Lighthouse : c’est loin d’être la fin !

mercredi 21 décembre 2022, par Franco Onweb

Lighthouse est de retour ! Résumé des épisodes précédents : après un début de carrière qui vit le groupe sortir deux albums, magnifiques, sur le label Rosebud et tourner un peu partout en Europe avec des artistes comme Pulp ou Tinderstick, Chafik Mohammedi, son leader, décida de se retirer du monde des majors. Replié dans sa ville de Rennes, le groupe allait sortir cinq albums splendides mais totalement autoproduits et avec une faible distribution. Pour beaucoup, le groupe n’existait plus et il aura fallu les réseaux sociaux pour que Lighthouse retrouve, un peu, de médiatisation.

Mais la musique était toujours là ! Cette pop splendide qui avait fait la réputation du groupe et Chafik est un des plus beaux orfèvres que ce pays peut compter. C’est ce talent qui a poussé Franck Headon du Fly-House et Seb Blanchais de Beast Records de proposer au combo de sortir une compilation des trois derniers albums du groupe.

Désormais en trio avec Stéphanie Hallier à la basse (depuis 23 ans !) et de Gilles Morillon à la batterie, Lighthouse est au sommet de son art. Cet album « Not all stories are true » démontre encore une fois l’incroyable talent de ce trio. Qu’on se le dise Lighthouse est de retour et c’est juste une très bonne nouvelle !

Tu peux nous expliquer ce nouvel album ? Ce n’est pas vraiment un « nouvel » album ?

Effectivement, ce n’est pas un nouvel album de Lighthouse au sens strict du terme avec de nouvelles chansons mais une compilation de titres extraits des trois derniers albums du groupe, albums qui sont sortis de manière extrêmement confidentielle sur notre petit label Glam Music. On a ce label depuis les années 90. On avait commencé par sortir des disques Flexi. Cela se faisait à l’époque. On avait quelques groupes dessus comme Solace avec ma sœur, les Garçons Ordinaires et Smily Post, de la bonne pop.Glam a sorti en six ans les trois derniers albums de Lighthouse. Ce disque reprend 11 titres de nos trois derniers albums. Ils ont été spécialement remasterisés par l’excellent Loki Lockwood, un australien que nous avons rencontré grâce aux gens de Fly- House et Beasts Records, Franck Headon et Seb Blanchais.

Lighthouse de gauche à droite, Chafik Mohammedi, Gilles Morillon et Stéphanie Hallier
Crédit : Anne Marzeliere

Ce sont eux qui sortent le disque ?

Oui, c’est Franck,qui avait le projet de monter son label en partenariat avec Beast, qui nous a proposé de faire ce disque. Il aimait « Fishy », un de nos anciens albums. Il voulait le ressortir mais il nous a ensuite proposé de sortir cette compilation. Loki Lockwood a réussi à « homogénéisé » le son, ce qui n’était pas chose aisée puisque même si nos disques ont tous été enregistrés au studio Balloon Farm à Rennes, ils ont été mixés par trois personnes différentes donc le son n’était pas toujours « raccord ». A l’arrivée c’est très cohérent.

Pourquoi avez-vous choisi de ne proposer que des morceaux de vos trois derniers albums : vous avez une longue discographie ?

Tout d’abord je dois dire que pour nous c’est le huitième album de Lighthouse. Il représente et matérialise la deuxième vie du groupe. Lighthouse a commencé à Redon en 1990 puis Yasmine, ma sœur, a rejoint le groupe en 1991 avant de le quitter en 1997. Stéphanie est arrivée ensuite en 1999 à la basse, Franck des Married Monk a été à la batterie de 2012 à 2017 puis c’est Gilles Morillon qui lui a succédé. Il jouait dans plusieurs formations dont The Dude. Nous étions assez proches. C’est vraiment cette deuxième partie de notre carrière (rires), qui est sur ce disque. On a sorti, il me semble, pas mal de bonnes chansons mais de manière très confidentielle. Ce disque vient leur donner une existence plus substantielle .

Sur la pochette vous êtes à deux avec Stéphanie. Lighthouse est un groupe, un duo ou toi avec des musiciens puisque tu écris tout !

Lighthouse est un groupe ! On fonctionne très bien avec Gilles et Stéphanie, comme un vrai trio. Avec Stéphanie, on joue depuis plus de 23 ans maintenant. On commence à se connaître (rires). Gilles est lui aussi très impliqué dans le groupe, même s’il est dans d’autres projets. Cela fait maintenant cinq ans qu’il est avec nous. On prépare un nouvel album dans lequel il est pleinement investi. Il avait d’ailleurs déjà mixé un de nos disques, Fishy, alors même qu’il n’était pas encore à la batterie dans Lighthouse.

On parle de votre label Fly- House ?

C’est le label de Franck Headon, qui a joué dans Headon et qui joue également dans Bed Bunker. Ce label est un peu une division de Beast records. Franck et Seb sont très proches. Franck a pas mal de projets et va notamment sortir les prochains albums de Cannon Fodder et Dirty Old Stories, deux groupes qu’il a enregistrés.

Votre prochain album sortira t’il sur Fly House ?

Je ne sais pas .

Quels sont tes modèles musicaux ?

Si je te dis Frank Zappa, tu ne me crois pas et tu as raison, même si j’aime bien les premiers albums. Plus sérieusement disons qu’ à la base ce sont les Beatles, après pour les années 70’s c’est très vite Bowie qui domine… Fin 70’s début des 80’s, pour moi et pour ne citer que les principaux , j’ai aimé surtout : Lou Reed, Cure, XTC, The Jam, Elvis Costello, The Clash, Talking Heads, New Order, Pale Fountains, Durutti Column , The Young Marble Giants, The Stranglers, The Specials ( dédicace à Terry Hall )... et bien sûr plus tard Nick Cave avec ce premier disque acheté en 1987, « Kicking against the Pricks ». Puis ce fut l’incroyable vague indé du milieu des 80s’ et du début des 90s’ avec les labels indépendants : Creation, Mute, Rough Trade, Sarah 4AD, Lithium, Rosebud…. des fanzines, et des groupes comme les Pixies, Pavement, les Jesus and Mary Chain, Dinosaur Jr, Spacemen 3, The Pastels, The Field Mice, Jonathan Richman, Daniel Johnston et ses cassettes… mais là aussi ils sont très nombreux. Quoiqu’il en soit le DIY avait fait son retour.

Chafik
Crédit : Stéphanie Hallier

Comment as-tu découvert tout ça ?

Quand j’étais gamin, j’allais très souvent en Angleterre . J’ai aussi eu la chance de vivre un peu à San Francisco, une ville assez marquée par la musique et pas seulement par le flower power. J’y ai vu PIL en concert avec The Minutemen en première partie et plein de groupes moins connus … Je dois aussi préciser que le jazz ( celui de Juan les Pins début des 60’s ) comme le blues et la folk américaine avec des gens comme Big Bil Broonzy et Pete Seeger étaient aussi présents à la maison. Mon père, d’origine algérienne, marié à une rennaise, était également client de l’inévitable Idir, mais surtout d’Ait Menguellet, une sorte de Bob Dylan kabyle. J’adore son album Ayyagou, les brumes en français, tout un programme … Et puis comme beaucoup, j’ai bien aimé et j’aime toujours des artistes français comme Daho ou Murat sans parler des immenses Gainsbourg, Sheller, Polnareff, Brassens … mais je crois que Daho a toujours eu une place un peu particulière pour moi. Mais pour en revenir au jazz, la pochette du « Not All Stories Are true » , elle a bien un côté Blue Note, tu ne trouves pas ?

Si, c’est une réussite !

Merci ! La photo est prise par un ami photographe, Julien Mignot, et le travail graphique est celui de Tom Bornarel, un graphiste belge qui travaille souvent pour Beast.

Vous êtes restés assez discrets depuis plusieurs années, est ce que cet album ne serait pas le début d’une troisième carrière et va enfin vous permettre de ressortir de Rennes ?

J’espère bien ! La pochette est même un clin d’œil à la pochette de notre deuxième album chez Rosebud/Barclay. Un album qui avait plutôt bien marché. On en avait vendu pas loin de 10 000 exemplaires. Avec ce disque, on n’espère pas autant, mais les temps ont changé, il s’agit juste de se repositionner sur l’échiquier pop en France. J’ai été content d’avoir récemment des nouvelles de Ken Stringfellow ( Posies, Alex Chilton, REM…), à la suite à notre dernier concert parisien. A Paris, on a rencontré des gens, comme Olivier Popincourt ou Olivier Rocabois, des orfèvres de la pop. Grégoire Garrigues, qui a fait notre son, est guitariste dans plusieurs groupes dont Argent Ardent mais aussi The Jones.

Comment ça s’est passé avec le public parisien ?

Très bien, ça a été un public attentif et très enthousiaste. En allant jouer à Paris au printemps dernier, pour une date avec Popincourt ( une autre fut organisée avec le même plateau à Rennes ), on a un peu repris contact avec quelque chose qui ne soit pas strictement « renno-rennais » et ça fait du bien, même si le public rennais est formidable. Nous avons hâte de revenir jouer à Paris. Disons que ce disque nous redonnera, je l’espère, un peu de visibilité dans un certain réseau et nous le devons beaucoup à Fly-House et Beast Records.

Comment avez-vous rencontré Fly-House ?

C’est Franck qui est venu vers nous. Il m’avait proposé de chanter en duo avec lui une reprise de « I can’t escape myself », un titre de The Sound sur « Jeopardy ». Le titre se trouve sur le deuxième album de Bed Bunker, « Delay Brings Danger ». Je connaissais Franck comme musicien. J’avais toujours suivi ses différents groupes depuis Witchery Wild que je suis souvent allé voir en concert. Lui et Seb Blanchais s’en souvenaient. Suite à cette première collaboration nous sommes devenus assez proches.

Comment les titres ont-ils été choisis ?

On avait une contrainte : 18 minutes par face afin d’optimiser le son. Nous voulions une vraie fluidité et que cela ressemble à un album. D’une certaine manière, c’est un nouvel album. On a proposé des choses à Franck. Il a fait des remarques. On en a tenu compte. On a décidé ensemble avec le groupe, et après on a proposé à Seb Blanchais qui, outre une grande culture rock, a également une longue expérience en tant que musicien, producteur, mais aussi disquaire.

Pourquoi n’y a-t-il pas d’inédits ?

Il ne me semble écrit nulle part qu’il faille un inédit sur une compilation. Disons par exemple, qu’il n’y en a pas plus sur l’album rouge que sur l’album bleu des Beatles…. (rires). Tu sais, nos disques ont été distribués de manière tellement confidentielle ... à part pour le public qui nous suit à Rennes et dans ses environs, tous les titres de cet album sont des inédits ...

Stéphanie Hallier
Crédit : Philippe Trocheris

Là vous serez distribués dans toute l’Europe ?

Peut-être même en Australie ! La distribution n’est pas facile à organiser.

Sur ce disque on sent ton sens inné de la mélodie et de la musique. Tu ne veux pas ouvrir le son à un autre guitariste, un clavier ?

J’aimerais bien. Il y a un autre guitariste, Franck Degabriel qui nous accompagne parfois... mais il a une tendinite qui l’empêche de jouer avec nous actuellement. Il est prof de violon et de guitare. On a pu jouer live avec lui il y a un an, pour un concert à Balloon Farm, mais depuis, sa blessure l’en empêche. Alors on s’est habitué en live à la formule trio, qui est assez exigeante et donc intéressante. On a également commencé à faire quelques arrangements avec Olivier Loas, qui a déjà travaillé avec nous en jouant clavier sur l’album « Fishy ». On a déjà réalisé ensemble le morceau qui ouvrira l’album : un instrumental ! J’ai également lancé des invitations car j’aimerais beaucoup associer certaines personnes à ce prochain disque, comme Olivier Popincourt et Franck Headon. Nous avons souvent des musiciens additionnels sur nos disques.

Vous avez un son très pur contrairement à la scène pop actuelle qui cherche beaucoup les claviers, les violons …

Il y a des claviers sur le disque quand même mais tu as raison, les guitares dominent largement. On a déjà travaillé avec un quatuor à cordes ainsi qu’avec une section de cuivres, sur le deuxième album ... Ça coûte cher et c’est compliqué à organiser, mais on aimerait beaucoup le refaire... On se débrouille avec ce qu’on a ! Il y a des synthés formidables (rires) !

Mais ce disque est là pour vous développer ?

Je veux que l’on se développe.

N’aurais-tu pas un manque d’ambition dû à ta timidité naturelle ?

Commercialement tu veux dire ? Artistiquement ? J’ai de l’ambition artistique. J’ai sans doute eu besoin que l’on me secoue et Franck l’a fait ! Je veux expliquer un truc : on a présenté le groupe, ces débuts, comme étant le groupe d’un frère et d’une sœur. Elle a quitté le groupe en 1997, pour monter Novella, un projet très pop, puis son groupe Yasmine Kyd qui est beaucoup plus jazz. En 1993, je signais et je chantais 90% des titres. Maintenant, c’est loin tout ça ... Ce disque nous remet dans la partie et c’est tant mieux.

Pour vous trouver, il fallait vous chercher !

Oui, mais grâce aux réseaux sociaux, un certain nombre de personnes ont su que nous existions encore. C’est normal : les gens t’oublient assez vite quand tu as peu de présence médiatique. Tu as fait ton temps et tu n’existes plus. La réalité est souvent autre. Mon ambition reste intacte. J’ai consacré une grande partie de ma vie à la musique. On a fait pas mal d’enregistrements. On a joué régulièrement sur scènes mais pas assez pour être lassés ou blasés. Nous avons toujours un certain nombre de projets.

Et là vous reprenez une place qui est la vôtre !

Je ne sais pas, il y a encore beaucoup à faire. On n’existait plus que pour les gens qui nous suivaient à Rennes, alors que nous avions joué et vendu un peu partout en France mais également à l’étranger, aux États-Unis, en Espagne, au Japon… Nous avons partagé des scènes avec des artistes de qualité : Bjork, Divine Comedy, The Posies, Pulp, Tindersticks, Katerine, Miossec, The Married Monk, The BMX Bandits, Chelsea, Welcome to Julian, Sloy, Filip Chrétien, Thirteenth Hole, Dominic Sonic et plus récemment Théo Hakola…

Tu te rends compte que la qualité de vos titres fait plaisir aux gens ?

Tant mieux ! Mais tu sais, lorsque tu es en licence chez une major comme nous l’étions, à l’époque, chez Barclay, les moyens sont là en termes de distribution mais aussi avec une équipe de promotion. Les choses sont beaucoup plus aisées pour la diffusion et donner du plaisir aux gens. Après le bel épisode « Barclay/Rosebud », on se retrouvait un peu .. seuls. Nous avons enregistré un album « Born a nice kid « pour Glam et l’album « Gone Fishing » ( avec un visuel de pochette qui faisait déjà référence à notre deuxième album ), pour le label rennais « Limbo records ». Mais sans manager, sans tourneur, on devait se débrouiller avec ce que nous avions. On a toujours réussi à enregistrer et sortir des disques même dans des conditions assez modestes. Nous avons fait des disques que dans la presse, n’a pas reçu et donc pas chroniqué. Il n’y a eu qu’Abus Dangereux à avoir un peu parlé de nous... Quant à la distribution, elle relevait de l’artisanat le plus rudimentaire... Mais bon, Lighthouse existe encore et je suis là pour répondre à tes questions. Je suis prêt à aller jouer partout, enfin presque (rires).

Gilles Morillon
Crédit : Anne Marzelière

Tu n’as plus peur de t’exposer ?

Je n’ai jamais eu vraiment peur de m’exposer, je ne l’ai juste pas beaucoup été ( rires ). J’aime bien la scène, répondre à des interviews, tourner un clip, alors j’imagine que tout cela pourrait peut-être fonctionner différemment.

Tu en attends quoi de ce disque ?

Exactement ce dont nous venons de parler : qu’il nous amène un public plus large que nos copains de Rennes. On existe, on a des disques, un bel objet avec ce « Not All Stories Are True » et un set à proposer …

La suite c’est quoi ?

On vient de terminer un clip et on en va faire deux autres. Sinon, nous préparons un nouvel album, mais il y aura également peut être des rééditions, un live, une autre compilation sur un temps plus long … Quelques dates seraient également les bienvenues ...

Vous allez donc tourner ?

On refuse rarement une date.

Vous pourriez faire des remix ?

Gilles est très compétent en la matière, alors oui c’est une bonne idée ...

En concert au Marquis de Sade à Rennes
Crédit : Victor Pavy

Avec ce disque vous allez pouvoir tout (re) faire ?

Oui, et ce qui m’intéresse est d’ancrer Lighthouse dans la pop, un genre qui va au-delà de la musique à proprement parler.

Maintenant vous avez des soutiens ?

Oui et c’est très rassurant pour nous, merci à eux !

Il y a ce texte au verso de l’album qui pourrait faire croire que c’est une reformation ?

Eh bien non, on continue simplement à naviguer toujours un peu à l’estime ...

Tu chanteras un jour en Français ?

Non. J’ai déjà enregistré sur l’album « Gone Fishing » une reprise du « 20 ans » de Léo Ferré que j’aime bien. Il reste que j’ai toujours adoré la langue anglaise qui est par défintion l’idiome de la musique pop-rock, avec laquelle j’espère avoir quelques affinités, et qui reste la langue de la musique pop-rock.

Tu n’aurais pas envie d’avoir des titres plus « dansant » ?

Pourquoi pas, on a un ou deux titres vaguement discos. C’est vrai que j’apprécie beaucoup Parliament, Funkadelik ou Kraftwerk, mais la référence en terme de « groove » serait peut-être plus pour nous à chercher du côté des Talking Heads, du « Magnificent Seven » des Clash ou de Primal Scream. Nous avons d’ailleurs enregistré sur notre deuxième albums un titre, « Alice » aux accents particulièrement baggy .

Tu veux dire quoi pour la fin ?

C’est loin d’être la fin (rires) !

https://www.beast-records.com/produit/lighthouse-not-all-stories-are-true-br331/
https://lighthouse4.bandcamp.com/releases
https://www.facebook.com/profile.php?id=100063510367252