Patrice Poch : la mémoire du rock !

mardi 18 juillet 2017, par Franco Onweb

Tout le monde le sait, le 16 Septembre prochain Marquis de Sade va remonter sur scène pour un concert unique. Derrière cette reformation se cache un activiste qui est, peut-être, le plus beau secret du rock Français : Patrice Poch, un graphiste dont les œuvres sont marquées par la grande époque du rock d’ici !

Patrice Poch est aussi un patron de label, un pochoiriste de talent, un graffeur de talent, un auteur de livres d’art passionnants mais surtout un archiviste du rock de la fin des années 70 et de du début des années 80 qui ménage ni son temps, ni son énergie pour rechercher quelques pépites oubliées …

Une telle passion et énergie ne pouvaient pas me laisser insensible, j’ai donc discuté avec cet activiste multi facettes 

J’ai commencé le pochoir en 1988 en étant très influencé par le punk rock que j’ai découvert par mes cousins à Saint Malo dès 1986, c’est avec eux que j’ai vu mes premiers pochoirs …

Tu parles du punk rock de quelle époque : celui de 1977 ou celui des années 80 ?

Quand je découvre le punk rock, on est à la fin de la deuxième génération donc les groupes qui m’influencent sont OTH, Caméra Silens, Sherwood Pogo ou encore La Souris Déglinguée. Il y en avait tellement que c’est difficile d’en faire une liste exhaustive. Le graphisme de cette époque m’intéresse, les peintures sur les Perfectos, les affiches de concerts, les pochettes de disques … et en 1988 je me suis lancé sur mes premiers pochoirs. A l’époque je vis à Meaux en banlieue parisienne, dans une cité. Je commence les pochoirs sous le nom POCH ART, rapidement je découvre le graffiti et en 1989 je me suis mis à tagguer, je garde alors juste POCH !

Pour beaucoup le graffiti est lié à la culture hip-hop ?

Oui, je sais mais j’ai été assez peu dans cette culture-là, même si j’aime beaucoup le rap de 1979 à 1993. Aux USA le graffiti apparait bien avant la culture Hip-Hop. Le Writing a commencé à Philadelphie et à New York à la fin des années 60. Les premiers writers américains étaient plus inspirés par la Pop culture, le psychédélisme et les autres contre-cultures. Le rap arrive plus tardivement, vers 1979, je parle-là de ce que l’on rattache à la culture Hip-Hop car on peut retrouver des formes de rap à partir de 1937 avec le morceau Preacher and the Bear par the Jubalaires et repris aussi par le Golden Gate Quartet.

Mais en France le graffiti vient des années 60 avec la contreculture ?

Oui bien sûr ça commence plutôt avec des gens comme Gérard Zlotykamien, puis début des années 80, des pochoiristes comme Blek le Rat, Marie Rouffet qui m’influenceront dans ma pratique du pochoir. Le graffiti d’inspiration américaine arrive en 1982/83 par quelques français qui ont la chance de se rendre très tôt aux Etats Unis comme BANDO qui sera un personnage important pour le développement du graffiti en Europe.

Tu as fait quoi comme étude : des études d’art 

J’ai passé un bac F12 et j’ai commencé des études d’arts plastiques à la faculté de Saint-Denis mais rapidement je m’y suis ennuyé et je suis parti voyager et confronter ma pratique du graffiti à d’autres cultures : Allemagne, Suède, Danemark, Espagne… J’ai quand même finis mon cursus !

Tu vivais des graffiti à l’époque ?

Non, bien sûr ! J’étais d’abord lycéen, puis étudiant, je bossais un peu à côté. On faisait quelques plans qui nous permettaient de récupérer de la peinture.

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(Frustration à l’Antipode, oeuvre de Patrice Poch, Avril 2017 – Photo Titouan Massé)
Et la musique ?
J’étais vraiment un fan de Punk Rock, donc j’ai cherché à m’immerger dans cette scène, j’allais aux concerts, j’écoutais aussi pas mal de Psychobilly à la fin des années 80. J’ai fait un premier fanzine, « le Burin », avec mon pote Tony (il faisait aussi du graffiti avec moi sous le nom de Shun). Un fanzine qui ne connaitra que deux numéros. Ensuite dans les années 90 j’ai fait des chroniques et des interviews dans un autre fanzine, « Vauriens » (encore avec Tony et sa copine Fabie). Je m’occupais du Hardcore parce que j’écoutais beaucoup la scène New-Yorkaise à cette époque. Je n’étais pas très bon en interviews.

Fais-tu un parallèle entre le punk rock, le Hip Hop et le graffiti ?

Il y a des bases communes à toutes ces cultures : la rage, la contestation, la provocation et la transgression. J’aime le graffiti classique et aussi le pochoir. J’aime le mélange de ces cultures. Mais ce crossover n’était pas très à la mode à la fin des années 80, début des années 90... Au début quand on faisait des références à la culture Punk dans nos peintures, on n’était pas vraiment compris et certains puristes de la culture Hip-Hop ne comprenaient pas ce que nous faisions là. On a continué sans trop se poser de questions et en essayant d’expliquer les choses et notre vision quand c’était possible. Maintenant, tout cela parait bien loin, tellement les cultures se croisent, sont assimilées et détournées par les nouvelles générations..

Ce n’était pas compliqué avec la police ?

Si bien sûr. Maintenant je fais vraiment beaucoup de moins choses dans la rue. Disons que pour ceux qui continuent à peindre illégalement, il faut être organisés et vigilants….

Comment tu arrives à Rennes ?

J’arrive à Rennes fin 2000 et je m’y sens bien direct. Je retrouve mes émotions adolescentes et je fais pleins de concerts, je peins dans la rue… Une espèce d’insouciance s’installe, c’est vraiment bien comme ville pour moi ! Je continue à faire ce que je faisais à Paris : des acryliques dans la rue, des collages, du graffiti … 

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(Patrice Poch – Detritus Laval 2012 – Photo Gildas Raffenel ) 

Tu croises qui en arrivant à Rennes ?

Des anciens Parisiens : Rock, 2Dix, Chaos, Dzer… Puis la scène graffiti rennaise ave Brez, Moore, Denz… et enfin la scène punk de la ville ! c’est là que j’ai commencé à chercher des archives de façon plus approfondie.

Pourquoi tu cherches des archives ?

Au début je faisais des choses assez simples, j’évoluais dans le graffiti classique et puis rapidement j’ai réfléchi à l’évolution de mon travail. J’ai commencé à peindre à Paris des logotypes à l’acrylique avec des gens comme HNT, STAK, RCF1 S06, à faire des pochoirs sous forme d’affiches. Des choses qui étaient en rapport avec la scène punk, mods ou encore skinheads. Je recherchais des archives pour ça et puis j’ai l’idée de faire des personnages en taille réelle en 2005, grandeur nature et là mon travail a évolué. Je me suis rendu compte qu’il y avait une interaction différente qui se créait avec le public. Le rapport taille change complétement la perception de mon travail. Il prend vie. Même si tu ne sais pas qui sont les gens que je peins, tu te poses des questions.

Tu fais comment ?

Je les peins chez moi à l’acrylique et puis je les colle : ce sont des pièces uniques ! Je colle en général sans autorisation.

C’est quoi la scène punk Rennaise ?

Le premier groupe punk rennais est Detroit Punk formé au début de 1977 et qui deviendra ensuite Marquis de Sade. Il y a, à la même période à quelques mois près, le groupe Fracture. Le début des années 80 sera marqué par des groupes comme Angry Rats, Trotskids, Nihilists ou encore Mixomatose. A l’heure actuelle, la scène est toujours bien active avec The Decline !, Abuse, Barrel Kick, Death or Glory, Charly’s Angel, Ex Fulgur, The Arguments, Tagada Jones… 

Quand fais-tu ta première exposition ?

En 1999 avec les P2B, un de mes groupes de graffiti, on est invité à exposer à l’atelier Ulan Bator à Orléans pour une exposition collective !

A partir de là tu vas exposer régulièrement ?

Oui, après Orléans les expositions se font plus nombreuses. Une des plus marquantes est certainement celle de l’espace Tiphaine à Paris en 2000 qui regroupe les prémisses du Post graffiti. Je ne suis pas vraiment content de ce que j’y réalise mais cette exposition pose les bases d’un mouvement en pleine effervescence. Sont présents pour cette exposition : André, Zeus, Space Invader, RCF1, S06, Honet, Stak, Blek le Rat et moi. Le graffiti et le Post graffiti sont des courants majeurs de l’art de la fin du 20ème siècle, il est donc normal que certains artistes ont et continueront d’émerger et de rejoindre le circuit des galeries. On ne parle alors plus de graffiti. Il est normal à mon sens d’évoluer dans sa pratique artistique après plus de 20 ans passé dans le milieu. 

Aujourd’hui les designers ou les créateurs de mode vont chercher l’inspiration dans le street art ou simplement dans la rue ?

Oui, l’art urbain est devenu une grande source d’inspiration pour un grand nombre, il est souvent pillé et dénaturé. Heureusement certains en comprennent l’essence et travaillent de façon plus subtile ! Je peux prendre le cas de Agnès B, qui invite les artistes issus de cette culture à exposer dans sa galerie et propose des collaborations. Elle est une des premières à avoir soutenu cette culture depuis 1984 avec l’exposition des frères Ripoulin..

Il y a une exposition qui est importante c’est « Rennes 81 » qui aura lieu en 2011 ?

Oui elle est importante pour moi. Je décide de monter ce projet en 2010 : une exposition avec Jo Pinto Maia, Richard Dumas, Tonio Marinescu, Dany Delboy, Ian Craddoc, Gildas Raffenel et moi, Il y a un concert qui réunit les groupes emblématiques de la scène rennaise des années 80 que sont P.38, Kalashnikov, Wart, Trotskids et Frakture, avec en surprise Philippe Pascal (Chanteur de Marquis de Sade Ndlr) qui accepte de faire un morceau avec les Kalashnikov, une reprise des Stooges « Little doll ».

On a l’impression que c’est avec ce concert que tu commences à rendre hommage à la scène rennaise ?

Oui, c’est là que mes recherches prennent vraiment de l’ampleur ! Et le succès de ce projet me donne vraiment l’envie alors de continuer dans ce sens. Rennes 1981 était particulièrement orienté sur la scène Punk Rock, donc certains groupes important pour la scène rennaise n’étaient pas présents comme les Nus, Ubik, Complot Bronswick ou End of Data. Je regrette de ne pas avoir eu Pierre Fablet pour l’exposition RENNES 1981, personnage très important dans le graphisme et la musique de la fin des années 70, début 1980 à Rennes.

C’est à cette époque-là que tu montes ton label ?

Oui, en 2011 ! Dans le cadre de mes recherches d’archives je retrouve souvent des enregistrements de l’époque. Le premier groupe qui m’a donné envie de faire un label c’est P38. Je rencontre Christophe Launay le chanteur du groupe avec qui je parle longuement de l’histoire du groupe et je découvre que le groupe enregistre un 45 t en 1982 qui ne verra jamais le jour. Ils n’ont plus les bandes. Leur histoire me touche et après quelques temps de recherches je retrouve la bande du 45 t qui était chez DB un studio important de l’époque à côté de Rennes. Je retrouve aussi 6 titres sur une cassette faite par Jean Hervot, malheureusement cette cassette se détruira lors de la première écoute de son propriétaire… Grâce à Jeff Gervin, un proche du groupe, le projet voit le jour sous la forme d’un LP avec les fameux titres originellement prévu pour le 45 t agrémenté de titres issus de démos, de répétitions et de lives. Ce premier projet me donne l’envie de ressortir des choses oubliées, de faire revivre des groupes ….

Tout ça c’est un énorme travail de recherche : c’est presque un job de détective ?

Oui un peu mais j’adore ça ! Ça rejoint mon adolescence et mon goût pour l’histoire ! Internet est, pour ça, une aide très importante… C’était inimaginable et beaucoup plus fastidieux d’entreprendre des recherches avant l’apparition de ce médium. Parfois je téléphone aussi aux gens directement, les gens sont alors surpris.

Ça reste dans la région Bretagne ?

Non pas forcement, je travaille sur la scène francophone majoritairement, je m’intéresse de ce fait à la scène belge avec laquelle j’ai tissé des liens particuliers, notamment avec des groupes comme CONTINGENT, FIXATOR. Je suis particulièrement fier d’avoir sorti le 45t et le 33t de CONTINGENT enregistrés en 1981, qui n’avaient pas pu voir le jour depuis cette époque. Ils se sont formés en 79 et se sont séparés en 81, juste après l’enregistrement. Ils sont venus jouer deux fois à Rennes l’année dernière.

Tu n’as pas envie de faire une grosse exposition avec tout ça ?

Je fais les projets au fur et à mesure. Juste après « Rennes 81 » j’ai monté « Bloody Belgium », une exposition commencée en 2011 avec l’artiste belge ELZO DURT. Pendant mes recherches d’archives en Belgique pour cette exposition, je fais la rencontre de LUC LACROIX, un photographe d’Amay, pas loin de Liège et là je découvre des photos extraordinaires, quasi inédites… Je lui propose très rapidement de faire un livre et de rejoindre le projet BLOODY BELGIUM. Malheureusement, Elzo est contraint de quitter le projet et nous le continuons avec Luc, pour une exposition à la Galerie du jour Agnès B en 2014. Après plus de deux ans et demi de travail, le livre voit le jour en janvier 2015 à l’occasion de la venue de l’exposition à Liège. En 2016, l’exposition ira à Bruxelles où le vernissage prendra l’apparence d’un Chaos total avec les prestations énervées des groupes COCAINE PISS, COUBIAC et PROGERIANS. En janvier 2018, l’exposition sera montrée pour la dernière fois à Rennes aux Ateliers du vent avec un concert à l’Antipode.

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(Sleaford Mods, œuvre de Patrice Poch, Avril 2017 – Photo Patrice Poch) 

Qu’est ce qui te plais là-dedans ?

Ce qui me plait avant tout, c’est le plaisir de faire remonter à la surface des photos extraordinaires qui me servent pour mon travail de plasticien. J’aime le côté enquêteur, chercher des choses oubliées et ainsi remettre dans la lumière des gens talentueux.

Tu as beaucoup de sorties : des livres, le label … ?

Oui, plusieurs projets de livres sont en cours, cela prend beaucoup de temps. Pour les disques, j’ai pris du retard mais les prochaines sorties ne devraient pas trop tarder avec l’album de VONN (l’avant Sheriff), un 45 t de H2S04 (un groupe de Bruxelles qui avait enregistré trois titres en 1978 mais qui n’avaient jamais vus le jour), un album de NICOLAS CRUEL (enregistrement de 1977 / 1978) et l’album de la période Punk du groupe SIC de Charleroi.

C’est l’esprit Punk « Do it Yourself » ?

Oui, je me débrouille

On attaque sur tes projets ?

Je co-organise avec Mathias Brez une biennale d’art à Rennes qui s’appelle « Teenage Kicks ». On avait envie de montrer des artistes qui ne venaient pas en Bretagne. Cette année aura lieu la troisième édition. C’est du 7 septembre au 29 octobre 2017 à Rennes, Saint-Malo et Nantes. A cette occasion, une exposition célébrant les 40 ans de la formation du groupe Marquis de Sade aura lieu aux ateliers du vent à Rennes. Le vernissage sera le 15 septembre.

Et donc le 16 septembre Marquis de Sade remontra sur scène ?

Oui, ils ont accepté de rejouer pour ce projet. J’avais déjà essayé en 2011 pour le projet « Rennes 1981 », sans succès. Pour cette date unique, on voulait faire le concert à la salle de la Cité qui historiquement était la plus légitime. Malheureusement la salle sera fermée à priori jusqu’en 2019. Le show aura donc lieu au Liberté bas. C’est déjà quasi complet. 

 

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( Affiche du concert de Marquis de Sade pour le 16 Septembre 2017 - Photo Richard Dumas)  

Ce concert est lié à l’exposition sur le groupe et après il y aura un livre ?

Oui, ce n’est pas une exposition sur le groupe : c’est 24 artistes qui vont illustrer chacun à leurs façon 23 chansons du groupe et une reprise. Je voulais faire un livre sur l’exposition et comme je collecte depuis des années des archives sur Marquis de Sade, je me suis dit que je pourrais connecter les deux aspects. La première partie sera sur l’histoire du groupe et à la fin on retrouvera les œuvres de l’exposition accompagnées des paroles du titre illustré.

Et après le concert de Marquis de Sade ?

Plusieurs choses en vues dont un concert que j’organise avec l’association « Petits ciseaux » qui aura lieu au Mondo Bizarro le 16 décembre 2017 avec Survet Skins, Komplikations, Asphalt et Mary Bell. En janvier 2018 l’exposition Bloody Belgium aura lieu aux Ateliers du vent avec un concert à l’Antipode avec des groupes uniquement belges !

Quel conseil tu donnerais à des parents pour intéresser des enfants à l’art ?

Aller dans les expositions, regardez l’architecture, les choses qui se passent autour de nous …