Anne Marzeliere, l’élégance dans la photographie

jeudi 28 avril 2022, par Franco Onweb

Si vous allez dans un concert à Paris ou à Rennes, si vous surfez sur les réseaux sociaux alors vous avez probablement déjà vu une photo d’Anne Marzeliere ! Cette photographe rennaise, membre du collectif Lust4Live, collabore aussi à la superbe revue Persona et propose des portraits, souvent en noir et blanc, qui font ressortir toute l’importance de l’image. A une époque où la photo, avec les smartphones et les réseaux sociaux, s’est banalisée, le regard et le talent d’Anne Marzeliere prend une autre ampleur.

J’ai rencontré cette photographe pour une discussion passionnante où il sera question de musique, de portrait, de son œil féminin et de l’importance de l’image à notre époque !

Peux-tu te présenter ?

Anne Marzeliere, sans accent. Je suis photographe auteur à Rennes.

Laura Bruneau, Soon She Said
Crédit : Anne Marzeliere

C’est venu comment la photo ?

J’ai intégré l’École des Beaux-Arts de Rennes en 1991, et je crois qu’à cette période je n’ai pas mesuré la chance que j’avais d’y être, j’étais trop jeune et dispersée pour murir un projet. Ma passion pour la photographie s’est révélée plus récemment comme une évidence.

C’est quoi pour toi une bonne photo ?

C’est une question d’ombre et de lumière, un savant dosage. Songer aux propos de Roland Barthes dans son essai, la Chambre Claire qui nous interroge sur ce qu’est la photographie dans sa dimension naturelle, au de-là de la technique. En conclure que c’’est donc un état d’esprit, l’appareil n’étant que le prolongement de l’œil. La bonne photo c’est celle qui nous aimante, et à cela on ne sait pas toujours pourquoi, un accident photographique peut être très troublant...

Quelles sont tes influences en photographie ?

J’ai une attirance manifeste pour la photographie de mode créative et sophistiquée, je cite facilement Dominique Issermann, Ellen von Unwerth, Peter Lindbergh, Helmut Newton. Je suis éblouie par le travail du photographe Jacques Olivar, le cinéma étant l’une de ses principales sources d’inspiration. La puissance esthétique de ses images, sa maitrise des lumières est juste fascinante. Comment ne pas mentionner Anton Corbijn. et enfin Hedi Slimane qui pour moi incarne la parfaite synthèse entre le monde de la mode, du rock et de la photographie, je suis vraiment fan de son travail, ses noir et blanc somptueux, ses cadrages.

Dans tes photos il y a un côté « scénarisé », souvent en noir et blanc, souvent des femmes avec un vrai univers cinématographique ?

Au début de ma pratique j’errais littéralement dans des no man’s land. Le portrait et cette envie de raconter des histoires sont venus plus tard, maintenant je scénarise des fictions, de la romance et des fantasmes. Depuis, je cadre de plus en plus serré, au cœur de l’intime.

Femme de dos
Crédit : Anne Marzeliere

Pourquoi le noir et blanc ?

Je préfère le noir et blanc pour sa puissance émotionnelle et j’aime les contrastes qui claquent ! J’ai une tendance délibérée à surexposer mes clichés. Cependant, il m’arrive de shooter en couleur, quand cela se prête davantage au sujet ou au propos.

Tu voudrais exposer ?

Oui ça fait partie de mes envies, je cherche un lieu et un fil directeur. Je rêve d’un format slideshow à égale distance entre la photographie et le cinéma, qui mêlerait, musique et projection de mes photographies comme le fait la grande Nan Goldin. J’aime l’idée que ce soit vivant, en mouvement.

Pourquoi la musique ?

Parce que c’est une nécessité. La musique c’est viscéral, c’est une drogue dure ! Je considère que j’ai eu beaucoup de chance de grandir dans un environnement très ouvert culturellement. Enfant, le jazz a rythmé mes dimanches matins. Plus tard je suis tombée dans la pop et l’indie, j’ai une culture musicale assez large, sans trop de cases. En fait j’ai une soif infinie de musique, je dis souvent qu’il me faudrait une autre vie pour tout découvrir et m’en enivrer.

Tu étais sensible au graphisme de ces labels ?

Oui, j’étais déjà très attirée par le graphisme, et collectionneuse de pochettes de disques ! Le design graphique était en pleine effervescence, j’étais totalement admirative du travail de Vaughan Oliver pour 4AD ou Peter Saville pour la Factory Records : des identités visuelles fortes, un esthétisme très abouti ! Et je n’oublie pas les iconiques pochettes des Smiths, encore gravées dans ma rétine.

Stéphane Le Dro, Musicien Clarinettiste Saxophoniste
Crédit : Anne Marzeliere

En ce moment, il y a un grand retour de la photographie avec les téléphones et des réseaux sociaux comme Instagram. N’est-ce pas le retour de la photo qui « marque » et de « qualité » ?

A l’ère du numérique, et des téléphones équipés de caméras, la photographie est devenue un acte banal. Alors oui, on peut trouver de l’excellent regard chez un amateur sans grand matériel comme du très ennuyeux chez un professionnel bien équipé.

Mais ton travail n’est-ce pas un travail de fan qui respecte la personne en face ?

Il parait que j’ai l’œil amoureux quand je photographie. Bien sûr que je fais attention à l’angle, je suis attachée à l’idée de sublimer mon modèle. C’est mon regard, je vais chercher la sensualité, du rêve, et révéler cet autre. Sans que cela soit vraiment conscient, je mélange tous les codes de ce que j’accumule en références artistiques, littéraires, musicales pour produire une image.

Tu te rends compte du pouvoir de l’image pour un artiste ?

Le visuel, en communication, c’est essentiel, l’image c’est une langue universelle, un message en soi. Aujourd’hui pour exister un artiste a besoin de ces outils média, c’est son identité et son esthétique qu’il vient exposer.

Tu utilises quoi comme matériel ?

Je ne suis pas du tout technique, j’ai un vieux reflex numérique Nikon, et sa version plus récente. En fait, le boîtier a peu d’importance, ce qui compte c’est la focale. Je n’utilise pas ou peu de zoom et je travaille avec prédilection au 50 mm. C’est mon œil. Dernièrement j’ai craqué sur un petit bijou argentique, un Olympus focale 50mm, c’est un autre monde qui s’ouvre, d’autres plaisirs.

Morgane
Crédit : Anne Marzeliere

Ton travail a un œil très féminin ?

Oui, comme un miroir.

Tu mets ta féminité au service du rock qui est un truc, trop, souvent très masculin ?

C’est vrai et justement j’aime beaucoup travailler avec les hommes, j’ai une vraie expertise du rockeur tatoué maintenant. Déboutonner leur chemise, froisser leurs cheveux, les amener à se lâcher, nos séances sont souvent très fun et généralement j’obtiens ce que je cherche ! En fait ce qui m’anime en séance portrait c’est de révéler la part de glamour, de mystère, de séduction que nous avons tous en nous. Ma sensibilité féminine apporte sans doute un angle différent. J’ai grandi dans l’iconographie du jazz, et j’avoue être subjuguée par la beauté des pochettes de disques des années 60. Bill Evans véritable icône de style - l’émergence du cool m’inspire beaucoup.

Tu participes au site et à l’association rennaise Lust4Live ?

J’ai rencontré Stéphane Perraux, un soir de concert et j’ai embarqué comme photographe dans son projet de webzine - Lust4Live. J’ai deviné très vite que je n’aimais pas la photo de scène, trop technique. Maintenant je savoure un concert sans la contrainte de la photo. Ma place est dans les coulisses, les cuisines, en fait là où se joue la rencontre, c’est vraiment cela qui m’enthousiasme, cet échange. J’aime l’intimité des backstages, l’exclusivité, et cette relation privilégiée avec les musiciens, les suivre, les accompagner, rester fidèle.

Et les musiciens sont d’accord ?

Oui, parce que je les respecte, et qu’en règle générale je ne publie jamais de photos sans leur accord.

Broken Waltz
Crédit : Anne Marzeliere

Et il y aussi la revue Persona, où tu présentes ?

C’est grâce à Stéphane que j’ai eu la chance de voir publiés, certains de mes portraits pour illustrer ses entretiens d’artistes. C’était un rêve que de figurer dans un numéro de cette magnifique revue. J’avoue que quand Frédéric Lemaitre (rédacteur en chef de Persona, ndlr) m’a confié qu’il souhaitait parler de mon travail personnel, je n’y croyais pas. Et me voilà, très honorée de paraître au sommaire du numéro 18 de cet hiver !

Tu voudrais faire un livre, une exposition ?

Une exposition oui, un livre non parce que cela fige trop les choses. J’aime le mouvement et j’aime les rencontres.

Avant de faire des photos, tu communiques beaucoup avec tes « modèles » ?

Pour les musiciens et les artistes oui, quand il s’agit d’une commande. Pour comprendre le propos, la thématique ou la direction esthétique, pour révéler et traduire en images leurs désirs. C’est comme faire un état des lieux.

Le fait d’être à Rennes t’a aidé pour rencontrer des musiciens avec le vivier qui existe ?

Oui, Rennes est une ville très vivante musicalement. Je n’ai rien précipité, les projets arrivent au détour d’une rencontre ou autour d’un verre, toujours animés de passion. Je trouve très libérateur de pouvoir choisir mes collaborations.

Où peut-on te contacter ?

Sur mon site : https://www.annemarzeliere.com/ ou via ma page Facebook.

Quels sont tes projets ?

Je travaille au long court sur une la réalisation d’une vidéo mais c’est encore top secret ! Autre réjouissance, une collaboration avec Thesaurus, une nouvelle revue au format fanzine se profile. Cet été j’aimerais réaliser un projet personnel très différent de mes thématiques habituelles. Il s’agira d’une série attachante qui me tient tant à cœur, autour du Jazz. Oui, le Jazz c’est une obsession.

Quels conseils donnerais-tu à un enfant pour l’emmener à la photographie ?

La photographie c’est l’écriture par la lumière, c’est une connexion au monde, mais surtout à son propre monde. C’est un médium d’expression formidable.

https://www.annemarzeliere.com/
https://www.facebook.com/anne.marzeliere