Long Chris : Chansons bizarres pour gens étranges - 1re partie

dimanche 28 octobre 2018, par Franco Onweb

C’est l’histoire d’un passionné de musique américaine entre 1930 et 1960.

C’est l’histoire d’un fan de musique qui en 1966 a enregistré un album qui est resté dans les anales de la musique d’ici ; « Chansons bizarres pour gens étranges » .

C’est l’histoire d’un amoureux des mots qui a écrit quelques uns des plus beaux textes pour Johnny Hallyday, son ami.

C’est l’histoire de quelqu’un qui a su se réinventer plusieurs fois pour mener plusieurs vies : chanteur, auteur compositeur et antiquaire.

C’est l’histoire d’un artiste qui enregistré en 2016 et 2018 deux albums épatants dans la lignée de son album de 1966.

Cette personne c’est Christian Blondieau alias Long Chris, un personnage incroyable qui vient de sortir, avec la complicité du musicien-producteur Grégoire Garrigues, un album pleins de mots, de paroles et de musiques sur lequel je vous conseille de vous précipiter. Mais au-delà du disque, il y a un homme avec une vie faite de pleins d’expériences incroyables qu’il a accepté de me raconter 

Quand sort en 1966 le premier volume de « Chansons bizarres pour gens étranges », quel était votre état d’esprit ?

Je suis rentré dans le show-business sans penser que cela pouvait me faire un métier. J’étais un fan, un jeune fan qui aimait surtout la musique américaine entre 1930 et 1960. J’ai eu l’opportunité grâce à Johnny Hallyday de rentrer dans une maison de disque et de faire des disques. On nous imposait certains morceaux dont la maison de disques possédait les droits d’éditions, et elle faisait travailler des auteurs « maison ». J’ai eu beaucoup de mal à chanter en français des morceaux que je n’aimais pas. Un jour, je me suis dit que ce serait mieux d’écrire mes propres textes. J’ai commencé alors à écrire des musiques, même si je ne suis pas musicien, avec les trois accords de guitare que je connaissais. Mais surtout, j’ai écrit des paroles, mes paroles… C’est l’époque où est arrivé Dylan et j’ai eu ma période de « Folk Songs ». Quand je me suis aperçu qu’il faisait lui–même ses propres chansons, j’ai été étonné que sur une musique aussi rapide que le rock qui n’a pas besoin de textes élaborés, que quelqu’un puisse écrire des textes littéraires : c’était formidable ! J’ai donc abandonné le rock en français, que je faisais mal, pour me concentrer sur mes textes. Les gens écoutaient Long Chris qui faisait des chansons à textes en français sur des disques, et ensuite ils allaient voir Long Chris qui faisait du rock en anglais sur scène et ça ne collait pas.

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(Long Chris en 1966 - Photo Tony Franck) 

Vous pensez qu’il n’y pas vraiment de textes sur le rock ?

Si bien sûr, Chuck Berry en a fait le premier par exemple.

Mais vos textes en 1966 sont très originaux et revendicatifs ! Par exemple, vous allez chanter « Haschich », un texte que l’on peut rapprocher des poètes de la Beat Generation comme Ginsberg ? Il y a aussi ce texte où vous racontez votre première interview et où le journaliste vous demande la couleur de vos chaussettes et le nombre de métiers que vous avez faits ?

C’est une adaptation de Donovan (Goldwatch Blues Ndlr) que j’aime beaucoup…

Mais c’était un disque très novateur pour son époque avec plein de guitares acoustiques, de claviers et ces textes très revendicatifs. On peut penser que ce disque est prémonitoire de ce qui va se passer deux ans plus tard, en 1968 ?

Surtout que j’ai réussi à l’époque à faire chanter des textes de revendication à Johnny Hallyday ! Le titre de l’album « Chansons bizarres pour gens étranges » vient de lui. Johnny aimait beaucoup mes chansons et quand il les a écoutées la première fois, il m’a demandé : « tu pourrais m’écrire des chansons bizarres » (rires.) Cela vient vraiment de lui le titre de l’album (rires.)

 

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(Johnny Hallyday et Long Chris en 1968 - Photo Georges Chatelain)

Ça vient vraiment de lui ?

Oui, quand il a lu « Le jour de ma naissance un scarabée est mort », il était conquis. Il écoutait les Rolling Stones à l’époque et moi beaucoup plus Dylan. C’était l’époque du haschich en plus… Je découvrais les auteurs surréalistes que lui ne connaissait pas du tout. C’est la première fois qu’il y avait un mouvement culturel dans le rock, dans la musique de jeunes, qui revendiquait quelque chose. On pouvait enfin écrire ses propres chansons !

C’était vraiment un mouvement ?

Oui, totalement. Je me rappelle qu’avec Johnny nous étions en tournée en province, à l’Hôtel de France, on n’avait pas encore droit aux grands hôtels à l’époque. Il est venu dans ma chambre avec une bouteille de vin et un enregistreur Philips comme nous avions tous à ce moment-là. Il s’est assis sur mon lit et il m’a dit : « je veux que tu me fasses un texte pour nous, sur notre vie de jeunes, avec le conflit, les parents. Mes paroliers – qui avaient 25/30 ans à l’époque (rires) – ne nous comprennent pas ». Il avait de très bons paroliers, mais il voulait un truc qui racontait notre vie. Il m’a expliqué, assis sur le lit, le nombre de pieds qu’il voulait (rires), on aurait dû filmer la scène (rires.) Il avait fait une musique, et c’est comme ça qu’on a écrit « La génération perdue », avec « Je suis né dans la rue » c’étaient des chansons autobiographiques. À un moment je lui amené mes textes insolites presque surréalistes.

Comment avez vous découvert toute cette littérature : Lautréamont, la Beat Generation ou les surréalistes ? On a l’impression à cette époque, en 1965/1966, que la plupart des jeunes étaient beatniks et se promenaient avec un exemplaire de « Sur la route » de Kerouac dans la poche ?

Non, c’était assez rare en fait ce type de personne. Moi je pense que l’on m’identifiait beaucoup à ce mouvement : j’ai chanté à la terrasse des cafés par exemple. Quand les folks singers sont apparus, je me suis vraiment identifié à eux. À la Contrescarpe, quand je chantais assis sur un tabouret, j’ai alors connu des musiciens dont plusieurs Américains qui jouaient de la guitare 12 cordes ou du banjo, et une fille qui chantait comme Joan Baez. On a donc monté un groupe de beatniks composé de Georges Chatelain et Martine Habib. C’était la mode, mais j’étais bien dans la mode, ça me plaisait vraiment !

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(De gauche à droite Georges Chatelain, Martine Habib et Long Chris en 1966 - Droit réservé)

Vous étiez assis sur les marches à Montmartre avec les autres beatniks ?

Oui bien sûr ! On a pris la route aussi, mais pour aller à Genève ou à Bruxelles (rires.) On n’allait pas très loin ! On faisait la manche, les autres, les musiciens, me disaient de passer le chapeau, mais moi je n’osais pas (rires), je n’y arrivais pas. On dormait dans les chambres de bonnes. Vous imaginez : six mecs ensemble dans une chambre à Bruxelles, et avec les guitares en plus. C’était formidable. Il y avait une créativité incroyable parce que les beatniks, les vrais, avaient fait deux ou trois fois le tour du monde : ils apportaient de nouvelles chansons, de nouveaux rythmes et ça aussi c’était formidable.

Vous écoutiez quoi à l’époque ?

Joan Baez qui était très importante à l’époque et il y avait surtout Bert Jansch, un folk singer écossais, qui a fondé ensuite « Pentangle », un groupe formidable. J’ai encore tous les disques de cette époque. J’étais vraiment heureux en tant que français d’être accepté par ces gens. Et après, seulement, il y a eu les hippies. Mais là je n’étais pas du tout dans le truc (rires.)

Quand vous sortez ce disque en 1966, comment est-il reçu ?

C’est celui que j’ai le mieux vendu ! Je me rappelle quand je suis allé à Europe 1 avec mon disque, la programmatrice a aimé « Plan de fugue » et « Haschich ». On avait droit à deux chansons à l’époque. « Haschich », c’était de la provocation : on voulait se faire interdire ! Eh bien c’est passé comme une lettre à la poste, chanson très morale (énorme rire !) Quand je suis allé dans le bureau de la programmatrice, il y avait Pierre Vassiliu avec moi. Il a écouté et il m’a dit : « c’est bien, il a envie de bosser le père Chris ». Je l’ai regardé avec des yeux ronds ! Je ne voulais pas bosser, moi !

https://www.youtube.com/watch?v=KQJsFpaIhrM

Mais c’est un disque avec des textes très libres pour l’époque ?

Il fallait essayer un truc, il y avait une brisure dans le pays il fallait en profiter.

Et donc, il a marché ?

Oui, j’en ai vendu plus de 5 000 ! Ce qui n’était pas mal pour un disque pareil. Il a été réédité en 2016 par « Rock Paradise » (label de rock Parisien Ndlr ) et on en a vendu tout de suite 500.

Mais quel était le statut de cette galette pendant toutes ces années ?

Grégoire Garrigues (producteur et compositeur actuel de Long Chris, présent à l’interview Ndlr ) : Je connaissais des morceaux, mais je ne savais pas qu’il y avait un disque entier.

Sur le disque de 1966, il y a une traduction de Dylan. Il était connu à l’époque ?

Oh oui, bien sûr ! Quand on était folk singer, on chantait des morceaux comme « Blowin’ in the wind ». Je pouvais chanter jusqu’à 15 morceaux de Dylan. Il était vraiment partout.

Mais vous l’avez découvert comment ?

Je ne sais plus trop… dans les boites ou par des copains. Son premier disque n’avait pas marché et son deuxième disque « Freewheelin’ » a été un grand succès : tout le monde l’achetait. On l’entendait partout : à la radio, dans les boites de nuit… On se laissait porter parce que c’était beau tout simplement. Comme je lisais beaucoup Kerouac et la Beat Generation, tout son univers me parlait.

Vous deviez être un fan de Woody Guthrie ?

Bien sûr, si on aime Dylan on l’aime. Il suffisait de remonter la pelote : Dylan en parlait, aussitôt je m’y suis intéressé. Je suis allé à la librairie américaine, près de l’Opéra, acheter une revue qui s’appelait « Sing Out », où il y avait toutes les paroles et les partitions de Woody Guthrie et de bien d’autres dont Robert Johnson (le bluesman Ndlr ) une des inspirations de Bob Dylan que j’ai acheté aussi.

Vous avez arrêté la musique après ce disque ?

Oui, j’étais lassé du show-business. Je n’étais pas « un copain » comme Cloclo mais en revanche j’avais surtout la chance d’être un grand copain de Johnny Hallyday qui m’a donné le grand privilège d’écrire des chansons pour lui. Mais bon, je ne me sentais pas à ma place. Le disque a plu, mais pas suffisamment pour faire carrière. Là, on vient de sortir deux très bons disques avec Grégoire. Si on l’avait fait il y trente ou quarante ans, peut-être que j’aurais continué ma carrière, mais cela ne s’est pas fait.

En 1969, vous avez écrit un texte pour Johnny largement inspiré de « Maldoror » de Lautréamont : « Voyage aux pays des vivants » ?

Exactement ! Et c’est grâce à ce texte notamment que j’ai rencontré Grégoire en juin 2011. J’étais aux « Pierres qui roulent », je venais de chanter et j’étais à table avec Vic Laurens (Chanteur des Vautours jusqu’en 1963 Ndlr ) et Grégoire est venu me voir en me demandant si j’étais le Long Chris qui avait écrit « Voyage aux pays des vivants ». Il m’a expliqué qu’il était fan de ce titre depuis ses treize ans.

GG - C’est vrai ! Je ne connaissais pas Lautréamont à 13 ans, mais cette première phrase, « le jour de ma naissance un scarabée est mort depuis je le porte autour de mon cou », ça te marque. Après, j’ai demandé à Chris s’il lui restait des textes de cette époque, celle du surréalisme et du psychédélisme de Johnny en 1969.

LC - Il m’en restait, on a fait une chanson : « Je rentre ». J’ai vu que ça collait parfaitement entre nous deux, et je lui ai dit que s’il avait d’autres musiques et bien on pouvait continuer. J’avais des textes et je sentais qu’il se passait quelque chose de vraiment positif. Pour en revenir à Lautréamont, c’est quand Johnny a sorti son disque sur « Hamlet », qui a été un bide complet, et alors qu’il en préparait la maquette, je me suis dit qu’à partir de là on allait pouvoir faire des textes. Après « Hamlet », on pouvait tout se permettre. J’avais déjà préparé des textes sur Lautréamont parce que c’est une bible. On peut en tirer des centaines de chansons. Comme Johnny s’était planté avec Hamlet, j’ai gardé mes textes dans un tiroir et puis, quand Grégoire est arrivé, j’ai ressorti mes textes pour essayer de voir ce que cela donnait aujourd’hui.

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(Long Chris à l’Olympia en 1966 - Droit réservé)

Pendant toutes les années où vous étiez antiquaire, vous continuiez à écouter de la musique ?

Très peu, j’avais plus le truc. Je n’écoutais plus que de la country, presque en musique de fond je pourrais dire. J’avais tous les disques des débuts du rock comme Jerry Lee Lewis ou Fats Domino, mais je ne les écoutais plus du tout… J’étais isolé dans ce milieu des antiquaires. Ils n’écoutent pas de musique ces gens-là (rires.) Quand certains venaient diner à la maison, je mettais « Les concertos brandebourgeois », et c’était tout. Mais j’avais d’autres satisfactions avec eux, et surtout avec les objets que j’ai passionnément aimés ! J’ai aimé, mais alors aimé l’objet.

C’est revenu comment ?

En 2007, quand ma fille a eu un compagnon qui s’appelait Laurent et qui était guitariste. Il y avait Patrick Mahé aussi. On s’était donné rendez-vous au « Petit Journal Montparnasse », et quand on est arrivé là-bas, j’ai rencontré Marc Bozonnet, un immense guitariste, qui me dit que Vic Laurens est là. Je le connaissais à peine. Marc me le présente et aussitôt il monte sur scène et il annonce « Long Chris va vous chanter une chanson » (Rires.) Me voilà sur scène et j’ai reçu un merveilleux accueil, les gens ont applaudi et je leur ai dit : « je vais remonter un orchestre et revenir ! » Et deux mois plus tard je faisais « le Petit Journal » à mon tour.

Vous chantiez quoi ?

De vieux Presley, et pendant cinq ans j’ai fait ça : du vieux rock, du Gene Vincent, de l’Elvis et ça marchait très bien. Bon, j’en ai eu un peu marre de chanter la même chose au bout de cinq ans. Heureusement j’ai rencontré Grégoire avec qui ça a « matché », et que j’ai pu reprendre la création.

Vous connaissiez son travail avant ?

La première fois que je l’ai vu sur scène, c’était à l’anniversaire de Jacques Barsamian (journaliste et écrivain sur le rock Ndlr) à la Bastille. Grégoire jouait et j’avais remarqué que c’était le seul qui avait une tenue de scène élégante. Dans le rock moderne, on monte sur scène comme on est dans la vie, et franchement c’est une erreur. Il faut savoir offrir à son public autre chose. C’était la deuxième fois que l’on se voyait et j’ai été conquis. J’en suis ravi parce que ce que l’on a fait ensemble c’est vraiment très bien, j’en suis très fier…

https://www.youtube.com/watch?v=KEIzZi5Q1o8

Tout de suite, vous partez sur le volume 2 de « Chansons bizarres pour gens étranges ». Pourquoi reprendre ce titre ?

Parce que c’est ce dont les gens se souvenaient ! Je chante pour les initiés, moi. Pour vous résumer mon état d’esprit du moment : un journaliste m’a posé la question « Long Chris, vous devez savoir très bien danser le rock ? ». Je lui ai répondu : « le rock ça s’écoute et ça ne se danse pas ! » (Rires.) Là je suis tellement heureux des critiques de notre disque, parce que les journalistes disent qu’ils écoutent mes chansons au calme. On me dit que l’on s’assoit dans son canapé avec un verre pour écouter mes chansons, et pour moi c’est une vraie réussite !

C’est un disque où il y a des mots, vraiment des mots. Vous êtes un parolier. Est-ce que les textes sont venus avant ou après la musique ?

GG - La musique est venue après les textes.

LC - J’ai ressorti des vieux trucs ou certains me sont venus dans la matinée. (Il réfléchit) Pour mes textes, j’ai l’angoisse de la page blanche… J’utilise beaucoup de vécu, je lis beaucoup, j’écoute beaucoup ce qu’il se passe autour de moi. J’ai toujours une oreille qui traine. Au restaurant, par exemple, si j’entends une réflexion qui me plait parce qu’elle est drôle ou pertinente, je la garde et j’écris.

Vous vous référez souvent au surréalisme : ils avaient deux méthodes d’écriture : l’écriture automatique et le cadavre exquis. Vous avez fait les deux ?

Je suis un grand amateur du cadavre exquis que je faisais à Saint-Tropez avec Brigitte Bardot en 1963 (énorme rire.) En ce qui concerne l’écriture automatique, c’est un peu différent. Là, j’écris des nouvelles fantastiques. Eh bien j’écris comme on parle. Pas plus, pas moins…

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(Long Chris en 1964 - Droit réservé)

À la lecture de vos textes, on voit très bien l’influence de Lautréamont, mais aussi Prévert ?

Ça remonte à très loin cet amour de Prévert. J’avais seize ou dix-sept ans quand je l’ai découvert. Je le lisais dans le métro en allant à mon apprentissage de bijoutier-diamantaire.

C’est paradoxal, avec votre statut de chanteur de rock’n’roll, que le grand public vous accorde alors que vous êtes un parolier, un vrai 

Je le suis devenu au fil du temps. J’ai fréquenté des bandes de copains autour de Johnny où il y avait des gens comme Carlos qui était un spécialiste de la contrepèterie. À table, les bons mots volaient de partout. Chez les antiquaires, ensuite, j’ai toujours appartenu à la bande de ceux qui faisaient des bons mots, ou pareils, des contrepèteries. J’adore les bons mots, j’en note tout le temps, dès que j’en entends. J’ai plein de papiers sur ma table où je note ces bons mots… La richesse, elle est là : fréquenter des gens lettrés avec lesquels on peut correspondre.

Long Chris : « Chansons bizarres pour gens étranges » Vol 2 

          « Chansons bizarres » Vol 3 

          http://www.milano-records.com/long-chris.html

Retrouvez la suite : Long Chris : Chansons bizarres pour gens étranges - 2e partie