Jean-Emmanuel Deluxe : une vie en pop

vendredi 10 mai 2019, par Franco Onweb

Avez-vous remarqué à quel point le mot pop est employé partout ? On a du mal à accoler une définition de cette culture qui semble parfois un peu galvaudée. Jean-Emmanuel Deluxe est un des représentants de cet état d’esprit en multipliant les activités. Entre journalisme, écrivains, biographe et chanteur il n’a pas su vraiment choisir. Au moment où il sort un nouvel album dont on reparlera la semaine prochaine, j’ai rencontré ce personnage multicarte pour qu’il raconte son parcours et ses différentes activités dans la pop culture !

Je m’appelle Jean Emmanuel Deluxe, je viens de Rouen où j’ai grandis.

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(Jean Emmanuel Deluxe en 2019 - Droit réservé)

Justement tu viens de Rouen, tu t’intéresses à la pop et tu en fais. Pourtant la ville n’est pas connue pour être une ville très pop : c’est la ville des Dogs ou de « Mélodie Massacre », le célèbre magasin de disques ?

Je suis né en 1970, donc j’étais trop jeune pour avoir connu « Mélodies Massacres » qui a fermé en 1982. Le premier disque que j’ai acheté avec mes sous, enfin ceux que m’avait donné ma grand-mère, c’est l’album punk de Plastic Bertrand, celui où il y avait « ça plane pour moi ». (rires) En cinquième je suis tombé sur Killing Joke dans leur période new wave qui m’avait beaucoup plus : j’ écoutais tout seul « Love like blood ». Les autre préféraient Georges Michael. Après j’ai eu un pote dans le père avait pas mal de disque et donc on piochait dans sa discothèque. Mais très vite le côté soixante huitard de ses sélections m’ont gonflées. Par exemple à cause de ce pote il m’a fallu des années pour écouter Bowie et Gainsbourg. En conséquence de quoi je me suis forgé ma culture musicale via la presse anglaise. Ensuite quand j’ai fait les Beaux-Arts j’ai découvert le label Sordide Sentimental de Jean Pierre Turmel. C’était assez incroyable de penser qu’il y avait à Rouen, dans ma ville, un personnage mystérieux comme lui qui sortait des disques de Throbbing Gristle ou Psychic TV …. Bon aujourd’hui je ne supporte plus le nihilisme de cette scène là- Péché d’adolescence.

Tu as fait les beaux-arts ?

Oui, mon père avait travaillé sur les chantiers et il avait réussis à grimper les échelons pour devenir contremaitre. Chez moi, même si on a jamais manqué de rien, je n’avais pas le fond de culture classique que l’on trouve dans des milieux plus supérieurs. Je suis rentré aux Beaux Art parce que je voyais dans les groupes anglais que la plupart avaient fait les beaux-arts : ça semblait être un bon plan (rires). Je m’intéressais déjà à la pop, à la Bd…

Comment cela s’est passé pour toi aux Beaux-Arts ?

Je n’avais pas compris que nous étions passés dans une époque post-conceptuelle. Les profs étaient partis dans l’idée de la déconstruction et moi j’estimais que si on voulait déconstruire il faut savoir construire.

Ce sont les théories « post Duchamp », qu’est-ce que tu penses de lui ?

Soyons franc, je pense que c’est un criminel ! L’idée prime sur tout et que le concept est plus important que la réalisation, viennent de lui. On peut facilement imaginer que les gens veulent déconstruire parce que ils ne savent pas construire. Le problème était vraiment là pour moi !

Tu penses que dans l’art il faut un minimum de savoir-faire ?

Oui il faut un peu savoir-faire ! Aux Beaux-arts il y avait un mépris pour le populaire : ils n’aimaient pas la Bd ou la pop. C’était toujours le concept, le concept … Les profs venaient du mouvement support surfaces : un mouvement inintéressant au possible qui t’explique que le support est aussi passionnant que le travail. Globalement tu retournes la toile et c’est aussi passionnant que si tu l’as devant toi. Pour moi Duchamp il aurait fallu le garder comme une provocation de potaches mais quand on en fait un nouvel académisme ça devient un peu … ridicule ! Tu peux regarder la BD de haut quand tu t’appelles Van Gogh mais pas ces gens-là !

C’est là que tu as bifurqué vers la pop-culture ?

Oui mais je m’y intéressais déjà : j’écoutais pleins de choses, je lisais la presse anglaise, si bien que pour moi les Dogs et tout le côté Rouen « ville rock » je suis vraiment passé à travers…. Pour tout t’avouer Dominique Laboubée en français c’était génial comme avec Louise Ferron, mais son anglais du genre je suis en 5 ème et brian is in the Kitchen, c’est assez dur !

Comment définirais tu la pop culture ?

C’est un terme un peu dévoyé : on met le terme pop un peu partout. Disons que c’est la culture populaire en opposition à la culture de masse. C’est lié à une imagerie des années 60 même si je n’aime pas les revivals autours de cette période. Par exemple je trouve que le revival « garage rock » en ce moment est chiant comme la pluie.

Mais il y a des thèses comme quoi la pop culture viendrait de a contestation des années 60 et serait en opposition à la culture de masse et la culture classique ?

Attention je suis persuadé que la pop culture doit se nourrir de la culture classique parce que si on a que des références « pop » ou « geek » les choses peuvent rapidement perdre leurs sens. Regarde, dans des revues des années 60 tu pouvais trouver des références classiques assez intéressantes pour déterminer une œuvre. Aujourd’hui on a l’impression que, dans des revues similaires, les journalistes ont grandi avec juste quelques références et c’est tout … Par exemple Michel Magne qui venait de la culture classique s’est dit : « Xenakis c’est bien mais un groupe comme les Pink Floyd peut aussi prendre des références de la culture contemporaine et de la musique concrète pour les diffuser à un large public, et ça aussi c’est intéressant ». Personnellement je ne me retrouve pas dans la culture contemporaine mais pas non plus dans le terme pop culture comme il est employé en ce moment. Il suffit de voir Philosophie magazine qui fait un numéro spécial sur « Game of Throne », je trouve ça pffff… C’est quelque chose où selon moi il y a peu de fond ! Quand tu te nourris que de la pop culture tu ne fais plus que des copier-coller sans fond.

C’est pour ça que tu es fan de Bertrand Burgalat ?

Je ne peux pas être fan de quelqu’un qui est un ami. Mais j’apprécie la démarche : faire un label et sortir les disques qu’il fait sans sombrer dans la facilités et bien ce n’est pas aisé ! Surtout en France un pays qui met le texte en avant et où la musique est secondaire.

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(Jean Emmanuel Deluxe, Bertrand Burgalat et Philippe Manoeuvre - Droit réservé)

Pour en revenir à ton parcours j’ai vu que dans les années 90 tu pars de Rouen pour l’Angleterre ?

Oui, je trouvais que la ville s’endormait sur elle-même. Je suis parti pour Sheffield, une ville du nord de l’Angleterre. Londres était trop cher pour moi et je connaissais des gens là-bas. Je savais que les Anglais avaient une scène musicale plus décentralisée et très active localement. Sheffield c’est une ville qui avait tout misé sur les mines donc quand je suis arrivé j’ai eu l’impression d’être dans un film de Ken Loach (rires). J’ai rencontré là-bas les gens du label Warp qui avaient aussi une subdivision du label qui s’appelait Gift sur lequel il y avait Pulp et d’autres trucs. Il y avait aussi « Designer République » qui était à l’époque un petit bureau de graphisme et qui est devenu énorme avec des gens comme Björk …. Je suivais des cours à mi-temps et je me suis très rapidement immergé dans la ville. À un moment j’ai quitté les cours car le politiquement correct qui avait déjà 10 ans d’avance sur ce qui allait débarquer en France était trop lourd.

Tu t’es senti bien ?

Disons j’ai trouvé qu’il y avait une vraie énergie et que c’était bien par rapport aux Beaux-Arts où je n’avais découvert que l’art conceptuel. A Sheffield j’ai vu des gens qui faisaient du graphisme, de la musique, des labels, des groupes sans chercher forcément l’idée du concept mais juste l’idée de faire bien les choses … C’est là-bas que j’ai pensé que je pouvais devenir journaliste. Il y avait notamment la boutique de disque de Warp où j’allais souvent. Un jour j’ai trouvé là-bas le 45 t d’une chanteuse, April March. Il y avait le nom de son label derrière, je lui écrit, au culot, en lui proposant de refaire des morceaux en Français et c’est comme ça que on fera « Gainsbourgsion », un album de reprises de Gainsbourg. Quand je reviendrai en France je la présenterai à Bertrand Burgalat….

https://www.youtube.com/watch?v=KDPi_cgItcA

Tu es rentré en France juste après ?

Oui, au bout de un an et j’ai fait un premier label : « Euro-Vision » sur lequel j’ai fait April March, the Witch Hazel Sounds, le groupe de Kevon Coral et le fameux « Tribute à Alain Delon et Jean Pierre Melville »…

C’est le moment de parler de Bart Johnson qui est très important pour toi !

Oui, Bart Johnson je l’ai découvert en écrivant un livre sur la « Bubble-Gum » en 2007. Je cherchais un illustrateur et une fille que je connaissais m’a parlé de lui. On s’est rencontré et depuis on est très proch

.Quand on regarde ses illustrations cela rappelle un peu « la figuration libre » où il y avait notamment Robert Combas et Hervé Di Rosa ?

Je ne crois pas. Je pense que c’est quelque chose qui l’intéresse assez peu : il a une culture qui se réfère aux classiques. Il s’intéresse par exemple au mysticisme et au divin. Je trouvais qu’entre son univers et le mien il pouvait y avoir une corrélation. On discute souvent ensemble de pleins de choses : il a une vision de l’art vraiment intéressante, que je trouve assez brillante. Pour l’anecdote il est Asperger, donc il est très intelligent avec une mémoire incroyable : il est capable de te rappeler plusieurs années après si tu te contredis. Plus sérieusement il m’a permis de découvrir beaucoup de choses comme Thomas Keating un prêtre du Colorado très œcuménique qui pratique une prière méditative que l’on peut mettre en parallèle avec la méditation zen. Il m’a aussi fait prendre conscience de la nature illusoire de la compétition dans la course pop culturelle. J’espère que quelqu’un de décisionnaire va enfin le faire connaître en France comme il le mériterait !

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(Illustration de Bart Johnson - Droit réservé)

Justement quand on parle de Pop Art et de peintre il y a un nom qui sort tout de suite c’est Warhol ?

Eh bien justement je n’aime pas Warhol. J’aime pas le personnage : c’est juste de la déco sympa et un très bon publicitaire. C’est un système Warhol mais certainement pas un grand artiste. En plus je trouve que c’est quelqu’un de très malsain, qui poussait à bout les gens autour de lui. Il était très malin pour le business mais pas très profond artistiquement.

Quel est ton avis sur la pop musique anglaises des années 80 comme les Smiths ?

J’aimais bien surtout la scène de la C86 avec les Shop Assistants ou les débuts de Primal Scream. Je lisais beaucoup la presse Anglaise à l’époque et il y avait pleins de bons groupes que j’aimais bien. Il n’y avait vraiment pas que les Smiths que j’aimais bien mais sans plus.

Tu as du te sentir mal à l’aise avec les Inrockuptibles ?

Franchement j’avais du mal : ils avaient un côté Janséniste que je n’aimais pas trop. Il y avait des choses bien chez eux mais j’avais un peu de mal avec cette espèce de culture Française assez convenue !

Mais quand es apparue la French Touch tu as du te sentir à l’aise avec tout le côté graphisme ?

J’aimais bien aussi mais j’avais du mal avec les gens qui samplaient des disques qui existaient déjà ….

Tu as donc monté deux labels ?

Oui, le premier je l’ai arrêté suite à une mauvaise association. J’ai ensuite monté « Martyr of Pop » sur lequel j’ai sorti Magic Monsters avec April March qui a collaboré avec Larry Mullins. Purple Submarine Orchesta, Penelope un groupe d’Aix, Jacque Duval et j’ai fait des rééditions avec le label Lion j’ai réédité les Rotomagus et the Witch Hazel sound de Kevin Coral, un groupe incroyable de l’Ohio, qui est l’état de beaucoup de groupes cultes comme : Pére Ubu ou Devo…

Ton label est en sommeil ?

Je sors quand même mon disque dessus et je vais aussi sortir dessus Ian Chippett, une sorte de Sugarman british de notre époque. C’est un anglais qui bossait chez Berlitz et qui était ami avec toute la bande de Canterbury. C’est un très grand songwritter avec un humour fabuleux. comme seul les gens de son île peuvent en produire. Normalement le disque va sortir en début d’année prochaine et il sera énorme.

On parle de tes livres : tu as beaucoup publié !

En fait j’aime écrire et donc je publie beaucoup. Je pense d’ailleurs à écrire mon premier roman.

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(Couverture les Ovins de la pop - Droit réservé)

On va parler de tes derniers livres , le premier c’est : « les Ovnis de la pop »

Oui un livre qui parlent de Jean François Coen, Lio, Tristan, Plastic Bertrand et Annie Philippe… Des vrais « Ovnis de la pop » !

Il y a eu un livre sur ls Icones de la pop Française « les filles de la pop » ?

Oui, le livre est d’abord sorti aux USA. A la base je suis parti de la vision totalement opposée de « âge tendre et tête de bois ». Je voulais la vraie version des chanteuses des sixties par forcément les plus vendeuses de disques mais les plus intéressantes artistiquement, Annie Philippe plutôt que Sheila. En fait je voulais faire un lien avec l’époque actuelle et c’est pour tout ça que les Français n’en n’ont pas voulu contrairement aux USA où il a bien fonctionné. En Angleterre aussi il a bien fonctionné. Finalement il est sorti sur Cocorico une jeune boite d’édition. Je dois beaucoup au flair de Rodolphe Lachat et Amélie Rétorré - Je continue à travailler pour eux ! Je m’y sent bien !

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(Couverture des Filles de la pop - Droit réservé)

Tu as sorti une biographie des Beach Boys ? Une autre !

Et bien non, ce qui est étonnant : il y a eu très peu de biographie sur les Beach Boys en France. Une biographie il y a quinze ans et un livre sur Pet Sounds et c’est tout. C’est un groupe pas trop reconnu ici. Les gens n’y voient qu’un groupe de surf un peu niais. Ils n’ont pas du tout la même côte d’amour que les Beatles par exemple… Et comme il n’y avait pas de biographie j’en ai écris une.

Ca a dû marcher ?

Oui, il était très bien distribué mais c’est un groupe sur lequel il y a encore du travail à faire et des choses à écrire.

Et enfin ton livre sur Tricatel : le label de ton ami Bertrand Burgalat ?

Je l’ai rencontré, il y a très longtemps, avec April March à un concert. Il a toujours dit que c’était grâce à moi qu’il avait rencontré April Mach. Ce qui est cool c’est que plusieurs années après avec « Death Proof » (Boulevard de la mort Ndlr ) un de ces morceaux ,« Chick Habit », a été repris sur la BO du film. Grâce à ça j’ai eu mon nom au générique du film…

Tu avais suivis toute l’aventure Tricatel ?

Oui, comme je connaissais toute l’histoire et mon éditeur, après un brainstorming, m’a demandé de faire un livre sur eux. C’est une niche Tricatel mais avec des passerelles sur l’extérieur avec des gens comme Valérie Lemercier.

En plus de tout ça tu es journaliste ?

Oui j’écris pour pas mal de journaux : Technikart, Rock and Folk, Transfuge, Gonzaï…

Mais quelle exactement est ta profession ?

Auteur -créateur parce que j’aime dessiner, j’aime créer …

Mais tu n’es pas comme Bertrand Burgalat une sorte de dandy ultime ?

Je ne sais pas, sur mon ancienne carte de visite il y avait marqué « Dandy de province » (rires). Je viens de la ville de Flaubert quand même (rires) et franchement cela n’a pas tellement changé (rires). J’ai beaucoup de mal avec le côté Français qui t’oblige à rester à ta place : je ne vois pas pourquoi on ne peut pas écouter Mozart le matin, un truc très Bubble Gum à midi et du Bela Bartok le soir tout en lisant en même temps du Flaubert et un Comics. On veut tellement mettre des gens dans des cases que aujourd’hui faire un tube, un vrai tube fédérateur est devenu impossible …. Paradoxalement depuis que tout est mis au même niveau la pop culture à perdu de sa valeur et de son universalité. Je ne pense pas qu’une carrière telle que celle de Stanlery Kubrick serait possible aujourd’hui.

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(Couverture de Tricatel Universalis - Droit réservé)

Mais on peut t’imaginer un jour bosser sur un truc autre que la culture ?

Je ne sais pas surtout que aujourd’hui c’est très sectorisé. Mais peut être qu’un jour je me retrouverai dans un monastère dans la montagne si le monde continue à aller dans le même sens

Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’amener à la musique ?

La musique des vieux Disney, genre Mary Poppins ou le Livre de la Jungle. C’est pas mal …

J’ajouterai le Piccolo er Saxo d’André Popp.

Tu as un quelque chose à rajouter pour la fin ?

Je voudrais remercier Lio pour sa préface des Filles de la POP et Annie Philippe qui est sur la quatrième de couv et la couv de l’édition aux USA de yéyé Girls of 60’s french POP et aussi remercier Boris Bergman et Marcia Finkelstein pour leur soutient

jeanemmanueldeluxeandfriends.bandcamp.com

https://www.instagram.com/bartjohnsonart/?hl=fr