Arnold Turboust ou le retour du magicien de la pop

lundi 13 février 2023, par Franco Onweb

Il suffit juste de lire la biographie d’Arnold Turboust pour comprendre l’importance du monsieur. Il a commencé sa carrière en jouant du piano sur « Dantzig Twist » de Marquis de Sade, pour continuer avec les Private Jokes, puis il a rejoint le groupe Octobre de Frank Darcel, pour ensuite devenir le compagnon musical des grandes heures d’Étienne Daho avant d’entamer une carrière solo passionnante.

A la lecture de ces quelques noms on comprend qu’Arnold Turboust est un très grand musicien et, surtout, un immense artiste. Une de ses personnalités qui a offert tellement de choses à la musique d’ici qu’on ne peut que s’incliner. Avec les disques « Pop Satory » et « Eden », concoctés avec son compère Étienne Daho, il a ouvert tellement de portes que beaucoup d’artistes que nous écoutons aujourd’hui lui doivent beaucoup.

Comme je l’ai dit précédemment, il mène depuis plus de trente ans une carrière solo passionnante, offrant régulièrement des albums attachants et novateurs. On s’était déjà parlé en 2017 pour la sortie de « Bubble Gum » son précédent disque alors quand j’ai su qu’il sortait un nouveau disque, j’ai pris contact avec lui pour discuter de « Sur la phot » son nouveau disque. A l’écoute de celui-ci, j’ai encore succombé ! Cet homme est grand et ce disque est incroyable : une collection de « pop songs » absolument magnifiques pleines de mélodies, de textes attachants, le tout avec une production fantastique. Encore une pleine réussite pour un artiste plus que majeur de notre époque.

Qu’est-ce que tu as fait depuis la sortie de « Bubble Gum » en 2017 ?

Cet album ! En 2017, je commençais à faire des concerts, ensuite j’ai écrit des chansons : composer, écrire, arranger… cela prend du temps. J’ai aussi composé de la musique pour d’autres mais aussi pour vivre. Bref une vie ! Cet album aurait pu sortir il y a un an mais avec les contingences liées au Covid et à la fabrication, cela a pris du temps.

Crédit : Lionel Montagnier

Tu es remonté sur scène au printemps 2017. Ça t’a fait plaisir ?

C’était génial et en outre j’ai fait salle comble au Café de la Danse à Paris, c’était un peu l’apogée pour moi. C’était incroyable.

Sur ton site il y a une photo où tu es sur scène avec Yann Le Ker, Bertrand Burgalat, Alain Chamfort et Barbara Carlotti. On a l’impression de voir une sorte « d’Internationale Élégance Pop » ensemble ?

Ce sont des personnes que j’apprécie beaucoup et que j’avais invité avec moi. J’aime leurs musiques.

Ton nouvel album s’appelle « Sur la photo », pourquoi ce titre ?

Je suis nostalgique et une photo c’est la cristallisation d’un instant, un cliché du passé… Tous les titres de cet album peuvent faire partie de ce scénario. Un titre d’album c’est un générique et je pense que c’est ce qui résume le mieux ce disque. J’ai l’impression que, comme dans le film de Woody Allen « Zelig », cela fait quelques années que je suis sur la photo.

Rico Conning est encore très présent sur le disque : il a co-composé presque tous les titres , il est très présent comme musicien et il a co-réalisé avec toi.

C’est le quatrième disque que nous faisons ensemble. Quand une association est bonne, il faut la garder, la chérir, la cultiver et la faire évoluer. Je m’entend très bien avec lui, même si parfois on n’est pas d’accord. On se connait parfaitement et surtout, on est complémentaire. Avant de commencer le disque, je lui ai demandé s’il était d’accord pour faire le disque avec moi et tout de suite il a dit, sans avoir rien entendu, « Of course ».

Tu es une des rares personnes en France à pouvoir faire de la pop. On a l’impression que tu arrives à mélanger, le rock, la pop, le piano assez facilement ?

Ce qui est important lorsque tu fais de la musique c’est de te faire plaisir en l’occurrence de nous faire plaisir à Rico et à moi. Dans tous les genres je vais piocher des notes, un son qui vont m’attirer et me plaire. Je passe beaucoup de temps à arranger. Une bonne chanson c’est une mélodie, un texte, un arrangement et une tonalité de voix. Il faut trouver le bon équilibre entre tout ça.

Sur ton livret, tu parles de l’importance de la mélodie. Tu es un grand mélodiste : c’est vraiment capital pour toi ?

C’est ce qui appelle mes oreilles, ça me transporte… Je suis toujours à l’écoute de mélodies et d’originalités, dans toutes les musiques.

Tu pars du piano ?

Toujours ou presque parce que j’adore pianoter ! Cela peut aussi venir de la voix : chanter en pianotant. Je fais attention quand je trouve une grille d’accords intéressantes à ne pas la figer ou la cristalliser trop vite. J’essaye de faire attention à ça, vraiment !

Tu écoutais quoi en composant ce disque ?

Quand je fais de la musique, quand je compose je n’écoute pas beaucoup de musique. J’écoutais un peu la radio mais j’ai aussi un de mes fils qui fait beaucoup de piano et cela a dû m’influencer parce que c’était dans mon environnement quotidien.

J’ai pensé que tu avais beaucoup écouté Ravel ?

C’est étonnant que tu me dises ça parce que justement il y avait du Ravel (rires) mais j’adore aussi du Debussy, du Poulenc…

On peut penser à Dave Greenfield (clavier des Stranglers, NdlR) au niveau de certains arrangements mais aussi, quelqu’un comme Brian Eno. Des musiciens qui ont amené le clavier à un niveau passionnant.

Je suis fan des « Keyboards Players » (rires). J’adore aussi Wally Badarou, que j’ai la chance de connaître, qui est un très grand Keyboards Players. Brian Eno, je l’adore autant comme claviériste que comme producteur pour un groupe gens comme les Talking Heads. Il arrive à amener ces artistes à un niveau incroyable. Il a un côté improbable. Il arrive à créer des concepts. Il est très fort sur le choix des sons aussi . Pour U2, il a apporté beaucoup de choses en les emmenant ailleurs. J’écoute beaucoup les arrangements et pour moi, Brian Eno est un maître à ce niveau-là. Dave Greenfield, c’est le virtuose. Il a dû beaucoup écouter John Lord de Deep Purple. J’adore aussi Jimmy Smith que j’ai beaucoup écouté quand j’étais ado.

On va parler de ton album : il n’est pas très joyeux. Il est assez mélancolique. Si on prend le premier titre qui est sorti « Rue de la Croix Nivert », tu as ce mélange d’élégance et de mélancolie.

(Silence) C’est difficile de donner une explication à ce que tu écris… Chacun peut y trouver ce qu’il veut. Comme je te l’ai dit, ça fait partie d’une photo. C’est du passé, c’est la cristallisation d’un moment. Oui, c’est mélancolique mais j’aime ça. Je ne tombe pas dans la tristesse. J’essaye de garder un mélange joyeux et mélancolique. Je revendique ça !

Pour moi, tu essayes de faire des choses accessibles mais de qualité, tu ne vulgarises pas ta musique !

C’est un peu ça mais malgré moi… J’essaye juste de faire plaisir à mes oreilles et c’est déjà beaucoup. Elles sont très « emmerdantes » mes oreilles (rires).

Tu as plusieurs chanteuses sur ton disque : Tess, Laurie Mayer (Ex Torch Song), Patricia Petibon et la chanteuse japonaise Kumisolo. C’était important de partager avec des chanteuses ?

Je ne l’avais pas fait sur le précédent. Il fallait le faire sur celui-là. Par exemple « la vérité augmentée » je la chantais seule. Je me répondais à moi-même. C’était un peu.. idiot ! Au dernier moment, j’ai proposé à Tess de la chanter avec moi. Ça a donné toute la substance et ça l’a magnifiée.

Et les autres ?

Pour le titre avec Kumisolo, j’avais prévu cette chanson avec une voix off comme dans un film à la façon Truffaut dans « Les Deux Anglaises et le continent ». Pour le titre avec Laurie, « Lady’s Fingers », c’était évident que ce devait être-elle.

Et Patricia Petibon, qui est une chanteuse lyrique ?

Patricia est une soprano colorature . Là encore, je suis parti d’un titre que je chantais tout seul. J’ai imaginé cette chanson avec une voix magnifique comme la sienne, j’ai été ravis quand elle m’a dit oui. Elle emmène le titre ailleurs. J’aime beaucoup !

Crédit : Richard Schroeder

Le fait de partager ce disque avec ces quatre chanteuses casse un peu ton image de musicien pop, seul dans son studio ?

C’est important de partager. On ne s’ennuie pas (rires) et ces quatre chanteuses avec leurs voix et leurs univers sont très importantes.

Il y a un titre qui s’appelle « L’Arpegiator ». J’ai été recherché : c’est un instrument. C’est quoi ce titre ?

(Rires) C’est un truc de musicien. Quand je travaille, je mets des titres de travail justement. Plus ou moins, c’est un instrument qui te permet de programmer automatiquement des notes et des séquences. J’ai commencé et fini ce titre comme ça. Il a un côté immuable qui ne s’arrête jamais d’où l’Arpégiator.

Sur l’album il y a de la pop, de l’électro, de la chanson… On ne s’ennuie jamais. On a l’impression que tu as essayé de mélanger les codes en gardant ton style et tes mélodies. C’est plus ouvert que sur tes anciens albums, je trouve.

Merci. En fait tout m’intéresse, j’écoute tout style et je cherche beaucoup. Je n’ai pas fait un album concept, en essayant de faire ceci ou cela j’ai navigué au gré des idées du temps et Rico m’a aidé dans cette démarche

Vous travaillez comment tous les deux ? Vous vous retrouvez en studio ?

Oh non, il habite à Los Angeles et comme il y a eu le Covid c’était très compliqué, surtout pour les mixes. Ça a été long pour la communication : on devait s’écrire même si on a fait des séances par Skype ou Facetime. Je fais les chansons avec les structures et puis je les envoie à Rico qui me les renvoie « clearer » et puis ensuite on échange. Il refait, il ajuste, il enlève selon …

Il y a beaucoup de musiciens sur le disque : Yann Le Ker, David Forgione de l’As Dragon ou encore Xavier Geromini… Tu as fait comment : tu es allé dans des studios ?

Si tu prends le titre « Évidemment » que je devais faire sur un ancien album, j’ai retrouvé ce titre, je me suis replongé dedans. Je l’ai fini en trouvant la bonne formule avec des musiciens. J’aime partager ma musique avec des musiciens, ça m’aide beaucoup, d’autant plus que tous ceux qui sont sur le disque ont beaucoup de talent.

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Mais tu arrives à finir un morceau ? On peut imaginer que tu as du mal à arrêter, à figer une chanson ?

Oui, j’ai vraiment du mal à « siffler » la fin ! C’est pour ça que je réécoute rarement mes anciens albums : ça me mine de les entendre ! C’est normal parce que tu essayes toujours de faire mieux et d’améliorer, mais à un moment tu dois dire « stop, on arrête, on sort le morceau », sinon tu ne sors jamais rien. Je connais des gens comme ça : ils travaillent depuis dix ans sur un album qui ne sortira jamais !

Il y a aussi « Belmondo », un hommage à « l’homme de Rio » , un de tes films cultes ?

Oui, bien sûr

Et puis il y a la fin « Élodie » un morceau écrit par Jacques Duval, qui est presque acoustique, très simple !

Jacques m’a envoyé ce texte et tout de suite j’ai trouvé cette mélodie. J’ai trouvé que c’était bien de le garder comme ça. C’était bien par rapport aux autres titres qui étaient très arrangés. C’est une respiration ou une conclusion .

Quelle est la suite pour toi ? Des concerts ?

Oui, le 30 mars au Café de la Danse. Je serai avec Yann Le Ker à la guitare. C’est une grande rencontre avec lui. Il a beaucoup joué sur ce disque. Il a un son que j’aime beaucoup. On a commencé à répéter. Pour ce qui est des enregistrements, j’ai Rico et pour la scène j’ai Yann. Il m’a vraiment donné de la confiance pour faire de la scène. Le lendemain du Café de la Danse, je vais jouer à Monaco. D’autres dates se mettent en place mais ce sera pour la deuxième moitié de 2023 et probablement aussi un peu en 2024.

Quelles sont tes attentes par rapport à ce disque ?

J’aimerais bien avoir un peu de lumière sur mon travail, même si j’en ai déjà eu beaucoup, notamment pour les musiques que j’ai composées et arrangées pour Étienne (Daho, ndlr).

Tu sais vers où tu vas aller sur ton prochain disque ?

J’ai l’idée de l’album, je sais où je vais aller mais je n’ai pas encore conceptualisé le principe musical. Sur ce disque, je ne me suis rien interdit, pour le prochain je ne connais pas encore le son que je veux mais je sais de quoi il parlera

Quand tu cherches sur Internet, sur les différentes catégories tu es marqué en genre à « World Pop », je trouve que ça te va bien.

C’est vrai (rires) ? Ça me va (rires).

Pour la scène pop actuelle, tu es une sorte de grand frère qui a montré la voie. Je pense à des gens comme Olivier Rocabois ou Popincourt.

Ca me flatte, je rajouterai Alex Rossi, que je connais bien. Je connais leur musique et ça me touche. Il y a beaucoup de bienveillance de ma part et de la leur quand on se rencontre. Oui, c’est un peu ça, un grand frère…

Comment tu vis dans un monde numérique, toi qui construis et compose des albums, avec tous les Spotify et les Deezer ? C’est à l’antithèse de ton travail et de ta culture ?

(Silence) Chaque époque a ses usages, les combattre ne sert à rien et prend trop de temps. J’essaye d’être ce que je suis et de ne pas perdre du temps à être une autre personne. Je reste fidèle à moi-même.

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