Après les Rockin Rebels tu vas avoir une double carrière : chanteur et surtout organisateur de ce réseau Rockabilly ?
Oui j’ai aidé à créer ce réseau et à développer cette musique. Au début de Tony Marlow , c’était un peu une période de « vaches maigres ». J’avais monté un nouveau répertoire et une nouvelle formation mais les organisateurs voulaient les « Rockin Rebels » et pas leur ancien chanteur.
Il vient d’où ce nom ? C’est un hommage à Philip Marlow le détective privé ?
Exactement, ça vient de là, car j’aimais bien sa philosophie de la vie ! Mais les débuts n’ont pas été facile donc parallèlement à ça j’ai monté une formation plus swing avec du sax sur les conseils de Gérard Vacher qui nous programmait à l’époque sur l’île de la Jatte. Il espérait ainsi que je puisse intégrer le circuit jazz. Comme c’était quelque chose que je faisais déjà un peu avant avec le groupe, j’ai décidé de développer ce côté d’où le nom Tony Marlow.
Tu n’as pas eu envie d’aller beaucoup plus vers le folk ou le blues ?
En fait c’était la continuité des « Rockin Rebels » qui avaient du sax et du swing. Gérard nous a managé et on s’est retrouvé dans le circuit jazz comme « le caveau de la Huchette », « Le Slow Club », « le Petit Journal », « le festival de jazz de Fontainebleau » avec Claude Nougaro et Sasha Distel… Comme le statut d’intermittent venait d’être crée, je peux en bénéficier et ne plus faire de petits boulots pour joindre les deux bouts. Grâce à ça j’ai pu me concentrer sur la musique et j’ai commencé à programmer des groupes de rockabilly. C’est grâce à moi que des groupes ont pu aller jouer au « Slow club » par exemple. Ça s’est fait comme ça par le biais du swing…
La mode du rockabilly était retombée ?
Oui, la plupart des groupes leader s’étaient séparés mais il y avait encore un public très underground. Il fallait vraiment être initiés pour connaître nos lieux et nos concerts.
Le public rockabilly a la réputation d’être un peu sectaire et fermé : ça date de cette époque ?
Oui, peut être mais c’est une musique qui est souvent rejetée et donc cela entraîne parfois un repli sur soi même. Mais il y a aussi une partie du public qui est sectaire avec des goûts très ciblés : si cela déborde du cadre ils n’aiment pas ! Certains n’aiment pas que l’on chante en Français et nous ont rejeté. Ce côté trop puriste ne fait pas du bien à cette musique.
C’étaient comment ces soirées ?
Au début cela donne « Rock Frénésie » à la fin des années 80, début des années 90. J’arrive à avoir un soir par semaine à « la Chapelle des lombards » et au « Slow Club » où ils me laissent carte blanche. Quand je vois tout les groupes qui viennent jouer, j’ai l’idée de ma première compilation « Rock Frénésie » comme les soirées du même nom, en 1990 chez New Rose avec le regretté Patrick Mathé. On organise un concert au Bataclan pour la sortie de l’album. Il y a les « Imperials », les « Hot Riders », les « Alley Cats », les « Cadillacs » entre autre … que des nouveaux groupes ! C’est une mini vague qui apparaît et on a fait plus de 700 entrées un mardi soir à Paris ce qui est très bien. Suite à ce premier succès j’ai continué à organiser des soirées et des concerts.
Tu avais beaucoup de contacts avec la province ?
Au début ça se passait à Paris et rapidement cela s’est répandu. Moi je monte « Tony Marlow et les Privés », puis « Tony Marlow Blue Five » mais toujours dans le même esprit… J’ai arrêté au bout de quelques années les soirées au « Slow Club » » et puis en 2010 avec Patrick Renassia de « Rock Paradise » me vient l’idée de ces compilations « Rockers Kulture » parce que la scène venait encore de se dévelloper.
Mais c’est grâce à toi que les groupes de rockabilly ont pu aller à la Boule Noire et dans de vraies salles ?
Oui, tout à fait j’ai quand même conscience d’avoir fait des choses. Il y avait eu le Bataclan mais j’ai l’idée de faire une ou deux soirées par an avec une dizaine de groupes qui joueront chacun un quart d’heure. Pour ça il nous fallait de belles salles, donc au début cela a été la Boule Noire puis après au New Morning, ce qui faisait une belle exposition pour les groupes.
Il y a eu combien de compilations ?
6 compilations avec 25 groupes et j’ai mis un point d’honneur à avoir à chaque fois des groupes différents donc il y a eu 150 groupes ou chanteurs ce qui est exceptionnel ! Bien sûr il y a eu des groupes qui se sont séparés et qui ont participé à une autre compilation sous un autre nom mais à l’arrivé il y a 150 groupes : c’est une de mes grandes fiertés ! Pour te donner une idée à l’époque de Big Beat on était une dizaine de groupes et là, boum, 150 !
Aussitôt un réseau avec des fanzines, des festivals et des concerts s’est recrée ?
Il y a eu quelque chose qui n’existait pas dans les années 80 : ce phénomène de la customisation , la mode des tatouages, les voitures, les Pin-up… Cela brasse beaucoup de monde, le seul problème c’est que c’est tout pour le look et peu pour la musique , alors que pour moi, la musique est à la base de tout : le reste c’est de la décoration.
Il y a donc un vrai circuit rockabilly en France ?
Un circuit c’est beaucoup dire mais il y a plus d’occasion pour jouer mais comme il y a énormément de groupes ça reste difficile.
Mais toi tu joues beaucoup ?
Moi, oui, je joue beaucoup mais finalement peu dans le circuit rockabilly principalement parce que je chante en partie en Français et tant pis si cela ne plaît pas à certains. Je tourne donc plus dans le circuit « biker », « blues », « country » …
Mais il y a un circuit rockabilly en Europe et tout le monde reconnaît que toi tu as beaucoup fait pour la scène Française dans ces circuits.
C’est gentil de me dire ça et ça fait plaisir d’avoir un peu de reconnaissance .
Tu fais quoi après les « Rockin Rebels » ?
Il y a donc eu « Tony Marlow et les Prives » et puis « Tony Marlow Blue Five » qui en est la continuité. Parallèlement à tout ça en 1991 je rencontre une fille qui joue de la contrebasse qui s’appelle Betty Olson et qui chante super bien. Elle était guitariste au début. Nous avons eu une relation sentimentale et comme je l’entendais chanter sous la douche, plutôt bien, nous est venu l’idée de monter une formation rockabilly où je décide de me mettre vraiment à la guitare solo parce qu’avant je ne faisais que de la rythmique.
Tu as beaucoup travaillé ?
Oui, j’ai vraiment beaucoup travaillé ! Avec Betty on a crée un répertoire de rockabilly féminin en reprenant des titres de Janis Martin et Wanda Jackson ce qui était assez dur à jouer. Donc d’un côté je continue dans les clubs de jazz avec « Tony Marlow Blue five » et de l’autre côté je joue avec Betty sous le nom de « Betty and the Bops » dans le circuit rockabilly. On va même aller au plus grand festival du genre en Angleterre qui s’appelle « Hemsby » en 1993.
C’est quoi la formation ?
Au début elle ne joue pas de contrebasse mais de la guitare rythmique, moi je fais les solos et il y a un contrebassiste et un batteur : on est quatre ! Après « Hemsby » on est programmé dans tous les festivals d’Europe : Suisse, Belgique, Allemagne, Hollande Espagne … On joue deux fois à Barcelone et on partage l’affiche avec pleins de grands noms. En 2005, nous avons le privilège d’accompagner Janis Martin à Concarneau, un concert organisé par Pat Le Meur et Claude Chaluleau. Avec Betty, on enregistre 5 Cd : « Betty & The Bops » (Skydog), « Pin-up Confidential » (Skydog), « Tant Que Je t’Aimerais » (Magic), « Laisse les Filles » (PSD Music) et « Hot Wheels on The Trail »(Sfax) et c’est un groupe qui a très bien fonctionné pendant quinze ans. Au bout d’un moment je me consacre uniquement à Betty and the Bops. Pendant dix ans je n’ai fait presque que ça !
Il y a aussi « Tony Marlow’s guitar party » ?
C’est mon projet solo mais au vrai sens du terme : je suis tout seul pour jouer les instruments. Avec Betty au bout de quinze ans, ça a commencé à s’essouffler et on se sépare, même si on a fait des choses fantastiques, comme la première partie de Carl Perkins à l’Elysée Montmartre ou de Scotty Moore au Trabendo. En 2004 pour mes 50 ans, je suis allé sur la tombe d’Elvis en août. J’ai fait le « pèlerinage » au Sun studio, à « Graceland » (nom de la propriété d’Elvis Ndlr ) et franchement ça m’a beaucoup boosté. J’ai donc décidé de faire une sorte de bilan musical et de mettre en pratique tout ce que j’avais appris : le chant, la guitare, la batterie et aussi un peu de basse électrique. J’ai appelé un ami pour la contrebasse (Franck Abed) et c’est comme ça que m’est venue l’idée de ce disque « Tony Marlow Guitar’s Party » ! Suite à cet album, je remonte un trio avec Andras Mitchell (basse/contrebasse) et Vintage Bob (batterie) avec qui je tourne jusqu’en 2011. En 2009, on enregistre l’album « Knock Out » au Kaiser studio avec Lucas Trouble, produit par Marc Zermati pour Skydog.
Ensuite il y a « les Bandits Manchots » ?
Ça c’était pendant « Betty and The Bops », c’est un projet swing parallèle que je mène de 1998 à 2006. Je retrouve le circuit jazz avec cette formation qui comprend notamment le saxophoniste Gilles Ferré. Il y a un cd qui sort chez Skydog en 2001.
Ensuite il y aura un hommage à Johnny Kidd
Oui, parce que Guitar Party évolue en « Tony Marlow Trio » avec Gilles Tournon à la contrebasse et Stéphane Mouflier à la batterie. A l’aube des années 2010 me vient l’idée de rendre hommage à Johnny Kidd qui est mon chanteur anglais préféré depuis l’adolescence. On prend le nom de K’ptain Kidd et on enregistre deux albums avec Lucas Trouble au Kaiser Studio qui sortent chez Rock Paradise.
Tu as joué à l’Olympia ?
Oui, 6 fois : un festival de rockabilly (1979), deux premières parties des « Stray Cats » (1981), une première partie de Mink DeVille (1982), Le Rock d’Ici (1982) et j’ai joué « Western » invité par « la Souris Déglinguée » (2015). Taï Luc voulait rendre hommage aux artistes qui l’avait marqué.
D’ailleurs cela ne te pose pas de problème que beaucoup de compilations soient sorties avec le label punk chez Skydog où tu es présent avec les Rockin Rebels ?
Absolument pas ! Au contraire je trouve cela très bien que l’on ait pu se démarquer des autres avec notre côté punk ! Taï Luc de la Souris Déglinguée appelle ça du Punkabily et j’adore (rires) !
Tu sors un album tous les ans ?
Sous mon nom oui ! Mon label de base maintenant c’est « Rock Paradise » de Patrick Renassia qui est aussi une excellente boutique de disque dans le 15 éme.
Ce qui est incroyable, c’est que tu n’as jamais fait la moindre concession ?
Jamais, même si j’ai chanté en français je l’assume totalement !
Ta musique est marquée par cet amour de la musique des années 40 – 60, tu aurais pensé en 1977 que tu aurais une carrière pareille ?
Absolument pas, quand tu es jeune, tu vis l’instant présent et puis les choses se sont enchaînées et voilà où j’en suis.
Mais tu t’intéresses à ce qui se fait aujourd’hui ?
Ça dépend, parce que aujourd’hui il y a toutes sortes de musique. Si on parle de la musique dominante qui est matraquée par les médias cela ne m’intéresse pas. Pour moi ce sont des musiques vides, sans âme qui souvent sont faites par des machines et non jouées par des individus. Elles peuvent être des compléments pour la scène par exemple mais maintenant même les voix sont faites par des machines et ça je ne peux pas.
Mais la scène rock actuelle tu la suis ?
Bien sûr, c’est pour ça que je fais la différence entre la musique que l’on nous impose et les autres qui sont moins visibles mais que l’on peut trouver grâce à internet ou dans les petits clubs.
Tu dois avoir beaucoup de jeunes groupes qui t’appellent ?
Oui, pas mal mais maintenant j’ai un peu levé le pied mais je continue forcément à m’intéresser à la scène rock mais aussi la scène country et blues. J’essaye de me tenir vraiment au courant. Quand je vais en province, je découvre de très bons groupes dans mes premières parties. C’est comme ça que j’ai eu l’idée des compilations.
Tu as sorti à l’automne dernier une anthologie de 50 titres en double Cds pour fêter tes quarante ans de carrière. On retrouve tous tes groupes : comment l’idée est venue ?
C’est simplement une histoire de dates : l’année dernière j’ai fêté mes quarante ans de carrière. En effet, le premier 45 t des « Rockin Rebels » remonte à 1978 donc il y a quarante ans et j’ai voulu marquer le coup. En même temps le choix des titres a été difficile.
C’était ta première compilation ?
Oui, parfois on me disait qu’il fallait ressortir les disques mais je voulais que toutes les périodes soient représentées. J’ai du faire des choix y compris financier : « Rock Paradise » n’a pas les moyens pour financer ce que je voulais faire à la base, c’est-à-dire un vrai livre ! Il a fallu faire un « Crowfunding » qu’Alicia Fiorucci a réalisé magistralement pour aider au financement car il fallait payer, en plus, les droits sur 50 titres à la SDRM et un digipack. Il a très bien marché, merci à tous les contributeurs. On a fait un vrai mastering avec Seb Le Bison pendant trois jours dans un très bon studio.
Et il marche bien ?
Oui, il circule bien : il est bien distribué.
Quels sont tes projets ?
Je vais faire des concerts, encore et encore (rires). Il y a des concerts régulièrement, tous les mois. Je vis de la musique, donc j’en fais !
Tu n’aurais pas envie de monter un big band comme Brian Setzer (le chanteur des Stray Cats Ndlr) ?
Je l’ai un peu fait avec « Tony Marlow et les Privés » mais on n’était que sept et franchement c’est déjà très compliqué au niveau des disponibilités et il faut beaucoup de travail… Je suis pour un retour au minimalisme (rires), je veux rester en trio pour mon prochain projet.
Ce sera quoi ?
Je reviens à mes amours de jeunesse ! Depuis que je travaille la guitare je peux espérer y arriver : je veux monter un groupe dans l’esprit de « Jimi Hendrix Expérience » ou de « Cream », du heavy blues avec des improvisations de guitare mais avec une base rock’n roll bien sûr. Ce sera du Hendrix avec de la contrebasse, un mélange assez original.
Tu te sens bien dans nos années toi qui aime tant les années 60 ?
Attention ce sont des années que l’on a vraiment magnifiées et enjolivées : tout n’était pas rose, loin de là ! J’ai plutôt la nostalgie de ma jeunesse : la fin des années 60 et le début des années 70. On est toujours un peu nostalgique de ses 20 ans. J’ai beaucoup aime de 2000 à 2 010. Maintenant on est trop esclave d’internet et des réseaux sociaux. La vie est devenue beaucoup plus dure.
On reverra un jour les « Rockin Rebels » ?
Malheureusement pas sous la forme originale puisque sur six personnes qui ont fait partie du groupe, trois ne sont plus là : Tintin, Ramon et Jean-Jacques nous ont quitté. S’il y avait une reformation ce serait avec Jean Paul Joannes, Jean Marc Tomi et Fred Kolinski qui a joué dans la toute dernière mouture. Le problème est que Jean Marc habite à Lyon et Jean Paul en Bretagne. Ce n’est pas impossible mais compliqué à réaliser.
Ca te fait quel effet d’être le parrain de cette scène qui est souvent mal comprise ?
(Rires) Moi-même je suis mal compris ! Disons que je suis le parrain, pour reprendre tes termes, de la seule scène qui n’est pas reconnue officiellement parce que quelqu’un qui veut organiser un festival rockabilly n’aura pas de subventions, par contre pour un festival de blues, de jazz, de chansons Françaises ou de théâtre d’avant-garde, oui !
Tu penses que le rockabilly a toujours cette image de mauvais garçons ?
Oui et également de bouseux, de raciste, de vieillot … En France on a l’impression que le rock démarre avec les Beatles. Je reste solidaire de cette scène et si j’ai l’occasion de referais des choses.
Tu as arrêté les soirées ?
Oui, parce que le public n’est plus venu et quand tu es déficitaire plusieurs fois et bien tu arrêtes ! C’est dommage mais c’est comme ça, si les gars ne viennent pas aux soirées qui sont faites pour eux et bien tu stoppes. Dans les autres pays européens cela se passe mieux.
Quel disque ou musique tu donnerais à un enfant pour l’amener à la musique ?
Les enfants sont réactifs aux rythmes du rockabilly : joyeux et gai, c’est ce que je dirais (rires)
Du Tony Marlow (rires) ?
Pourquoi pas ? (Rires)
Tony Marlow : Anthologie 1978 - 2018 / Double cd - Rock Paradise