Deuxième partie de la passionnante interview que m’a accordée Pierre Mikaïloff. Une deuxième partie où l’on découvrira sa méthode de travail, ses projets et ses activités quotidienne. Une conversation avec un auteur passionnant et passionné !
N’hésitez surtout pas à aller relire la première partie : https://www.buzzonweb.com/2020/07/pierre-mikailoff-un-auteur-complet-part-1.
Quelle est ta méthode ?
Je consulte des coupures de presse, en citant mes sources, car le travail des journalistes qui m’ont précédé est précieux. Je rencontre des proches. Et puis, j’ai accès aux archives télé et radio de l’INA. Elles sont inépuisables et permettent d’observer l’évolution d’un personnage à travers l’image que les médias en renvoient. Ce qui est super avec ces archives, c’est que, souvent, l’artiste est beaucoup plus libre au début de sa carrière, il dit des choses qu’il ne redira jamais après.
(Photo Olga Nikolaeva)
Autre caractéristique de tes biographies, tu replaces l’artiste dans le contexte de l’époque en citant les grands événements du moment.
C’est essentiel parce qu’une œuvre a du succès ou pas en fonction de son époque. On doit le replacer dans son contexte.
Tu n’as pas écrit sur des artistes internationaux à part les Beatles ?
Je vis en France, donc c’est plus facile pour moi. Les auteurs américains n’écrivent pas sur les artistes Français, donc c’est à nous de faire le boulot. De plus, les artistes internationaux que j’aime sont très rarement connus des éditeurs. Pour te donner une idée de leur inculture musicale, il y a quelques années, j’ai rencontré un photographe qui avait suivi Hubert-Félix Thiéfaine sur plusieurs tournées. Ses clichés étaient top, avec des ambiances étonnantes. Il me proposait de faire le texte. Je suis allé voir quelques éditeurs qui m’ont tous demandé : « c’est qui, Thiéfaine ? ». Ben, c’est juste un artiste qui remplit Bercy, qui collectionne les disques d’or… Et ça ne s’est pas fait.
Il y a aussi ton style, très clair, très précis, dans tes biographies. Ton écriture a l’air plus personnel dans tes romans. Le ressens-tu comme ça ?
Je ne sais pas, ce n’est pas à moi de le dire. Si c’est le cas, c’est complètement inconscient.
Mais tes biographies sont très claires avec beaucoup de détails.
C’est important le détail : il faut retrouver les odeurs, les lieux, la nourriture…
Mais ça, c’est un travail de fan ?
Au fil du processus d’écriture, tu deviens forcément un peu fan. Quand tu travailles sur un personnage, tu passes du temps avec lui, tu commences à le comprendre, voire à l’aimer.
(Droits réservés)
Mais ce n’est pas lassant à la fin ?
Pas quand tu baignes dans des œuvres d’une certaine ampleur. Évidemment, écrire la biographie de Jul, ce doit être un peu moins passionnant.
Les fans des artistes t’écrivent ?
Oui, il arrive que des témoins se manifestent après avoir lu une de mes bios, et me fournissent des détails supplémentaires sur certains événements.
On a l’impression que tu es très à l’écoute de tout ce qui passe ?
Je décortique pas mal la presse anglaise, et je participe à une émission de radio sur VL Media qui m’oblige à écouter beaucoup de nouveautés.
Mais tu fais tout seul : tu n’as pas d’agent ?
Oui, je me débrouille tout seul. En France, contrairement aux USA, ce n’est pas encore entré dans les mœurs. Les éditeurs n’aiment pas trop les agents. Sans doute parce qu’ils défendent trop bien les auteurs.
Tes journées se passent comment ?
Derrière un écran durant la journée. Le soir, je vais voir des concerts, simplement parce que j’aime ça, pas forcément pour les chroniquer. Bon, je ne vais pas à l’opéra (rires), même si j’aime la musique classique, ma base reste le rock.
(Droits réservés)
Est-ce que ce livre sur Sophie Marceau ne va pas t’emmener vers d’autres sujets comme, justement, des biographies d’acteurs ?
Bien sûr, les acteurs sont des gens passionnants et je suis assez cinéphile.
Quels sont tes projets ?
Un roman qui sortira l’année prochaine : « Nous, Dan Kooper ». Je suis parti d’un fait divers qui s’est déroulé en 1971 aux USA et qui n’a jamais été résolu : le seul détournement d’avion réussi dans l’histoire de l’aviation américaine. Le pirate de l’air s’est enfui avec la rançon et, depuis, il court toujours. L’enquête a été interrompue il y a seulement deux ans parce que le FBI a estimé qu’elle mobilisait trop de moyens. J’ai lu cette histoire dans un quotidien sur internet et le profil de Dan Cooper m’a immédiatement fasciné. Je l’ai orthographié avec un « K », car c’est un roman, pas une enquête.
Tu t’es mis à la place du pirate de l’air ?
Entre autre, mais aussi des personnes qui ont été soupçonnées. Comme c’est une enquête qui s’est déroulée sur plusieurs décennies, il y a eu des centaines de suspects, mais, à l’arrivée, le vrai Dan Cooper court toujours.
Comment as-tu procédé pour écrire la fiction musicale « Dernières nouvelles de Frau Major » ?
J’ai travaillé avec le metteur en scène. On se voyait le soir, chez lui, autour d’une table, d’un ordinateur et de beaucoup de café. Parfois, on ouvrait aussi une bonne bouteille de vin.
Mais c’est une nouvelle forme d’écriture pour toi ?
J’aime écrire, peu importe comment, avec qui, sous quelle forme. En plus, c’est hyper intéressant de travailler à deux, j’aime ce côté interactif.
(Droits réservés)
Tu fais aussi des podcasts ?
Oui, ce sont des documentaires sonores que tu peux emmener partout. Tu peux en écouter certains sur « Radio Rectangle ». J’en ai réalisé aussi pour « Universal ». D’autres sont disponibles sur la plateforme « Majelan ».
Tu pourrais écrire des scénarios ?
J’en ai écrits, mais qui n’ont pas été tournés. Le cinéma est un monde dont je connais mal les arcanes. Et il y a tellement d’enjeux financiers. J’ai aussi composé la musique du long-métrage « Shimkent Hotel », il y a longtemps. « Nous, Dan Kooper » ferait un super sujet de scénario.
Et après, tu as d’autres projets ?
D’autres romans, plutôt que des biographies. Je veux aussi éviter de faire des « livres de niche », qui touchent vingt personnes. J’ai surtout envie d’écrire de la fiction.
Qui sont tes modèles littéraires ?
Si on parle d’une certaine forme d’écriture, dite « rock », il y a Lester Bangs et Nick Tosches. Des gens qui écrivaient sur le rock mais avec du style, c’était de la littérature. Ils m’ont influencé. Avant, il y a eu Bukowski, que j’ai beaucoup lu et que je lis toujours.
Et les Français ?
J’ai beaucoup lu Modiano dans les années 80, maintenant je ne le lis plus trop, Pacadis aussi, et puis toute cette génération de rock critiques des années 80 qui écrivait avec beaucoup de style, les Jean-Éric Perrin, Laurent Chalumeau, Patrick Eudeline, Michka Assayas.
La rumeur prétend que tu serais en train de te racheter une guitare ?
(Sourire) La rumeur est vraie, j’en ai encore acheté trois récemment.
Donc tu y retournes avec Les Désaxés ?
Peut-être… (Sourire). On avait évoqué un vague projet de reformation, avec Hervé (Zerrouk – Ndlr. ), avec une nouvelle section rythmique. Encore faudrait-il se mettre d’accord sur le répertoire. Ce qui pourrait s’avérer compliqué.
(Les Desaxés - Pierre Mikaïloff premier à gauche - Droits réservés)
Quand on regarde ta carrière, entre tes livres et le groupe, on voit tout de suite que tu es resté fidèle à ce que tu étais à la base. Tu fais vraiment de la pop culture.
Oui, bien sûr, je respecte énormément la culture populaire, dont fait partie un écrivain comme Simenon, qui était très humble lorsqu’il évoquait son œuvre.
Tu dois aimer des gens comme Perec ?
J’adore ! J’aime aussi de grands stylistes comme Anatole France ou Théophile Gautier, par contre, les classiques comme Flaubert ou Balzac, moins. Je crois que je préfère les formats courts.
Mais tu as dû te sentir en adéquation avec les années 80, avec le côté Bérurier Noir ?
Les mecs et leurs idées, pourquoi pas, mais l’image, le look, la musique : c’est impossible ! Ce n’est pas mon univers. D’ailleurs, je n’ai jamais été fan de ce courant alternatif : les Garçons Bouchers, la Mano Negra, ce genre de groupes. Ça ne m’a pas du tout intéressé. C’est là où je suis peut-être pop : il me faut un peu de « glamour », un peu d’esthétisme pour m’interpeller.
Est-ce que tu te rends compte qu’il y a des gens qui sont fans de toi ?
Je reçois des messages et ça fait plaisir, évidemment. Il y a notamment celui que m’a envoyé un garçon que j’avais rencontré dans une maison d’arrêt, au cours d’une rencontre avec des détenus. C’était à Montauban et, franchement, c’était hyper émouvant parce que c’est là que j’ai compris l’importance de la littérature : c’est un moyen d’évasion au sens fort du terme. Aujourd’hui, ce garçon est sorti et il a envie de mener une autre vie. Je crois qu’il a envie d’écrire. Son message m’a vraiment touché.
Qu’est-ce que tu écoutes, lis et regardes en ce moment ?
Je lis un roman russe « L’aviateur », l’histoire d’un homme qui a été congelé au goulag dans les années 20 et se réveille dans la Russie de Boris Eltsine. Avant, j’ai lu « Tomber dans le pain », de Chester Himes. J’écoute toujours beaucoup Dylan et Taj Mahal, assez peu de contemporains parce que les musiciens d’aujourd’hui s’inspirent trop des années 60 et 70, ce qui ne présente aucun intérêt.
Et les films ?
J’en regarde beaucoup en DVD, surtout des classiques. J’aime aussi beaucoup la science-fiction un peu pourrie des années 50.
Que veux-tu dire pour conclure ?
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