Marc Minelli le troubadour voyageur

lundi 7 décembre 2015, par Franco Onweb

A l’occasion de la tournée pour commémorer son (superbe) album « Faces », nous avons demandé à Marc Minelli de nous raconter sa carrière. Plutôt que de nous lancer dans une longue interview, nous avons préféré lui soumettre quelques mots qui à eux seuls résument une longue et brillante carrière. Des lieux, des titres d’albums, des chansons, quoi d’autre pour raconter ce troubadour des temps modernes 

LE HAVRE :

J’y suis né, j’y ai grandi, j’y ai découvert à l’âge de quinze ans les joies de l’enregistrement sur le magnétophone Akaï 2 pistes de mes parents et dès lors enregistré sans relâche des montagnes de cassettes audio avec des compos originales en anglais. Parallèlement je prenais des cours de guitare avec Guy Georges Grémy et Little Bob me procurait une chaise au fond de la salle lors de ses répétitions, une période très instructive !

Little Bob était alors au top en Angleterre et m’a transmis le goût de l’électricité au son des nouveaux groupes anglais ayant pour noms Dr Feelgood, Eddie & the Hot Rods, Clash, Jam et bientôt Sex Pistols, des groupes issus pour la plupart d’entre eux du circuit des Pubs et réunis sous la bannière « Punk Rock », ce qui voulait dire pour moi qu’il était possible d’apprendre trois accords sur un instrument et monter un groupe avec trois copains pour apparaître en public et drainer une foule de joyeux drilles.

Peut être est-ce dû à la position du Havre sur la carte ou à la bienveillance de disquaires exceptionnels, en tous cas toute la musique que j’ai écouté jusqu’en 80 était anglo-saxonne : - New York Dolls, Iggy Pop, Mink de ville, le Blues de Chicago, Blondie, Talking Heads, Ramones puis les groupes vocaux des années 60 tels Coasters, Crystals, Ronettes, le R n’ B, autre boulimie, je fus alors très sensible aux mélodies et l’arrivée d’un songwriter comme Costello a été un choc. Springsteen également, ou Joe Jackson qui à l’époque donnait dans la simplicité mais finira par me faire découvrir un certain Jazz avec son album « Jumpin’Jive ».

J’avais des parents plutôt compréhensifs qui m’offrirent une guitare électrique et un ampli dès l’âge de quatorze ans ce qui explique peut être le consciencieux ratage de mes études, ils m’ont en outre toujours offert une paix royale et tout le loisir d’avoir la tête dans les nuages si besoin était, ou de répéter jusqu’à des heures tardives ratant au passage tous les repas de midi, ce qui constitua pour moi un petit luxe supplémentaire...

Mon Joker à l’époque s’appelle Annette, je la voyais tous les dimanches à cause d’une décision de justice pour les enfants de parents divorcés qui m’obligeait à passer tous les Samedis/dimanches dans la famille de mon père, Annette était ma grand-mère maternelle je me débrouillais pour arriver chez elle à l’heure du thé, afin d’écouter mes « trouvailles » musicales de la semaine achetées sur le marché à Fécamp : Deep Purple, Floyd, Rolling Stones, dont les textes, traduits, me servirent à apprendre l’anglais beaucoup plus rapidement qu’à l’école. Voilà, ma grand mère était professeur d’Anglais, jouait du piano et lisait Shakespeare en V.O, elle avait ce côté typically British des personnages de Ray Davis dans les chansons des Kinks, flegme et humour, elle m’a beaucoup impressionné !

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(Le Havre la nuit, credit photo Philippe Breard)

BOSTON :

J’y suis arrivé pour mon premier single en plein mois de juillet avec une rage de dents, une main bandée et un ami photographe, Philippe, qui connaissait les musiciens les plus pauvres de Boston que nous avons invité à dîner pour parler de mon projet, je me suis retrouvé en studio le jour de mes 20 ans avec Willie « Loco » Alexander et les Taxi boys juste à côté du local de répétition des Cars que nous croisions en allant chercher des bières. Je pense encore maintenant qu’il y a pire moyen de tomber dans la marmite, surtout que nos soirées étaient occupées par des concerts de Jonathan Richman, David Johansen ou Johnny Thunders avant quelque ballade dans une vieille Cadillac louée avec autoradio dans laquelle nous emmenions Debbie et Jenny vérifier si les rêves des sixties étaient toujours là au son du « Because the Night » de Springsteen chanté par Patti Smith…. Je me souviens également d’avoir pisté Willy de Ville dans le Village et des piles de disques de la Motown qu’il nous fallut passer en douane au retour sous l’œil dubitatif d’un gros flic tout droit sorti de « Starsky et Hutch », entre autres choses...

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(credit photo Richard Bellia)
FACES :

D’abord c’est « Love Atomic » que j’enregistre avec Jérôme (Soligny, Ndlr) en Belgique puis un contrat d’album chez Just’in le label de Francis Kertekian, même si je ne parle qu’avec le brillantissime Didier Delages, grand artisan de la réussite de ce disque, c’est en 90 mon véritable démarrage... « Love Atomic » le single était la carte de visite idéale dont on parlera en bien à peu près partout. C’est l’époque de « Lunettes noires pour nuits blanches » d’Ardisson et « Du côté de chez Fred » de Frédéric Mitterrand à laquelle je participe trois fois, dont une avec Ettore Scola et une autre avec Lauren Bacall (si, si !)

Dans ce disque sous-titré « A collection of different styles » on trouve différents visages donc, une compilation de ce que j’ai pu composer sur une période de cinq ans. Le lien entre les "styles" est la voix. J’ai à ce moment fait pas mal de progrès dans ce domaine et peux me poser en véritable interprète de chansons sur une musique dont les arrangements sont plus sophistiqués, je suis entouré, il n’est plus question seulement de Rock et d’énergie ce qui me vaudra certaines critiques de la part des purs et durs qui avaient trouvé en moi un bon exemple d’artiste maudit, ce qui n’a jamais été mon truc même si j’ai pu jouer sur une certaine image à une certaine époque, mais on était tous là-dedans non ?

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A l’époque de « Faces » j’étais un jeune papa qui commençait à travailler sa musique sur l’ordinateur, l’électronique me fascinait et je commençais à penser à des textes français sur une musique qui n’aurait ressemblé à aucune autre, quelques personnes possèdent quelques unes de ces maquettes, surtout qu’elles les laissent òu elles sont, de grâce ! ….

CASIORCHESTRA :

A la place de ce qui aurait normalement dû être la suite de « Faces » (« Dances », un album avec des titres en français contenant les ébauches de « Foutu Dimanche » et du « Rayon Vert » ) j’ai sorti mon « Black album » : « Casiorchestra Kitchen Music » : En fait des bandes de travail enregistrées "at home" sur un petit clavier Casio, entre deux biberons, manière de dire qu’avec trois francs tout le monde peut le faire. L’objet est resté volontairement très confidentiel mais je connais des gens dont c’est le préféré, c’est un disque « Punk » en un certain sens, et mes premiers pas dans l’Electro...

LES TZIGANES TURCS D’ISTANBUL :

Rien à voir avec un premier quelconque projet « world » (lol !) Entre temps j’avais signé puis m’étais fait virer de chez Polydor où j’avais fais quand même fait quelques belles rencontres…. J’enregistre mon groupe chez eux et me retrouve à la rue avec les bandes…. Les « Tziganes Turcs D’Istanbul » étaient un pur groupe de Rock du Havre où j’habitais à nouveau, un groupe avec qui je jouais notamment à la Chapelle des Lombards et dans un caveau dans le 18e, avant une première partie mémorable des Fleshtones où nous eûmes les chaleureuses félicitations de Dee dee Ramone ! Musicalement çà jouait à l’énergie et c’était plutôt carré avec un saxophoniste très free et un répertoire mi nouveau /mi best of, assez brutal mais mélodique, épique….

LE RAYON VERT/FOUTU DIMANCHE :

Patricia Bonnetaud avait écouté mes maquettes et Didier Varrod m’a signé alors chez Polydor pour un single « Le Rayon Vert », j’y retrouve Jérôme Soligny trois ans après « Faces » et nous enregistrons aux studios ICP à Bruxelles où je n’habite plus depuis longtemps mais où j’ai gardé quelques relations… Que dire ? Jolie chanson, c’est le morceau préféré de François Olivier Nolorgues et c’est un texte de Daniel Darc, c’est aussi un essai de quelques remixes avant tout le monde en France dans le plus pur style Pet shop boys, çà n’a donc pas marché !

Pour "Foutu Dimanche" l’histoire est différente, En 96 je retrouve Marc Antoine Moreau chez Polygram avec qui je signe mes éditions, le répertoire est désormais aux trois quarts français et le premier disque a être réalisé est « Foutu Dimanche » une chanson que les Casse Pipe avaient reprise pour leur premier album… Il est terrifiant de savoir que ce groupe est aujourd’hui séparé tant ce qu’ils faisaient était bon et valait qu’ils se hissent au plus haut niveau en France, en compagnie d’un groupe comme Têtes raides par exemple… Bref ! … Le fait de chanter dans ma langue maternelle gommait tout ce qui pouvait être trop référentiel et ce sera une aventure de trois disques refusés par « l’ensemble de la profession », cinq ans avant Benabar et Cali ! … Fuck ! Je commence à tourner à bonne cadence et on s’occupe de ma promo, je passe chez Ruquier, Pollen ou Vincent Perrot à RTL, « Foutu Dimanche » devient un petit tube, une référence, et j’en suis ravi !

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TOURNEES/CONCERTS :

C’est mon oxygene, ce que j’aime faire…. Des premières parties de Téléphone dans les Zéniths, de Chris Isaak à la Cigale, des Communards à l’Olympia en remplacement de Murat qui avait eu du mal la veille, ce qui est compréhensible lorsqu’on sait que le jeu consistait à lever les bras et hurler « Merciiii ! » entre chaque chanson alors qu’en face se déversait un brouhaha d’insultes, l’organisateur n’avait pas cru utile de prévenir le public, qui, perspicace, s’était très vite aperçu que je n’étais pas Jimmy Somerville ! J’ai néanmoins eu les félicitations du directeur de la salle qui, de son bureau prit pour un triomphe ce qui fut un combat !

En fait j’ai ouvert un peu partout et c’est un challenge que j’aime toujours, une salle pleine qu’il faut convaincre, seul avec une guitare devant des publics aussi divers que ceux de : - La Mano Negra, Kent, Eddie Floyd, les Innocents, les Silencers, Jean-Louis Aubert, Miossec, Calvin Russell et même... No one is Innocent ! Les tournées ce sont aussi une foule de bons moments dans toutes sortes de petites salles, bars, théâtres, festivals, des rencontres avec des gens supers, publics maigres et attentifs ou bien nombreux et dissipés ? Peu importe, tout et n’importe quoi pourvu qu’il y ait une rencontre, qu’il se passe quelque chose !

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(credit photo Roland Einhaus)
BAMAKO :

C’est encore à Marc Antoine que je dois cette rencontre avec le Mali, à l’époque il s’occupe d’Amadou et Mariam, moi je travaille à la maison sur toutes sortes de projets : - « Envoyez moi des pistes séparées et je remixe, arrange, produit… » C’est ce qu’on a fait avec Mamani Keïta, j’ai reçu un DAT avec guitare et voix qui s’est transformé très vite en un disque fantasmé, mélange entre la terre Africaine et l’électricité New Yorkaise, trois années de travail qui nous conduiront sur scène dans divers pays dont l’Angleterre et les States dont je rêvais depuis haut comme çà… Je n’irai réellement à Bamako qu’après avoir enregistré le disque, m’assurer que les locaux kiffent bien l’histoire et ne me prennent pas pour un imposteur !

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(Electro Bamako en concert 2015, credit photo Galoubet)

Pour moi tout est contenu à la source, lorsque je cherche à réaliser un arrangement je suis un filtre, avec Mamani keïta c’est sa voix et les petites mélodies traditionnelles qui m’ont inspiré, en les jouant sur quelques accords elles se placent directement dans un contexte nouveau, ce sont elles qui délimitaient mon terrain de jeux et m’empêchaient d’aller dans des arrangements incohérents ou hasardeux, pourquoi alors ne pas me servir ensuite de l’ambiance de Bamako pour créer une musique qui soit dans l’esprit la plus proche de ce que j’ai ressenti, vu et entendu là-bas ? Mon personnage serait un DJ apatride chargé de rendre compte de ses journées d’errances en ville pour les auditeurs d’une radio imaginaire ou les danseurs d’une boite cosmopolite, j’utiliserais des éléments sonores qui m’appartiennent pour décrire au plus juste la situation, essayant de créer du neuf pour sortir de la carte postale « world » et me baser au mieux sur la réalité … C’est ce que j’ai continué à faire avec le groupe, qui s’est naturellement appelé Electro Bamako, qui tourne encore et sort des disques, notre nouveau single s’appelle « Jukuni » et c’est une bombe ! Prêtez l’oreille, tout est sur le net …..

NEW YORK :

Ma ville préférée, de loin ! Un sentiment d’appartenance, une histoire d’amour…. Elle m’a tellement inspiré… J’aime y marcher des heures durant sans but précis, New York est spéciale, l’histoire de la plupart des artistes que j’aime y est liée, une somme de films incroyable qui m’ont touché y ont été tournés, tout ce qui la concerne m’intéresse, le plus difficile serait d’y trouver quelque chose que je ne prends pas !
J’y ai rencontré des gens passionnants, j’y ai des amis que j’aime, l’énergie de la ville est fantastique. Comme tout le monde j’ai été horrifié à l’époque par les attentats du 11 septembre mais çà allait plus loin encore, je me sentais concerné ! Comme si on m’avait attaqué personnellement….

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Dans le travail c’est aussi l’endroit où je mixe mes disques depuis quelques années après les avoir enregistrés chez moi, j’y vais depuis que s’y est installé Florent Barbier l’ex batteur des Roadrunners et d’Elliott Murphy ou Zeze Mago… Il y a ouvert son petit studio CCP d’où l’on ressort toujours avec des choses magiques, un son différent, dynamique, direct… Je sais que chez lui on ne peut pas se tromper alors quand c’est important j’y retourne, et je suis dans l’environnement qui me convient pour entendre, imaginer, construire les choses avec recul tout en ayant à mener un combat perpétuel parce là-bas je suis toujours amené à tailler dans le vif, droit au but et sans compromis, ce qui peut s’avérer effrayant quand j’ai passé des jours entiers à bosser sur un arrangement dont je ne suis pas peu fier mais dont je garderai parfois très peu au final, mais c’est NY… Soyons efficaces ! Cherchons l’évidence, l’originalité… J’ai grande confiance en cet endroit…..

VENDOME :

You mean place Vendôme ? Non ? … Ok, Vendôme est une petite ville du Loir et cher où je vis désormais après dix ans de Porte de Clignancourt où ça devenait chaud, et cher, avec mon amie on faisait un break et j’avais besoin de m’installer loin de Paris, j’y ai d’abord trouvé une maison où j’ai pu installer mon studio, elle m’y a rejoint, nous avons eu un fils…. Il faut savoir que pour les enfants c’est très cool ici, je crois qu’à l’école ils n’ont jamais été plus de 20 à la fois en classe, bref, une dimension humaine….

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(Marc et Eliott Minelli en concert 2014, crédit photo Laurent Liguori)

J’y suis arrivé grâce à l’équipe du festival des Rockomotives qui m’y a accueilli à bras ouverts, j’ai découvert une autre vie à 40 minutes TGV de la gare Montparnasse, dans un environnement très cool, entourés de forêts, avec un centre ville charmant, vieille pierre, jardins bucoliques...

AVENIR :
…. « The future’s so bright I gotta wear shades ! »….. J’ai passé le plus clair de son temps ces dernières années dans des studios ou sur scène, je compose de nombreuses chansons, je joue très souvent, en solo ou avec Electro Bamako, je réalise pour d’autres musiciens, je chope de temps en temps une synchro sur un film ou de la pub et j’anime des ateliers pour de jeunes musiciens où je peux échanger mes points de vue et partager toutes ces passions, alors ?…

J’ai eu la chance de faire de belles rencontres et travailler dans un domaine qui me plaisait, sans faire trop de compromis et gardant une certaine exigence par rapport à des valeurs de qualité et de liberté qui me sont chères, je m’estime donc privilégié en un certain sens, je n’ai jamais hésité à aller jouer dans toutes sortes d’endroits, aller au charbon dans différentes circonstances, des plus périlleuses aux plus confortables… Ne changeons rien donc… Enfin, si… J’ai besoin d’argent maintenant ! Pour continuer…...

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