Miossec se raconte auprès de Grégoire Laville

jeudi 7 septembre 2023, par Franco Onweb

C’était le printemps 1995, une rumeur indiquait que le disque d’un nouveau chanteur allait renverser la musique d’ici. Un beau jour le disque était là ! C’était Miossec avec « Boire » et il est clair que la rumeur avait dit vrai. Des textes incroyables, une production sobre et parfaite, avec notamment des guitares acoustiques magnifiques et surtout cette voix reconnaissable. Il y a eu un avant et un après « Boire », un disque marquant qui allait lancer la carrière de Christophe Miossec qui affiche aujourd’hui plus d’une dizaine d’albums studios.

En 2023, Miossec sort « Simplifier », un disque magnifique qui est, pour lui, une manière de retrouver l’ambiance de « Boire », notamment au niveau de la production et de la méthode de travail.

Grégoire Laville vient de sortir, chez Mediapop, un livre d’entretiens passionnant qu’il a eu avec le chanteur brestois qui se livre comme jamais il ne l’a fait. Rarement on aura vu un artiste se livrer de manière aussi personnelle et honnête comme vient de le faire Christophe Miossec avec Grégoire Laville.

Si vous êtes un fan du brestois, comme moi, ce livre est absolument pour vous et si vous ne le connaissez pas, ou peu, précipitez-vous dessus car c’est le témoignage d’un chanteur déjà légendaire. En plus, il faut souligner la très belle préface de JD Beauvallet, ancien journaliste des Inrockuptibles, qui fût tellement important dans la carrière de Miossec. Ce livre est juste est un très bon moment et j’ai voulu prolonger mon plaisir de lecteur en demandant des précisions à Grégoire Laville.

Dans l’introduction de ton livre, tu dis que pour toi il y a eu un avant et après « Boire » de Miossec.

Je me souviens du clip de Non, non non avec Miossec, Guillaume Jouan et Bruno Leroux autour d’une table de bistrot en formica ! Tout y était. Boire m’a beaucoup marqué. Il est un point de bascule. Même si juste avant il y avait eu Dominique A, Miossec intégrait des éléments qui n’existaient pas : un côté corporel, une façon crue de s’exprimer, mêlant mélancolie, lucidité, rage, et un rythme particulier, sans batterie. C’est un disque beaucoup plus sophistiqué que l’on ne pense. A l’arrivée on a quelque chose de novateur : c’est pas du rock, c’est pas de la chanson française… C’est quelque chose qui m’a beaucoup touché.

Grégoire Laville
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C’est le deuxième livre que tu fais avec Miossec ?

Oui, le premier était un livre d’entretiens croisés avec le chanteur Cali. On était deux intervieweurs avec mon ami Yves Colin. Son oncle, Claude Gassian, le célèbre photographe de rock, qu’apprécient beaucoup Miossec et Cali, nous accompagnait. On a voyagé dans différents lieux : à Ouessant pour Miossec, Perpignan pour Cali et Bruxelles, où Christophe (Miossec, NdlR), habitait à l’époque. C’était totalement différent de ce que nous avons fait pour ce nouveau livre.

Dans ton livre, Miossec se livre comme jamais. On retrouve trois choses dans ses propos : le côté artisan de la chanson, le côté breton, comme toi, et ensuite il a l’impression d’être un imposteur.

C’est vrai, il a eu longtemps ce sentiment. Il avait l’impression de ne pas être légitime.

Ce premier disque a beaucoup marqué. Selon toi, il n’y a qu’un Breton qui aurait pu faire un disque pareil ?

(Silence) Un Brestois plutôt. En tout cas, il s’inscrivait dans une tradition brestoise qui n’est pas vraiment bretonne. C’est le paradoxe de Brest, liée à la Bretagne mais pas totalement bretonne. Je crois qu’on retrouve ce mélange chez Miossec, attaché à la Bretagne mais d’abord brestois. Il y a vraiment un état d’esprit particulier à Brest.

Miossec, c’est pas du rock, c’est pas de la chanson… Quand « Boire » est sorti, ça a vraiment été énorme avec ce côté artisanal.

Oui, il y a ce côté artisanal, manuel, faire avec ce qu’on a, en bricolant si besoin, en étant honnête jusqu’au bout.

Tu as mis en parallèle, dans ton livre, son premier et son dernier album, « Simplifier », pourquoi ?

Ça a été naturel. Christophe y tenait aussi. Il a conçu « Simplifier » avec le même état d’esprit que « Boire ». Ce côté, « je fais tout, tout seul », post punk, « Do It Yourself », on se débrouille avec ce que l’on a et on fait avec. C’est ce qui l’a toujours animé.

Tu penses que cet album est vraiment le retour à « Boire » ?

Je vois vraiment des passerelles entre les deux albums. Notamment une épure, une volonté de simplifier justement, de retourner à l’os. Tous ses albums me touchent mais lui-même dit que parfois il a été déçu de certains de ces disques, quand parfois il n’avait pas totalement la main sur la production par exemple.

Il est apaisé ?

C’est un terme qu’il réfute et c’est vrai que ça ne lui convient pas. Même si certaines chansons de Simplifier me semblent moins rageuses que celles de Boire. Mais, comme il me le dit, ce n’est pas l’apaisement, c’est l’âge ! (rires) En tous cas, je crois que Simplifier correspond bien à ce qu’il est aujourd’hui.

Ça a été compliqué de mettre en place ces rencontres avec lui et quelle a été ta méthode pour le faire parler parce que là il parle comme rarement il s’est exprimé ?

Ça me fait plaisir que tu me dises ça. Il n’y avait pas vraiment de méthode. On se connait depuis longtemps maintenant même s’il s’est passé du temps depuis le premier livre. Je l’ai interviewé à la sortie de certains de ses disques, donc il savait qui j’étais. Je crois qu’il y avait une certaine confiance qui a permis de mener à bien ces entretiens. En même temps, je n’ai pas vraiment trouvé de difficulté, au contraire il était plutôt ouvert et simple d’accès. Il a dit oui et donc il a joué le jeu.

Tu as beaucoup relu ces entretiens ou c’est du brut ?

Il y a beaucoup de relectures et de remises en forme parce que les sujets se mélangeaient au cours de ces entretiens. Je voulais aussi garder une spontanéité, sa façon de s’exprimer, tout en restant dans une forme écrite correcte. L’idée est que le lecteur se sente d’une certaine façon parmi nous.

Il y a deux personnes présentes dans ce livre. Le premier c’est Bashung, notamment pour l’influence !

Il a été important pour lui, c’est sûr. Ils ont travaillé ensemble sur une chanson de Bashung. Surtout l’album « Play blessures » a été capital pour Miossec. C’était un disque qui prouvait que l’on pouvait faire en Français des choses vraiment personnelles, originales, voire marginales, même en rompant avec des tubes. C’est un disque assez unique qui a été important dans la construction musicale de Miossec.

L’autre personne c’est JD Beauvallet !

Oui, il a été important pour le lancement de Miossec. Quand il avait tout plaqué pour faire de la musique et s’est retrouvé au bout de son processus, c’était compliqué de trouver à Paris des interlocuteurs, alors qu’à Brest la cassette de Boire commençait à tourner dans les bars. Il l’a envoyé à JD qui l’a faite tourner toute la journée dans le lecteur des Inrockuptibles et l’a placé en disque du mois dans les Inrocks.

JD Beauvallet, qui signe une très belle préface !

Elle est superbe. Elle résume bien Miossec et la relation qu’ils ont eue. Il évoque l’urgence, que tout était déjà dans le premier album, comment la simplicité apparente est difficile à atteindre. J’ai beaucoup lu JD Beauvallet dans les Inrocks, qui est un peu un modèle d’intervieweur. Je suis content parce qu’il m’a dit qu’il avait trouvé le livre passionnant. C’est important pour Christophe, et aussi pour moi, que JD signe cette préface. On est aussi très contents des photos de Richard Dumas : une mise en abime pour la couverture avec une photo de 2011 de la main de Miossec tenant une photo de lui de 1985 ! Et la planche des photos réalisées pour la couverture de Boire. C’est idéal.

On parle de Mediapop, ton éditeur ?

Je suis ravi de faire paraître le livre chez lui. Christophe était en relation avec lui depuis longtemps et Dominique A m’en avait parlé. Philippe Schweyer est un « vrai » éditeur avec lequel c’était agréable de travailler.

Que peut faire Miossec maintenant : on a l’impression qu’il boucle la boucle avec ce livre ?

Je n’espère pas ! Il prépare sa tournée qui doit commencer en janvier. J’ai hâte de voir la nouvelle mouture qu’il met en place pour Simplifier. Il a un disque prévu encore et je ne le vois pas inactif ensuite. La musique et la scène me paraissent essentielles pour lui.

Tu vas écrire un jour sur un non breton ?

(Rires) J’ai écrit sur Dominique A qui n’est pas breton ! Plus sérieusement, j’écris des livres avec des gens qui m’intéressent et ce qui compte est la relation que j’ai avec eux qu’ils soient bretons ou non. Cela dit, j’aime la Bretagne et je comprends les propos de Miossec sur la région. Et il faut bien dire qu’il y a dans ces chansons et sa personnalité des éléments qui sont liés au territoire et qui sont autant d’affinités. Mais si je n’avais pas été breton, Boire aurait quand même constitué un basculement pour moi !

Est-ce que Miossec a conscience de l’importance qu’il a, qu’il a eu et qu’il aura sur la musique d’ici ? Il a vraiment fait école !

Même des rappeurs le disent ! J’ai l’impression qu’il y a une ambiguïté sur le sujet : il est lucide, il ne veut pas faire le faux modeste, il connaît sa valeur et en même temps il a ce côté très humble, ce sentiment d’imposture qui l’a longtemps poursuivi… Mais je pense qu’il est bien conscient de la façon dont ses textes ont touché…

Il a écrit pour beaucoup de monde !

Oui, pour Jane Birkin, Johnny, Stephan Eicher, Juliette Gréco, Melody Gardot…

Il a un côté aussi littéraire que musical.

Il aime la littérature avec des pierres angulaires : Kerouac, Carver, Perec... C’est un grand lecteur, cultivé, érudit sur bien des domaines, et on le ressent dans ses chansons.

Quels sont tes projets ?

Il y en a plusieurs, notamment des livres d’entretiens par forcément sur la musique. Je continue à être journaliste pour Ouest-France et Bretagne Actuelle.

Tu dirais quoi pour la fin sur ton livre ?

Je pense que c’est un livre honnête, qui, je crois, raconte bien Miossec !

https://mediapop-editions.fr/catalogue/miossec-boire-et-simplifier-la-grande-boucle/