Jeffrey Lee Pierce & The Gun Club

mercredi 30 mars 2016, par Franco Onweb

Le 31 Mars 1996, Jeffrey Lee Pierce fondateur, leader et chanteur du Gun Club décédait des suites d’abus d’alcool et de drogues. Avec lui mourrait l’un des artistes les plus passionnants de sa génération, un artiste qui était capable de reinventer le blues ou le rock.

 

Demain soir, à Paris au « Chair de Poule », 141 rue Saint Maur une soirée hommage aura lieu pour celui qui influença des artistes aussi divers que Bertrand Cantat ou Nick Cave. Nous avons demandé à l’organisateur de cette soirée-hommage, Serdar, le guitariste des Daltons, de nous écrire un texte pour nous raconter son Jeffrey Lee Pierce. 

Je rencontre le monstre à la balance de son premier concert parisien. Au Palace. A l’époque (1983), on peut entrer dans une salle de concert pendant les réglages de sons, pas de problème. Déjà on sent quelque chose d’ultra intense dans le personnage, hyper concentré sur le son de la batterie. Puis il monte sur scène et chante « Run through the jungle », et là, au moment où sur la version originale (chanson de Creedence Clearwater Revival) on entend de l’harmonica, on écoute, tous abasourdis dans la salle, cette espèce de lamentation un peu folle, une sorte de cri désespéré et hystérique… une note bleue sans doute, décalée par rapport à la tonalité de la chanson. Ce petit décalage qui fera souvent dire aux spectateurs que Jeffrey chantait faux. Il n’en est rien. Jeffrey Lee Pierce est un chercheur. Il s’est appliqué, toute sa vie à ETRE une chanson de Blues, ou bien le départ d’un solo de saxophone du tout début du free jazz, comme chez Coltrane… il essaye de trouver ce quelque chose d’impalpable, d’insaisissable et de nous le tendre, il a fait de son corps et de sa voix ce laboratoire de l’illumination. Poète de la vie, adepte de la révélation mystique, en vivant pleinement le présent.

 https://www.youtube.com/watch?v=xvTM8XtF-kA

Quelques heures plus tard, le concert sera comme tous les autres : intense, dingue, mais aussi laborieux, déconcertant, sublime avec instants de grâce absolue pour retomber sur une chanson longue et ennuyante. Dangereux et ultra tendu. Sur scène, il essaye réellement de faire venir les fantômes des bluesmen lynchés du sud, il essaye d’être réellement, d’incarner, ici et maintenant, le fantôme d’un paysan du Texas qui aurait tué sa femme. Comme il essaiera aussi d’être Jimi ’Hendrix quand il reprenait (magnifiquement) Little Wings. Que de concerts fous. Que d’improvisations. Que d’instants hors des langages connus. Il a une obsession de la Black musique, il voulait écrire une symphonie africaine, fan de reggae, puis de Rap, curieux de la vie, apprenant le japonais. Avide d’Histoire. Un chercheur. Obsédé par les grands voyageurs, les explorateurs ou bien le Joseph Conrad d’« Au coeur des ténèbres ». Les terres inconnues l’attirent. Le Blues de son 1er album est un prétexte, un cadre pour dire et pour chercher les choses qui dérangent dans l’histoire américaine. Il invente la country-punk avec la sortie de son album Miami. Il disait : « avec le Blues et la Country, j’explore la face sombre, désespéré du fameux rêve américain, c’est l’histoire des pionniers blancs loser et les chants des descendants d’esclaves, les récits de ceux dont on ne parle pas, car ils perdent toujours à la fin, et le tout mis en musique sans synthétiseurs ! » (le gars avait aussi beaucoup d’humour).

 https://www.youtube.com/watch?v=bEOwF3zO8Uc

Malgré les ravages de l’alcool, de toutes les drogues et de beaucoup de maladies, il aura joué à incarner ses obsessions. Sans doute trop, car il a été jusqu’au bout. Alors évidement il a fait des disques solos, plus pop vers la fin, plus blues « lambda » dans Lucky Jim (son dernier album), avec de grands espaces pour la guitare. Mais on s’en fout, car il y a toujours, dans tous les albums, ce moment de grâce absolue ou la voix du chercheur trouve la lumière sacrée, celle qui nous pousse à faire l’expérience de l’art, plutôt qu’à le contempler. Le cri à finalement trouvé la bouche, ou le contraire. Mais Jeffrey Lee Pierce va payer cher son fantasme blues-punk, cette mutation à vouloir être une chanson de blues. L’enfant fou est mort chez son père à 37 ans, des suites de ses divers excès.

Il nous laisse ces magnifiques paroles, ces disques sublimes des extraits de concerts sauvages. Un grand poète américain de la fin du XXe siècle.

 

Cheers Jeffrey ! merci pour ces voyages.

 

Serdar Gunduz