Gilles Bertin : la cavale d’un ancien punk a pris fin !

vendredi 25 novembre 2016, par Franco Onweb

C’est plus qu’une histoire : une vraie épopée, un sujet de scénario ou même un vrai roman. 28 ans après avoir participé au braquage d’un dépôt de la Brink’s et réussi à voler 11.7 millions de francs, l’un des cerveaux de ce vol hors norme vient de se rendre à la justice après … 28 ans de cavale ! Surprise, il s’agit de l’ancien bassiste des « Camera Silens » l’un des groupes punks les plus connus des années 80. Retour sur une histoire peu banale des temps modernes 

 

Le 27 avril 1988, un commando d’une dizaine d’hommes réussissait à cambrioler, après avoir pris en otage des employés et leurs épouses, un dépôt de la Brink’s emportant avec lui 11, 7 millions de francs. L’histoire fit beaucoup parler d’elle : pas un coup de feu tiré, peu de violence et une organisation quasi-militaire. Rapidement les soupçons de la brigade criminelle de Toulouse se tournèrent vers les séparatistes Basques de l’ETA avant de faire une découverte incroyable : les membres du commando étaient un aéropage de squatteurs, zonards, musiciens punks et toxicomanes pour la plupart ! En quelques mois, les principaux auteurs furent arrêtés et incarcérés. Seul manquait à l’appel un des cerveaux : Gilles Bertin et la majeure partie du magot ! Seulement 150 000 francs furent retrouvés soit 10 % de la somme. Bertin n’était pas un inconnu : pour beaucoup, il était le chanteur de « Camera Silens » l’un des groupes les plus réputés de la scène Oï.

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(Camera Silens en 1982, à droite Gilles Bertin - Droit réservé) 

Bordeaux, 1981, trois jeunes punks qui trainent dans le quartier Saint Pierre : Gilles Bertin, le guitariste Benoit Destriau et le batteur Philippe Schönenberger. Trois zonards, trois copains qui pour tromper l’ennui montent un groupe pour jouer la musique qui leur plait : la Oï ! Rapidement le groupe trouve des premiers concerts et malgré un évident manque de technique, ils font leur trou sur la scène locale, le tout porté par une énergie hors du commun. Premiers concerts, premières galères, le groupe trouve rapidement un public, plutôt mouvementé, qui le suivra partout en France. Dès le printemps 82, « Camera Silens » termine deuxième d’un tremplin de groupe Bordelais devant des certains … Noir Désirs (avec un s à l’époque) qui refuseront le premier prix pour eux : une session d’enregistrement ! Premiers titres, premières cassettes et surtout début des ennuis. Etre Punk à l’époque, cela veut dire vivre à fond dans la démerde et là ce n’est pas un vain mot ! Premiers ennuis avec la justice pour tentative de vol de matériel pour le groupe, rapines diverses et trafic pas terrible.

En 1982, le groupe fait sa première apparition à la TV dans « Les enfants du rock » spécial Bordeaux. Suite à ça ils signent un contrat avec LE label punk de l’époque « Chaos production » basé à Orléans et commencent à tourner dans toute la France. Mais un nouveau fléau s’est abattu sur le groupe : l’héroïne ! Gilles Bertin plonge dedans et la délinquance devient totalement nécessaire pour survivre ! Pourtant le morceau « Pour la gloire » leur amène une notoriété grandissante qui cadre mal avec le style de vie de Gilles Bertin, au grand désespoir de Benoit Destriau

En 1983, Gilles Bertin est incarcéré pour vol et le groupe doit se restructurer pour honorer ses contrats. Au mois de Mai 1984, le bassiste est libéré et retrouve sa place dans le groupe comme… Chanteur ! Mais les mauvaises habitudes ont la peau dure, et la longue descente vers le grand banditisme et la toxicomanie vont bouleverser les choses.

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(Camera Silens en formation à quatre, Gilles Bertin à droite - Droit réservé) 

Le groupe tourne de plus en plus avec son lot de supporters… stylés : violence et toxicomanie sont devenues le lot quotidien des punks Bordelais. Enfin, c’est le grand changement avec le braquage de la Brink’s et la fuite de Gilles Bertin. La légende est née et « Camera Silens » va survivre pendant quelques années sous l’impulsion de Benoit Destriau qui orientera sa musique vers un style plus ska, plus « rude boy », sans jamais renié son passé punk. Quand à Gilles Bertin les plus folles rumeurs vont courir sur lui : mort, vivant en Amérique Latine, en Espagne… La seule chose dont on est sûre étant que la police a perdu sa trace à Barcelone, fin 1988.

Surprise, le 15 novembre un homme, accompagné de son avocat maitre Christian Etelin, se présente au commissariat central de Toulouse pour se constituer prisonnier : c’est Gilles Bertin qui sort de… 28 ans de cavale ; et qui vient solder son passé 

Entre temps, ses complices ont été jugés… seize ans après, sauf les deux autres cerveaux du casse mort du sida dans les années 90. Tous ont eu de la prison avec sursis, le seul à avoir pris 10 ans ferme c’est lui, principalement parce que il n’était pas là ! La justice s’est montrée clémente après 16 ans, la plupart des accusés ayant changé de vie et fondé des familles.

Au cours de ses années, Gille Bertin a bien vécu à Barcelone, puis ayant échappé de peu à la police fin 1988, il se rend à Lisbonne où il ouvre une boutique de disques indés avec le reste du butin. Il rencontre une femme, une espagnole qu’il suit à Barcelone où il devient barman dans le café de ses beaux-parents, dans un quartier populaire ! 10 ans derrière le comptoir à écouter les clients sans parler de lui. Entre temps le sida s’est déclaré : il y survivra avec la trithérapie et ce sera une hépatite C qu’il soignera dans un hôpital espagnol, dans un quartier communiste, aidé par des amis qui ne poseront aucune question ! C’est durant sa convalescence que tout bascule, il est le père d’un enfant de cinq ans à qui il ne veut plus mentir, il a déjà un autre fils en France de trente ans qu’il n’a jamais vu et pour lui, c’est insupportable ! Le 15 novembre il franchit seul la frontière, à pied dans les Pyrénées-Orientales où l’attend son avocat, puis un train pour Toulouse. Il expliquera à la police que le braquage avait pour seul but de vivre à fond jusqu’à une mort qu’il jugeait assez proche et que celui-ci a été partagé équitablement entre tous !

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(Pochette de l’album de Camera Silens "Réalité" - Droit Réservé) 

Mis aussitôt en garde à vue, et malgré une demande d’incarcération du procureur, le juge des libertés le place sous contrôle judiciaire en attendant son procès qui devrait avoir lieu d’ici à un an. Fin de la cavale pour un punk qui se battait « Pour la gloire ».