Jorge Bernstein : le scénariste de bande dessinée qui ne veut pas être sérieux

mercredi 12 janvier 2022, par Franco Onweb

L’année dernière j’ai rencontré le groupe Jorge Bernstein and the Silky Birds of Love. Au cours de cette interview j’avais découvert que le chanteur du groupe, Monsieur Free, était aussi scénariste de bande dessinée. J’avais retenu cette information et voilà que depuis cet été, il suffit que j’aille dans une librairie pour voir des BD avec son nom sur la couverture : Jorge Bernstein ! En lisant plusieurs de ces livres j’ai retrouvé l’humour corrosif et décalé qui avait transpiré dans l’interview du groupe.

N’ayant encore jamais traité de Bandes Dessinées sur ce site, je me suis dit que le sieur Bernstein était parfait pour ce baptême ayant la double casquette de musicien et de scénariste BD. Je l’ai donc contacté et le résultat de cet entretien, pas très sérieux, est juste en dessous !

Peux-tu te présenter ?

Je suis Jorge Bernstein, je travaille au sein d’une formation de rock giscardien (j’avoue aussi avoir participé au seul et unique album de rock chrétien au 1,5e degré du 21e siècle), dans une formation de folk un peu soyeuse mais je suis aussi scénariste de bande dessinée pour Fluide Glacial, Spirou ou les éditions Rouquemoute depuis une dizaine d’années.

Jorge Bernstein
Droits réservés

Tu es scénariste et pas dessinateur ?

Oui, je dessine de moins en moins et comme je travaille avec de vrais dessinateurs c’est un peu normal. En fait, ce serait comme un guitariste qui travaillerait avec Jimi Hendrix ! Par contre, il m’arrive de faire des détournements d’images. Je le fais sur des plans de montage, notamment pour Ikea, où je détourne des photos libres de droits que je récupère.

C’est venu comment cet amour de la BD ?

Depuis tout petit, mon père lisait beaucoup de BD. J’ai dans ma bibliothèque le premier numéro de Fluide Glacial par exemple. J’en ai pas mal lu ado : Gotlib, Franquin et je me suis intéressé à la BD avec « l’Association », une maison d’édition qui existe toujours. C’est un univers qui m’a toujours intéressé et je suis venu à la BD par le scénario. Au départ j’écrivais des conneries sur Facebook, ce que je fais toujours d’ailleurs, et il y a un éditeur rennais, Marwanny Corporation qui m’a contacté. Il m’a proposé de travailler sur un livre et cela a donné “ Winner ensemble c’est gagner Together ”. J’en ai ensuite écrit un second : " 99.9 proverbes actualisés " qui a été édité par Lindingre. Yan Lindingre est devenu juste après rédacteur en chef de Fluide Glacial. Il m’a téléphoné pour me proposer de faire un peu de rédactionnel pour le magazine. Je lui ai proposé quelques textes mais surtout des scénarios de Bd, quelques gags, quelques trucs … ça s’est ensuite développé comme ça.

C’est ton métier ?

Oui, j’en vis en partie ….

Tu as un côté très deuxième degré avec des choses qui font peur à plein de monde, les complotistes notamment. Quelles sont tes influences ?

Mes influences au niveau de l’humour ce sont les Monty Python, les Simsons, " Message à caractère informatif " qui passait sur Canal Plus… Des choses absurdes et décalées. Pour la Bd, j’ai été vraiment influencé par les « Requins Marteaux », une maison d’édition d’Albi qui a sorti des trucs délirants… J’aime l’humour absurde.

Ça se passe comment concrètement ? Tu rencontres le dessinateur ?

Pas forcément, maintenant cela se passe de plus en plus en distanciel …. Bon, j’ai croisé pas mal de monde sur les salons mais j’ai envoyé pas mal d’idées par messenger ou Instagram à des dessinateurs pour leur proposer de travailler avec moi. C’est comme ça que j’ai travaillé avec Terreur Graphique, Pluttark, Julien Solé, Obion, Fabcaro…

Comment as-tu tes idées de scénarios ?

Je pense que mon cerveau est un peu vrillé et qu’il travaille en permanence. Ça doit être un peu fatiguant de vivre avec moi (rires), mais ma femme et ma famille sont habitués au deuxième degré.

En 2021, tu as sorti beaucoup de choses ?

Pour la plupart, ce sont des projets de 2020. Il y a beaucoup de choses sur les cons.

Tu as lancé une croisade contre les cons ?

Ça dépend, il y a différents types de cons. Il y a le couillon qui est sympathique. A mon avis on l’est tous un peu. Et puis il y a le vrai con. Pour moi ce n’est pas quelqu’un d’exécrable. Il est pris dans un mouvement de la société : souvent il ne peut pas agir autrement. Il y a une vraie différence entre le con, le couillon et le connard. L’exécrable c’est vraiment le connard (rires) ! Mais je reste au deuxième degré en essayant de renverser les codes pour ne pas rester uniquement au deuxième degré justement. J’essaye de jouer avec le lecteur pour ne pas rester enfermé dans mon monde.

Tu es édité par Dupuis, qui est une très belle maison d’édition : ce n’est pas trop compliqué de faire le grand écart entre Dupuis et Fluide Glacial ?

Spirou permet aussi de dire des conneries mais c’est grand public donc tu ne peux pas vraiment te permettre d’aller trop loin sur certains thèmes mais globalement tu es assez libre. Pour Dupuis, j’ai travaillé sur « les Complotistes », qui est un projet initié par Fabrice Erre, pour lequel il m’a demandé de venir ajouter des bonus décalés sur les origines du complotisme, comme si on proposait une sorte de manuel scolaire. Le projet a rencontré un beau succès (incroyable mais vrai, la première édition est même épuisée).

À côté tu fais de la musique : tu verrais quoi comme lien entre les deux ?

Il y a des ponts entre les deux : si tu vas chez Fluide Glacial, par exemple, tu verras des gens qui font ou qui apprécient la musique. Quand on travaille avec un dessinateur, il y a l’idée d’un duo, un peu comme un groupe… Et puis il y a aussi dans les deux arts, tout un côté DIY qui est important en BD avec des fanzines ou des « petites » maisons d’édition mais aussi dans le rock. Il y a un côté adolescent dans les deux cas.

C’est quoi tes projets ?

Je travaille pour Fluide Glacial avec Damien Geffroy sur un projet qui s’appelle « Variété Française » où on prend des chansons connues qu’on détourne de leur univers, comme avec Patrick Juvet avec « Où sont les femmes », où ce sont des pirates qui débarquent sur une île pour les chercher… J’ai aussi un projet qui s’appelle « Rapport de stage » avec David de Thuin. C’est une stagiaire qui rentre dans une entreprise débile et n’arrive pas à en sortir… Pour Spirou, je continue les strips de “ Willy Woob ” avec Nicolas Moog et je travaille régulièrement sur des histoires avec Philippe Bercovici.

Une planche de la variété Française
Crédit : illustration Damien Geoffroy et texte de Jorge Bernstein

On peut imaginer que tu fasses des BD Concerts, avec ton groupe ?

Oui, ce serait marrant. C’est quelque chose qui se fait mais on n’a pas jamais eu assez de temps pour le mettre en place. On voulait, à la base, faire un ciné concert sur le débat VGE-Mitterrand (rires).

Tu vas toujours rester dans cet univers loufoque : tu ne vas jamais grandir ?

Non, je n’ai pas cette envie de faire des choses plus sérieuses. Avec l’humour tu peux faire passer plein de choses. C’est un thème qui me plait et me convient bien.

Tu veux dire quoi pour la fin ?

Faisons passer un message de haine : « haïssez-vous les uns et les autres pour mettre un terme à ce monde assez rapidement ».