Claude Picard : Cameleon, le label des souvenirs trop souvent oubliés.

mardi 8 novembre 2016, par Franco Onweb

A l’époque de la dématérialisation des supports et de l’internet, continuer à vouloir sortir des disques est presque un exploit ! Claude Picard avec son label « Cameleon » est de ceux-là ! Depuis quelques années il gère et développe son label spécialisé dans les rééditions de 45 t et des 33 tours de groupes, parfois oubliés ou mythiques. Son travail de mémoire a attiré mon attention : une telle entreprise méritait des explications.

 

J’ai donc envoyé quelques questions à Claude Picard pour lui demander d’expliquer son travail, voici plus bas ses réponses. Merci à lui d’avoir passé du temps pour nous expliquer son travail. 

Qui êtes-vous ? Et combien êtes-vous à vous occuper du label ?

Je m’appelle Claude Picard et j’ai 52 ans. Je suis tout seul à gérer « Cameleon »

Comment est né le label ?

L’histoire commence avec la création du site « 45vinylvidivici.net » il y a plus de 10 ans, une encyclopédie des 45t sortie en France de 1956 à nos jours, cela m’a fait un peu connaître et j’ai beaucoup de contributeurs. De là j’ai pu rencontrer des collectionneurs et c’est comme cela qu’est né le label « Mémoire Neuve » avec 5 copains. Ce label a été monté avec l’aide du boss de « Close Up Records », un excellent label (« Périphérique Est », « VelO », « Sheriff Perkins » …). Mémoire Neuve n’édite que des bandes jamais sorties de 1976 à 1990, punk, hard, cold…. A partir de là j’ai créé en 2010 le label « VinylVidiVici Records » après écoute d’une ancienne bande chez un pote, et sorti les 2 45t de « Tuck », et ce fut un four. Mais j’ai continué avec des groupes actuels comme les « Bumble Bees » et « Betty Ford Clinic », auteur d’un excellent LP, mais sans concerts ce genre de productions est invendable. J’ai commencé vraiment à émerger avec « les Innocents » sortis avec l’ami Ponch de Sam Play et de Mémoire Neuve, de la punk cold de 1981 et « les Lords » un des seuls groupes mod en France jamais édité, puis le LP « d’Ankh », « Urbain Autopsy ». Entre temps J’avais déjà réédité en 2012 le premier 45t de « Repulse » sur « Cameleon » comme première référence, mais il n’y avait plus de différences entre les 2 labels, donc j’ai mis fin à « VinylVidiVici Records » de fait. Quand j’ai créé « Camelon », je ne voulais faire qu’un label de réédition, mais les circonstances font qu’on récupère des titres inédits, pourquoi ne pas les inclure ? Tous ces labels sont associatifs loi 1901, les anciens projets nourrissent les suivants et nous avons tous un travail à côté. 

Pourquoi monter un label 

Pour exister tout simplement. Même si c’est un label de réédition, on recrée un objet culturel, on a vraiment l’impression que cela sert à quelque chose. De plus, je suis collectionneur de disques vinyles depuis l’âge de 13 ans, quel pied de pouvoir en sortir !

Le label a-t-il une ligne directrice, si oui, laquelle ?

On commence par se dire que l’on ne sortira que des rééditions comme les originaux, c’est ce que j’ai fait jusqu’au LP de « Ted Destroyer » en changeant complètement le visuel de la pochette. Le suivant aussi avec « XS » puisque j’ai réuni deux productions et des inédits démo sur une, et j’ai créé entièrement la pochette. La suite parle d’elle-même car avec les contacts de plus en plus nombreux, des inédits sont récupérés et souvent le projet initial de la simple copie du single change en format LP comme pour les « Degrads » ou « Temple Sun ».

La totalité de vos artistes ont souvent quitté le monde de la musique depuis de longues années, comment faites-vous pour les autorisations et autres ?

L’outil internet est une bénédiction pour ce genre de difficultés. Mais rien ne remplace les contacts et les camis (… les amis du Cameleon), très nombreux. Il faut savoir que « Cameleon Records » n’existe en partie que grâce à ces personnes qui me prêtent des disques rares, me donnent des pistes et me conseillent dans mes choix. Je trouve généralement les ayants droit (sauf « Sidharta » et « Blow Mind ») qui me donnent leur accord et je paye les frais SDRM. J’ai rarement eu des refus de la part des groupes. Cela peut parfois prendre beaucoup de temps à les convaincre mais mon côté pugnace l’emporte.

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(Claude Picard - Droits réservés) 

Quels sont les artistes qui ont fait les ventes les plus importantes ou les plus représentatives du label 

Ma première grosse vente, c’est-à-dire 300 copies fut le repressage des « Fraises Des bois », écoulé le tout en 3 semaines. Le Tony Sheridan 500 copies en 15 jours, mais le plus rapide fut la boîte « De La Came Punk » ainsi que les singles, le « Gasoline » "Sally" et le Marie-France, vendus le jour même de leur sortie. J’ai eu aussi la surprise avec le « Jerrys », très rapide. La moitié du catalogue « Cameleon » est épuisée.

Vu de l’extérieur on a l’impression que l’on peut presque parler d’un travail de mémoire qu’en pensez-vous ?

Tout à fait. Je m’aperçois qu’il y a un nombre incroyable de groupes en France qui n’ont jamais eu de visibilité, il faut simplement les faire découvrir aujourd’hui. C’est aussi remettre un peu les choses à leur place. Si je prends comme exemple le punk en France, à part une dizaine de groupes éparpillés en Province, seul Paris compte aux yeux des médias et des acteurs de cette époque. C’est une grossière erreur car quand on voit ce que « Mémoire Neuve » et « Cameleon » ont sorti dans ce genre et en LP, les caciques devraient réviser au lieu de nous pondre les sempiternelles listes éculées. D’ailleurs il faut à tout prix que je sorte une triple compilation avec tous ces groupes ! C’est ce qui me plaît d’ailleurs, rechercher les gens, les écouter me raconter leur histoire, récupérer des documents jamais vus. Quand je peux, je me déplace pour les interviewer.

Quels sont vos critères pour sortir un disque ? On a l’impression que votre ambition est de dépasser le strict format musical : beaux objets, visuelle superbe …

La rareté et son prix sur le marché, détenir ou pouvoir avoir le son et surtout il faut que j’aime. Je mets parfois longtemps à me décider, comme le « Urbain Autopsy » ou le « Totenkopf », musicalement âpres et expérimentaux. Quand je les écoute aujourd’hui, je siffle leurs mélodies ! L’objet vinyle perdure grâce en partie à sa conception même, je continue simplement, je n’invente rien. Par contre je soigne les productions, avec des pochettes glacées pour les EP sixties comme les originaux, des créations originales pour certains, jusqu’à parfois coller, peindre moi-même les pochettes ou coffrets, comme le « Urbain Autopsy », « Oxyde » et la dernière "De La Came Punk". Idem pour le son, je fais le maximum avec mon budget chez « Parelies » avec François Terrazzoni, et mes pressages viennent de chez MPO.

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(Le studio Parelies - Droits réservés) 

Quelles sont, selon vous, les qualités d’un label et lesquels avez-vous ?

Un label indépendant est reconnu si vous ne prenez pas les acheteurs pour des pigeons. Le plus dur pour un petit label comme le mien c’est de vendre des beaux produits sans promotion, que les gens écoutent et prennent leur temps pour être séduit. On prend le sac le matin et on va dans toutes les boutiques de Paris, on maintient les liens avec eux, chose importante de mon point de vue, cela n’est pas remplacé par le Web. On envoie beaucoup de mails aux autres, je marche beaucoup et c’est pesant, mais j’y crois. Ma qualité c’est d’être organisé et je ne gaspille pas mon temps.

Quel serait l’artiste et le disque que vous auriez aimé sortir dans vos rêves les plus fous ?

J’ai bien une liste mais de là à tout dévoiler…. Le EP des « Thirteen Floor Elevator », le Beatles pochette sandwich, « Seeds », « Other Half » … plein d’autres EP fondamentaux…les premiers singles de « LSD », « Olivensteins », « Gloires Locales » … Les premiers LP de Dominique A, de Jean-François Cohen…. Cela bloque parfois car les artistes ne veulent pas qu’on touche à leur bébé, pour plein de raisons qui sont parfois privées. Par contre celle qui consiste à penser que l’original serait déprécié à la suite d’une réédition est fausse, au contraire, cela remet le disque en avant pour tout le monde, et le collectionneur cherchera toujours le premier.

Quels sont vos moyens de promotion ?

Les disquaires, mes clients et la toile. Les disquaires font écouter les productions et sont des passeurs, idem pour les clients, le bouche à oreille fonctionne pleinement.

Pensez-vous que internet et les réseaux sociaux vous aident beaucoup pour la promotion et la diffusion ?

La toile est également très importante bien sûr, je fidélise et je promeus mes références sur Facebook, c’est mondial et gratuit, faut pas l’oublier.

Vos disques sortent physiquement uniquement en vinyle pourquoi ce choix 

Je m’adresse surtout aux collectionneurs de vinyles, ils se payent la réédition car l’original est trop cher ou introuvable. Je n’ai rien contre le CD, c’est différent c’est tout. La pochette est trop petite et il faut une loupe, mais on peut mettre 80mn de musique en continu et c’est plus facilement transportable… Quant au son, c’est la chaîne et les enceintes qui font la différence, rien d’autre. Il y a des rééditions vinyles très mauvaises.

Ou peut-on se procurer vos disques, ?

Dans la majorité des boutiques à Paris, Lyon, Bordeaux, Quimper, Grenoble, Tarbes, Metz, Poitiers, Limoges. A l’étranger au Japon, Etats-Unis, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Grèce, Allemagne, Suède, Brésil…. Egalement en direct sur mon site http://www.45vinylvidivici.net/ajout/RAJOUT/CAMELEONRECORDS/CAMELEONrecords.htm

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(Claude Picard - Droits réservés) 

Quels sont vos projets ?

Les prochaines références sont : un LP des "Blue Shades", beat sixties de Brest inédit de 1965, un LP de" Teenage Head" rockabilly/punk de 1978 qui est un groupe de Pau jamais édité, la réédition du sublime EP pop des "Titans" sorti en 1969. Je travaille aussi sur une compilation du fameux label DMF, et je croise les doigts en attendant une réponse concernant une série de rééditions qui me permettrait d’asseoir le label et surtout me risquer dans des projets que j’aime mais plus difficiles à vendre.

Une dernière chose à ajouter  ?

J’offre le restaurant à celui qui me trouve les membres de « Sidharta » ou de « Blow Mind ».