Patrick Scarzello : un dandy, rocker Bordelais, se raconte

lundi 4 octobre 2021, par Franco Onweb

Depuis de longues années, il est un personnage central de la « scène bordelaise ». Toujours élégant et passionné, Patrick Scarzello fait partie de ces gens qui ont permis que beaucoup de choses se passent, ou existent, uniquement en les racontant dans les différentes publications où il a écrit.

Patrick Scarzello n’est pas seulement un homme d’écrits. Il a participé, et il continue de participer à beaucoup d’aventures musicales. Acteur et spectateur d’une scène Bordelaise qui ne cesse de se renouveler, c’était évident que ce « dandy » moderne devait être présent sur le site. Je voulais aussi qu’il nous parle de l’excellente biographie de Camera Silens, le groupe punk mythique de Gilles Bertin, qu’il a publié l’année dernière.

J’ai donc envoyé quelques questions à Patrick Scazerllo pour avoir des précisions sur l’ensemble de ces sujets 

 

Peux-tu te présenter ?

Ahem... tout reste donc toujours à faire !? (sourire)

Comme auteur et interprète principalement, j’invoque depuis perpète le Rock’n’Roll et assimilés, en chansons. Et en parallèle via l’écriture.

En ce moment, je gratte des souvenirs de répertoires et de live, des premières répés fin 70’s jusqu’au dernier festival. C’était en janvier 2020 avec l’Unlimited Combo, qui porte ce blase pour l’illimité de chacun : deux guitaros également auteurs-compositeurs-interprètes par ailleurs, Les Alcindor, Jon Smith, un bassiste aussi Heartbeeps et Wylde Tryfles, plus notre fidèle Steph Skull Duggery, batteur... mes multirécidivistes préférés. On ne compte plus les saisons depuis nos groupes, Slow Motion/Sweet Five, Little PSZ trio.

Et unlimited pour ne rien s’interdire : orgue escompté & harmo un jour, choeurs ou voix de sirène toujours... et plus si affinités.

Patrick Scarzello
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Quel a été ton parcours musical ?

Rien de bien conscient avant fin 76-débuts 1977... une émission télé tardive, avec tous ceux qui nous ont é-lec-tro-cu-tés-à-ja-mais  : l’axe Ramones and so on. Et puis en live Dentist, nice in Nice. En quelques secondes tout s’ouvrait, et ça dure...

Je n’aurais pas imaginé un seul instant devenir ainsi, usual frontman à tambourin... ça reste le plus important du parcours, et le plus constant.

Sans me retrouver vraiment instrumentiste, malgré guitare et clavier avec lesquels j’ai frayé solo un temps. Et même batterie, derrière le piano-chant de Lys & le Zombie Zoo.

Quel a été ton parcours journalistique ?

Journaliste, jamais. C’est une pro-fesssssion, et pas une profession de foi ! Je me souviens les avoir souvent observés aux réus des pigistes. Genre le programme affiché les attend, avec les papiers qu’on leur demande de remplir... rien de tel perso.

La chance sidérale d’avoir, grâce à la scène locale, inventé mes propres activités dans les pages, à coups de contorsions sans fin. En sortant tous les soirs, et en repoussant les cadres chaque saison, chaque nouvelle année : « gonzo in Bordeaux... ma non troppo ».

Rubriquer rock in progress, consistait à convaincre à chaque échéance hebdo, à relancer à chaque fuckin’changement... pour défendre la nécessité du big Bad Beat. C’était déjà le cas dans les 80’s où le rock -sans poste ni budget dédiés, faisait encore peur... Je vivais à Paris et bossais à Champs Disques la nuit : personne pour prendre l’espace en mon absence, ou faire la panthère électrique dans le quotidien local...

Ca a été un parcours plus qu’imprévisible de... serial fan autobiographique, mettons. Ayant longtemps publié dans la presse écrite et dans toutes sortes de zines, des récits en cascades sur les groupes, des compte-rendus de concerts en rafales, des rencontres fleuve avec les musiciens... signature rock donc.

Passé le journal intime, débuté en plein blitzkrieg punk, nous avons embrayé sur le bien nommé « Déchets Résistants », avec mon pote no escape Henri Franch, qui illustrait proto-Bazooka. Deux micro-numéros impossibles à retrouver... sans doute super-anecdotiques, pour les tiers... comme pour nos contemporains. Mais que de projections/passions distillées subrepticement ! Et de feelings, finalement... je me souviens d’un appel fin 70’s aux « lecteurs(trices) », l’écriture inclu-clu n’existait pas.

… Également bassiste, l’ami pour toujours a permis notre tout premier live, en groupe inaugural et sans appel : double vocation ou rien.

As-tu participé à des groupes et lesquels ?

Comme l’impression de n’avoir fait que ça, même si le parcours a été infiniment plus cahotant. S’il fallait lister, les sets absolument alone, les formules duos/trios, formations diverses et bands à répétition... ahem.

En prenant les principaux, La Poupée Barbue, dite flower punk-glam qui a marqué (avec Boubou le batteur des ST, et deux Shunatao), Scarzello & Lys slowmotion suivi du Sweet Five, consacrés par notre album « Slowmotion orchestra » le plus abouti, et en live fréquents durant 8 ans.

Le disque « De bon matin en robe du soir » composé par OD, guitariste de lignée Thunders, et enregistré avec la rythmique stoogienne des Wonky Monkees ; musique écorchée/textes à vif pour Des Claques, en duo noise et power-trio (guitare, chant, basse & boîtes)...

Le Cymbaliste piano-chants, dit cabaret rock’n’roll avec le meneur de Night Shift ; Patrick Scarzello & son Orchestre Vide, à l’heure du premier album solo, « Les armées de verre soufflé »...

Cela donne une dizaine de vignettes/« albums » sur BandCamp.

Quels sont les groupes qui ont marqué la scène bordelaise, selon toi, et pourquoi ?

Stones, Stooges et autres ont montré l’attrait alphabétique des premières lettres du nom dans les bacs à disques. Les Dolls ont aussi influencé les premiers des ST, qui se maquillaient... Mais autant évoquer un groupe qui, lui, a marqué la scène du cru à revers de sa consanguinité fameuse et si porteuse : Les Scurs.

Venus d’une lointaine banlieue balnéaire, ces enfants du punk ont démarré fin 70’s en petit comité dans leur grenier d’Hendaye, et débarqué pile poil lorsque j’ai sérieusement commencé à arpenter les pavés bordelais. Ces débuts 80’s placés sous le signe du revival sixties et mod toute, les voit d’abord défendre un répertoire en anglais, sous influences Kinks/Jam.

Un shouter devant qui en a dans le gosier, deux guitaros dont un qui fait la toupie au moment des moulinets, d’ailleurs aussi compositeur. Ca défouraille sec, télescopant énergie rythm and blues, mélodisme pop et saveurs rock’n’roll des pionniers. Lorsqu’ils font une reprise, ça alterne entre Sonics, « Gloria » ou carrément Presley ; « Si toi aussi tu m’abandonnes », les Pogues et Violent Femmes, alors nos contemporains. Ils m’approvisionnent en spanish boots et notre conso de Dinintel devient proverbiale.

Ce sera le groupe, avec les Coronados, suivi le plus assidûment durant la décennie 80. Devenu leur guest live, Les Scurs apparaîtront derrière mes premiers titres dignes de ce nom, comme à mes concerts. Et aujourd’hui encore, pour deux d’entre eux.

Suite à un disque sur label espagnol, et après avoir figuré sur des compiles aux côté des Thugs et des Coros, ils délaissent la langue des Dogs pour celle de Ronnie Bird. Une chanson comme « Les cafards » souligne toutes leurs qualités. Paroles ironico-sarcastiques à la Dutronc/Ferrer d’héritage punk spirit, groove R&B, puissance rock’n’roll & choeurs pop... en Levis blanc svp. Leur histoire a duré plus d’une décennie, parsemée de live épiques et de premières parties fétiches, tel Thunders au Grand Parc -ils lui prêtent leur Vox, ou nos contemporains du moment, The La’s au Krakatoa (leur bassiste se pointe en der des der, et nous sommes salement touchés). Sont-ils aujourd’hui reconnus à la hauteur de leur faconde talentueuse, lorsqu’on parle de l’âge d’or des Hommes Dangereux !?

Ils n’étaient Bordelais que d’élection... espérons qu’on finisse par numérises leurs cartouches encore sur K7 au chrome, il y aura de l’inédit à publier pour les complétistes curieux du rock français... Antoine Ridel avait expédié leur première démo au label Bomp, Greg Shaw l’a remercié et trouvé le son du groupe incroyable.

Pourquoi est-ce que Bordeaux a une scène aussi passionnante depuis les années 80 ?

… disons depuis « le massacre des bébés skaï », à Mont-de-Mars(an). Et puis, même ceux qui ont manqué les festivals, écoutaient Contrôle juste après, sur la compil’ Skydog 1978.

L’underground a toujours été un anticorps hyper-vivace au conservatisme favorisé du cru. Parce qu’il y a des caves partout, pour répéter. Parce que la scène a fait corps. Mêmes Telecaster, mêmes amplis Vox, même lettrage en ST, même ciel plombé british et façades mazoutées des quais de Bordeaux-la-Noire. Même fantasmes de cityrockers vivant de leurs cris, de leurs crocs... des gloires locales & metoo demeurés -Magnetix et rares autres mis à part, mais qui n’y croirait !?

Tout s’inventait et se réinvente collectivement, sans même se le dire, ou en avoir vraiment conscience. On voulait du rock paaartout. Chacun s’imaginait en Didier Wampas montant sur les tables de « Nulle part ailleurs », passant glorieusement sur les ondes et sortant des caves enfin, pour rameuter la foule.

Parce que moult figures des sixties généreuses ont ouvert les vannes. Que les premiers activistes early 70’s n’ont jamais lâché, librairie-disquerie Bulle, bar-club Babylone, raouts Sigma légendaires... François Renou pour n’en citer qu’un : porteur de festivals jusqu’à celui de Blaye avec Willy DeVille et Les Playboys, son « Clubs & Concerts », gratuit de poche avant Paris, ses groupes à répétition dont Les Standards.

Parce qu’il y a un micro-climat pour le microcosme, qui embrasse tous les domaines : du loueur de matos 70’s trop cool jusqu’aux disquaires Total Heaven aujourd’hui, parmi les meilleurs du pays, dixit Memphis Mao. Parce que la rock-society locale multiplie les viatiques : critic même en province, tenancier de club, microlabel-manager, ingé son, record-maker, DJ Teppaz etc.

A défaut d’en vivre, sacerdoce-party, partouze du bordö bordel. Tout un maillage collectif qui ne dit pas son nom... des figures tant clandé-for-ever qu’institutionnelles devenues, qui en font leur raison d’être.

Parce que Bayon a chroniqué la fine Gamine 80’s et la douée CordeBrève du nouveau millénaire, on peut toujours y croire. « Best » et « Actuel » se sont déplacés en leur temps et Guillaume Fédou s’y est installé désormais, portant haut « Bordophonia ». Parce que les petits pavés so british...

Bordeaux destination rock avec son antre Jimmy, où on allait toutes les nuits pour sa prog’ internationale découvreuse, grâce à Francis « AllezLesFilles » Vidal toujours dans la place, et une floraison de bars-clubs depuis plus de 40 ans... jamais raréfiée ou presque. Se succédant sans qu’on y pense.

Parce que des assos à foison dont la fédératrice Bordeaux Rock, des activistes qui se rajoutent, le fanzine qui dure « Abus Dangereux », et en couleurs désormais, des lieux de répés en veux-tu en voilà, de vibrantes salles multi-décennales, banlieues comprises... et même la Fuck-School, tel que rebaptisée par JJ Burnel lors de son passage, qui vaut des points de non-académisme en open tuning... Les labels Platinum, Talitres et Vicious Circle qui perdurent. Et du renouvellement avec « Le Gospel » collectif pertinent, le graphiste-illustrateur bien nommé Freakcity et les Requins Marteaux, le tourneur international U Turn issu des TV Killers... et des groupes qui tournent, justement.

Il y a tout pour rêver sur les murs de la ville.

Tu es un des grands témoins de la scène bordelaise : comment juges-tu la scène actuelle et quels sont les groupes intéressants ?

Il y a tant de bons, dont un groupe garage par an, toujours meilleur que le précédent…et la scène se renouvelle sans cesse... j’ai essayé de lister... too much !

La formation qui m’a scotché créativement, se nomme Clara et les Chics Freaks. Leur auteur-compositeur-arrangeur, Dany Boy Garbisu était déjà au centre des Scurs, et à la manœuvre sur mon premier album. Du coup, je retrouve son cachet de l’intérieur : la formidable évolution XXL qui en fait un pur orfèvre, dont le répertoire actuel pourrait figurer à l’aise sur un album Born Bad ou Tricatel.

Et de l’extérieur, je sors époustouflé d’entendre une musique aux apparences inédites, qui cite certes des musts d’époque, from Coronados to Cramps, mais en passant par un bouquet de références transmusicales hantées, et d’influences hautes en esthétisme pop.

Il y a un bandcamp pour apprécier ce répertoire, porté par une chanteuse idoine, vue entourée d’épées en première partie de Jon Spencer.

Tu as publié une biographie sur Camera Silens, pourquoi avoir fait un livre sur ce groupe ?

Parce qu’ils me l’ont demandé. Parce que Gilles était des nôtres, et que c’était faire partie de son présent... Je me suis dit, cela nous profitera, et l’on sera un peu plus liés après... Je vais pouvoir le vanner, comme chez leur manager, le soir de sa signature bordelaise. Et puisqu’il va vivre en famille, j’aurai un pote à aller voir en Espagne. Ce genre de pensées amicales, très humaines... concernant celui qui a porté la fantomisation à son comble, évidemment.

L’avoir mieux connu depuis son retour, approché au milieu des siens et avoir pu échanger autant, me l’ont fait ô combien apprécier. Il créait des liens autour de lui, vraiment... ce n’est pas une image. Je l’imaginais nous représenter, publiquement, ici et là. En interview dans « Quotidien » le soir venu, comme un Guillaume Depardieu punk...

Quel est ton sentiment sur la vie de Gilles Bertin ?

Ce qui me travaille le plus aujourd’hui, c’est la tristesse de la fin. Au moment où absolument tout était effectivement entrouvert, et où il pouvait légitimement penser à sa nouvelle vie... enfin. Après avoir risqué 10 ans de taule, eu l’énergie pour écrire haut la main, et en auteur véritable, son histoire terminale puis en faire la promo -ce qui pourtant ne le fascinait guère, participer activement à la bio Camera (qui n’aurait jamais existé autrement), et d’à peine récupérer ses papiers d’identité... quelques jours seulement avant son coma... tout s’est éteint. 

Couverture de la biographie de Camera Silens
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Quels sont tes projets musicaux et littéraires ?

« Couleur couloir », « Personne ne pardonne »... et de nouveaux titres à enregistrer avec notre Unlimited Combo. D’autres avec Le Club, dont je suis l’invité permanent depuis un lustre. Un quatrième récit, « Roll ! Roll ! Roll ! », à paraître au printemps prochain. Et chez Rocka Rolla, le 33 tours inédit de La Poupée Barbue... quand les fabricants de vinyle le permettront.

Le top de tes compos avec des musiciens bordelais :

  • Top 70’s : Daniel « Rotten Roll » Marrouat
  • Top 80’s : Xavier « Les Scurs » Barea
  • Top 90’s : Adamczyk « RWA » psychologue
  • Dany « Chic Freak » Boy 
  • Top of the pops since 1999 : Lys Reygor

Top 00’s :

  • Lost Telecaster in Berlin : OD from TV Killers/The Jakes
  • Arnault « Wonky Monkees » Arpajou + Pascal « Hurly Burlies » Babin
  • Never ending drummer : Boubou « Strychnine/Standards/Gamine, etc » Maldoror
  • Lichen « Shunatao » Boy + Victor « Sentimentals » Marco
  • Lost Telecaster in Saragosse : Eric Placton/d.o.l.l.a.r.s/El Brindador

Top 10’s/20’s :

  • Thomas « CordeBrève » Sinier + Olivier « Sheer Aches » Dunet + Steph XL
  • Benoit « Carabine » Lambin
  • David « Kid Bombardos » Loridan
  • Jean-Robert « Il Fulgurante » Alcindor
  • Cutz from Le Club & Gilbert « Dépression » Ringenbach
  • Top culte : JFG with Nico « Dèche Dans Face » Pludwinski

Le mot de la fin : 

… pas trouvé mieux depuis cette idée de stèle : Fier de ne rien faire (enfin).

https://patrickscarzello.bandcamp.com/
http://patrick.scarzello.free.fr/
https://www.youtube.com/user/desethers