Interview de Maxime Delpierre : Une jeunesse en six cordes - 1re partie

mardi 22 mars 2016, par Franco Onweb

Il y a une chose que j’adore faire : regarder le nom des musiciens qui jouent et qui participent aux disques que j’écoute. Sur un grand nombre de mes préférés, un nom revenait souvent : Maxime Delpierre à la guitare !

La guitare ! Beaucoup d’entre nous ont essayé ou essayent encore de maitriser cet instrument avec plus ou moins de succès. Maxime Delpierre, le maitrise totalement. Il suffit juste de voir la liste des nombreux projets auxquels il a participé pour comprendre qu’en plus d’être un technicien impeccable, il est assez ouvert pour participer à des projets aussi différents que du jazz, du rock ou de la pop !

Il fallait en suivre en plus. On s’est retrouvé sur une terrasse qui surplombait Paris, il pleuvait mais ce n’était pas grave : sa conversation et son expérience étaient trop prenantes pour s’occuper de la météo.

En plus d’être un artiste, ce garçon est un esthète, la preuve dans ce qui suit. 

Présente-toi ?

Maxime Delpierre, j’ai 40 ans je suis guitariste et je viens de Nantes ou j’ai passé toute ma jeunesse.

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(Maxime Delpierre sur scéne avec VKNG - Festival Art Rock 2015- Photo Bastien Burger)

Nantes est une ville avec une tradition musicale vraiment importante (Dominique A, les Littles Rabbits, Katherine, Elmer Food Beat ou les stars locales de EV), est ce que cela t’a marqué ?

Carrément ! Mes parents m’ont mis au piano très jeune à 7 ans et j’ai commencé la guitare. D’abord en autodidacte puis rapidement j’ai pris des cours avec Philippe Eveno, qui est le guitariste de Philippe Katherine depuis 25 ans. J’ai formé mon premier groupe dans la foulée, « les Comic Strips », un groupe de reprises pour les nombreux cafés concerts de la région. On jouait tous les weekends entre la Bretagne et la Vendée.

A 18 ans, j’ai quitté Nantes pour Paris pour faire une école de musique. Mais je revenais tous les weekends à Nantes pour jouer avec mon groupe.

Quelle école ?

Arpég ! Une école de jazz dans le 10 éme.

C’est ce qui est étonnant dans ton parcours, ton premier amour c’est le jazz et j’ai même lu que tu étais très fan de Pat Métheny.

C’est vrai ! Mais je ne peux pas dire que je vienne de cette école plus que d’une autre. En réalité il faisait une sorte de pop instrumentale assez mégalo et ça me fascinait quand j’étais gamin. On écoutait vraiment de tout chez mes parents : Louis Armstrong, les Doors, Pink Floyd, BB King, Depeche Mode, Brel, Simple Minds, U2, Nougaro, Mozart, Elvis...

Que des groupes avec de très bons musiciens

Le groupe le plus punk que j’ai écouté c’est Joy Division. Mais j’ai toujours eu un côté contrasté, je pouvais écouter Joy Division et cela me semblait évident d’aimer aussi the Cure : l’un n’allait pas sans l’autre ! C’est comme le jazz, j’étais fan de Charlie Parker mais aussi de Ornette Coleman qui me semblait plus mystérieux que Parker. Ornette, Parker, Cotrane pour moi c’était la même musique.

https://www.youtube.com/watch?v=p3L-gL4XmjM

Tu arrives à Paris, tu as 18 ans, tu retournes tous les weekends à Nantes pour jouer avec ton groupe et rapidement tu es présent sur des projets intéressants 

Avec mon groupe on a formé un quartet instrumental, un peu psyché avec des solos mais pas vraiment dans l’improvisation. On était fan de Macéo Parker mais aussi de Sonic Youth, The Roots, Rage, Portishead, le son d’une époque pleine de fusion. Le genre de trucs où musicalement tu ne sais pas trop où tu vas mais tu y vas….

Tu voulais déjà devenir professionnel ?

Oui, bien sûr, j’étais venu à Paris pour ça !

Tes parents n’étaient pas inquiets ?

J’ai la chance de venir d’une famille ou faire de la musique est naturel. A la maison il n’y avait pas de télé mais beaucoup de disques, beaucoup de guitares acoustiques et électriques et un piano. Mon père est musicien amateur et mon frère aussi. Tous les soirs mon père jouait de la guitare avec un côté blues proche de BB King, ce genre de chose...Tous les soirs quand on était couché on l’entendait jouer …

Il y avait les disques des grands guitaristes de rock genre Dick Dale ou Link Wray ?

Non pas trop, les disques de guitaristes qu’il y avait c’étaient Jimmy Hendrix ou des trucs plus vilains genre Stevie Ray Vaughan mais qui était fascinant dans les années 80 et qu’aujourd’hui plus personne n’écoute ou alors Pat Metheny(rires) ! Mais aussi beaucoup de groupes de surfs ou de garages instrumentaux des années 60 comme les Spoutniks, les Ventures ou les Trashmen. J’aimais ce côté guitare cowboy. C’est comme ça d’ailleurs que j’ai écouté Morricone ou même Neil Young. A l’adolescence j’ai écouté Joy Division ou The Cure. Mais en même temps tout cela se tient :si tu écoutes bien les grattes de the Cure tu verras que ce n’est pas trop éloigné des Ventures. : un son épais et un jeu minimal !

Cette culture rock, elle te vient de ton enfance à Nantes ?

Pour aller vite, pendant les 80s, mon frère était Dj sur une radio de Nantes et en club. Donc par lui j’ai écouté beaucoup de new Wave. Par ailleurs la plupart de ces groupes passaient à l’Olympic (salle de concert de Nantes Ndlr ), j’adorais mais j’avais 10 ans...Mais c’était aussi la veille d’une période un peu héroïque du rock Nantais (Little Rabbits, Dominique a et consorts …) 

Au lycée c’était compliqué ?

Ça dépendait ! J’avais plein de potes ou pas du tout ! Mais en fait je n’allais pas beaucoup au lycée, je zonais en skate dans le port industriel qui était complètement désaffecté, bien avant le Hangar à bananes, ou je restais chez moi à jouer de la guitare...

Tes parents ont vraiment eu un rôle important dans ton envie de musique et dans ta culture très ouverte ?

Bien sûr ! Pour t’expliquer assez vite, un jour quand je jouais avec mon trio (qui était parfois quartet quand le sax était là), mon père m’a dit : « tu proposes un climat, une ambiance … tu peux en faire un métier, tu pourrais gagner ta vie avec et donnant du plaisir aux gens », du coup je l’ai écouté.

Super compliment ! Tu ne t’es donc pas construit contre tes parents ?

Non, sauf sur le free jazz !

Pour beaucoup de gens le début des années 70, a été marqué par des super musiciens mais quand les punks arrivent, ils pallient un manque de technique à une énergie sans faille. Toi, qui es un guitariste très technique tu penses quoi de ça ?

Je n’ai jamais revendiqué la technique ! J’ai beaucoup bossé la guitare parce que je voulais avoir le choix pour jouer ce que je voulais. J’écoutais du jazz, du rock et du classique parce que je voulais comprendre et que cela me passionnait. Par exemple le jazz m’a vraiment passionné à un moment : j’écoutais les saxophonistes, j’écoutais Coltrane et je voulais vraiment jouer comme eux. Je travaillais la guitare pour sonner comme les saxophonistes ou comme un chant tout simplement.

 ?????

Par exemple l’autre soir dans un bar du Havre, j’ai entendu Santana. On aime ou on n’aime pas, mais le type il fait vraiment du chant avec sa guitare et ça me faisait rêver quand j’étais ado.

Mais bon, c’est souvent des morceaux de 7 à 8 minutes, un peu longuets, un peu longs non ?

Ouais c’est un peu long mais il y a un côté jouissance. Par exemple si tu prends une certaine période du jazz rock, bien psyché, cela peut être carrément génial (Miles Davis "In a silent way"). J’aime aussi bien ce qu’on appelle la "musique d’ascenseur ». J’aime la pop instrumentale en fait.

https://www.youtube.com/watch?v=llVl62Ra9bQ

Tu commences quand à gagner ta vie avec ça  

Assez jeune en fait ! Quand j’avais mon groupe on tournait tous les weekends autour de Nantes. Je me rappelle je touchais75 francs par gig ! Et c’était un gros plaisir. On jouait trois heures, souvent devant un public assez ivre. C’est une vraie école ou tu apprends à trouver ton son. Je donnais aussi des cours de guitare mais dans l’ensemble c’était assez chaud financièrement ! Vers 21 ans, j’ai commencé à trouver que je plafonnais : je partais à Nantes tous les weekends gagner de l’argent que je dépensais à Paris. J’ai alors quitté mon logement pour aller vivre chez ma copine mais rapidement vu la taille de l’appartement ça a explosé et je me suis retrouvé dehors.

A l’époque (c’était en 2 000) avec mes potes, on a commencé à travailler avec des artistes contemporains qui montaient des squats. On organisait des concerts avec des musiciens comme Archie Shepp, Marc Ducret ou Jim Black et on se programmait nous-même. On s’est aperçu que la bande de musiciens que nous étions commençait à avoir un vrai son.

Quelle bande de musiciens 

La même bande que maintenant : Thomas de Pourquery, Jeanne Added, Laurent Bardainne, les membres de Limousine, Chassol n’était pas très loin, Bachar Khalifé aussi par la suite….

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(La bande de pote, à gauche Arnaud Roulin, au centre Maxime Delpierre et à droite Laurent Bardaine, crédit photo Aurélie Jacques) 

Ce qui est paradoxal vu de l’extérieur c’est que ce sont des musiciens formés dans les conservatoires et les écoles, et qu’à un moment vous avez tourné le dos à l’institution ?

Complétement ! On a fait la musique qu’on voulait faire sans aucunes contraintes.

C’est presque Punk comme démarche !

Mais c’est des punks mes potes ! Quand on a monté notre squat (Les Falaises, rue Germain Pilon Ndlr ) aux Abbesses, on avait une jolie cave voutée où il y avait des concerts de jazz mais sous toutes ses formes. On bossait beaucoup, vraiment beaucoup …. Cette période a durée trois ou quatre ans et c’est là que j’ai vraiment travaillé la guitare.

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(Squat des Falaises - droit réservé) 

Tu écoutes quoi à l’époque ?

C’est l’époque où l’on commence à revenir au rock avec des trucs comme Jim Black, John Zorn et en jazz Charles Loyd.

Ça ressemble au New York des années 70 avec James White, John Lurie ou Télévision

C’est exactement ça !

On a l’impression que vous allez faire une musique élégante où tous les travers épouvantables du jazz vont exploser, une sorte de Pop Jazz.

CExactement ! On croyait vraiment à l’existence d’une scène qui mélangerait la pop et le jazz. Mais rapidement on s’est rendu compte que ce n’était pas le cas ! On jouait beaucoup dans les réseaux jazz et vraiment à l’époque on a connu une reconnaissance mais à côté de ce réseau il n’y avait rien mais alors rien du tout ! Les autres types de scènes ne voulaient pas de nous, on était connoté jazz, et plutôt élitiste,, ce qui ne nous correspondait pas complètement.

En même temps c’est plus compliqué que ça : on est dans un pays élitiste qui permet à des artistes comme David Lynch ou Jim Jarmush d’accéder à une très forte reconnaissance, d’offrir des scènes à ces groupes de de free-jazz celui Archie Sheep depuis longtemps ou celui Thomas de Pourquery maintenant.

https://www.youtube.com/watch?v=nG6-sIocQSc

Mais cela touche un microcosme intello, souvent passéiste alors que toi tu fais de la musique de ton temps

Je suis assez d’accord (rires), en fait j’essaye ! Mais tous les artistes de Jazz que j’aime sont des gens qui ont fait de la musique de leurs temps : Miles Davies, Coltrane, OrnetteColeman … Des gens qui n’ont rien à foutre de ce qu’ils faisaient cinq ans avant. 

Pour aller vite, tu ne penses pas qu’aujourd’hui on t’appelle parce que justement tu as cette ouverture d’esprit et cette vision bien ancrée dans ton époque ?

Peut-être, j’imagine enfin j’espère …. 

Tu commences alors à travailler sur différents projets : le collectif Zivaro et des albums solos ?

Oui notamment un en trio Philippe Glase et Mathieu Jerome, un disque jazz mais très underground : on jouait dans les squats arty mais aussi dans les bars garages…

C’est bizarre mais tu n’as pas du tout l’image d’un musicien qui a joué dans les squats ?

(Gros éclat de rires) Je sais bien, mais pourtant je viens de là, de cette culture…

Je te rassure, je ne suis pas un bon élève : je n’ai pas fait le conservatoire et si aujourd’hui j’ai toujours la même bande de potes musiciens c’est parce qu’on était des inadaptés avec une vision précise de ce que nous voulions faire, une manière différente de faire de la musique ! On ne voulait pas subir les choses, l’obligation de faire ce métier …On voulait faire quelque chose qui ait du sens … qui soit bien rock’n roll !

Tu as écouté David Bowie ?

Fan total, je l’écoute depuis toujours, j’adore « Let’s Dance » mais surtout j’adore Nils Rodgers, je l’ai beaucoup étudié. J’ai même acheté sa guitare quand j’avais 15 ans, en tout cas on me l’a vendu comme telle (rires !)

Et le Velvet parce que ton histoire, elle fait un peu Factory ?

Quand j’ai découvert ça, cela a été une révélation : des mecs qui ne savent pas accorder une guitare mais qui font des mélodies incroyables qui te rentrent dans le crâne avec un sens de la transe. J’ai écouté beaucoup les Doors avec ce guitariste fascinant qui est probablement le musicien qui m’a le plus influencé avec son côté gitan-intello et flamenco.

A suivre la semaine prochaine ....

Retrouvez la suite : Interview de Maxime Delpierre : Une jeunesse en six cordes - 2e partie