Rencontre avec Bruno Blum - 2e partie

mardi 13 février 2018, par Franco Onweb

Cet article est la suite de : Rencontre avec Bruno Blum - 1re partie

Deuxième partie de ma rencontre avec Bruno Blum ! Toujours aussi passionnant, le musicien- auteur- compositeur- écrivain – biographe et pleins d’autres casquettes à son actif, nous dévoile son engagement pour la cause végane, de son diplôme de musicologie et de son accueil dans l’université Française.

Un personnage toujours aussi épatant à (re) découvrir !

Je voudrais que l’on parle maintenant du véganisme : tu es végane, tu as écrit un livre dessus [De viandard à végane NDR]. Comment es-tu devenu végane et quelle est ta définition du véganisme ?

J’ai une position éthique assez lucide sur le sujet et tout le monde n’a pas envie de l’entendre parce que ça dérange les habitudes. Mais le génocide animal, le génocide marin, le massacre massif et quotidien des animaux d’élevage est insupportable, cruel, stupide et inutile. Pour moi la grande cause sociale du 21e siècle, qui doit conditionner toutes les décisions politiques et économiques aujourd’hui, c’est le rapport que l’homme doit maintenant avoir avec les animaux. Ce devrait être la base de l’écologie et du respect de soi-même. Et ça je l’ai appris de musiciens végétariens et véganes que j’ai rencontrés : les Pretenders, Joe Strummer, Peter Tosh, Bob Marley, Lenny Kravitz, Paul McCartney, Charlie Watts, Prince Michael Jackson… bon Jackson je ne l’ai pas connu ! Mais il y en a plein d’autres. Plein. La France est un pays en retard, c’est tout. Au 20e siècle c’étaient les rapports entre l’homme et la femme avec le début de la lutte féministe, la libération des Noirs, des homos, l’abolition de la peine de mort… la jeunesse est de plus en plus sensible à cette question, et les femmes en particulier. Elles ont raison.

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(Couverture du livre « De viandard à végane » - Mamaeditions – Droit réservé)

L’écologie est en réalité une nouvelle prise de conscience de la place de l’humain dans son environnement. Quand Copernic a prouvé que c’était la terre qui tournait autour du soleil au quinzième siècle, et pas le contraire, il a montré que l’homme n’était pas le centre du monde et que donc à ce titre il n’est qu’un élément interdépendant des autres. On ne descend pas du singe, on est des singes parmi les singes, et si on continue à traiter les animaux comme on les traite aujourd’hui, sans aucun respect, ils vont complètement disparaître et nous allons disparaitre nous aussi puisque nous sommes des animaux comme eux. Nous ne sommes pas la race supérieure autoproclamée. C’est du spécisme. Un écureuil ou un cochon a autant le droit de vivre que toi et moi. Pour moi cela doit conditionner toutes nos décisions. C’est pour ça que je me suis présenté aux élections législatives en juin 2017 avec le parti Animaliste à Paris. C’est une cause juste, essentielle, c’est la mise à jour de l’humanisme. Il y a trois millions d’animaux qui sont massacrés dans les abattoirs chaque jour en France : c’est abject. On n’a pas besoin de ça, on n’a pas besoin de cuir, de fourrure, de tests sur les animaux, de chair animale, de laitages, c’est monstrueux. L’élevage doit évoluer vers la culture des plantes et les produits véganes qui existent déjà sont fabuleux, des simili-carnés aux chocolats sans violence, les Allemands et les Anglais ont déjà pris le marché avec d’excellents produits, la France est très très en retard ! Mais qu’est-ce que vous foutez !

Trois millions ?

Trois millions par jour rien qu’en France, sans compter les animaux qui vivent dans l’eau, au moins le triple ! L’association L214 a montré des films terribles sur les abattoirs. En plus avec les inséminations artificielles on les oblige à se reproduire pour nous nourrir ! Quand on sait tout ça on comprend la vague végane qui déferle sur le monde. En France, ça va à toute vitesse… en plus c’est un problème de santé publique : c’est très mauvais pour notre corps de consommer des protéines animales ! L’OMS le dit elle-même ! Il ya beaucoup de grands sportifs véganes : Frank Médrano (gym), Novak Djokovic (tennis), Carl Lewis (athlétisme), Janette Murray-Wakelin (championne du monde de marathon consécutif à 64 ans avec 366 marathons en 366 jours), Venus Williams (tennis), Patrick Baboumian (haltérophilie), etc., etc… En plus pour nourrir des animaux d’élevage on massacre la planète ! Par exemple on rase l’Amazonie juste pour avoir du soja pour nourrir les troupeaux en Europe. Il faut entre sept et quinze kilos de protéines végétales pour faire un seul kilo de protéines animales. C’est un gaspillage incommensurable et d’une cruauté indicible. C’est la grande cause de notre époque ! Il va falloir sortir de nos logiques habituelles pour notre alimentation. En plus la cuisine végane c’est super bon et original.

Mais c’est quoi concrètement être végane ?

C’est ne rien consommer qui provoque de la souffrance ! Donc cela passe par la nourriture mais aussi par l’habillement qui provoque trop souvent de la souffrance chez les animaux et moi je ne veux pas y participer ! Je ne consomme aucun produit animal. Rien. Depuis 2011. Et j’étais végétarien avant, depuis 1980. J’ai arrêté les laitages, qui sont ultra cruels à produire, les œufs idem… il faut se renseigner… ou lire mon livre "De Viandard à végane", c’est très marrant à lire et très rock !

Comment es-tu venu à ça ?

Par la chanteuse des Pretenders, Chrissie Hynde. Quand j’étais à Londres en 1980, j’étais pote avec elle : on a joué en première partie d’eux au Nashville. C’est vraiment elle qui m’a branchée sur ce mode de vie qui est en train de s’imposer. Je suis végétarien depuis 1980 et je me suis rendu compte que beaucoup des artistes que j’aimais étaient végétariens. Si tu regardes bien, la musique populaire a énormément porté le mouvement des droits civiques aux États-Unis dans les années 50, 60 par exemple, ça a vraiment été important pour ce mouvement. Le combat de libération des femmes dans les années 60, 70 a été aussi énormément porté par des filles comme Joan Baez. Et il y a eu aussi beaucoup d’artistes pour le mouvement gay… Et bien si tu regardes tu verras que le rapport entre Morrissey, Paul McCartney, Bob Dylan ou Prince, c’est qu’ils sont végétariens… On a l’impression que c’est presque un tabou ! Pour moi non : il faut en parler. J’ai monté un groupe qui s’appelle Cabaret Végane et on a sorti un titre qui plaît « Clementine est végane » [voir sur YouTube ou page Facebook Cabaret Végane]. Paul Mc Cartney est fan ! Il a d’ailleurs écrit la préface de mon livre … Je te le dis : l’Europe devient végane tout doucement.

Tu as fait un vrai tube sur internet : « Viens fumer un p’tit joint à la maison » ?

Oui, et pourtant c’est peut-être mon titre le plus faible (rires) ! Quand je suis parti en Jamaïque pour mixer Aux armes et cætera  et Mauvaises nouvelles des étoiles  de Gainsbourg, j’étais parti avec les bandes de L’homme à la tête de chou en plus parce que je voulais refaire la musique de « Marilou reggae » avec de vrais musiciens de reggae. Il y a eu une séance d’enregistrement. J’avais écrit pleins de titres que j’ai enregistré là-bas le même jour, avec les mêmes musiciens. Comme je suis Doc Reggae, j’ai voulu adapter « Viens boire un p’tit coup à la maison » mais en version reggae pour rigoler, comme ça, "viens fumer un p’tit joint à la maison" avec une musique bien écroulée. Bon ce n’était pas trop compliqué : il y a deux accords dans la chanson ! C’est ce que j’ai dit aux musiciens et on l’a fait en une prise ! L’ingénieur du son me demandait de quoi ça parlait … Je lui ai dit que c’était une chanson sur l’herbe. Quand je lui ai demandé de mixer le titre il m’a dit « tu verras un jour tu seras un héros parce que tu t’es battu pour légaliser l’herbe ». Tu imagines ? (rires).

 https://www.youtube.com/watch?v=JAtKVOXuUVk

Oh oui (rires) !

Bref quand je suis rentré, personne ne voulait du titre comme d’habitude ! Je me suis retrouvé avec pleins de titres enregistrés et je les ai sortis en Jamaïque sur mon label « Human Race ». Un an après un type m’a appelé pour une compilation sur la "Légalisation de la Marijeanne". Je lui ai envoyé ce titre et il m’a répondu que c’était la honte ce truc mais qu’il allait le mettre quand même sur la compilation. Ils l’ont mis en numéro 20, le dernier, tellement ils avaient honte ! Je suis passé complètement à autre chose, je suis allé au Nigéria enregistrer avec les musiciens de Fela, bref je continue… Plusieurs années après, sept ans après en fait, j’ai reçu le mail d’un pote en Suisse qui m’a dit « c’est toi cette chanson sur le joint ? Parce que elle en est à un million sept cent mille sur YouTube ? Va voir ! ».

Tu n’étais pas au courant ?

Pas du tout ! J’ai halluciné quand j’ai découvert le titre : je ne sais pas ce qu’ils ont fait mais le son est dégueulasse ! Il y a de la distorsion sur le titre, ils l’ont mal masterisé et en plus ils ont foutu des photos de Marley sur le clip ! C’était un énorme succès et pas un mot sur moi. Je me suis dit que le titre m’échappait. Il fallait faire un clip pour me réapproprier le titre. On en a donc bricolé un chez moi, dans l’esprit AB Production, bien TF1 dans le genre, on a fait exprès, et il commence à avoir du succès aussi. Maintenant il y a trois, quatre versions différentes qui sont apparues… Toutes versions confondues, on doit en être à plus de 4 millions de vues. Maintenant pleins de gens se foutent de ma gueule ! Pourtant il y a pleins de musiciens de premier plan dessus ! Horsemouth ! Flabba ! Sticky ! Soljie !

Est-ce normal que toi qui a quatre millions de vues tu ne touches pas un centime dessus ?

Non seulement je ne touche rien mais en plus personne ne veut sortir le titre ! À côté de ça on ne parle de moi nulle part ou presque ! Pour moi ce titre est une parenthèse dans ma carrière et trop de gens se limitent à ça !

Ne penses-tu que à travers tout ton travail de musicien, tes coffrets, tes dessins, tes livres … tu es un passeur ?

Oui, peut-être mais cela ne m’empêche surtout pas d’être un artiste. Si je jette un regard extérieur sur mon travail, je vois qu’en France les journalistes ont un gros problème avec les gens qui font des choses dans plusieurs domaines différents et dans des styles différents. Ils doivent travailler dans l’urgence et dès que le message est un peu original ils passent à un truc plus simple. Pourtant j’ai une unité de travail sur les paroles et sur mes musiques… Quand je vois l’impact que j’ai sur les étrangers, notamment les Américains qui me comprennent et me respectent alors qu’ils comprennent à peine mes paroles, je me marre ! Mon travail est pour la France parce que je compose et j’écris en Français, mais ici c’est comme donner de la confiture aux cochons que de mettre en valeur notre culture et de la mélanger avec celles d’autres pays et les médias sont indifférents. Il faut avoir un attaché de presse branchée pour leur mâcher le boulot et je n’ai pas ça. Certains, comme Rock & Folk et les Inrockuptibles , me boycottent. Un comble.

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(Mick Jagger & Bruno Blum, Hotel Warwick, Paris, 1981 - Photo : Claude Gassian)

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(Lou Reed & Bruno Blum, RCA Building, New York City 1981 - Photo : Bob Gruen  )

Tu veux dire qu’il faut se concentrer que sur une activité précise ?

Christian Lebrun le rédacteur en chef de Best, un mec génial, disait toujours que les gens qui écrivent sur la musique sont des musiciens frustrés 

Ce qui n’est pas ton cas  

Je n’en sais rien pour moi mais ce qui est sûr c’est que c’est le cas de beaucoup de monde ! Cette frustration fait que souvent on ne supporte pas mon travail !

De la jalousie ?

Peut-être, mais ce n’est pas à moi de le dire !

Tu es aussi musicologue ?

Je fais des conférences sur le reggae très régulièrement et j’ai parlé sur trois continents : Europe, Jamaïque, Afrique et forcément dans toute la France avec une exposition photo reggae qui tourne un peu partout avec succès.

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(Conférence et expo photo "Get Up Stand Up, l’histoire du reggae" à Guingamp (Côtes-d’Armor) le 29 septembre 2007 – Droit réservé)

Quand et comment as-tu eu ton diplôme ?

En 2008, je travaillais sur une exposition à la Cité de la Musique « Jamaica, Jamaica » dont j’ai été exclu après avoir monté tout le dossier pour eux pendant des années sans être payé. En fréquentant les gens là-bas, qui sont tous assez diplômés, j’ai rencontré plusieurs doctorats, je me suis dit qu’il serait marrant de passer un diplôme universitaire mais c’était compliqué : je n’ai pas le bac, même pas le BEPC (rires)… J’ai un pote qui m’a expliqué que je pouvais faire une VAE [Validations des Acquis et de l’Expérience NDR] avec mon expérience professionnelle et c’est ce que j’ai fait. J’ai présenté tout un dossier à l’université Paris-Vincennes avec notamment tous mes livres. Ils m’ont demandé de venir avec qun professionnel qui pourrait témoigner de mon travail. J’y suis allé avec Patrick Eudeline que j’ai emmené en scooter (rires . Il leur a fait un speech je suppose et voilà c’était fait. J’ai passé un master en musicologie avec des cours passionnants trois fois par semaine. J’ai rencontré là-bas des gens brillants, très cultivés qui connaissaient mon travail. J’ai écrit un mémoire qui s’appelle « Le Rap est né en Jamaïque » (qui a été publié aux Castor Astral) et au bout d’un an j’ai eu un master 2 avec mention très bien ! Depuis je suis un musicologue diplômé (rires).

Trop bien !

Grâce à ça je donne des conférences aussi dans les universités mais pas souvent. J’en ai donné une par exemple sur l’histoire du trombone dans la musique jamaïcaine à Paris 8 devant 50 étudiants, et une autre sur le dub. Le côté universitaire j’aime bien, j’ai fait de super rencontres même si ce n’était pas mon but dans la vie de devenir universitaire, c’est très bien. Ça m’aide bien pour mes coffrets sur Frémeaux, ça m’a formé à l’esprit scientifique, à la méthodologie.

Tu veux dire que l’université française a mieux accueilli Bruno Blum que les médias ? (rires)

(Rires) Exactement ! Il faut dire que les cours sur les musiques de rythmes sont rares en musicologie ! Ce qu’ils apprennent souvent c’est Wagner. Il y a juste cinq ou six personnes en France qui enseignent la musique moderne ! Il y a donc de la place ! Bon je ne passerai pas mon doctorat parce que je ne peux pas le financer : je continue donc à faire de la musique ! Et il faut comprendre, je le répète, qu’il y a des gens qui adorent ce que je fais !

Tu joues souvent ?

À peu près une dizaine de concerts par an dans des petits clubs mais ça dépend des opportunités. Personne ne veut payer et je ne me bats pas assez pour trouver des engagements, j’aime beaucoup le studio, composer.

Quel disque tu donnerais à des enfants pour découvrir de la musique ?

Quand tu dis à un enfant : « écoute ça ! » ils ne le font pas ! Chez moi il y a beaucoup de musique et les enfants passent et s’approprient ce que j’écoute. Un jour j’ai rencontré Ariane Carletti, animatrice du Club Dorothée, qui est venue me dire que la musique préférée des enfants était le reggae. Voilà pourquoi ils aiment tant mes chansons…

Tu ne penses que ta musique PEUT plaire aux enfants ?

Le reggae est vraiment une musique qui leur parle, notamment avec le rythme. Mon professeur de rhétorique à l’université, Joël Heuillon, qui est un spécialiste de la poésie médiévale, m’a dit que les Chrétiens pensaient que la musique qui fait bouger le corps est diabolique et qu’il faut au contraire aller vers l’esprit, qui seul peut mener à Dieu. Inversement les Africains n’ont jamais séparé le corps de l’esprit. Pleins d’artistes ont compris ça, des gens comme Gainsbourg, qui a su mêler toutes les musiques ensembles. Les enfants sont très sensibles aux rythmes qui sont fondamentaux pour l’esprit et le corps. C’est très rasta comme démarche… 

https://brunoblum.bandcamp.com

https://www.youtube.com/watch?v=MP2B8bzKTzQ