Wild Child : les enfants sauvages du rock français

vendredi 9 décembre 2022, par Franco Onweb

« Wild Child remercie Wild Child », c’était écrit sur le dos de la pochette du premier mini album du groupe. Une maxime qui résumait bien l’état d’esprit d’un groupe qui, malgré un talent immense, avait dû se débrouiller seul ! Fondé à Marseille au milieu des années 70 sous la double influence des Doors et des Stooges, le quatuor avait rejoint la capitale et avait passé plusieurs années à survivre dans un Paris hostile. La sortie de leur premier six titres leur permis de sortir enfin de l’ombre et la presse musicale de l’époque s’emballe pour le groupe.

La plupart des grands groupes sont souvent l’union d’un musicien et d’un chanteur et Wild Child ne déroge pas à cette tradition. Entre le chanteur, Little Jim (en hommage à Jim Morrison) et le guitariste Lee Roy, c’était l’entente parfaite et tous ceux qui ont assisté à leurs concerts de l’époque s’en souviennent. Mais malgré un premier « vrai » album incroyable, « Death Trip », le groupe enchaîne les galères de musiciens, de managers, de promotion et autres. En 1986 Wild Child, malgré tout son talent, jeta l’éponge.

Il faudra attendre 30 ans pour que Wild Child soit enfin réédité et découvrir « Next Decline », l’album inédit du groupe. Il y eut une tentative de reformation mais elle resta sans lendemain.

36 ans après la séparation du groupe, le guitariste Lee Roy Stanner a bien voulu me raconter l’étrange et chaotique historique de Wild Child.

Ça commence quand Wild Child ?

En 1974 mais on a commencé à tourner sur Marseille et sa région en 1975.

Wild Child en 1982, Lee Roy troisième à partir de la gauche et Little Jim à sa droite
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Au début tu n’étais pas dans le groupe ?

Non effectivement, j’ai vu Jim en concert avec un groupe « Lucifer SAM ». Il reprenait les Doors. En assistant à ce concert, j’ai adoré sa voix. Je lui ai demandé après le concert s’il connaissait les Stooges. Il m’a répondu « non », comme la plupart des gens à l’époque en France. Il m’a appelé un jour en me proposant de jouer de la guitare dans son nouveau groupe « Wild Child ». C’était fin 1974.

Il y avait qui dans le groupe à l’époque ?

Jim, un autre guitariste , un batteur et un bassiste qui sont tous rapidement partis et c’est en 1975 que nous avons commencé à tourner avec Yves et Alain Ménissier. Richard nous a rejoint plus tard à Paris.

En 1975, c’est l’époque très hippie et vous allez à contre sens de l’époque en vous inspirant des Stooges ?

Oui, on reprenait deux ou trois morceaux des Stooges et « The End » des Doors.

Vous tourniez beaucoup à Marseille ?

On a écumé toute la ville et sa région ! Entre 1975 et fin 1977, quand on est parti à Paris, on a beaucoup tourné. Il y avait une boîte « Le Monaco » où l’on jouait au moins deux fois par mois. La trajectoire a été vite faite puisque on nous a conseillé de monter à Paris.

Wild Child fin des années 70
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Ça s’est fait comment ?

Ça s’est décidé parce que nous étions allés à une convention musicale qui se tenait au CNIT à la Défense. On nous avait conseillé d’y aller parce que nous avions fait la première partie des Stinky Toys à Luminy et un gars nous avait dit d’y aller. On pouvait faire un petit concert là-bas. Ce que nous avons fait : on a joué trois morceaux et à la fin un type est venu nous voir en nous demandant d’où nous venions. Quand il a su qu’on venait de Marseille, il nous a conseillé de monter à Paris avec des maquettes pour rencontrer des gens du business et c’est ce que nous avons fait !

1977, c’est l’année du punk ! Vous avez profité du mouvement ?

Pas vraiment, quand on est monté à Paris, cette vague nous a aidé pour jouer un peu mais à titre personnel j’aimais bien les Damned et après les Lords of The New Church qui étaient vraiment mon élément. Mais je savais que le mouvement n’allait pas durer. Déjà fin 1977, quand on est monté on savait que le punk commençait à faiblir en Angleterre.

Vous n’en avez pas bénéficié ?

Si un peu mais surtout avec les Fanzines et les radios.

On a l’impression que quand vous arrivez à Paris, c’est très dur pour vous ?

Oh oui (rires) ! On a eu l’hiver le plus dur depuis très longtemps. On arrivait de Marseille et on a passé le nouvel an sous la neige. On n’était pas du tout habitué à ça. On était hébergé à gauche et à droite et c’était très compliqué.

Vous allez mettre quatre ans pour sortir un premier single : vous deviez avoir la foi ?

Il le fallait bien mais à Paris c’était une concurrence assez féroce. Il y avait beaucoup de groupes et la première année a été une longue galère : logement, argent … Nos compagnes nous ont rejoint et elles nous ont aidées. On a réussi à vivoter comme ça. Après il a fallu trouver des lieux pour répéter, des boulots pour s’acheter du matos et ça été long. On s’est heurté à un mur. En plus, on nous demandait de chanter en Français à cause de Téléphone. On a essayé mais ça n’allait pas et on a décidé de continuer à chanter en anglais malgré les critiques.

Wild Child au Golf Drouot
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Vous avez été aidé par Jacob Desvarieux de Kassav ?

Oui, il nous a aidé à enregistrer dans le studio où il travaillait. En fait, je le connaissais depuis l’école communale. On allait dans le même magasin de musique. Je lui avais même prêté un petit livret d’accords musicaux. On était allé le voir chez lui à Paris et on a pu faire, grâce à lui, les premières maquettes. On a enregistré la nuit, pour ne pas payer (rires), ça se faisait beaucoup à l’époque. On a fait quatre, cinq morceaux comme ça. C’était le studio où ils avaient enregistré la chanson de « La Boum ».

Durant cette période vous n’avez jamais pensé arrêter ?

Non ! On était un peu fou quand même (rires). On avait rien d’autre dans la tête que de faire Wild Child et de développer le groupe. Pour faire ça il faut être un peu…inconscient ! On répétait, on jouait. On a rencontré Marc Genest qui nous a fait faire des concerts. Il écrivait partout Wild Child avec un feutre (rires). Il nous a fait tourner : le Golf Drouot, le Gibus… A partir de là, on a vraiment commencé à beaucoup travailler.

Vous étiez restés dans la veine The Doors et les Stooges ?

Oui au départ mais je n’aimais pas les reprises, ce qui fait que tous les morceaux que nous reprenions avaient un ersatz à côté. « The End » est devenu « Death Strip » par exemple.

Et vous sortez ce single en 1981 ?

Et oui, il a fallu du temps pour trouver l’argent, le studio, faire la pochette… Quand je vois les dates, je vois bien que cela a pris du temps mais on n’aurait pas pu faire autrement.

Il a été bien reçu ?

Oui, on a eu un gros retour de la presse : Best, Rock’n Folk et aussi beaucoup de fanzines. On est aussi passé sur France-Inter grâce à Philippe Manœuvre et en 1982 on a sorti « Speed Life o’ Mind ».

Qui a été très bien reçu !

Oh oui, on était dans ce qu’on voulait : mettre le feu ! On était vraiment dans ce qu’on voulait faire. On a été surpris de voir combien l’album a été remarqué. On est parti ensuite sur beaucoup de concerts. On avait un nouveau manager qui était excellent : Gérard Beullac !

Sur cet album il y avait quelque chose que tout le monde a remarqué : il y avait écrit « Wild Child remercie Wild Child » !

(Énorme rire) Cela nous est venu comme ça. C’était un peu d’humour à l’anglaise. Il aurait fallu beaucoup de place pour remercier tout le monde donc on a mis « Wild Child remercie Wild Child » et c’était une bonne idée parce qu’on m’en parle encore. C’était un petit buzz à l’époque ! C’était juste de la provocation mais les gens qui nous ont aidé à Paris au début ont parfaitement compris. C’était une provocation contre le système, pas les personnes.

Ce disque a vraiment marqué !

Il paraît ! Mais on était vraiment unique dans la scène. J’adorais Marquis de Sade et les Dogs mais ils n’avaient pas notre intensité.

Vous n’avez pas souffert de la comparaison permanente avec les Stooges ?

Non, parce que les comparaisons ont toujours existé ! Quand Jim dansait sur « Death Trip » il faisait la danse de Morrison sur « The End ». On s’est inspiré de gens, qui eux-mêmes s’étaient inspirés de gens, le monde et la musique avancent comme ça.

Vous avez failli faire la première partie d’Iggy Pop ?

Oui, Jim s’était cassé la jambe et j’étais très déçu ! Bon, on l’a souvent rencontré mais comme des fans : on lui a passé des maquettes, ce genre de choses…

Après le disque vous avez beaucoup tourné ?

Oui, mais c’est là que Richard, le batteur, nous a annoncé juste avant que l’on enregistre deux télévisions qu’il quittait le groupe. On a essayé de le retenir mais il voulait partir en Angleterre avec sa compagne. On avait 10 jours devant nous et on a trouvé un jeune batteur avec qui on a répété. On est reparti en tournée mais très rapidement ce batteur, comme il nous l’avait dit, n’est pas resté. On a eu un autre batteur.

Vous allez enregistrer « Death Trip » qui est un grand disque ?

Merci, pour moi c’est un album qui représente bien le groupe. Il y avait des ambiances différentes. On était vraiment bien à l’époque. On était moins dans l’urgence, on était plus posé. C’étaient des morceaux que l’on jouait des concerts avant de l’enregistrer. On les connaissait très bien. Quand on a enregistré au Studio Garage on était parfaitement en place.

Pochette de la reédition de l’album Death Trip
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Mais il a marché le disque ?

Moins bien que le précédent, on a eu moins de presse. On avait un label, Garage, mais pas d’attaché de presse et on a dû payer nous même dans Rock’n Folk une pub pour l’album. Gérard Beullac a fait ce qu’il a pu mais il y avait de moins en moins de radios libres. Elles étaient toutes rachetées par de grands groupes et il y avait moins de Fanzines. On vendait que si on tournait beaucoup mais avec le problème de batteur s’était devenu plus délicat.

Vous allez faire les Transmusicales, le Palace et pleins de concerts …

Oui mais les ventes ne décollaient pas. Des magazines extérieurs à la musique se sont intéressés à nous et c’était nouveau pour nous.

C’était un album sous influence des Doors plus que des Stooges ?

Peut-être, mais ce n’était pas conscient chez nous …

Vous commenciez à vous essouffler ?

Déjà Gérard Beullac nous a quittés pour aller vers d’autres horizons. Il nous a trouvé un nouveau manager, Michel Martigues, qui manageait Bernard Lavillier et Touré Kunda. Il nous a organisé un concert au Théâtre du Forum des Halles qui était super. Le lendemain il nous a convoqué pour nous dire que pour lui on était un groupe pour l’international. On le savait déjà mais il n’avait pas le temps de s’occuper de nous à fond et ça a été le début de la fin. On avait un peu de lassitude !

Death Trip était vraiment proche des deux premiers albums des Lords of the New Church !

Oui, j’adorais le groupe, c’est une grosse influence pour moi, à l’époque.

C’était dur pour vous ?

Oui, le batteur qui avait enregistré avec nous est parti aussi. Le sort s’acharnait contre nous. On avait préparé le troisième album avec lui mais il n’est pas resté.

Little Jim et Lee Roy en concert
Crédit : Pierre Terrasson

C’est là que vous allez avoir comme manager Jean Pierre Sabouret et James Petit, des spécialistes de Hard Rock ! C’était bizarre pour vous.

C’est eux qui sont venus vers nous ! C’est difficile de trouver un manageur alors quand ils se sont proposés on a sauté sur l’occasion mais ils étaient plus des journalistes que des managers. Ils étaient supers mais ils n’étaient pas pour nous. En plus on avait des problèmes personnels qui s’accumulaient ! On avait à la basse le bassiste de Satan Joker, un groupe de hard, et un nouveau batteur. On n’en pouvait plus, surtout au niveau personnel : les divorces, ça fait mal ! Bref, on sentait que c’était la fin !

C’est avec cette formation que vous allez enregistrer un album qui est sorti 30 ans après « Next Decline » ?

Oui, c’était toujours au Garage avec Bernard Natier. C’est Gérard Beullac qui avait tout négocié. On l’a fait en six nuits : enregistrement et mixage ! Quand je le réécoute j’y vois pleins d’erreurs !

Vous avez joué avec cette nouvelle rythmique ?

On a fait quelques concerts jusqu’à la séparation en 1986. Après un concert à Paris. Je suis sorti de scène et j’ai dit aux autres « j’arrête ! ». On aurait peut-être dû parler aux managers, ils nous l’ont reproché d’ailleurs, ils voulaient trouver des solutions. J’ai dit stop : j’étais fatigué moralement et physiquement.

Tu as fait quoi musicalement après le split ?

Rien, je n’en pouvais plus. En 1987, je me réinstallé à Marseille et j’ai pris beaucoup de temps pour oublier le groupe. J’ai fait une vie comme tout le monde mais loin de la musique. Finalement je me suis remis un peu à la guitare au début des années 2000. J’ai fait des maquettes, j’ai recontacté Jim qui était toujours à Puteaux en banlieue parisienne. On a essayé mais on n’avait plus de motivation. Je ne voulais plus me prendre la tête. J’ai perdu mes maquettes quand mon disque dur a lâché.

Vous vous étiez recontacté quand ?

Quand le studio Garage a sorti « Death Trip » en CD en 2005. J’avais appris la sortie en rachetant Rock’n Folk pour la première fois depuis 20 ans. Il était chroniqué, et très bien d’ailleurs, dans les rééditions. J’étais content et donc je pensais qu’on pouvait faire quelque chose mais ça n’a pas marché !

Et en 2015 « Next Decline » est enfin sorti en CD ?

Oui, grâce à Thierry Baron et Hubert et franchement je crois que cela a été très compliqué. J’aurais voulu que « Death Trip » ressorte aussi mais ce n’était pas possible.

Pochette « The Next Decline »
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Tu étais content qu’il sorte ?

Oh oui, à ce moment-là on s’est retrouvé à faire un show case. Thierry Baron avait trouvé Celluloïd pour le sortir. On a répété très difficilement. On a récupéré le premier batteur de Wild Child Alain et un bassiste écossais. On a répété chez Alain. La première répétition c’était vraiment le bordel. Je n’y arrivais pas et c’est compliqué de reprendre après tant d’années. Finalement on y est arrivé et on est monté sur paris pour ce show case : le public était ravi mais Jim n’était pas en pleine forme. C’était un peu… mitigé et on n’a pas pu donner suite, à mon grand regret !

Quand tu regardes cette histoire, ça te fait quoi ?

Ça me fait mal au ventre : on était un très bon groupe mais on n’a pas eu de chances ! On a fait des erreurs, notamment par rapport aux relations avec le business. Il nous aurait fallu plus de Gérard Beullac qui nous a emmené assez loin. Il faut de la chance et une synchronisation avec tout qui se met en place, sinon c’est très difficile !

On te parle encore du groupe ?

Oui quand je suis allé à Paris pour la soirée de Twisted Soul, pleins de gens sont venus me voir. Il y a aussi ce groupe Nitrate qui se revendique de Wild Child à Marseille.

Transmusicales de Rennes en 1983
Crédit : Richard Dumas

Tu veux dire quoi pour la fin ?

Quand on a un rêve ou l’envie de faire des choses, il ne faut pas se mettre des boulets aux pieds ! Rien ne comptait pour moi que Wild Child et il aurait fallu que l’on soit un peu plus dans la réalité.

Wild Child ne se reformera jamais ?

Non, Jim n’est pas en forme et je n’ai plus l’espoir de reformer le groupe, du moins pas pour tout de suite (rires) !

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http://www.twistedsoulrecords.com/
https://nineteensomething.fr/2014/12/26/wild-child/