être policier en ce moment ce doit être terrible, tout le monde les critique. La solution serait, peut-être, de révoquer cette minorité qui est raciste et violente. Si la police veut être respectée, elle doit d’abord être respectable en condamnant ces policiers. Elle doit faire le ménage dans ses rangs.
Mais en 2015, la police a été applaudie, ce n’est plus le cas ?
Ça a été une parenthèse dans la vie de la police où les gens se sont dits : « heureusement que la police est là ». Mais rapidement, la haine de la police est revenue. Mais heureusement que la police est là tous les jours. Elle joue un rôle souvent social qu’on oublie, et malheureusement quelques éléments, qui n’ont pas leur place dans la police, jettent le discrédit.
Ce livre a eu des conséquences sur ta vie : tu es devenu policier. Comment tu as fait au quotidien ?
Cela a été mon infiltration la plus difficile : elle a duré deux ans, ça a parfois été violent. Tous les jours je prenais deux heures de notes ! Il m’est arrivé aussi de prendre des notes au commissariat. Quand il y avait une discussion intéressante j’allais aux toilettes pour la noter. Cela m’est arrivé aussi d’enregistrer. J’étais sur le groupe WhatsApp de mon commissariat, donc je faisais des impressions écrans… J’avais une matière qui était très riche. J’avais ensuite mes petites combines. Par exemple, je n’avais pas les mêmes lunettes. Quand je revenais chez moi, je remettais mes lunettes de tous les jours. C’était un peu comme retrouver sa peau, je redevenais journaliste.
Psychologiquement ça devait être dur ?
Oui, parfois je devais me battre intérieurement : j’étais policier, journaliste, mais aussi citoyen. Ce qui m’a aidé, c’est que je suis pudique, et donc je ne vais pas me livrer. Je peux garder des choses intérieurement. J’avais aussi des amis à Paris. Un de mes potes, qui dans le livre s’appelle « la Merguez », me servait souvent de sas de décompression : à lui je lui disais tout ! Je discutais avec lui et ces discussions m’ont beaucoup aidé.
Il y a eu aussi une polémique sur la méthode : tu t’es infiltré alors qu’ils t’ont donné un diplôme, ils t’ont accueilli. Tu n’as pas l’impression de les avoir trahis ?
La logique de la trahison est inhérente à l’infiltration. Dans toutes les infiltrations que j’ai faites, il y en a une partie. À chaque fois je ne donne pas les vrais noms des policiers, je modifie leurs caractéristiques physiques, ce genre de choses… Je sais qu’ils restent des cibles. La trahison est un mal nécessaire quand on pratique l’infiltration. C’est un peu bête à dire mais c’est ça. L’infiltration est une méthode qui est assez critiquée aujourd’hui, mais aujourd’hui personne ne critiquera Nelly Bly, Albert Londres ou Florence Aubenas. Pourtant ils ont tous infiltré, et ont réussi à dénoncer des choses.
Mais Florence Aubenas dénonçait une misère sociale ?
Moi aussi je dénonce la misère sociale. En ce sens, mon livre a un vrai intérêt public. Si je n’avais pas fait cette infiltration, personne n’aurait su ce qui se passait dans les « cuisines » d’un commissariat.
Tu n’as revu aucun des policiers de ton commissariat ?
Aucun ! Juste, le jour où le livre est sorti, un policier avec qui je travaillais, m’a envoyé un texto : « Je viens d’apprendre, je suis choqué ». C’est le seul retour que j’ai eu. Il y a eu une enquête qui a été lancée par Darmanin, le ministre de l’Intérieur, à la suite des révélations qu’il y a dans le livre. L’IGPN a ouvert une enquête et j’ai été auditionné pendant quatre heures en octobre. J’ai été interrogé sur toutes les violences que je raconte dans le livre. Il fallait que je précise. Je ne sais pas où cela en est. Je sais juste que des policiers avec qui je travaillais ont été ou vont être auditionnés aussi.
J’ai lu que tu voulais arrêter les infiltrations ?
C’est une question que je me pose. J’ai passé quinze mois à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, et j’ai une matière à exploiter. Je suis donc en train de bosser sur la psychiatrie. Pour les infiltrations, il est possible que j’arrête, ou du moins que je fasse une pause. Il y a une vraie usure, c’est très compliqué psychologiquement. Par exemple, durant les deux ans dans la police, j’ai perdu mon père. Ça a été un sacré investissement et je n’en sors pas indemne. Je n’ai pas envie tout de suite de m’y remettre. En plus, avec la médiatisation du livre, je suis un peu… repéré !
Mais tu as une famille, des amis, et tu as tout mettre entre parenthèses ?
Le plus lourd et le plus compliqué a été les six mois au commissariat : j’étais célibataire, sans famille, sans copains… J’étais focalisé sur mon reportage. Je voudrais dire que, pour moi, c’est un reportage plus qu’une infiltration. J’ai dû faire attention : j’ai dû mettre des barrières entre mes deux vies.
Mais tu avais bien une vie quelque part : un appartement, une chambre, des livres… ?
Quand j’étais à Paris, je louais une chambre, une cage à lapin, que je savais que je quitterai à la fin de l’infiltration. Durant mes vacances, je rentrais dans ma maison de famille, comme tout le monde.
Ça a du être violent ce retour à la réalité ?
C’était plutôt reposant, de vrais appels d’air ! Je n’avais plus à me cacher. Parce qu’à Vincennes, dans mon appart de 15m², partout où j’allais j’étais policier. Mon propriétaire avait mes fiches de paie, et donc, dans tout le quartier, j’étais un policier. J’ai lu dans une interview de Florence Aubenas qu’il ne faut pas s’inventer une vie : il faut coller à 90 % à sa vraie vie. On peut jouer un rôle sur cinq minutes mais pas sur six mois. Quand j’étais un peu embêté pour parler de moi, j’adoptais la bonne vieille technique qui consiste à faire parler les autres, et donc la discussion a lieu sur les autres et pas sur moi.
Tu t’es vraiment « fondu » dans la masse ?
Oui, je ne voulais pas me faire remarquer. Quand je suis allé à l’école, il y avait une phrase de mon père qui m’a aidé : « si tu ne veux pas te faire remarquer, fais les choses, ni trop bien, ni trop mal, mets-toi dans le milieu. ». J’ai suivi ça durant toute l’infiltration.
Je voudrais terminer avec les syndicats : est-ce aussi important que ça dans la police ? En tant que policier de base, qu’en penses-tu ?
Le syndicalisme est très important dans la police. Les policiers se syndiquent pour avoir une sorte de protection. Je ne les ai pas beaucoup vus. Les représentants, on les voit assez peu. Ils ne sont pas sur le terrain : ils viennent juste pour distribuer des tracts. Bien souvent, ils ne sont pas en uniforme et pas sur le terrain, donc cela crée un fossé. Ce que je constate, c’est que les deux gros syndicats ont dit que j’avais raison sur le mal être de la police, mais ils ont nié sur la violence. Là encore, on est dans un déni de réalité avec les syndicats. Pourquoi ne pas reconnaître l’existence de ces violences ? Ce serait à mettre au crédit des policiers. Le ménage doit être fait. Cela jette l’opprobre sur toute la corporation. Il faut juste dire qu’il y a des policiers qui ont un comportement pas du tout adapté. Pour ces syndicalistes, il ne faut pas toucher à un cheveu de la police, alors qu’il y a des comportements critiquables. C’est inaudible pour les syndicats.
Ton livre va être adapté en série pour la Gaumont. Tu n’as pas peur qu’ils passent à côté de l’essence de ton livre pour se concentrer sur les faits divers et les violences ?
J’ai vu une fois les gens de la Gaumont et je leur ai dit : « vous pouvez romancer mon personnage, améliorer des choses, mais il faut garder l’équilibre entre le mal-être policier et les violences policières ». Mon livre se tient par cet équilibre, et il faudra que la série garde cet équilibre. De toute façon j’aurai un droit de regard et mes éditeurs aussi.
Valentin Gendrot : Flic : Un journaliste a infiltré la police – Goutte d’or édition