Dalton : Soleil Orange ou le nouveau terrain de jeux d’un groupe toujours de son époque

vendredi 12 mai 2023, par Franco Onweb

En 2016, les Daltons sortaient leur premier album « Objet ancien », un disque plein de chansons sous haute influence punk new-yorkaise et post punk avec des textes caustiques. Ce premier disque voyait, enfin, ce groupe formé à la fin des années 80, séparé au début des années 90 puis reformé au milieu des années 2000, s’exprimer sur un long format. Les retours médiatiques et du public étaient plus que positifs. Puis, il y eut le Covid et, comme tous les artistes, les Daltons furent mis au silence forcé. Quand le groupe put enfin remonter sur scène, ce fut après le départ du guitariste originel du groupe : Serdar Gündüz.

Après un moment de flottement le néo trio, sut se reconstruire autours du guitariste chanteur originel du groupe, Patrick Williams et de la section rythmique : le bassiste JB Kiwiboy et le batteur Constant Popot. Ensemble, ils ont proposé un nouveau concept DALTON et un nouveau son, où chacun des membres du groupe pouvait laisser libre court à ses influences. Le résultat de ce changement est ce nouvel « Soleil Orange ». Un disque magnifique, rempli de chansons et de sons inattendus, qui est l’album d’un groupe libre et créatif.

J’ai discuté avec les trois membres de Dalton pour en savoir un peu plus sur le disque parfait pour passer l’été.

Vous avez sorti en 2016 « Objet ancien », votre précédent album. Que s’est-il passé depuis ?

Constant (batterie) : On est passé de quatre membres en 2016 à trois aujourd’hui : Serdar, le guitariste, a quitté le groupe en 2020 pour son projet Fabrika.

JB (basse) : Son départ a provoqué une mutation. On était un groupe de garage plus classique et on s’est reconstruit autour de deux tendances : d’un côté, un rock tendu et dansant avec quelques sonorités électroniques, et de l’autre, quelques « bonbons » pop.

C : Et on a changé partiellement le nom !

DALTON, de gauche à droite JB Kiwiboy, Constant Popot et Patrick Williams
Crédit : Benoît Fatou

Pourquoi passer des Daltons à DALTON ?

Patrick (chant et guitare) : Le nom « Les Daltons » avait un côté rigolo qui ne représentait plus trop le groupe et en plus, avec le départ de Serdar, il ne restait plus que moi comme membre historique. Du coup, Les Daltons au pluriel n’avait plus vraiment de sens. DALTON était plus logique. En plus pour les référencements, ça nous semblait plus facile parce que dès que tu cherches Les Daltons sur Internet, tu tombes sur les dessins animés des quatre rigolos en pyjamas rayés. Mais bon, question visibilité, je ne sais pas si on a gagné au change… En tout cas, c’est plus joli, ça tape mieux… Et ça fait sens : on garde un pied dans le passé, mais on évolue.

JB : Il y a eu aussi un échange avec Olivier Popincourt, qui nous a convaincus. Il parlait de ces groupes des années 60 et 70 qui avaient changé de nom suite au départ d’un des membres : Wire est devenu Wir, les Small Faces sont devenus les Faces… On aime bien cet esprit-là : ne pas renier le passé tout en avançant. Et puis en tant que fan de Karen Dalton, ça me va bien !

Vous auriez pu arrêter le groupe à la suite du départ de Serdar ?

C : On s’est posé la question, mais rapidement on a rebondi.

P : Oui, on n’était pas sûr que ça puisse fonctionner sans lui. Finalement, son absence nous a obligé à changer la musique, avec une rythmique très puissante et centrale puisqu’il n’y avait plus qu’une seule guitare. Ça modifie le son, ça le tire vers un côté plus post-punk/new wave, autour d’une basse plus épaisse et plus forte. Tu es obligé d’aller vers ça quand tu es à trois. On comprend mieux le concept de « power trio ».

A trois, chacun a un rôle plus important ?

P : Oui, d’ailleurs JB et Constant se retrouvent avec beaucoup plus de responsabilités qu’avant, chacun jouant des synthés et des machines.

C : Le fait que Serdar s’en aille a laissé une place vacante dans le groupe. Il a donc fallu occuper l’espace de façon différente, avec pour moi des machines et JB un synthé.

Justement ce n’est pas trop lourd sur scène d’avoir ces instruments avec vous sur scène ?

C : Oui et non, par moment je suis contraint de jouer de la batterie avec une seule main, l’autre étant occupée à tourner des boutons… Mais c’est super grisant et intéressant d’avoir à chercher un nouveau son, un nouveau style, de faire évoluer son jeu. Cette phase de recherche nous a donné un nouvel élan.

JB : Pour moi, cela n’a pas changé grand-chose, parce que je faisais déjà des parties de claviers en studio. En concert, ça demande un peu d’agilité mais, comme dit Constant, c’est intéressant et cela permet de simplifier certains passages et d’être plus direct.

Sur votre nouvel album, « Soleil Orange », vous avez changé le son. On a l’impression que vous avez fait la mutation des années 70 aux années 80…

P : Il n’est jamais trop tard… (rires)

Il y a une démarche proche des groupes post punk comme Wire ?

JB : Effectivement, c’est un peu ce qu’on essaye de faire, en alternant des morceaux rugueux et soniques et des morceaux plus pop. Ces deux aspects font partie de notre identité.

P : Je suis assez d’accord, même si dès le début de la réformation des Daltons, en 2014, on avait déjà des titres comme « Jeunesse perdue » qui avait un côté new wave. On va d’ailleurs la reprendre sur scène à trois.

L’album a été fait où ?

P : Au studio La Fugitive, à Ménilmontant. Il a été produit par Bud, alias Olivier Bodin. C’est là qu’on avait enregistré et mixé le premier album. Ça a pris du temps avec le confinement… comme tout le monde.

C : On a fait une session studio avec Serdar avant le confinement et on a refait une session à trois après son départ.

Crédit : Benoît Fatou

Il vous a fallu combien de temps pour mettre au point la formule à trois ?

C : Rapidement, cette formule en trio a donné des bons résultats, on a écrit de nouveaux morceaux, etc. Puis on a dû reprendre le répertoire existant et l’adapter. Ça nous a pris environ un an : le temps de travailler tout ça et d’être prêts à redonner des concerts.

Vous avez changé votre manière d’écrire les morceaux ?

C : Oui, un peu. Notre approche de la composition a évolué. Avant c’était Serdar et Patrick qui arrivaient avec des morceaux et maintenant on travaille plutôt sur des « jams » en répétitions.

JB : Notre single du moment, « 160 », a été conçu comme ça. On est parti d’une improvisation en repet, puis on a travaillé des éléments mélodiques ou rythmiques chez nous. Après, on a assemblé le tout.

Avec cette méthode, vous savez où et quand arrêter un morceau ?

C : On fait assez attention à ne pas sortir du cadre. Quand on fait une improvisation sur un morceau, on en discute, ensuite on affine à la répétition suivante. Nos morceaux restent structurés. Avant on avait une manière de faire de la musique très écrite, inconsciemment on a gardé un peu cette approche.

Est-ce votre public n’a pas été dérouté par la nouvelle formule ?

C : On est très attentif aux réactions de notre public et que ce soit les anciens, ceux de la première formule des Daltons, ou les nouveaux, on a eu de bons retours. On doit sûrement en décontenancer certains avec ce son plus moderne, mais on ne tourne pas le dos à ce qui a été fait non plus, loin de là. Je pense que notre public s’y retrouve très bien, même si c’est dur d’avoir du recul sur ce qu’on fait.

P : On avait un peu peur quand on est arrivé à trois avec cette nouvelle formule, mais on a vu que les gens réagissent très bien, y compris ceux qui nous connaissaient depuis longtemps.

Qu’est-ce que vous aviez en tête au moment de faire le disque ?

JB : Même en pleine mutation, on garde une espèce de ligne directrice : un mélange entre « The Fall » ou « Parquet Courts » pour la musique et pour les paroles un héritage de grands chanteurs français.

P : Comme on allait vers des choses plus new wave ou post punk, on a pas mal réécouté nos albums de Wire, Gang Of Four ou Television. De la musique avec des guitares tranchantes, des basses et des batteries qui claquent, assez répétitives. On écoutait aussi beaucoup de groupes modernes comme les Viagra Boys ou les Parquet Courts qui concentrent tout ce qu’on aime.

Vous allez de plus en plus en plus vers le dance floor ?

P : Oui, et sur le prochain album ce sera de plus en plus funky, mais cold funky, funky chicken ! On est en train de travailler sur quelques morceaux très dansants pour faire pulser les discothèques. Ah ? Il n’existe plus de discothèques ? Bon c’est pas grave… (rires)

On peut imaginer que plutôt que des concerts vous fassiez carrément des soirées clubbing ?

C : On essaye de faire la synthèse entre le rock, que nous n’avons pas renié, et ce son vers lequel nous allons, et que nous n’avons pas fini d’explorer, mais on reste un groupe de rock dans l’idée. On travaille comme un groupe de rock en apportant des sonorités nouvelles. J’écoute de la musique électronique, mais aussi énormément de rock, JB vient de la pop et Patrick aime un peu de tout ça. On tente de mélanger toutes ces influences.

Le point commun entre les débuts du groupe et aujourd’hui ce sont les textes ! Pour moi il y a trois références : Nino Ferrer, Dashiell Hedayat et Ray Davies des Kinks, car on a l’impression que vous racontez des petites saynètes.

P : J’aime beaucoup ces références ! Je voudrais rajouter qu’il y a un groupe que j’ai découvert récemment, à côté duquel j’étais complètement passé à l’époque, et qui raconte aussi des chouettes petites histoires dans leur chansons, c’est Squeeze. « Up the Junction » ou « Cool for Cats », quels morceaux ! Ça me plaît bien, les petites narrations un peu poétiques, un peu trash…

Tu as réussi à placer les Thugs dans une chanson ?

P : J’ai toujours apprécié les Thugs et puis, il faut l’avouer, j’avais besoin d’une rime avec « je beugle »… Pas facile à trouver… En tout cas, ça cadrait avec l’histoire d’un mec qui écoute du rock en voiture. J’aime bien l’idée de citer des noms de groupe, des noms de ville dans les chansons.

Il y a aussi « Station Total », où tu parles d’une bande de copains devant une station-service, ça rappelle un peu « Jeunesse Perdue » sur votre premier EP.

P : C’est quand on allait à la station Total du champ de courses d’Enghien, avec une bande de copains. On se retrouvait à boire des bières, assis sur le trottoir, le cul sur le macadam. La station-service vendait des Pelforth Pale. J’ai adoré ces moments dans ma vie. Tu es en train de pisser contre un poteau, ivre, et tu vois les autres au loin qui font les cons et tu es parfaitement heureux. En parfaite adéquation avec le Cosmos.

Crédit : Benoît Fatou

Tu ne feras jamais de textes à message ?

P : Non, je trouverais ça présomptueux. Je ne vois pas très bien quel message je pourrais adresser aux gens. Je n’aime pas trop les chansons qui te disent ce que tu dois penser. Je préfère raconter une histoire bizarre, décalée, où l’auditeur peut se laisser porter, imaginer ce qu’il veut… Si les gens veulent entendre des messages, ils peuvent lire des essais, des livres politiques ou aller à des meetings.

Tu revendiques d’écrire des saynètes avec un côté deuxième degré ?

P : Oui tout à fait. J’apprécie quand il y a du mauvais esprit, que c’est un peu tordu. Raconter des choses tristes, un peu désespérées, mais qu’il y ait aussi un côté bizarre, décalé.

JB : C’est sûr que les chansons ne parlent pas beaucoup de « win » mais plutôt du côté sombre de l’être humain.

Dans le morceau « Sur la Corniche », tu parles de révolution ?

P : Oui, mais c’est la révolution vue sous un certain angle. Je parle d’un type qui profite du fait que son copain est allé à une manifestation pour aller draguer la compagne de celui-ci. C’est vraiment pas glorieux, je sais (sourire). Ce genre d’individus me paraît assez peu recommandable. Et je trouve désolant qu’on écrive des chansons sur des garçons pareils… Mais bon, je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. En vérité, je n’ai pas d’idées précise en tête avant d’écrire des paroles. J’écris les choses comme elles me viennent. Ce sont souvent des histoires de gens un peu nuls, un peu loser…

Mais ce sont de gentils losers ?

P : Oui, c’est de la lose du quotidien, de la lose de bon aloi !

Vous discutez des textes entre vous ?

JB : Pas trop, juste parfois pour des histoires de sonorités.

C : Quand on parle de ce qui noue les différentes époques du groupe, je pense que ce sont les paroles de Patrick qui font ce lien. C’est ce qui n’a pas bougé et qui ne bougera jamais, y compris sa voix. En repet, quand on travaille sur des nouveaux morceaux, on lui pose juste des questions sur ce qu’il a voulu dire.

P : On en discute souvent, voir si telle phrase n’est pas ridicule ou ringarde.

Sur cet album, il n’y a pas de reprises ?

P : Non, pas de reprises, on fait juste sur scène « Pablo Picasso » des Modern Lovers, adaptée en français, qui était sur notre précédent album.

JB : On avait beaucoup de morceaux pour cet album, on n’avait donc pas besoin de reprises. D’ailleurs, on a dû écarter certains morceaux, qui étaient supers et qui seront sur le prochain disque.

Vous êtes loin du rock pur et dur maintenant ?

P : Ça dépend. Parfois on en est loin, et parfois on s’en rapproche… Il suffit d’écouter « 160 » ou « Des Eblouissements » sur cet album. En fait, on n’a pas vraiment choisis entre douceur et dureté. On pratique les deux. « Hit me with a flower », dirait Lou Reed. D’ailleurs, dans nos goûts, on n’est pas sectaires. Quand les groupes sont bons, ils sont bons. On adore le rock pur et dur quand il est bien fait. On a joué avec quelques groupes de garage qui étaient impressionnants.

Mais avec cette nouvelle formule, vous vous ouvrez toutes les possibilités ?

C : C’est possible. Ce qui est sûr, c’est qu’on écoute tous des choses différentes et qu’on cherche à se faire découvrir des musiques. On peut aller dans différentes directions, mais on gardera notre base. Tout ça se fait assez naturellement. Il n’y a pas de stratégie, de réflexion par rapport à ce que l’on fait. Donc oui, tout est ouvert.

Crédit : Benoît Fatou

Vous avez réussi, avec cet album, à vous transformer comme peu de groupes ont su le faire…

JB : Je prends ça comme un compliment. C’est sûr qu’on ne s’interdit rien. On peut faire du garage comme on peut faire de la new wave ou de la pop. D’ailleurs on a un mal de chien à définir ce qu’on fait : « garage pop », « post punk », « garage wave »… Il y a un peu toute les couleurs musicales de DALTON sur « Soleil Orange ».

P : Moi je dirai qu’on fait du « gaga rage »… Disons qu’on peut faire un morceau pop ou électro, mais ce sera toujours à notre manière. Il restera ce côté un peu tordu, un peu rock’n roll.

Peut-on imaginer qu’il y ait un quatrième membre ?

P : C’est un grand débat entre nous. Parfois, on se dit que, dans tel ou tel morceau, il manque une deuxième guitare, un petit son de synthé… Mais en même temps, il y a une vraie alchimie entre nous trois. Faire venir un quatrième membre bousculerait tout et donc pour l’instant on préfère rester en trio. Mais si un jour nous avons l’occasion de donner plus de concerts, on ne serait pas contre la présence d’un quatrième.

Vous êtes la première sortie de LVP Records (Le Village Pop Records), votre nouveau label. Comment les avez-vous rencontrés ?

JB : En septembre dernier, on a fait la première partie de nos amis du groupe Münchhausen. On avait très peu répété et on a fait ce live tout à l’énergie sans aucune pression. A la fin du concert, Pascal Collin, de la webradio « Le Village Pop », est venu nous voir pour nous dire qu’il avait le projet de monter un label. Quelques semaines après, il est revenu à un deuxième concert et nous a proposé d’être sa première signature. La connexion s’est faite ! On travaille bien ensemble, on est vraiment en phase, on a beaucoup de goûts en commun. Il nous a obligés à avoir une approche plus rigoureuse.

Avec cet album, vous pensez que vous pouvez atteindre le « grand public » ?

P : Peut-être. Il y a quelques morceaux qui peuvent être appréciés par des gens qui ne connaissent pas grand-chose au rock.

C : Ce serait avec plaisir !

P : On n’a pas de limites musicales et ça ne me dérange pas du tout que le « grand public » nous apprécie. On n’est pas comme certains groupes indépendants qui tiennent à rester dans leurs réseaux. On peut jouer partout et devant tous les publics et c’est tant mieux. On est pour la paix et l’harmonie dans le monde.

Le mot de la fin ?

JB : On vous donne rendez-vous le 14 juin à l’International, à Paris, pour la release party. Pascal, notre label manager, a fait venir Geography of the Moon - un super groupe écossais, qui était nominé « album écossais de l’année en 2020 », et il y aura aussi nos amis Münchhausen dont je suis total fan.

Quel disque, donneriez-vous à un enfant pour l’emmener vers la musique ?

P : Al Green, « I’m Still in Love with You », un disque magique : personne ne peut y résister !

JB (montrant son tatouage) : Le troisième album de The West Coast Pop Art Experimental Art. Il y a tout sur cet album !

C : Je dirais Clash “Sandisnista » et « Homework » des Daft Punk

Mais le groupe ultime pour les enfants c’est pas DALTON ?

P : Effectivement, c’est pour tous les enfants de 7 à 77 ans ! Surtout 77 !

https://bfan.link/soleil-orange
https://daltonlegroupe.bandcamp.com/album/soleil-orange
https://www.facebook.com/legroupedalton
https://www.instagram.com/legroupedalton/