Rencontre avec Tio Manuel ou l’itinéraire d’un enfant du rock Parisien ! - 1re partie

jeudi 14 avril 2016, par Franco Onweb

« Toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du blues ! » affirme un chanteur Français (trop) connu. Ce crédo-là pourrait totalement s’appliquer à Manu Castillo ! Lui qui depuis 15 ans nous offre de splendides albums de Blues sous le nom de Tio Manuel ! Attention, ici on parle du blues du bayou, le blues qui raconte des histoires et dont Nick Cave ou le Gun Club se sont fait les ambassadeurs ! Une musique splendide, belle comme le désert !

Pourtant avant d’en arriver là Manu a bourlingué et depuis la fin des années 70, il n’a jamais cessé de jouer dans différents groupes avec toujours ce besoin de faire partager son amour du Rock ’Roll. Du Street Punk de Wunderbach, au rock fulgurant des Wicked Bouquet en passant par le rock Steady du légendaire Judge Dread et là non moins légendaire Souris Déglinguée, cet amoureux passionné de la guitare est aussi une mémoire vivante de la scène Parisienne depuis plus de trente ans !

Un tel parcours méritait quelques explications. On s’est donné rendez-vous avec Manu un soir de pluie dans Paris au pied d’une grande tour, près d’une gare qui permet de voyager vers l’ouest ! Attention à l’autre du bout du micro, Manu Castillo et la première question est venue tout de suite : « présente-toi ! ». 

Je suis Manuel Castillo, chanteur guitariste de Tio Manuel.

Quand as-tu commencé la musique ?

Mes parents sont d’origine Espagnole, j’avais un oncle qui était guitariste de Flamenco et qui me fascinait. Et puis à 12 douze ans j’ai découvert, par hasard, le rock à travers des disques de vieux rock : Chuck Berry ou Eddie Cochran. C’était en 1973, j’ai aussitôt accroché.

Tu as monté ton premier groupe en 1979, les Spoons, tu as été marqué par la vague Punk de 77 ?

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(Les Spoons en 1981, collection personnelle, droit réservé) 

Pour être honnête en 1977 j’habitais à Champigny sur Marne et le Punk n’est pas arrivé jusqu’à là ou du moins dans mon quartier. Avec mes potes, on écoutait plutôt les grands groupes des années 70 : les Who, Led Zeppelin ou les Stones... des trucs comme ça ! On avait quinze ou seize ans.

Très peu de temps après je suis allé au lycée à Paris, dans une boite à bac dans le 14 éme près d’Alésia et là j’ai rencontré mes premiers punks, enfin des gens qui écoutaient du Punk. Tous les jours à l’heure du déjeuner, on allait à la FNAC Montparnasse pour écouter des disques et là j’ai vraiment plongé dans le truc !

Et donc tu montes les Spoons.

Oui, on écoutait la première vague, enfin la première vague et demi du Punk : Sex Pistols, Clash, Jam , les Uk Subs… On a monté les Spoons avec Dilip (ex batteur des Coronados mais aussi batteur de pleins de groupes Parisien dont la liste serait trop longue ici Ndlr). En fait c’est lui qui m’a appris la guitare, il était avec moi au collège à Champigny sur Marne, on a découvert la musique et appris à jouer ensemble.

Ce n’est pas ton oncle qui t’a appris la guitare ?

Non, il m’impressionnait beaucoup mais comme tous les guitaristes de Flamenco il était super exigeant, trop pour moi en tous cas ! C’est Dilip qui m’a appris vraiment à jouer sur des trucs de Gene Vincent ou Eddie Cochran., c’est lui qui m’a mis à la musique !

Les Spoons ont bien marché ?

Disons que par rapport à d’où on venait oui ! Je crois que l’on n’était pas trop mauvais par rapport aux groupes de l’époque. Dilip jouait déjà très bien. C’était un trio parfois un quatuor, quand on avait un chanteur. Mais souvent il ne me plaisait pas alors je me suis mis au chant.

Un trio à la Jam ?

Le bassiste était effectivement fan des Jam et il avait des lignes de basse vraiment intéressantes. On avait des compositions pas mal, dont certaines ont resservis après dans Wunderbach. Sur scène on était en place mais on n’a jamais rien enregistré. Il y a des maquettes mais qui n’ont pas un bon son. On a joué au Gibus, dans les squats, les MJC … Mais bon ça a été assez éphémère parce que rapidement, dans un festival Punk, j’ai croisé Wunderbach !

Ton premier grand projet !

Oui ! A l’époque Marco (le chanteur Ndlr) cherchait un guitariste lead. Il m’a vu jouer et m’a proposé de faire une maquette avec eux un mois après. C’étaient les premiers titres de Wunderbach, dont Paris-Londres. Cette maquette a eu la chance d’être diffusée sur des Radios libres ce qui a fait que le groupe s’est fait remarquer et que on a signé chez New Rose. On a sorti le disque et on a beaucoup joué, en France et à l’étranger (notamment à Amsterdam où on a joué au Paradiso). J’avais 20, 21 ans et c’était incroyable !

Wunderbach c’était de la Oï ?

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(Wunderbach en concert en 1982 au Gibus, collection personnelle, droit réservé) 

Ouais, ouais… Aujourd’hui on appellerait ça du « street punk » ! Mais ça avait la pêche, je m’éclatais bien.

Vous êtes parmi la deuxième vague de groupe Punk Parisien avec La Souris Déglinguée, Oberkampf ou encore les Intouchables d’Henri Paul. A l’époque j’étais au lycée et il y avait une espèce de mythologie autours des concerts de Wunderbach ou des autres groupes, comme quoi c’était très dangereux d’y aller, il y avait des Punks, des Skins …

C’était assez violent ! Il y avait pas mal de bastons mais bon on était jeune, on était sur une sorte de nuage ! Moi la musique me donnait la pêche, c’était Rockn’ roll !

Le groupe a bien marché ?

On a quand même fait deux albums en deux ans. Des disques que les gens apprécient toujours, enfin les gens qui aiment ce style de musique. Mais bon, on était des jeunes branleurs, il nous aurait fallu un mec à poigne pour nous encadrer plutôt que l’on parte faire n’importe quoi.

Vous n’aviez pas de manager ?

Si, si … mais il était gentil, trop gentil et ça partait en vrille tout le temps. A la fin on s’est pris la tête et on s’est séparé en 1984.

Tu écoutais quoi à l’époque ?

J’écoutais du Punk rock et particulièrement trois groupes : The Ruts, Uk Subs et les Clash qui ont eu une influence majeure sur moi.

J’ai lu que Wunderbach n’avait pas survécu à ton départ ?

On s’est bien pris la tête ! J’en avais marre de la baston dans les concerts et des conneries politiques qui voulaient rien dire, genre nazi ou communiste ! C’était vraiment con tout ça ! Moi je voulais faire du Rockn’Roll et ces trucs là je n’en pouvais plus : ça devenait un boulet.

Tu en vivais ?

A l’époque, on avait enregistré notre deuxième album au studio Garage (mythique studio Parisien, situé dans le 20 éme à Paris Ndlr) et je me suis fait embauché comme assistant là-bas. Donc je cumulais les cachets de Wunderbach (qui ne représentaient pas grand-chose), mes piges au studio et un chômage. La combinaison des trois me convenait parfaitement aussi bien matériellement qu’artistiquement : j’ai appris le son et le travail en studio !

Après Wunderbach tu vas faire une succession de groupe, ça commence par the Outsiders.

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(Outsiders en 1985, Manu troisiéme à partir de la gauche, collection personnelle, droit réservé) 

Au studio Garage j’ai rencontré Martial et Gangster avec qui on s’est mis à jouer. J’ai aussi rencontré là-bas Segs, bassiste des Ruts. Je lui ai demandé de faire les claviers sur un maxi 45T du groupe. Il y avait aussi Richard Kolinka (batteur de Télèphone Ndlr) qui était là pour produire des trucs pour son label. J’avais 23 ans et je pensais qu’avec tout ça j’allais enfin atteindre le bout du tunnel,que j’allais vivre de ma musique et arrêter les plans foireux. Mais cela a été un échec et j’ai tout arrêté : les groupes, le studio Garage et la musique !

Tu as fait un break ?

Oui, j’ai rangé ma guitare, ma Gibson, sous mon lit et au même moment mon amie m’a annoncée qu’elle était enceinte de mon premier fils. J’étais très heureux et cela m’a occupé l’esprit ! Il a fallu que j’aille bosser pour nourrir ma famille. Mais bon j’étais frustré par rapport à ma passion et avec un gamin tu restes enfermé chez toi.

Pour finir le sujet Wunderbach, je voudrais que l’on parle de la reformation en 2005 ?

https://www.youtube.com/watch?v=OChCg8lTRrA

En 2001 j’ai fait le premier disque de Tio Manuel et je commence à tourner. Les gens qui viennent me voir viennent pour l’ancien guitariste de Wunderbach et ils me demandent « Paris Londres » ou « Oublions l’Amérique ». Je me fais parfois piégé surtout quand j’invite Marco pour les rappels. Il faut savoir que Marco, Cambouis (le batteur Ndlr) et moi on est très liés : on est vraiment des amis ! Et l’idée de remonter le groupe a muri. Meme si on trouvait ça un peu … pathétique ! On est tous installés, avec des enfants, des familles, des boulots …

Et tu cèdes ?

Attends, je dis ok en 2005, mais pour cinq dates ! On dégotte un bassiste et un autre guitariste, et on annonce la mini- tournée et là , il y a du monde qui nous veut ! Nous on garde nos cinq dates qui ont très bien marchées, on joue notamment à Paris à la Maroquinerie et on s’arrête. On a vu que cela a fait vraiment plaisir aux gens. Quand tu as des gens de plusieurs générations, dont des gamins de 18 ans qui connaissent par cœur des textes que tu as écrit 20 ans plus tôt c’est très émouvant. Mais pour moi c’était 5 dates et en plus j’avais mon projet solo qui m’occupait !

Et pourtant ?

En 2009 Marco a eu 50 ans et pour son cadeau d’anniversaire il m’a dit « Manu on remet ça ? ». C’est bien parce que c’était lui ! Bref on a rebooké des dates, non pas cinq mais on est passé au cran au-dessus : 10 dates ! On a joué dans des festivals avec des groupes Anglais que nous écoutions à l’époque : Cockney Reject ou SHAM 69, on a joué à Genève à l’Usine et c’était énorme ! Quand tu es sur des scènes de plus en grande et que tu prends ton pied avec tes potes, c’est vraiment bien ! Donc on s’est dit : « on ne va pas se prendre la tête, on rejouera de temps en temps, quand on aura envie de le faire ». Bon là on le fait presque plus, on a joué deux fois l’année dernière, une fois en début d’année et on doit jouer à Montpellier à la fin de l’année. A chaque fois on répète à peine et c’est bon ! C’est plus une récréation : tu pars un weekend avec tes potes faire de la musique… c’est vraiment marrant !

Pourtant il y a eu un album ?

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(Pochette de l’album Increvables ... de Wunderbach en 2011, DR)

On jouait les 19 titres que l’on avait enregistrés et j’ai dit à Marco et Cambouis que cela ne serait pas mal d’enregistrer du neuf ! On a donc fait ce disque sur lequel je suis … mitigé !

Tu es père de famille, tu emmènerais tes enfants à un concert de Wunderbach ?

Ils en ont vu ! j’ai trois garçons, mais ils ne sont pas objectifs…. Parce que ils voient leur père s’éclater sur scène !

Ils sont musiciens ?

Le premier est batteur, le deuxième est guitariste et le troisième tromboniste au conservatoire. Ils ont grandi dans une maison de musicien. Le premier est à fond dans la techno, le deuxième aime le blues et le rap et le troisième aime la musique classique. Ils ont tous eu ma culture mais ils ont choisi leur propre voie et ça s’est super !

On reprend sur ton parcours ?

Quand j’ai fait mon break, j’étais en contact avec Joe Hell, le chanteur de Oberkampf. J’ai participé à son projet Catch 22 et enregistré des guitares sur son album solo.

 Et après il y a eu les Wicked Bouquet !

Début 1993 je croise Cambouis. Il jouait avec Tintin le tatoueur et d’autres types. Il me dit : « on fait un groupe genre Rose Tatoo ou les premiers AC/DC, vient jouer avec nous ! ». J’écoute, j’aime bien, je vais répéter avec eux et ça colle tout de suite. Mais ils n’avaient pas de morceaux, je trouvais ça dommage. Donc j’amène des morceaux, dont un qui s’appelait Wicked Bouquet. Fred le bassiste trouve le nom cool et voilà on se retrouve à s’appeler comme ça. Il (Fred) connaissait les gens de Warhead Prod et il était connecté avec beaucoup de salles de concerts. Il me dit « Dès que l’on est prêt, je trouve quatre bons concerts ».

Vous avez été prêt quand ?

Au printemps 94, et il revient en me disant : « ok j’ai quatre bons concerts, on va jouer, entre autres, en première partie de Omar and the Howlers à L’arapahoe, et on va faire la première partie des Ramones à l’Elysée-Montmartre ». Et c’était vrai !

Et alors ?

Les Ramones connaissait Tintin, ils ont causé tatouage. Le public les attendait un peu mais on ne s’est pas fait jeter ! Un très grand souvenir !

Je voudrais avant de continuer que l’on parle de ton rapport à la guitare, on a l’impression que tu as un rapport passionnel avec cet instrument. Il suffit juste d’aller voir ton facebook !

Tu as remarqué ! J’aime profondément cet instrument. J’ai été fasciné par la guitare de mon oncle quand j’étais gamin. J’adore les guitares, la forme, ce qu’elles dégagent… Je trouve ça beau. J’en ai toujours eu et cela a d’ailleurs compliqué mes rapports avec mes compagnes : j’en ai beaucoup ( des guitares ! )

Combien ?

J’en ai 10, des électriques, des acoustiques et aussi une basse. Mais quand j’étais gamin j’allais à Pigalle et je bavais devant les guitares, j’en rêvais et aujourd’hui encore je fais attention parce que si je m’écoutais je pense que je pourrais facilement me mettre dans des problèmes avec mon banquier ! J’ai un panel assez complet : Fender, Gibson, Gretsch, dobro, Taylor…

Tu joues tous les jours ?

Je joue souvent oui, presque tous les jours. Il m’arrive de me lever, de prendre un café et ensuite de jouer. Ma première vraie guitare c’était 2 000 francs en 1979, j’étais allé en banlieue chez un mec qui avait passé une annonce. C’était dans un pavillon, il y avait sa femme, ses gosses, le linge qui séchait… J’essaye la guitare : elle était parfaite ! Il me manquait 200 francs, le mec me dit « prends là, je suis content que ce soit toi qui l’ai ». C’était la même que Hendrix (une Strat 1969 crème), j’étais tout content que ce type me dise ça et il rajoute « à propos, je suis le guitariste de Gilbert Bécaud ! ». J’ai acheté ma première vraie bonne guitare au guitariste de Gilbert Bécaud, tu le crois ça ? Malheureusement on me l’a volé au Studio Garage !

C’est qui ton modèle de guitariste ?

J’en ai plein de modèles : Bo Didlley, Hendrix, Jimmy Page, Keith Richards, Paco de Lucia, Django… Parmi les plus récents Brian Setzer et bien d’autres …

Mick Jones (guitariste des Clash Ndlr) ?

Bien sûr parce que lui c’est pas un grand technicien mais il arrive à trouver des idées incroyables, c’est un génie de la mélodie à la guitare comme Nicky Garrat,le guitariste des UK Subs. Des mecs qui arrivent vraiment à trouver des idées, ils trouvent des riffs qui marquent…

Tu as joué aussi avec Judge Dread (légende Anglaise du reggae Ndlr) ?

Fred, avec qui je jouais dans les Wicked Bouquet étais un fan absolu de Rock Steady et de reggae en général ! A croire que on lui avait greffé un cerveau de Jamaïcain ! Un jour il me propose de partir en weekend en Angleterre chez le batteur des Toys Dolls (le groupe Ndlr ) ! Pendant que l’on roulait il me passait que du rock Steady, je lui disais « tu peux passer autre chose ? », et lui me répondait « écoute, laisse-toi aller ! ». Au bout de un moment, je me suis pris au jeu et je lui ai dit « ce n’est pas mal ! » et lui me réponds « tu veux jouer avec ? ». Je lui demande qui ? Et voilà qu’il répond : « Et bien lui Judge Dread ! » en me montrant l’auto radio. Il devait venir jouer et il n’avait pas de groupe. En même temps je connaissais très peu sa musique. Il me file les disques et je commence à bosser le truc.

C’est énorme !

J’ai bien ramé : je n’avais pas le matériel, j’avais deux Gibson et pour faire du rock Steady c’était pas adapté. J’ai acheté une Télécaster et j’ai vraiment bossé le truc : j’ai écouté du reggae et du ska à fond tout le temps. On a mis une section de cuivre derrière qui était celle de la Souris Déglinguée, Dilip à la batterie et Judge Dread est venu répéter avec nous : il était enchanté ! On a fait un concert et ça c’est super bien passé !

Tu as continué avec lui ?

Fred et Dread voulaient que l’on aille en Angleterre, mais moi j’avais ma vie, mes gamins je ne pouvais pas ! Il etait cool le mec, vraiment ….

Mais tu étais fan de reggae avant ? La plupart des premiers Punks étaient fans de Reggae.

Si j’ai écouté beaucoup de reggae à l’époque c’est grâce au Punk Rock : The Clash, The Ruts … La scène Punk Anglaise écoutait beaucoup de reggae. La scène Parisienne en écoutait aussi beaucoup : Oberkampf, la Souris… Marco (le chanteur de Wunderbach Ndlr ) faisait même une émission de reggae à l’époque sur une radio libre. Quand on a joué à Amsterdam il m’a emmené dans une petite boutique de disque ou j’ai acheté des trucs super