Jo Dahan : le parcours d’un artiste multidisciplinaire

vendredi 3 mars 2023, par Fabien Billaud

Jo Dahan, pour beaucoup il est le bassiste de la Mano Negra, le groupe qui illumina toutes les scènes à la fin des années 80 et au début des années 90 mais il est aussi un artiste complet qui a su être musicien, comédien ou encore réalisateur. Au moment où sort son nouvel album solo, il a bien voulu nous raconter son parcours. Vous allez découvrir un personnage attachant et hors du commun qui navigue entre plusieurs univers. Jo a commencé son incroyable carrière dans le métro, il a ensuite joué avec la Mano, tout en organisant des « canulars » incroyables.

Aussi à l’aise sur une scène avec les Wampas que sur le plateau de Groland, le monsieur fait aussi du spectacle de rues et participe à Royal de Luxe, l’incroyable compagnie de théâtre nantaise. Voici donc le parcours d’un gamin de Paris multidisciplinaire dont le nouvel album « Injoignable » est une nouvelle réussite dans une carrière incroyable.

Peux-tu te présenter ?

Je suis Jo Dahan, je suis de l’Est de Paris. J’ai commencé à jouer dans le métro, on avait un petit groupe : les Volés. Personne ne travaillait dans le groupe, on traînait dans la rue, dans les bars…A l’époque, il n’y avait pas vraiment de bars rocks à Paris, Il y avait le Cithéa, où il y avait des concerts tous les jours, c’était en 1986. Pour continuer à faire des groupes et à jouer de la musique, il fallait aussi que l’on se fasse réformer.

Jo Dahan
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Tu t’es fait réformer ?

Oh oui, je suis allé voir une psy. J’ai été réformé P3. On commençait à rencontrer des gens et on comme ça on a rencontré Daniel Jamet (futur guitariste de la Mano Négra, NdlR). Il faisait la manche non pas sur les quais du métro mais dans les wagons. C’était comme une petite salle de spectacle et ça m’a tout de suite plu. J’ai été le voir et ça m’a impressionné : il parlait aux gens, ce genre de choses… Il faisait du rock. Contrairement aux autres qui reprenaient les grands tubes à la guitare sèche, lui, il avait une guitare électrique et il reprenait du Chuck Berry ou du Eddie Cochran… Il avait une chanson sur le métro parisien. Ça m’a plu. On est devenu copains et on a commencé à faire la manche avec lui. C’est ça qui a été notre école.

C’est comme ça que c’est devenu les Casse-Pieds ?

Ce sont les usagers du métro qui nous ont appelé comme ça. On a gardé ce nom, un peu… gentil ! On faisait tous les jours la ligne Bobigny-Place d’Italie. C’était une bonne ligne, il y avait peu de concurrence parce que c’était une petite ligne. C’était notre salle ! A Place d’Italie, le métro repartait dans l’autre sens, on restait dedans et on accueillait les gens. C’était ludique. On faisait huit heures de musique par jour. On était assez mauvais, on ne savait pas jouer, même pas changer une corde. Et bien pendant deux ans que tu fais ça, tu t’améliores. C’était vraiment notre école ! En plus, on gagnait un peu de sous pour manger. On était vraiment le mouvement souterrain.

Vous étiez déjà les alternatifs ?

Ils étaient à un stade au-dessus de nous : c’étaient les vedettes de l’époque ! On était vraiment souterrain. On était peu à faire ça, de la musique dans le métro ! Eux, ils étaient déjà dans le paysage musical !

Vous avez eu des ennuis ?

Quelques-uns, on avait surtout peur de tomber sur des Skinheads ou des flics en civil. Parfois, on se faisait doubler par des clodos qui faisaient la manche à notre place, mais concrètement on n’a pas eu d’ennuis.

Comment êtes-vous sortis du métro ?

Le mouvement alternatif était le seul endroit où ils voulaient bien de nous et avec les Volés on avait un concert tous les six mois. Peu à peu les Casse-Pieds ont pris de la force et ce groupe, de la rue, qui était notre gagne-pain est devenu plus important que les Volés. On avait des morceaux à nous, comme « le Métro Parisien » ou « Darlin, Darling » et ce groupe a mangé l’autre.

Et là on arrive à la Mano Négra !

En fait c’est la continuité ! Le groupe a rencontré Manu (Chao, NdlR). On était parfois sept ou huit à faire la manche et on partageait tout équitablement, y compris ceux qui ne faisaient rien. C’était une bonne ambiance. Manu a fait la manche avec nous et en parallèle, il enregistrait « Patchanka » le premier album de la Mano. On est devenu pote. Il nous a invités en studio. Il nous a fait enregistrer « Darling, Darling » sur un quatre pistes chez lui et il a mis sur l’album.

Et ensuite ?

Là encore, c’est un groupe qui a mangé l’autre : on a rejoint la Mano.

C’est quoi tes influences ?

La grande influence rock, ma révélation c’est les Who ! Mon beau-frère m’avait donné un disque de Chuck Berry, un disque des Stones et un disque des Who. J’ai posé le disque sur la platine et ça a été la révélation quand j’ai entendu « My Generation » ! J’ai écouté ça tout le temps, on voulait faire ça. Ensuite grâce à eux, j’ai découvert le blues, la soul…Mais j’ai aussi continué à écouter de la chanson française. J’ai toujours aimé ça !

Un peu comme Arno ?

Exactement mais aussi Higelin dans les années 70.

Tu es devenu professionnel avec la Mano Négra ?

Je n’aime pas le terme professionnel mais disons que la première fois que j’ai gagné de l’argent avec la musique c’était avec les Volés : 100 francs chacun dans un restaurant chinois. Ma première fiche de paye c’était à Bourges avec les Casse-Pieds. Je ne savais même pas qu’existait l’intermittence. Je ne l’ai appris qu’en 1992. On ne s’intéressait qu’à la musique. J’ai toujours composé des chansons et j’ai aussi toujours chanté.

La Mano Négra
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Tu aimes ça chanter ?

Oh oui !

Qu’est ce qui s’est passé après la Mano ?

Le groupe s’est dissous et en parallèle j’avais un pied dans l’image, je faisais des petits films, des photos… Dans les clips de la Mano, j’étais souvent le personnage mis en avant comme dans « Mala Vida » où je jouais un personnage à la Chaplin. Avec Manu Casquette, on faisait des canulars, bien avant la Mano. On a fait croire à un journaliste, John Paul Lepers, qu’on avait tourné un film aux USA avec un assistant de Coppola. C’était n’importe quoi et il l’a cru. On l’avait rencontré aux Printemps de Bourges où Manu nous avait fait jouer. En fait, c’était la troisième version de la Mano Négra. C’est à Bourges qu’on a vraiment commencé. La première version, c’était avec Alain Wampas à la contrebasse. Ensuite il y a eu les mecs de Dirty District et nous on est la troisième version. Bref, on a rencontré ce mec à Bourges et il nous a dit qu’il nous rappellerait en rentrant.

Et donc ?

Il nous a appelé, il voulait parler au réalisateur. On ne savait pas parler anglais donc on a trouvé un serveur du « Love Burger », rue de Lappe, un australien avec les cheveux mi-longs et des petites lunettes rondes. Il a été ok et on est passé au journal de 20h avec Bruno Masure. Il nous a filmé dans le métro. A l’époque on faisait encore la manche dans le métro. Suite à ça on a eu des articles dans Elle, l’Express… On a fait plein d’autres canulars comme le concours du plus gros mangeur de Burgers avec Tom Waits dans la maison d’Éric Clapton qui tapait le bœuf avec les Cramps. C’était l’époque où on jouait dans les deux groupes : la Mano Négra et les Casse-Pieds. Comme on était parti à New York avec la Mano, j’avais ramené des images qui accentuaient encore plus le truc.

Vous en avez fait d’autres ?

Avec Manu Casquette, on en a monté un énorme avant. On avait fait croire qu’on fouillait dans les poubelles des gens connus pour récupérer des objets pour les vendre. On est passé à « l’Assiette anglaise » chez Bernard Rapp comme ça. On avait même un copain qui nous avait fabriqué de faux objets, comme la pomme croquée par Catherine Deneuve qui était conservée dans du plexiglas. Il est devenu l’objet star.

Et ensuite ?

Quand la Mano s’arrête en 1993, je recontacte Manu Casquette pour refaire le coup des objets de stars mais cette fois à TF. Il appelle « Combien ça coute ? », en leur disant que son voisin vend des objets de stars. Ils étaient intéressés et ils nous ont contactés. On a eu rendez-vous avec le rédacteur en chef. C’était ok. On a été filmé. On a ressorti la pomme de Catherine Deneuve. On est allé dans un squat leur montrer des objets de stars, qui étaient tous fake. Ensuite on était à six heures du matin devant la poubelle de Bernard Pivot. On avait mis une poubelle avant en leur faisant comprendre qu’on était complice avec la concierge à qui on filait une commission. On avait récupéré un anneau de cigare avec des gants. On a voulu dévoiler le truc, donc on a appelé le Canard Enchaîné mais le journaliste a cru qu’on lui faisait un plan. Heureusement Charlie Hebdo venait de réapparaître et une journaliste nous a suivi.

Et alors ?

La journaliste nous appelle pour nous dire qu’elle interviewait Claude Brasseur. Elle nous a demandé si on avait un objet à lui. On lui a dit que non, mais elle l’a quand même interviewé en lui disant qu’on avait récupéré son peigne, le truc un peu limite parce qu’il perdait ses cheveux. Elle m’appelle pour me dire qu’elle lui avait dit ça. Je lui dit « vous avez menti » et elle me répond « t’inquiètes pas, on fait ça souvent ». On s’est dit qu’on était des gros nuls à côté d’eux ! Ils sont payés eux . Elle nous demande si on a un objet à présenter en direct. Je lui réponds « on a la canette de bière de Mick Jagger, mais attention il faut que Jean-Pierre Pernaut, qui présentait l’émission, mette des gants ». Elle a demandé pourquoi. On lui a répondu parce qu’il y a les empreintes de Jagger dessus. C’était vraiment notre condition (rires). Elle nous l’a promis.

Vous avez fait l’émission ?

Oui, on est venu avec une canette de bière Heineken blanche et des gants. On avait prévu de faire un coup. Au moment où Jean-Pierre Pernaut sortirait la canette blanche, on dirait « c’est pas la bonne : on vous a amené une canette Heineken verte ». On y allait tous ensemble. Ça commence en direct et Jean-Pierre Pernaut met des gants et annonce « voilà la canette de bière de Mick Jagger ». Un copain à nous, Bouchon, qui était dans le public se lève et crie : « c’est pas la vraie ». Pernaut se demande si c’est la vraie ou pas. Bref Dechavanne, le producteur, se pointe, le service d’ordre nous met dehors et un mec me dit « vous inquiétez pas, on est assuré, on va vous remboursez ». Je lui réponds, « il faut mieux : ça coute 15 000 balles ». On s’est retrouvé à un moment tout seul dans le hall et le journaliste de Charlie Hebdo a envoyé à l’Afp une dépêche sur notre canular comme quoi TF1 avait subi un canular et qu’ils seraient tous dans le Charlie du mercredi. On a eu un dessin de Charbg. C’est pour ça que le spectacle a toujours été important pour moi.

Vous avez continué ?

On en a fait plein d’autres. Mais on a surtout réfléchi à un spectacle et on a trouvé une idée autour de la perception sociale et économique d’un objet. Pourquoi est-ce qu’une personne aussi connue que Catherine Deneuve, si elle croque dans une pomme, elle transforme un détritus en objet de luxe ?

On est pas loin de Duchamp ?

Exactement ! On a monté un spectacle autour de ça. Ensuite, comme on connaissait Royal de Luxe depuis la tournée commune avec la Mano en Amérique du Sud, on a demandé à un d’entre eux, Jean Yves Achard de nous faire une machine à croquer la pomme de Catherine Deneuve. C’est devenu un spectacle avec Manu Casquette. Je joue le conférencier et Manu, le baron, qui sort des objets. On a toujours ce spectacle en fait, que l’on joue de temps en temps.

Et Kerven et Delepine ?

Je les ai rencontré par Royal de Luxe. Un jour Pierre, le régisseur du Royal m’appelle parce qu’ils avaient besoin d’un petit tambour pour entarter les présidents de Total, Yves Calvet, le patron de Peugeot et un ministre. Luz avait fait un dessin et Kerven et Delépine avaient une machine à entarter, « la tarte à putes », qui pouvait envoyer à trente mètres de distance, construite par le Royal de Luxe. C’était organisé à la fois par Groland et le Royal. Il y avait aussi Noel Godin, l’entarteur, qui allait faire un discours pendant que moi je jouais du tambour. C’est là, la rencontre avec Groland avec qui j’ai travaillé pour faire des sketchs. Benoit m’appelle de temps en temps pour faire des trucs.

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Et la musique ?

En 1996, dans un bar je rencontre Philippe, le guitariste des Wampas, qui me dit « on a plus de bassiste ». Tout de suite je me suis proposé. J’ai commencé à la basse et ensuite ils ont récupéré le bassiste des Satellites. Ils m’ont rappelé un an après pour jouer la guitare rythmique et je suis resté six ans avec eux.

Vous avez beaucoup tourné ?

Beaucoup, mais qu’en France ! En parallèle je travaillais avec Royal de Luxe, je faisais du théâtre de rue, j’avais ce spectacle, je travaillais aussi, un peu, avec Groland…

C’est quand que tu es parti en solo ?

J’ai toujours écrit des chansons. En 2003, j’ai quitté les Wampas, j’en avais marre. A ce moment-là Gus et Benoit m’appellent pour avoir le contact de Gaétan Roussel pour leur film sur Louise Michel. Ils voulaient qu’il fasse la musique. Il m’a proposé de la faire avec lui. Comme on s’est super bien entendu et qu’il venait d’arrêter Louise Attaque, il m’a proposé de travailler sur un disque avec lui qui est devenu « Ginger », son premier album solo. Je suis parti en tournée avec lui. C’est à ce moment-là que je me sentais en mal de quelque chose, de rock probablement… Il fallait que je monte mon truc ! Comme on ne me proposait pas grand-chose, j’ai pris le premier rôle.

Tu as fait un premier album ?

Oui, j’ai fait l’album tout seul et j’ai ensuite cherché des partenaires. J’ai atterri chez Because qui m’a pris en licence. Je n’avais pas encore la formule parfaite du groupe sur scène : on était sept à l’époque avec des chœurs, un clavier… C’était intournable ! Maintenant je suis en trio.

Et là tu sors un nouvel album ?

Oui, j’ai mis des années à le faire. Le premier n’a pas été très remarqué. J’ai commencé à travailler avec Jean Pierre Spirli, un ingénieur du son mythique de la scène alternative. Il a notamment fait des trucs avec OTH et les Wampas. Je lui ai proposé de mixer une chanson chez et lui, il m’a emmené dans un studio à Montreuil chez Denis Lefdup. On a beaucoup bossé mais avec les nouvelles technologies on peut se perdre : il y a trop de trucs. Je me suis retrouvé à la fin avec un ingénieur de son que Gaétan m’a présenté : Nicolas Quere. Je suis allé chez lui à côté de Vannes et lui a vraiment tout uniformisé en y mettant sa patte, parce que tout partait vraiment dans tous les sens. C’est lui qui a trouvé l’identité de l’album en l’assemblant.

Tu nous parles des petits jeunes qui vont jouer avec toi ?

Ils sont venus à la fin de l’album. Je voulais faire des dates en trio. C’était mon but depuis longtemps. On m’a présenté Tommy qui est aux claviers pour faire les basses et il y a aussi Joseph Cartigny à la batterie. Ça a sonné tout de suite. Depuis fin avril 2022 on a fait une vingtaine de dates pour défendre « Injoignable » ce nouvel album. Il y a un morceau avec le trio sur l’album « Boom Up » qui est enregistré en Live dans le studio de Nicolas Quere

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Est-ce que ce serait possible de revoir un jour la Mano Negra ensemble sur scène ?

Franchement je n’en sais rien. Moi, ça me plairait de retrouver les copains….

On risque de dire que ce serait uniquement commercial ?

Quand tu génères de l’argent, c’est commercial ! En tout cas, ce ne serait pas la raison principale. Il faudra que ce soit cool, qu’il y ait une bonne ambiance.

Vous êtes toujours en contact ?

Bien sûr, depuis quelque temps on se revoit et tout le monde fait des trucs. Ça peut se faire mais pas pour tout de suite c’est sûr…

Un grand merci à Fabien Billaud pour avoir recueillis les propos de Jo

https://www.facebook.com/jodahanmusic

Tournée Jo Dahan

MARS
Vendredi 3 Paris Rosa Bonheur à L’Est, Sortie de l’album « Injoignable »
AVRIL
Samedi 22 Paris Disquaire Day « Ground Control »
Vendredi 28 La Roche Bernard « Pisse Mémé »
Samedi 29 Quiberon « Le Zéphir »
Dimanche 30 Hilaire-de-Chaléons « la Motte aux Cochons »
MAI
Vendredi 5 Jarnages « l’Alzire »
Samedi 6 Bressuire « l’Emeraude »
Mercredi 17 Toulouse « Gai pêcheur »
Jeudi 18 Rabastens « la Safranette »
Vendredi 19 Saint Puy « Le Moulin d’Escapat »
JUIN
Vendredi 2 Saintes « la Graine d’Orge »
Dimanche 11 Landivisiau « Décaps »
Jeudi 22 Castelmoron sur Lot « Solar Café »
Vendredi 23 Bergerac « le Rocksane »
Samedi 24 Tours « Le Grand Gagibi »