Je suis Pierre-Antoine Durand, compositeur de musique pour l’image : documentaire et télévision, mais aussi pour le spectacle vivant, principalement pour le théâtre.
Tu as écrit des pièces ?
Oui, j’ai écrit des pièces dont une qui devait se jouer aux Festival Mises en Capsules, dont je suis le co- directeur. Je l’avais écrite et envoyée au comité de lecture sans dire qu’elle était de moi (rires), parce que c’était plus rigolo.
(Droits réservés)
C’est arrivée comment la musique dans ta vie ?
Mes parents faisaient de la musique en amateur. Comme beaucoup j’ai découvert la musique à l’adolescence. J’ai monté des groupes de rock, ce genre de choses et puis je suis rentré dans la « vie active ». J’ai eu un boulot à côté pendant dix ans mais la musique prenait trop de place. J’ai fait un choix et je m’y suis mis à pleins temps et ça s’est plutôt bien passé…
C’étaient quoi tes influences à la base ?
Moi j’ai commencé par faire du « pop rock ». Mais j’ai vraiment tout écouté durant ces années-là : du rock classique des années 70 au « Hip Hop » qui a explosé quand j’étais adolescent, et je me suis tourné vers le funk, ou la musique électronique. En fait je suis persuadé que la culture se découvre par rebonds avec souvent des biais un peu étranges. De ce point de vue le « Hip Hop » et les samples permettaient de découvrir un tas de vieux morceaux des années 70, en particulier de funk. Comme ça, en très peu de temps, on a découvert beaucoup de musique. À l’époque, il n’y avait pas internet. On découvrait tout par le bouche à oreille et les cassettes que des copains enregistraient.
C’était l’époque de Nirvana ?
J’étais assez fan de Nirvana, Pearl Jam , etc, mais je pense que c’est un âge où tu peux passer d’un truc à l’autre avec beaucoup de facilités. J’ai toujours écouté un peu de tout en même temps et si tu prends des groupes comme les Beasties Boys ou Rage Again the Machine tu découvres la fusion des genres et c’est très bien. Mais une des raisons pour laquelle j’ai fait de la musique c’est que j’étais au lycée Jules Ferry dans le 18 éme où beaucoup de gens faisaient de la musique. On a monté pleins de groupes de rock ou de fusion, et on avait une grande ouverture culturelle. On était dans un quartier où pleins de musiciens habitaient, et travaillaient, : Daft Punk , Air ou le regretté Philippe Zdar … Il y avait vraiment une ambiance créative et je pense que si j’avais habité dans un autre quartier ou une autre ville les choses se seraient peut-être pas passées de la même façon.
(Pierre-Antoine Durand- Droits réservés)
Tu as fait beaucoup de musiques pour l’image mais surtout beaucoup de musiques pour le spectacle vivant, notamment le théâtre. Cela se passe comment ? Ce sont des commandes ?
C’est le même principe que la musique de film : on est au service d’une œuvre collective et c’est le metteur en scène qui sait, ou pas parfois d’ailleurs, ce qu’il veut. On cherche avec lui la couleur musicale de la pièce. C’est de la commande donc. Quand on connaît bien les metteurs en scènes - et il y en a certains avec qui j’ai fait six ou sept pièces - on se fait confiance et il y a une grande liberté. C’est très agréable.
C’est souvent un genre très écrit et très technique ?
Oui, mais ça dépend, il y a, chez beaucoup de compositeurs des parcours très classique avec des gens qui écrivent des partitions, à l’ancienne. Même si j’ai commencé par le piano classique, ce n’est pas tellement mon cas. Je me vois plus comme quelqu’un qui vient de la pop. Ce que je fais est très écrit parce que c’est très arrangé mais il reste une grande part d’expérimentation. Aujourd’hui avec le numérique on peut faire pleins de choses en studio et les budgets pour engager des musiciens se raréfient. On est souvent obligé de tout faire nous-même et comme j’ai commencé à une époque où la musique par ordinateur était balbutiante, j’ai pris l’habitude de faire tous les instruments moi-même. J’essaye d’enregistrer en vrai et ça demande une certaine maîtrise musicale même si je ne joue pas super bien de tous les instruments. C’est une blague entre musiciens : quand tu rencontres un musicien classique et qu’il te demande ce que tu fais si tu réponds que tu es compositeur il te regarde en disant « ok donc tu n’es pas vraiment musicien » (rires). Pour eux on est pas assez bon pour être musicien, donc on écrit de la musique. Ce qui n’est pas totalement vrai, ni totalement faux d’ailleurs.
C’est quoi ton instrument de base ?
C’est la guitare ou le piano, je sais pas vraiment… Disons quand même la guitare, parce que j’ai pu faire des sessions de studio en tant que guitariste et pas comme pianiste. Remarque,, ce que je préfère c’est la batterie où je ne suis pas super bon. C’est rare, maintenant, d’avoir des morceaux où il y a de la vraie batterie.
Le fait d’écrire des pièces c’est une envie de toujours ou c’est venu avec ton parcours ?
J’ai toujours écrit. J’ai fait des études de lettres. J’écrivais avec de grandes ambitions littéraires à l’époque (rires). J’ai rencontré pas mal de comédiens et comme je me suis fait pleins de copains dans ce milieu on m’a proposé d’écrire. La rencontre avec Benjamin Bellecour a été déterminante : il avait arrêté ses études à 18 ans pour être comédien professionnel. Lui, il connaissait le théâtre et moi j’aimais écrire donc on a fait ça !
Comment se sont créées les Mises en Capsules ?
Ça se crée de façon assez collective en 2006.Il y avait un petit théâtre à Paris qui s’appelait le Ciné 13 , maintenant le Théâtre Lepic , qui était dirigé par Salomé Lelouch, qui avait vingt ans. Elle mettait en avant les petites compagnies. J’avais déjà écrit une pièce à l’époque avec Benjamin Bellecour, qui dirige avec moi les Mises en Capsules, était aussi à l’époque co-directeur du théâtre. On y était souvent. Je faisais déjà des musiques pour les pièces de Salomé. Elle cherchait une idée pour faire venir plus de monde et on se demandait tous comment aider les jeunes compagnies qui avaient du mal à se faire embaucher par les théâtres parisiens, et comment inventer une scène pour que chacun s’exprime dans de bonnes conditions. Benjamin et Salomé ont pensé à un festival parce que c’est chouette, c’est festif, et Benjamin a eu l’idée géniale de proposer des pièces courtes de 30 minutes où les compagnies pourraient créer ce qu’elles voudraient. Ça permettait de créer un petit laboratoire.
(Benjamin Bellecour , co-créateur et directeur du festival - Droits réservés)
Et donc ?
L’idée c’était de dire, venez voir des pièces de 30 minutes, ce ne sera jamais trop long ou ennuyeux. Au début, cela se déroulait sur deux semaines avec huit spectacles. L’année suivante on a rajouté huit autres spectacles et une semaine d’exploitation. Tout de suite cela a marché ! On ne pensait pas que cela allait durer si longtemps, mais le festival a gagné une certaine notoriété dans le paysage du théâtre, on a continué jusqu’à aujourd’hui où on se concentre sur les textes contemporains.
Il y a de grands noms qui sont passés là-bas ?
Oui, quelques-uns mais on a eu de la chance d’être un à la fois un festival fait par des jeunes pour des jeunes, notamment parce que nous étions jeunes à l’époque, et d’avoir échappé très vite à cette étiquette. Ce qui a été un grand plus pour nous, c’est que Benjamin Bellecour jouait dans une pièce avec Niels Arestrup qui avait justement l’idée d’une pièce à tester durant le festival. Comme c’était un nom très connu dans le milieu il nous a donné une visibilité et il nous a évité de nous poser des questions sur l’âge des participants. L’année suivante il y a eu Patrick Chesnais qui est aussi venu faire une mise en scène, ça nous permis notamment d’avoir le journal de TF1 et donc ça nous a lancé. Ce qui est bien c’est que les deux ou trois premières années on a eu des noms mais rapidement le festival a eu son existence propre et on ne s’est plus posé la question, c’est très bien comme ça ! Par contre il y a beaucoup d’ acteurs passés par le festival, qui sont devenu connus par la suite.
Tu as des exemples ?
Pierre Niney, qui a appris durant le festival qu’il rentrait au conservatoire : il avait 18 ans ! Mais ce sont plutôt des gens de notre génération et qui ont participé pleins de fois au festival. Ils continuent à revenir, comme Camille Cottin, Jonathan Cohen, ou Alexis Michalik… C’est presque une génération de comédiens, mais aussi de producteurs ou de directeurs de théâtre, qui ont émergé parallèlement aux Capsules et qui ont connu ensuite le succès. Le festival est devenu une sorte de point de ralliement pour eux et ils continuent a venir et parfois a participer.
On peut comparer ça à un Tremplin musical ?
On essaye de garder ce côté mais forcément, cela a évolué, notamment en raison de la moyenne d’âge des participants, et de leur expérience, mais on tient à conserver cet esprit-là. On essaye toujours d’avoir dans la sélection des gens très jeunes pour que des aventures théâtrales démarrent aux Capsules ! Certains spectacles sont exploités ensuite dans de gros théâtres parisiens en version longue. C’est donc une zone d’expérimentation à la fois pour de jeunes compagnies et des équipes plus confirmées qui veulent tester des choses différentes.
(Réunion des futurs participants du festival en mars 2020- Droits réservés)
C’est quoi une compagnie chez vous ?
Ce sont souvent des copains qui se regroupent pour monter une pièce. On a des vraie compagnies avec des gens qui travaillent ensemble régulièrement et depuis longtemps, mais souvent c’est quelqu’un qui a écrit une pièce, et qui travaille avec trois copains.
Tu fais de la musique pour ces pièces ?
Ça m’est arrivé, mais c’est assez rare, simplement parce que je suis occupé par l’organisation. Ce que je fais c’est une musique spécialement pour le festival et qu’on diffuse entre chaque spectacle. C’est un outil promotionnel que j’ai fait la première année et que je continue à faire. C’est le seul moment de l’année où je fais une musique pour moi, que je me commande, mais où, au final, je m’impose aussi des règles.
Comment on fait pour passer aux Capsules ?
Maintenant c’est très simple ! On a tellement de candidats que chaque année on demande aux gens de nous envoyer un dossier avec le texte de la pièce et les informations sur comment ils comptent la monter. Cela se passe entre octobre et décembre. On en reçoit environ deux cents. On a un comité de lecture de 6 personnes. On lit tout. On en garde une trentaine et on les voit en audition assez rapidement, pour rencontrer les gens, surtout ceux que nous ne connaissons pas. C’est aussi pour ne pas favoriser justement ceux que on connaît. On aime bien avoir cette étape. Ça nous permet de voir où ça va, l’énergie des gens … Il nous arrive de refuser des gens connus, ou de très bon amis, c’est jamais facile mais bon c’est comme ça
(Délibération du jury de gauche à droite Pierre-Antoine Durand, Benjamin Gauthier, Raphaëlle Volkoff, Camille Bardery, Anaïs Hua et Benjamin Bellecour - Droits réservés)
Il y aurait dû avoir combien de spectacles cette année ?
17 spectacles sur trois semaines, chaque spectacles est joué entre trois et six fois.
Cette année vous avez annulé fin mars ?
On a annulé à cause de l’épidémie du COVID 19. On a attendu le plus longtemps possible mais avec la poursuite du confinement on a dû arrêter. Avec le confinement les gens ne peuvent pas répéter. Même si c’est une demie heure, il faut répéter. A quoi bon de proposer des pièces, peu, ou pas répétées ? En plus vis-à-vis des compagnies et des comédiens il ne fallait pas les laisser « mariner » dans l’incertitude. Donc le festival ne pouvait pas avoir lieu, ou dans ces conditions peu acceptables.
C’est annulé ou reporté ?
Annulé ! Ou peut-etre reporté à l’année prochaine. On le fait toujours au printemps, c’est une période très particulière qui est encore assez tôt pour que les comédiens ne soient pas tous en train de répéter pour le festival d’Avignon et c’est suffisamment tard pour qu’il n’y ait pas trop de nouvelles créations. La saison de « création », dans le théâtre privé, s’arrête plutôt en janvier- février. Je tiens à préciser que nous sommes 100% privé, on fonctionne sans subventions. Après en septembre c’est la rentrée théâtrale et tout le monde est occupé. Noel c’est pareil… On avait essayé en 2011 de faire un deuxième festival en hiver, comme les jeux Olympiques, c’était très bien artistiquement mais par contre c’était plus compliqué à monter, et en terme de fréquentation.
Il y a beaucoup qui reportent en ce moment à six mois ou un an : est-ce que pour vous ce sera le cas ?
Les spectacles qu’on a sélectionné ce sont souvent des projets qui ont été adaptés pour le festival et on espère que ces pièces seront montées dans l’année .Je pense qu’on reprendra certaines. Mais beaucoup de projets auront évolué et cela n’aurait pas beaucoup de sens de refaire la programmation exactement à l’identique
Bon, la situation est pas bonne : les spectacles vivants et les festivals sont à l’arrêt. Ou en est le théâtre ?
C’est un carnage ! C’est la plus grosse crise que nous ayons connu ! On ne sait pas quand les théâtres vont rouvrir et dans quelles conditions, notamment au niveau des jauges. Le public sera-t-il présent ? Aura-t-il envie de retourner assez vite voir des spectacles ? C’est la grande inconnue. En plus des difficultés financières des compagnies et des théâtres, on a peur de la frilosité à la création. Quand une pièce marche dans le théâtre privé, on la joue longtemps, ce qui est normal, mais surtout maintenant de plus en plus souvent on reprend des pièces qui ont bien marché avant.
(Festival Mises en Capsules - Photo Alejandro Guerrero)
Tu veux dire que la création théâtrale est moins importante que avant ?
J’ai l’impression ! Cela a été très dur pour le théâtre dernièrement avec les attentats, les grèves… Il y a eu des baisses de fréquentation donc les producteurs s’accrochent à ce qui a marché. Attention, il y a encore des prises de risques, mais c’est pas énorme. Cela m’a frappé à la rentrée l’année dernière : il y avait beaucoup de reprises. Il y a même des pièces qui ont été récompensées aux Molières six ans ou sept après leur création. Ce phénomène risque de s’amplifier. Quand le théâtre va mal il a tendance à se recroqueviller sur lui-même. C’est un réflexe. Une création, c’est un nouveau décor, une nouvelle musique … ça fait vraiment travailler des gens.
Mais en ce moment il y a un phénomène où les gens se font rembourser leurs billets malgré des promesses de report. Les gens ont tellement peur de demain que ils cherchent à se faire rembourser avec la peur d’aller dans des endroits publics ?
(Silence) A partir du moment où les théâtres n’ont pas de dates précises cela me semble assez logique. On ne sait pas quand et comment ça va rouvrir ! On ne sait pas où on va ! Tout le monde essaye de se faire rembourser. Je pense que les théâtres vont essayer de donner des avoirs pour éviter la catastrophe.
Mais les théâtres vont travailler à perte à la rentrée si jamais il n’y a que des avoirs. Est-ce que il ne faut pas une aide de l’état sachant que le spectacle vivant risque d’être le grand perdant et le grand oublié de cette crise ?
C’est sûr ! Il y a des choses qui sont mises en places, notamment pour les compositeurs, par la SACD, mais ça ne suffira pas. Le théâtre privé ce sont des entreprises qui vont avoir des pertes comme toutes les entreprises. On peut espérer des aides d’urgence, mais on ne connaît pas l’impact futur sur le public. Si les pièces se jouent mais qu’il n’y a pas de spectateurs, ce sera là, la catastrophe. C’est ça qui fait le plus peur ! On a tous intégré que durant cette période on ne va pas travailler avant septembre pour le spectacle vivant. Il y a encore des choses à faire en télévision mais pour le spectacle, c’est fini jusqu’à la rentrée ! Je fais partie d’une association de compositeurs de théâtre, l’ACMS (Association des compositeurs de musiques de scène). On s’est beaucoup parlé dernièrement et franchement notre grosse inquiétude est là : il y aura-t-il des salles remplies à la rentrée ? Et ça, ce n’est pas quantifiable.
(Festival Mises en Capsules - Photo Alejandro Guerrero)
Que faudrait-il faire du côté de l’état et des acteurs du spectacle vivant ?
Je ne sais pas vraiment ! L’état doit nous aider mais on sait bien que on ne sera pas les plus aidés. Là, il va falloir vraiment faire attention, c’est qu’il n’y est pas trop d’abus, notamment une tendance à moins payer les gens. Je ne pense pas que le monde va changer : tout va reprendre comme avant au niveau du business. La télé va sans doute repartir plus vite, beaucoup mieux que le spectacle vivant. En économie l’incertitude c’est très mauvais et là on rentre dans une période incertaine. Même lorsque le COVID ne sera plus chez nous, il sera toujours dans un pays du monde et ça nous fera peur. Pendant plus d’un an on aura la peur que cela revienne.
Le plus compliqué c’est donc de faire revenir les gens dans les salles de spectacle ?
Je pense, c’est ça qu’on ne peut pas quantifier !
Tu ne crois pas que cela va encore aider plus le théâtre public au détriment du théâtre privé ?
Naturellement le public va s’en sortir beaucoup mieux. L’état va les aider en premier. Même s’il y a beaucoup de gens qui ne font pas la différence entre le privé et le public quand ils vont au théâtre. C’est beaucoup plus compliqué de monter une pièce dans le privé, c’est une économie bien différente et très fragile. Il suffit de voir au festival d’Avignon , la différence entre le In et le Off.
Il y a de gros succès comme « Edmond »
Oui et c’est tant mieux parce que les pièces de Alexis Michalik ont d’une certaine manière beaucoup aidé le théâtre privé : il y a un fond de soutien où chacun cotise et lui y a fait rentrer de l’argent grâce à son succès. C’est très positif à tout point de vue ses pièces : il y a du monde sur scène, il n’y a pas de vedettes, il a montré que c’était possible de réussir ce genre de chose… Il ne faut pas oublier qu’il a monté ses premières pièces avec vraiment peu de moyens. Son premier gros succès, le porteur d’histoire , était d’ailleurs produit par Mises en Capsules. C’est grâce à lui que Benjamin Bellecour a pu créer ensuite la boite production ACME, pour laquelle je travaille aussi souvent. Quand le Coronavirus est arrivé les derniers théâtres a se vider ont été les pièces de Michalik. Mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt !
(Festival Les Mises en Capsules - Alejandro Guerrero)
Bon, autre point : le festival d’Avignon ! Pourquoi si le festival n’a pas lieu le théâtre risque d’en souffrir encore plus. C’est un symbole ?
D’abord il y a deux choses le In et le Off. Olivier Py (directeur du festival d’Avignon Ndlr) dirige le In qui est une grosse machine, avec de grosses compagnies subventionnées, internationales, et à côté il y a le Off avec 1500 spectacles, sans réel organisateur. Beaucoup de spectacles se créent pour le off d’Avignon. L’enjeu du off c’est de vendre des dates de tournées et tous les tourneurs, les directeurs de théâtres et autres, viennent à Avignon. Ça permet de tester ou pas le succès des pièces, de voir si ça fonctionne… De grosses boites de production vont aussi à Avignon pour essayer des pièces avant de les lancer à Paris. C’est un festival, donc il y a un vrai public de curieux qui s’y connaît.
C’est un laboratoire ?
Tout à fait mais c’est aussi un moyen de montrer des spectacles à des producteurs ou des tourneurs. C’est un lieu de rencontre professionnel obligatoire. Les programmateurs n’achètent que des pièces qu’ils ont déjà vues. Mais il faut bien comprendre qu’Avignon coûte très cher aux compagnies et aux producteurs. Ce sont souvent les compagnies , voire les comédiens, qui payent de leur poche et ça coûte très cher. Sachant tout ça, le pire serait qu’Avignon ait lieu : le public ne viendra pas et donc les compagnies risquent de jouer dans des salles vides. Ce serait terrible pour elles ! Elles perdraient beaucoup d’argent pour rien ! Mon sentiment, c’est que le mieux serait qu’Avignon soit annulé, c’est a dire interdit par le gouvernement ! Il y a pleins de compagnies qui attendent pour répéter, c’est intenable comme situation. Pour ceux qui engagent de l’argent, plus tôt c’est annulé, plus vite ils pourront trouver un arrangement financier avec les différents théâtres…. Ce sera triste, et ce sera dur pour la ville aussi, et ses théâtres, et ses commerces, mais j’ai plus de compassions pour les compagnies...
Ne faudrait-il pas regrouper tout le monde dans une même structure pour montrer que le spectacle vivant existe encore ?
Il faudrait que cela se passe comme ça ! Avec mon association de compositeurs on a beaucoup échangé pour se donner les renseignements sur les différentes aides et on a mis en ligne un petit sondage accessible à tous les auteurs du spectacle vivant pour essayer de déterminer nos pertes et les aides dont on a besoin. Si on a beaucoup de réponses, on aura plus de force pour aller négocier. Je pense que cela va plus se faire par catégories professionnelles : les metteurs en scène, les tourneurs, les acteurs … Mais il ne faut pas que l’on risque de se retrouver en concurrence,.
(Droits réservés)
Mais on peut trouver des intérêts communs à toutes les catégories du spectacle vivant notamment au niveau des intermittents ?
Oui, on doit trouver des intérêts communs. C’est pour ça qu’il faut vraiment préparer la suite, on gère l’urgence pour l’instant mais on ne peut pas savoir la suite.
Mais il peut y avoir des portes paroles du spectacle pour défendre les droits ?
Oui, il y aura probablement du monde, mais ce serait bien que ce soit aussi des acteurs vraiment connus, pour que ça parle au public. Pour l’instant c’est trop frais, on encaisse le choc et on est pas tous dans cette démarche.
Tu attends quelque chose de l’état ?
Une clarification sur le spectacle vivant, qu’il prenne ses responsabilités et que on nous dise les choses.
Beaucoup d’artistes pensent que ça va repartir au niveau local et que les gens vont plus aller dans les petites salles qui leur sont proches plutôt que dans de grosses arènes ?
C’est pas impossible et même probable ! Ce serait déjà pas mal, mais bon que tu sois avec 60 personnes ou 6 000 si tu as peur, tu as peur. Maintenant ce serait bien que les gens soutiennent les petits projets plutôt que les gros, mais ce ne sont pas uniquement ces salles qui peuvent faire tourner une économie, malgré la qualité de leur travail, mais on aura besoin de tout le monde.
Ne penses-tu que ce confinement va permettre à une nouvelle génération d’arriver ? Des gens qui auront passer tout leur confinement à écrire, à composer par exemple ? Un peu comme le punk en musique en 1977 a balayé une génération de musiciens ….
En théorie oui, mais en pratique je ne sens pas une grande créativité autour de moi. Cela viendra peut-être des plus jeunes, moins professionnels, qui peuvent profiter du confinement pour faire des choses qu’ils ne faisaient pas avant. Si on nous donnait une date de fin de confinement cela nous permettrait peut-être d’être plus créatif. Le fait de ne pas savoir me bloque et les gens avec qui j’ai discuté sont comme moi : on se pose surtout pleins de questions !
Quel serait ton souhait ?
C’est ce que j’espère ou ce dont je rêve parce que c’est pas la même chose (rires) ?
Faisons les deux ?
J’espère que va améliorer les choses, notamment pour l’environnement ! On voit que aujourd’hui on peut arrêter de faire certaines choses avec bénéfice, mais que tout arrêter a des conséquences très négatives sur l’économie. Il va falloir une autre manière d’envisager le commerce et de consommation en général, la culture, aussi.
Mais comment le théâtre peut sortir positivement de cette histoire ?
Les crises ont été le germe de mouvements artistiques importants : le surréalisme par exemple est né sur le terreau de la guerre de 14 par exemple, et on peut rêver de quelque chose de similaire, mais j’ai peur que cela reparte comme avant mais en moins bien … La situation des artistes ne s’est pas amélioré depuis 10 ans même si on a de nouveaux outils fabuleux, vivre de son art est de plus en plus dur.
Le mot de la fin ?
Je vais citer la magnifique phrase de Robert Filiou « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».