Jean-Emmanuel Deluxe : Une histoire de la French New Wave

jeudi 9 septembre 2021, par Franco Onweb

C’était une autre époque : Valéry Giscard d’Estaing était Président de la République, les Halles l’endroit le plus branché de France, il y avait trois chaînes de télévision et trois radios… C’étaient la fin des années 70 et après la tornade punk, une nouvelle révolution se préparait : la New Wave !

Entre 1978 et le milieu des années 80, une nouvelle scène, et pas seulement musicale, est apparue ! Une scène où quelques personnalités comme Étienne Daho, Indochine ou encore Taxi Girl allaient tirer leurs épingles du jeu.

Jean Emmanuel Deluxe, auteur de plusieurs livres sur la pop en France, a voulu retracer l’histoire de cette scène en rencontrant des anciens et en retraçant les parcours artistique de ces gens qui ont changé, en partie, la vie culturelle de notre hexagone. Car beaucoup de ce que nous lisons, écoutons ou voyons doit beaucoup à la jeunesse des acteurs des années New Wave. Cela donne un livre passionnant, et documenté, sur une époque pas si lointaine. Aujourd’hui certains groupes ou artistes de cette scène sont célébrés dans le monde. J’ai longuement discuté avec Jean-Emmanuel pour mieux comprendre l’importance de cette histoire. 

Pourquoi ce livre ?

Simplement parce que je m’intéresse à pleins de sujets musicaux, pas seulement des sixties, même si cela fait partie de ma culture. C’est un sujet que j’avais envie de traiter. Avec mon éditrice, on en a parlé et elle était intéressée par le sujet en se disant qu’il y avait quelque chose d’original à faire sur le sujet qui n’avait encore pas été fait. Je pense également que c’est une période charnière pleine de créativité et de modernité dont on devrait s’inspirer pour sortir d’une certaine morosité ambiante de 2021.

Jean Emmanuel Deluxe
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Comment tu définirais la New Wave Française ?

C’était compliqué ! La New wave ce n’était pas que de la musique. Comme son nom l’indique, c’était une nouvelle vague, comme le chantait Starshooter. C’était une nouvelle génération avec des gens comme Daho, Lio, Daniel Darc ou Indochine qui sont arrivés à faire des choses importantes mais à la base tout le monde était parti ensemble. Je voulais parler de cette génération qui a créé des choses. Il y a de la musique, qui est importante, mais c’est aussi, et surtout, des aventures humaines.

Dans ton livre, tu indiques qu’il y a eu aussi de la bande dessinée, de la littérature, du cinéma… Ce n’a pas été que de la musique cette histoire ?

C’est un phénomène sociologique avec en BD, Métal Hurlant ou dans Rock’n Folk avec des gens comme Serge Clerc, Denis Sire… Une génération de dessinateurs qui avaient une culture rock et qui reprenaient, avec la Ligne Claire, des éléments du passé après des années hippies, avec une distance et une ironie qui correspond bien à ça. Il y a la mode, des lieux… C’était très visuel, très esthétique. C’est la première génération, avec des gens comme Elli et Jacno, qui a commencé à chiner des vêtements et retrouver des fringues des années 60 que l’on avait rejeté pour les recycler. C’est déjà une époque de recyclage et ça c’est intéressant. Ca correspond bien à ce qu’on a vu avec ce qu’on appelle aujourd’hui, le Post-Modernisme, pour se rendre compte qu’on est arrivé au bout d’un cycle et qu’il fallait se retourner et réadapter le passé. Il y aussi le côté littérature avec des gens comme Yves Adrien qui a pas mal conceptualisé les choses dans Novovision.

Mais ces gens venaient du punk et c’est ce mouvement qui les a décoincé.

Tout à fait, ça vient du punk ! Mais ils sont passés à autre chose parce que à force de dire qu’il n’y a pas de futur, soit on arrête, soit on passe à autre chose. C’est un peu des années zéros où on reconstruit.

C’est qui pour toi les grandes figures de cette French New Waves que tu fais arrêter en 1988.

En 1988, c’est vraiment la fin, il fallait trouver une date. C’est le moment où certains sont restés dans l’underground, d’autres comme Daho on commençait à faire une pop plus produite et d’autres ont arrêté. La fin des années 80, c’est vraiment le tournant. Pour en revenir à ta question pour les grandes figures j’aime bien, Claude Arto et Edwige qui étaient le groupe Mathématique Moderne. Jérôme Braque, un personnage moins connu mais qui a fait des choses intéressantes. C’était le côté mondain de la New Wave. J’aime aussi beaucoup Lio et Daniel Darc. Je voulais aussi réhabiliter Indochine, un groupe dont on s’est moqué mais qui a permis à ce que des gamins dans des collèges découvrent autre chose. Ils méritent une réhabilitation, au moins critique.

Il y a eu une scène parisienne avec Suicide Roméo ou Modern Guy qui avaient beaucoup de talents mais qui sont restés coincé dans Paris et on a l’impression qu’ils ont été sacrifiés ?

Je parle de la province où il s’est passé des choses entre Rennes, Rouen ou le nord de la France mais c’était une autre époque. Maintenant ça a changé : Paris n’est plus le centre de la France pour les raisons que l’on connait tous, comme les loyers trop chers, mais à l’époque Paris était abordable et monter Paris c’était aller à l’endroit où cela se passait. On était pas encore à l’ère de l’information. Le sens Paris - Province avait encore une signification. Même s’ il y avait des choses en province comme Marquis de Sade ou le label Sordide Sentimentale, mais c’était des exceptions. Pour avoir accès à certains disques il fallait aller à Paris ou à Londres.

Mais il s’est passé beaucoup de choses à Rennes ou Rouen ?

Rennes a été très importante. Les gens de Paris venaient à Rennes et la ville a réussi à créer une vraie scène avec Daho, Niagara ou Marquis de Sade mais ces villes restent des exceptions.

Tu as aussi interviewé, et c’est rare quand on parle de cette scène des représentantes comme Mona Soyoc ou Pascale Leberre, parce que c’était une scène très masculine ?

Je tenais à rendre hommage à ces filles. C’était encore un peu macho à l’époque et c’était intéressant d’avoir l’avis de Pascale Leberre, de Lio ou de Djemila qui était plus dans le monde de la nuit, pour voir comment elles avaient vécu les choses. Il fallait ouvrir à des femmes qui ont fait partie de l’histoire et comprendre comment elles avaient vécu les choses.

C’est aussi l’explosion des labels indépendants qui avaient commencé pour la plupart avec le punk ?

C’est vrai ! J’ai parlé de Sordide Sentimental à Rouen mais il y aussi Ze Records, Dorian, New Rose, Celluloïd … C’est aussi lié à l’arrivée des radios libres parce qu’avant il n’y avait que trois radios périphériques et on ne pouvait découvrir la musique qu’en radio. L’explosion de la bande FM a favorisé l’arrivée de ces labels qui trouvaient enfin des ondes pour les passer.

C’est quoi la limite entre la New Wave et le Rock ?

C’est compliqué. On sort des limites du rock. On part sur quelque chose de plus cérébral et intellectuel. On fait du rock comme Elvis Costello et de l’electro pop comme Young Marble Giants qu’écoutaient beaucoup Alain Bashung ou Boris Bergman. C’est une autre façon de faire de la musique, peut-être plus prétentieuse mais qui sort des clichés rock.

A l’époque cette scène a été largement critiquée et sous-estimée en disant qu’on ne ferait jamais mieux que les Anglos saxons. Pourtant cette scène serait aujourd’hui réhabilitée aux USA et en Angleterre ?

C’est vrai ! Par exemple Martin Dupont, qui était de Marseille, a été réédité aux USA tout comme les très obscurs Trop tard sorti sur le très branché label Sacred Bones. Comme d’habitude il aura fallu que les américains s’y intéressent pour que l’on en parle. En France on a toujours du mal avec le patrimoine et il aura fallu cet intérêt étrangers pour que l’on dépasse les trois-quatre mêmes groupes et que l’on se dise : « c’était pas si mal ! ». Les Français ont peut-être un complexe d’infériorité !

Mais ce n’est pas plutôt cette critique facile comme quoi tout ce qui est Français est mauvais ?

Si bien sûr, moi par exemple, j’habite à Rouen et si tu viens de Rouen et que tu fais des choses dans ta propre ville tu es souvent mal vu. On te prend pas au sérieux parce que tu es le gars du coin qu’on voit tous les jours. En France, c’est ça : si tu es le gars du coin on n’a trop envie de te soutenir. Il y a ici ce côté républicain d’égalité à condition que personne ne fasse rien et qu’aucune tête ne sorte. Tout de suite, il y a une jalousie et une critique facile. On n’est pas très bienveillant en France et je l’ai vécu à Rouen. Si tu prends le cas de Sordide Sentimental à Rouen, qui est un super label, il n’a jamais eu la moindre reconnaissance de la ville, même s’ il n’en voulait pas. On trouve ça douteux quand les autres font des choses. Cela crée de la jalousie. J’espère que cela s’arrangera avec les jeunes générations mais c’est long parce que le poids des institutions, dont les médias, est encore très lourd. Ces artistes, en tout cas, ont été un peu sacrifiés.

Tu ne penses pas qu’avec les nouvelles techniques de communication, où l’on peut tout écouter un peu partout dans le monde, on s’aperçoit que cette scène a été sous-estimée à tort et que ces musiciens savaient jouer et composer ?

Oui, à l’époque c’était dur. J’en ai parlé avec Bob Stanley de Saint Étienne qui est un grand francophone en matière musicale. Il a enregistré avec Daho par exemple. Il t’explique dit que lorsqu’on arrivait en France on entendait Daniel Balavoine ou Johnny Hallyday à la radio et franchement ça ne faisait pas envie. Quand ils entendaient ça, les anglais éclataient de rire ! C’est la phrase de John Lennon : « le rock français, c’est comme le vin anglais ». Il a fallu attendre internet et le développement de la communication pour s’apercevoir que la musique Française ce n’était pas que ça et qu’il y avait pleins de choses.

Si quelqu’un veut découvrir cette scène : tu conseillerais quoi ?

La compilation des « Jeunes gens modernes », c’est pas mal. « Novovision » de Yves Adrien est bien aussi, il concentre plein de choses. Il va assez loin avec une vraie vision des choses. C’est plus qu’un rock critique, c’est un vrai auteur. Il faut aussi écouter la compilation « Frenchy But Chic » » qui est sorti il y a pas mal de temps mais qui doit être encore trouvable et Mathématique Moderne ou encore Modern Guy. Il y a des gens atypiques comme Ramuncho Matta ou Lizzy Mercier Descloux qui ont vraiment fait un travail incroyable, très loin de l’idée que l’on se fait d’une copie de la new wave anglaise. Des gens qui annonçaient la musique du monde. Un vrai travail intéressant ! A la fin du livre, il y a une discographie non exhaustive qui peut aider.

Mais tu ne penses pas que c’est la première génération qui a fonctionné justement parce qu’elle rejetait toute la culture française comme Édith Piaf ?

C’était leur arrogance et ils l’ont payé très cher ! C’était une manière de protection de gens qui se sentaient attaqués. Ils voulaient juste combattre la pression extérieure par cette arrogance.

Tu as fait comment pour écrire ce livre : tu as rencontré tous les anciens de cette scène ?

J’ai rencontré ceux qui étaient encore en vie et qui ont accepté de me parler. Je n’ai pas rencontré que des gens de la musique, par exemple Djemila ou Jean Pierre Dionnet. J’ai essayé de tracer large. Comme je suis journaliste, j’ai fait une liste et je suis allé les rencontrer.

Il sort chez qui ton livre ?

Fantask, c’est Dargaud qui a cette collection du même nom de la revue. C’est là qu’étaient sortis « les Filles de la pop » et « Tricatel Universalis » (deux de ses précédents livres, ndlr). Je suis ravi d’être dedans, parce qu’ils ont sorti pas mal de choses.

C’est une scène qui a eu un problème de drogue ?

Oui, j’en parle, c’est quelque chose qui a été très présent. C’est une génération qui n’a pas vu les vrais dangers de ce truc et qui a été décimée soit à l’époque, soit par la suite que ce soit Daniel Darc, Jacno ou Fred Chichin qui sont morts à cause des contrecoups de la drogue.

C’est quoi tes projets ?

Sortir un EP avec des morceaux rares et anciens des gens qui sont dans le livre. Je travaille sur un projet de revues et de disques sur mon label Martyr Of Pop. J’ai aussi des projets pour janvier sur internet avec une sorte de Web Télé. J’essaye aussi de travailler sur un festival à Rouen en essayant d’intéresser les autorités locales.

Le mot de la fin ?

Soyez curieux et surtout n’hésitez pas à être arrogant pour arriver à faire des choses, un peu comme les groupes anglais. Si on veut s’imposer ou faire son trou, il ne faut pas hésiter à être arrogant. Je trouve que parfois ça manque de virulence ! Si vous n’aimez pas ce que font les autres, imposez-vous plutôt que de vouloir les supprimer quitte à être arrogant. C’est la leçon à retenir de cette époque 

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